Fond de plan d’après © IGN Scan 25 et © CORINE Land Cover ; J.-P. Chimier, J. Livet et I. Pichon, Inrap, et P. Alilaire, SRA Centre - Val de Loire.

2Avant 2000, les interventions archéologiques en centre-bourg étaient rares et, en général, relevaient de sauvetages urgents motivés par des découvertes fortuites (par exemple à Paulnay : Girault 1988). Le village de Moulins-sur-Céphons constitue une exception, puisque étudié dans le cadre d’un programme de recherche fondé sur les sources historiques, archéologiques et architecturales (Querrien 2018). Depuis le tournant du siècle, les prescriptions du service régional de l’archéologie (SRA), en particulier de diagnostic, sont étroitement liées aux pratiques de terrain et s’adaptent aux dynamiques de recherche. La prescription évolue, de l’espace effectivement détruit – correspondant à celui des tranchées, notamment d’enfouissement de réseaux (par exemple rue de la Cueille à Saint-Marcel : de Belvata Balasy et al. 2013) – à celui de l’emprise totale de travaux à l’échelle de l’aménagement, par exemple celui d’une place (Chimier et al. 2020 ; Livet 2022). Les opérations de diagnostic sont passées d’une démarche de « présence/absence » à des interventions problématisées avec un questionnement préalable, l’occupation de chaque site étant modélisée à partir des données disponibles, souvent très fragmentaires.

Considérer le village dans la longue durée

5Les territoires des communes de Levroux et de Saint-Marcel, deux cas particuliers, sont le siège d’agglomérations du second âge du Fer et de l’Antiquité reconnues à travers plusieurs programmes de recherche. L’agglomération de Levroux évolue depuis La Tène C2 et se déplace en plusieurs étapes jusqu’à la période médiévale (Krausz 1999 ; Buchsenschutz et al. 2000). Les opérations récentes, nombreuses, ne concernent que les franges de la ville actuelle et n’ont pas documenté le centre historique : les relations entre les occupations protohistorique, antique et médiévale n’y sont pas clairement établies.

6Les deux villes de Saint-Marcel et d’Argenton-sur-Creuse ont une filiation avec Argentomagus, une des principales agglomérations des Bituriges Cubes, et il est possible de considérer l’ensemble comme un même système ayant évolué sur plus de 2 000 ans. Les agglomérations actuelles sont à l’écart de la ville laténienne et antique : Saint-Marcel en marge de l’agglomération antique et Argenton en contrebas d’un castrum altomédiéval établi en amont de Belvata Balasy et al. 2013 ; Bazin, Dumasy 2016). La quasi-totalité des opérations d’archéologie préventive concernent la ville antique et se situent en contexte rural aménagé récemment. Deux opérations ont été réalisées dans le cœur historique de Saint-Marcel en 2006, confirmant l’origine antique du secteur où un fanum avait déjà été identifié en 1993 (de Belvata Balasy et al. 2013 ; Girond et al. 2013). Pour Argenton, les données archéologiques récentes ne concernent que le quartier de Saint-Étienne, la seule intervention dans l’église n’ayant pas livré d’autres vestiges que des sépultures modernes.

7La question d’un établissement rural protohistorique ou antique comme pôle de peuplement à l’origine des villages et petites villes actuels se pose mais est encore peu documentée par les sources archéologiques récentes. À Sainte-Lizaigne, de rares vestiges mobiliers confirment l’occupation du bourg dès l’Antiquité, en lien avec une possible villa observée en périphérie. À Rouvres-les-Bois, le diagnostic a livré des céramiques en position résiduelle et un mur non daté mais interprété comme antique. L’ensemble n’est pas caractérisé (Chimier et al. à paraître).

8Ces premiers axes d’étude commencent à être complétés par la prise en compte des périodes modernes et contemporaines. Les vestiges structurés restent toutefois rares, et les données archéologiques illustrent la plupart du temps des travaux d’urbanisme : nivellement et décaissement des espaces publics à la période contemporaine (à Luçay-le-Mâle et Châtillon-sur-Indre) ; réaménagement ou entretien des rues (aux xvi^e-xvii^e s. à Saint-Benoît-du-Sault ; après le xv^e s. à Saint-Marcel, rue du Carroir) ; ou encore des aménagements plus conséquents comme, à Buzançais, l’aménagement du jardin du château comtal au xvi^e siècle et le démantèlement de la fortification urbaine au xviii^e siècle (Bouillon, Yvernault 2012 ; Chimier et al. 2020 ; 2021). Les vestiges post-médiévaux les mieux étudiés sont ceux liés aux installations funéraires, une quasi-constante des opérations de cœur de village, à partir des données de terrain (comme à Vic) ou des seules sources d’archives (comme à Buzançais : Chimier et al. 2021).

9Les villages et petites villes actuels ayant pour origine une agglomération antérieure au Moyen Âge restent rares, et les interventions récentes d’archéologie préventive ne permettent pas de proposer de nouveau site. Elles confirment cependant les sites retenus par le PCR sur les agglomérations antiques. Cette approche induit une continuité d’occupation de l’habitat groupé qui n’est pourtant archéologiquement assurée pour aucun des sites, où les données manquent pour le Bas-Empire et le début du Moyen Âge. Seules les occupations funéraires assurent une occupation en continu. Toutefois, la quasi-absence de vestiges du Bas-Empire est peut-être due à la difficulté d’appréhender cette documentation, déjà soulignée pour la région tant sur les sites ruraux que dans les agglomérations (Fouillet, Lusson 2015, p. 194 ; Cribellier 2016, p. 47 ; Salé, Chimier 2022).

