1Le secteur de Pontcharaud, localisé dans l’est de la commune de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), a été l’objet de nombreuses investigations archéologiques depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais il faut véritablement attendre le développement de l’archéologie préventive, à partir du milieu des années 1980, pour que cette zone puisse être documentée de manière extensive et que l’intensité de l’occupation humaine qui s’y est développée entre le Néolithique ancien et le ier siècle avant notre ère puisse être appréhendée à son juste niveau [ill. 1]. D’importantes occupations, domestiques comme funéraires, se sont incrémentées sur ce secteur au cours des six millénaires qui ont précédé la romanisation. Plusieurs de ces différents gisements revêtent un caractère exceptionnel, dû aussi bien à la rareté voire à l’absence de sites contemporains à l’échelle régionale ou nationale qu’à la présence d’éléments mobiliers ou immobiliers attestant d’importants échanges méridiens transitant par le site. Ces derniers semblent s’être développés et maintenus, malgré quelques hiatus, durant l’ensemble du Néolithique et des âges des métaux.
1a. Localisation du secteur de Pontcharaud et des différentes interventions archéologiques qui s’y sont déroulées depuis les années 1980.
E. Lacoste, Drac Auvergne - Rhône-Alpes, SRA.
1b. Extension supposée des occupations par période.
F. Muller, Inrap.
2Le secteur archéologique est situé dans une zone urbanisée depuis les années 1960 et auparavant dédiée exclusivement à l’agriculture. L’extension de la ville de Clermont-Ferrand, avec l’aménagement du réseau autoroutier (A75, A71 puis contournement est de la ville, assurant la liaison entre ces deux axes majeurs), a profondément modifié l’aspect de ce territoire, qui possède actuellement un caractère périurbain évident. Par la suite, le développement de zones d’activité en périphérie de cet axe autoroutier a réduit considérablement la part des terrains voués à la pratique agricole. D’un point de vue géologique, cette zone constitue l’extrémité méridionale du marais de Grande Limagne et recoupe des formations fluviatiles anciennes associées à la confluence entre deux rivières drainant cette partie du bassin clermontois : l’Artière et la Tiretaine (Loison 1998, p. 191). De ce paysage, aujourd’hui relativement plan, émergent quelques éminences d’origine volcanique (pépérite), dont le puy de la Poix à l’est ou le puy de Crouël au sud. Ces pointements constituent les uniques sources d’approvisionnement en matériaux rocheux de ce secteur de la Grande Limagne. Les données récentes concernant ce secteur de la plaine semblent indiquer que le caractère plan du paysage observable actuellement est avant tout lié à l’intense activité agraire qui s’y est développée ces derniers siècles. En effet, de modestes éminences naturelles de quelques mètres de haut, par ailleurs mises à profit par les populations anciennes, notamment au cours du Néolithique ancien puis moyen 1, caractérisaient une topographie à l’évidence plus tourmentée qu’à l’heure actuelle.
3La bordure orientale de l’agglomération clermontoise a très tôt fait l’objet d’investigations archéologiques. Cet intérêt s’est initialement porté sur le complexe laténien de Gandaillat/la Grande Borne, et cela dès les prémices de la Seconde Guerre mondiale. En effet, c’est à partir de 1939 que Jean-Jacques Hatt et Gabriel Fournier mettent au jour cette agglomération se développant sur une surface alors estimée à au moins 35 hectares (Hatt 1942), à la suite de l’agrandissement de la base aérienne de Gandaillat entre 1939 et 1942 (Deberge et al. 2007, p. 269). Ces premières découvertes archéologiques sur le secteur sont complétées par une petite fouille de sauvetage conduite en 1970 par Monique Dumontet sur un fossé laténien, laquelle a révélé la présence d’une trentaine d’amphores Dressel 1A (Deberge et al. 2007, p. 269). En ce qui concerne le secteur de Pontcharaud proprement dit, localisé à quelques centaines de mètres à l’ouest de ces découvertes initiales, il faut véritablement attendre l’avènement de l’archéologie préventive, à partir des années 1980, pour que l’intérêt de ce secteur pour la Préhistoire récente auvergnate se fasse jour.
- 1 Évaluation en 1985 ; fouille en 1986.
