• 1 Interventions sur le bâti dans un cadre préventif résultant de prescriptions ou demandes par les se (...)

1Région très active en matière d’archéologie préventive au sein du territoire national, l’ancienne région Champagne-Ardenne est surtout connue pour des découvertes concernant le Néolithique (Dohrmann, Riquier dir. 2018), les âges des métaux (Dubuis, Riquier 2018) ou le très haut Moyen Âge (Truc et al. 2019). Des monuments emblématiques plus récents existent encore : la cathédrale de Reims, malgré les destructions de la Première Guerre mondiale ; celles de Châlons-en-Champagne et de Troyes, jalons de l’architecture gothique pour le Bassin parisien ; des monastères prestigieux (Saint-Remi de Reims, Clairvaux…) ; mais aussi des types de bâtiment faisant la renommée touristique d’une ville comme Troyes, avec ses maisons à pans de bois. Pourtant, l’archéologie sur le bâti peine encore à s’imposer1.

• 2 Responsable d’opération : Marc Barbier, 1997.
• 3 Responsable d’opération : Pierre-Hugues Tilmant, ministère de la Culture, 1995.
• 4 S’en est suivie une période de plus de dix ans sans nouvelle intervention archéologique autour des (...)
• 5 Diagnostic, responsable d’opération : Geert Verbrugghe, Afan ; fouille, responsable d’opération : F (...)

2Comme pour nombre d’autres régions, l’archéologie sur le bâti s’est construite en abordant essentiellement les édifices religieux qui faisaient l’objet d’une protection au titre des monuments historiques (Roger 2005 ; Creissen et al. 2008), et très ponctuellement d’autres édifices caractéristiques du Moyen Âge : remparts (promenade des remparts et tour du Moulin à Saint-Dizier2) et châteaux (Sedan3). Entre 1994 et 20024, vingt-deux diagnostics ont été réalisés à l’extérieur et à l’intérieur d’églises [ill. 1]. Ces opérations ont permis d’augmenter de manière significative nos connaissances sur la gestion des cimetières paroissiaux mais se sont bien souvent révélées limitées en termes architecturaux, puisque seules les fondations ont pu, dans le meilleur des cas, être documentées. L’église prieurale de Brienne-la-Vieille (Aube), à la suite d’une surveillance de terrassement ayant permis en 1995 de retrouver des blocs antiques réutilisés dans les maçonneries d’un premier édifice, a fait l’objet d’une fouille programmée entre 2005 et 20075 (Henrion 2007 ; Henrion 2008).

• 6 Responsable d’opération : Stéphane Venault, Afan.
• 7 Responsable d’opération : Claire Pilliot, Inrap.

3La première opération archéologique sur un bâtiment en élévation prescrite par le SRA date de l’année 2000, avec la « pré-étude du bâti » du corps de logis de la commanderie templière d’Avalleur à Bar-sur-Seine (Aube)6, un édifice ni classé, ni inscrit aux titre des monuments historiques (cf. infra). Il faut attendre 2013 pour une nouvelle prescription, lors de la surveillance de travaux sur les maçonneries du château de Vignory (Haute-Marne)7 - tour au Puits et tour sud de la Porterie -, mais dans des conditions délicates : problèmes de sécurité, travaux entamés avant l’intervention de l’Inrap…

• 8 Responsable d’opération : V. Marchaisseau, Inrap, 2018.

4Depuis 2018, avec une volonté de prescription plus affirmée et l’arrivée d’agents formés au SRA, les diagnostics et les fouilles sur du bâti se multiplient. Ainsi, l’ancien bâtiment du château moderne de Châteauvillain (Haute-Marne)8 a pu être étudié dans le cadre d’un diagnostic préalable à sa transformation en espace muséal. Une portion de la courtine et un édifice de la fin du Moyen Âge ont été appréhendés, tandis que la fonction première du bâtiment en élévation a pu être révisée. Qualifiée généralement d’écurie, il a en réalité servi de remise à carrosses lors de la reconstruction du château sous le duc de Vitry (second quart du xvii^e siècle) (Marchaisseau, Daoulas 2019).

• 9 Responsable d’opération : V. Marchaisseau, Inrap, 2021.
• 10 Étude de Willy Tegel, Dendronet.