Affiner l’étude des espaces ecclésiaux et funéraires

10Les principaux apports des interventions de ces vingt dernières années portent sur les pôles ecclésiaux et les espaces funéraires, un axe de recherche qui se développe sur l’ensemble de la région Centre - Val de Loire. La chronologie des ensembles funéraires a pu être précisée, notamment grâce à la multiplication des datations au radiocarbone, en particulier lors des diagnostics. En parallèle, la généralisation des études archéothanatologiques dès le terrain a permis d’affiner la typochronologie de l’architecture des tombes (Livet et al. à paraître).

11Comme en Touraine voisine (Pichon et al. 2018), la reconnaissance de sépultures du début du Moyen Âge (v^e-viii^e s.) est maintenant fréquente au sein des ensembles funéraires mis au jour dans les centres historiques de l’Indre. Douze sites ont ainsi été documentés depuis 2002 : Le Blanc, Bommiers, Buzançais, Ciron, Lizeray, Luçay-le-Mâle, Nohant, Paulnay, Rouvres-les-Bois, Sainte-Lizaigne, Saint-Marcel et Vic. Pour plusieurs d’entre eux, les interventions de terrain ont mis en évidence des groupes de tombes pouvant correspondre soit à une seule aire funéraire très étendue, soit à une organisation polynucléaire. Une répartition en au moins deux pôles est manifeste à Sainte-Lizaigne : l’un à proximité de l’église romane et l’autre 150 mètres plus au nord [ill. 2]. La documentation ne permet pas de statuer sur l’origine de ces concentrations ni sur leur chronologie relative. Même si des sépultures des xiv^e-xv^e siècles sont attestées sur l’ensemble nord, il est probable que le cimetière paroissial médiéval et moderne se développe par la suite en périphérie de l’église. L’hypothèse d’une organisation multipolaire peut aussi être formulée à Ciron, à Nohant ou encore à Luçay-le-Mâle, où l’une des aires funéraires du haut Moyen Âge se situe à proximité de l’église actuelle. Une configuration semblable peut en outre être proposée pour Lizeray : un groupe de sépultures, cohérentes du point de vue typochronologique et attribuées au plus tôt à la période carolingienne, a été fouillé à 70 mètres de l’église.

12Au-delà de l’apparente continuité d’utilisation des espaces funéraires médiévaux, les liens entre les premières phases d’inhumation et les cimetières paroissiaux ne sont pas évidents. Il est possible que, à l’image de ce qui a été observé à Rigny en Indre-et-Loire (Zadora-Rio, Galinié 2020, p. 15-17), l’église ne constitue pas un pôle de concentration des sépultures avant le milieu du Moyen Âge et que ces phases d’inhumation précoces soient antérieures à la mise en place du cimetière paroissial. Ce schéma s’applique à Ciron ou à Paulnay, où l’emprise des sépultures de l’ensemble funéraire initial semble à la fois exclusive et très étendue.

13La question de la datation relative de ces tombes et des édifices de culte reste en suspens dans la plupart des cas, compte tenu du faible nombre d’interventions au sein des églises. Beaucoup des monuments sont datés à partir d’éléments architecturaux stylistiques ou de mentions textuelles postérieures au x^e siècle, alors qu’ils sont probablement plus anciens (Zadora-Rio dir. 2008, p. 65-66 ; 2010, p. 239). À Vic, les plus anciennes tombes, attribuées aux v^e-vi^e siècles, sont situées à proximité directe de l’église et correspondent manifestement aux premières phases de l’ensemble funéraire du pôle ecclésial. Elles sont installées sur des maçonneries considérées soit comme antiques, soit comme relevant d’un premier état de l’église actuelle (attribuée au xii^e s.). D’une façon plus générale, en l’état de la documentation, on ne peut certifier que les sépultures du haut Moyen Âge accompagnent un habitat à l’emplacement du village actuel.

14Pour le second Moyen-Âge et la période moderne, les études récentes montrent une situation complexe et plus variée que celle, attendue, du cimetière paroissial périphérique à l’église. Elles attestent plusieurs exemples de transfert précoce des cimetières, antérieurs aux modifications législatives des xviii^e et xix^e siècles (Bertrand, Carol dir. 2016), soit à travers les données archéologiques soit d’après les archives.

15À Nohant, le cimetière n’est plus attenant à l’église dès le courant du xviii^e siècle : l’atlas de Trudaine le fait figurer à l’extérieur du village, au-delà de son emplacement sur le premier cadastre, suggérant ainsi deux déplacements depuis le Moyen Âge. À Rouvres-les-Bois et à Saint-Benoît-du-Sault, le cimetière est situé également hors du village sur le premier cadastre et à l’extérieur du tracé des fortifications médiévales (Chimier et al. à paraître). La question du lien entre l’établissement des enceintes urbaines ou villageoises et le déplacement du cimetière est ici posée, comme elle se pose pour certaines petites villes de Touraine (Pichon et al. 2018, p. 209). Enfin pour les cimetières Saint-Génitour du Blanc et Saint-Étienne de Déols, leur déplacement précoce résulte plutôt de modifications d’urbanisme à la fin du Moyen Âge ou à la Période moderne (Livet 2022 ; Roy, Yvernault 2022).