- 2 Sondages archéologiques dans le secteur du Brézet-Est, responsable d’opération : Gérard Vernet, Afa (...)
4Les premières découvertes importantes sont liées à l’aménagement routier du contournement est de Clermont-Ferrand, qui permet de relier les autoroutes A71, au nord, et A75, au sud. Deux secteurs (respectivement appelés Pontcharaud 1 et Pontcharaud 2) sont étudiés par Gilles Loison (Afan)1. Le premier d’entre eux révèle la présence d’une occupation attribuée à l’âge du Bronze, associée à au moins deux sépultures. La seconde emprise révèle une importante et inédite occupation du Néolithique ancien, recoupée par une nécropole plus récente du Néolithique moyen 1 [ill. 2]. Une importante occupation laténienne, à vocation funéraire et domestique, est alors identifiée [ill. 3]. Il faut ensuite attendre la fin des années 1990, notamment l’année 1997, pour voir une série d’évaluations archéologiques compléter les données des années 1980. Ces opérations concernent le développement oriental de la zone d’activité du Brézet, le long de la bordure occidentale de la section d’autoroute fouillée par G. Loison. Ces différentes opérations2 permettent de mettre au jour la suite de l’habitat néolithique ancien, de la nécropole du Néolithique moyen 1 et de l’occupation laténienne identifiés en 1985. Par ailleurs, plusieurs sépultures attribuées à l’âge du Bronze (une inhumation du Bronze ancien, deux inhumations du Bronze moyen et des inhumations d’enfants attribuées au Bronze final) sont également identifiées, ce qui atteste d’une longue occupation de ce secteur au cours de la Préhistoire récente.
2. Inhumation du Néolithique moyen 1 en cours de fouille en 2019.
F. Prodéo, Inrap.
3. Fouille en cours d’un puits laténien en 2019.
F. Prodéo, Inrap.
- 3 Responsable d’opération : G. Vernet, Inrap, 2018.
5L’élargissement de l’A75 et son passage à deux fois trois voies entraînent ensuite la conduite d’une importante opération de diagnostic archéologique3 le long de sa bordure orientale. Celle-ci permet de confirmer la présence des sites déjà connus à proximité, de documenter leur extension dans cette emprise, mais également de mettre au jour des gisements encore inédits. L’occupation domestique attribuable au Néolithique ancien est ainsi confirmée et documentée de ce côté de l’autoroute. Son extension est bien attestée sur environ 7 000 m² du sud de l’emprise diagnostiquée. Le début du Néolithique moyen est également représenté dans le même secteur. Il est alors possible d’observer la présence d’une série d’au moins quatre inhumations sans dépôt dans des fosses en pleine terre. Elles se distribuent dans la partie méridionale de l’emprise diagnostiquée et semblent alors être constitutives de l’extension orientale de la nécropole contemporaine de Pontcharaud 2 documentée à proximité (Loison, Gisclon 1991). La principale nouveauté issue de ce diagnostic réside dans la mise au jour d’une importante et inédite occupation du Néolithique final, qui a alors été mise en évidence sur environ 3 000 m² dans le nord de la zone diagnostiquée. En ce qui concerne l’âge du Bronze, les éléments constitutifs d’occupations domestiques se sont révélés particulièrement ténus. On note ainsi la présence de quelques tessons attribuables au Bronze ancien, sans véritable contexte structuré. Un récipient en céramique du Bronze moyen 2, écrasé en place, a été également identifié. L’opération de diagnostic a aussi confirmé la présence d’éléments documentant l’extension occidentale de l’agglomération de Gandaillat/la Grande Borne au cours de La Tène D1a, sa phase d’acmé. Les données collectées lors de cette opération ont confirmé le caractère mixte de cette occupation, à la fois domestique, artisanale et funéraire.
- 4 Responsable d’opération : Frédéric Prodéo, Inrap, 2019.