5Si le bâtiment de Châteauvillain a été conservé, le sort de la maison du 66, rue de la Marne à Châlons-en-Champagne (Marne) a été tout autre puisque celle-ci était vouée à la destruction pour créer une nouvelle rue. Le diagnostic9 a été une occasion rare de pouvoir étudier, dans le cœur de ville, une maison à pans de bois entièrement recouverte de crépi et accueillant un local de restauration rapide au rez-de-chaussée. Le cahier des charges prévoyait des sondages sur les murs, à l’intérieur comme à l’extérieur, tandis que seules des observations étaient prévues dans les caves. Ces dernières ainsi que deux pans de maçonnerie au premier niveau étaient en craie, témoignant d’une construction mixte. Le reste de l’élévation était à pans de bois, avec hourdis de paille et limon [ill. 2], à l’exception d’une cheminée en pierre de Savonnières masquée par les aménagements contemporains. Plusieurs datations dendrochronologiques ont permis de s’assurer d’une construction en 1545-154610. Malgré des résultats convaincants, aucune intervention supplémentaire n’a été réalisée, et le bâtiment a finalement été démoli et les caves comblées [ill. 3].

• 11 Responsable d’opération : V. Marchaisseau, Inrap.

6La prescription de fouille, en cours, du prieuré Saint-Pierre de Bar-sur-Aube (Aube)11 porte à la fois sur une fouille stratigraphique du cloître et sur une étude du bâti, notamment de la salle capitulaire.

• 12 Responsable d’opération : Stéphane Büttner, Centre d’études médiévales d’Auxerre, en cours.

7En parallèle se développent des demandes d’intervention sur des édifices classés de la part de la CRMH, en lien avec le SRA. La première d’entre elles s’inscrit dans le cadre des travaux de restauration de la tour sud de la cathédrale de Troyes (xvi^e siècle)12.

• 13 Responsables d’opération : V. Marchaisseau et C. Roms, Inrap, 2015-2017.

8À partir de 2015, l’Inrap a été sollicité pour des demandes de prestations par des aménageurs - publics comme privés - ou des architectes. Ces études sont réalisées dans le cadre de travaux de restauration, sur des constructions soumises ou non à protection. L’exemple le plus parlant est celui de l’ancien logis de la commanderie templière et hospitalière d’Avalleur. Le conseil départemental de l’Aube l’a restauré entre 2015 et 2017 afin d’en faire un centre d’interprétation dédié aux ordres templiers et hospitaliers. Suite à la reprise, en 2013, des résultats l’étude de 2000 (Roms 2013), il a commandé une étude de l’ensemble de l’édifice à l’Inrap13 (Marchaisseau et al. 2021). Il s’agit du bâtiment le mieux étudié au cours de ces vingt dernières années. L’étude sur le bâti s’est déroulée en même temps que l’avancée du chantier en profitant des échafaudages et de la dégradation des enduits contemporains ; la couverture photogrammétrique a concerné l’ensemble de l’édifice avant et après restauration [ill. 4]. Le bâtiment d’origine (début du xiii^e siècle) est encore parfaitement conservé avec ses entrées, une cheminée, ses portes de communication et quelques lambeaux de peintures murales légèrement plus tardives (seconde moitié du XIII^e s.-début du xiv^e s.). Jusqu’à présent, les réaménagements de la fin du Moyen Âge étaient attribués à une seule phase réalisée sous l’impulsion de Jean de Choiseul, commandeur de 1510 à 1526 ayant laissé ses armes sur des tympans de porte. L’étude a finalement démontré l’existence de trois états distincts, dans un mouvement d’agrandissements successifs vers le nord dès 1485-1490 et jusqu’en 1553 (Marchaisseau et al. 2021). Le partenariat avec le conseil départemental s’est poursuivi après cette étude avec une fouille programmée pluriannuelle.

• 14 Dirigé par Agnès Charignon (Inrap) et Benoît Rouzeau (UMR 8589 « LaMOP »).
• 15 Responsable d’opération : C. Roms, Inrap, 2020.

9Enfin, le PCR « Paysages et architecture des monastères cisterciens entre Seine et Rhin (xii^e-xviii^e s.) : inventaire en région Grand Est »14 a été l’occasion, en 2020, d’une première étude archéologique, initialement non prévue, des élévations des prisons séculières de l’abbaye de Clairvaux (Ville-sous-la-Ferté, Aube)15. Ce bâtiment présente la même architecture que le bâtiment des convers (fin du xii^e s.-début du xiii^e s.), avec des arcades jouant le rôle de contreforts le long des murs gouttereaux [ill. 5]. Jusqu’à présent, seuls les bâtiments emblématiques de l’abbaye de Clairvaux (fondée en 1115) ont bénéficié, dans le cadre de leur restauration, d’études de leurs élévations : il s’agit du bâtiment des convers, du grand cloître et des rares éléments conservés de l’abbatiale (Roms 2015). Cette première approche archéologique sur le bâti des prisons séculières de Clairvaux - probablement un cellier dans son état initial (début xiii^e s.) - montre la part importante des maçonneries d’origine conservées, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur du bâtiment (Roms à paraître).

• 16 Responsable d’opération : C. Roms, Inrap, 2019.
• 17 Responsable d’opération : V. Marchaisseau, Inrap, 2018.
• 18 Responsable d’opération : C. Roms, Inrap, 2019.
• 19 Responsable d’opération : V. Marchaisseau, Inrap, 2021.
• 20 Responsable d’opération : V. Marchaisseau, Inrap, 2021.
• 21 Responsable d’opération : V. Marchaisseau, Inrap, 2021.
• 22 Responsable d’opération : V. Marchaisseau, Inrap, 2021.

10Avec une reprise des prescriptions en 2018 [ill. 1], plusieurs « tours d’église » ont fait l’objet de prescriptions : collégiale Saint-Vivent de Braux (Bogny-sur-Meuse, Ardennes)16 ; église Saint-Martin d’Auve (Marne)17 (Bouvart, Marchaisseau 2019) ; église Saint-Pierre de La Chapelle-Lasson (Marne)18 (Roms 2020) ; église Saint-Amand (Saint-Amand-sur-Fion, Marne)19 ; église Saint-Éphrem (Jâlons, Marne)20 ; chapelle Saint-Alban de Fontaine-Luyères (Charmont-sous-Barbuise, Aube)21 ; collégiale de l’Assomption de la Vierge (Villemaur-sur-Vanne, Aube)22. En dehors du pourtour de la collégiale de Bogny-sur-Meuse, qui a fait l’objet d’une fouille (Roms, Bertrand 2021), les autres opérations se résument pour l’instant à des diagnostics en lien avec un projet de restauration, sans que soient prises en compte les élévations. C’est à nouveau le domaine funéraire qui transparaît le mieux au travers des résultats accumulés. Contrairement aux opérations des années 1990-2000, où la datation des inhumations était réalisée uniquement par l’analyse stratigraphique, l’intégration d’un budget dédié aux analyses dès la conception de l’opération permet aujourd’hui le recours à plusieurs datations au radiocarbone par opération. Certaines interventions ont ainsi permis de retrouver des inhumations antérieures à l’église en élévation et aux premières mentions textuelles. Des sarcophages en plâtre — accompagnés d’un sarcophage en pierre de type bourguignon-champenois — des vi^e-vii^e siècles ont été retrouvés dans la nef de Jâlons [ill. 6] ; une sépulture du x^e siècle a pu être retrouvée au chevet de la collégiale de Villemaur-sur-Vanne ; plusieurs individus recoupés par les fondations de l’église de La Chapelle-Lasson remontent à la fin du xi^e - début du xii^e siècle (Roms 2020). Des sondages ont révélé des fondations pouvant appartenir également à un édifice antérieur (Saint-Amand-sur-Fion, Villemaur-sur-Vanne), mais la prudence reste de mise en l’absence de connaissance plus approfondie des élévations. Dans certains cas, des observations attentives de ces dernières ont pu être réalisées (Roms 2020).

• 23 Voir l’article « L’archéologie préventive appliquée à l’architecture civile de Metz » de Sitâ André (...)
• 24 Responsable d’opération : David Gucker, Inrap, 2011.

13Ce sont également les « vides » à combler qu’il convient de répertorier : on constate peu d’intervention sur du bâti civil urbain (Garrigou Grandchamp 2019 : p. 308) ; aucune maison à pans de bois de Troyes ne fait l’objet d’étude alors même que la rénovation d’îlots entiers est réalisée sans surveillance archéologique ; les inventaires des caves médiévales et modernes restent également à faire ; etc. La comparaison avec les résultats obtenus grâce à de nombreuses prescriptions dans les secteurs sauvegardés de villes comme Metz23 ou Strasbourg est édifiant (André 2021). Peu d’interventions concernent l’architecture militaire (châteaux, remparts, maisons fortes, etc.), ces édifices étant généralement entre des mains privées mais faisant l’objet de restaurations régulières (Sedan et Vignory font exception car classés aux monuments historiques…). Enfin, l’architecture vernaculaire demeure très largement méconnue, la fouille d’une ferme médiévale et moderne à Feuges (Aube)24 faisant exception (Royer 2001 ; Gucker et al. 2020).

• 25 Ce cadre législatif anime régulièrement les discussions des colloques, comme à Auxerre (« L’archéol (...)

15Comme la sociologie et l’histoire médiévale en leur temps, l’archéologie sur le bâti reste « un sport de combat », aux règles parfois encore floues lorsqu’elle se pratique dans un cadre préventif25. Mais assurément, en Champagne-Ardenne, elle est en train de se développer efficacement.