6Le secteur de Pontcharaud a donc été l’objet d’une importante et intense activité archéologique depuis la Seconde Guerre mondiale. Si le site laténien est bien attesté sur place dès 1970 et la fouille de Monique Dumontet, l’essentiel des occupations plus anciennes ne sont mises au jour que grâce au développement de l’archéologie préventive à partir du milieu des années 1980. Il faut également signaler que le diagnostic conduit sur l’élargissement de l’A75 a par la suite fait l’objet d’une fouille4 [ill. 4]. Cette dernière opération, dont les résultats sont pour l’heure inédits, va à l’évidence encore modifier la vision actuelle de l’occupation humaine se développant au cours des cinq millénaires avant notre ère sur ce secteur de la Grande Limagne.
4. Décapage de la fouille conduite en 2019 sur le secteur de Pontcharaud.
F. Prodéo, Inrap.
- 5 Responsable d’opération : G. Vernet, Afan, 1997.
7Le Néolithique ancien de Basse-Auvergne correspond à une séquence chronologique particulièrement mal documentée. Les sites ayant livré ce type d’occupation sont pour l’heure peu nombreux et systématiquement localisés dans le bassin clermontois. Le site de Pontcharaud fait office de référence régionale pour cette période. Les opérations de terrain évoquées précédemment ont révélé un vaste complexe d’habitat se développant sur plusieurs hectares. Ces traces d’occupations domestiques sont caractérisées par la présence d’importants épandages de mobilier (céramique notamment) de plusieurs dizaines de mètres carrés d’emprise au sol. Les restes de faune sont bien présents, mais l’industrie lithique est peu représentée. Quelques structures fossoyées ont également été mises au jour, mais n’ont malheureusement été que rarement fouillées. L’ensemble du mobilier céramique correspondant à ces occupations est a priori associé au courant épicardial. On notera également la présence de deux tessons issus des fouilles du Brézet5 (Vernet 2004) qui ont révélé un registre décoratif attribuable au Rubané récent.
8Le diagnostic conduit en 2018 permet d’étoffer cette documentation en appréhendant la partie orientale de cette occupation. Elle est caractérisée principalement par un épandage de mobilier dont l’observation permet d’envisager la présence d’un véritable niveau d’occupation. Cet épandage est constitué de tessons de céramique, de faune et de blocs de pépérite. La faune mise au jour est bien conservée et présente un panel assez large avec une représentation d’espèces aussi bien sauvages que domestiques. Enfin, quelques éléments lithiques ont pu être identifiés lors du diagnostic. Ce petit assemblage est caractérisé par un approvisionnement local en ce qui concerne les matières premières. Ce complexe néolithique ancien de Pontcharaud est le seul site régional à présenter une indubitable coexistence entre registres décoratifs associés à l’Épicardial et au Rubané récent.
- 6 Responsable d’opération : Sophie Liégard, Afan, 1997.
9Quelques autres modestes occupations épicardiales ont également été mises au jour dans le bassin clermontois, comme sur le site de la rue des Quatre-Passeports à Clermont-Ferrand6, dont la fouille a livré une fosse attribuable à cette séquence chronologique (Georjon et al. 2004). On notera également que deux inhumations sont attribuables au Néolithique ancien sur la base de datations au radiocarbone. Il s’agit des sites de la Madeleine à Pont-du-Château et du Creux Rouge à Clermont-Ferrand (Daugas et al. 1983).
10À l’exception du remarquable ensemble domestique de Pontcharaud, les rares occurrences connues dans le bassin clermontois ne permettent pas d’appréhender finement cette séquence chronologique. On notera cependant que cette zone semble se trouver aux confins des deux grands domaines chronoculturels que sont l’Épicardial au sud et le Rubané récent au nord. Cet état de fait n’est pas vraiment surprenant, eu égard au fait que des éléments typiquement rubanés sont connus juste au nord, à Toulon-sur-Allier (Daugas 1976), et que l’influence épicardiale est bien attestée, que ce soit plus au sud, dans le Velay (notamment) ou dans le bassin clermontois même, comme en atteste la grande majorité des productions céramiques mises au jour lors des fouilles de Pontcharaud.
- 7 Responsables d’opération : Luc Tixier et René Liabeuf, direction des antiquités historiques et préh (...)
11Le Néolithique moyen de Basse-Auvergne est caractérisé par trois phases chronologiques, dont la plus ancienne correspond aux fouilles de Pontcharaud (Georjon et al. 2004). Cet ensemble funéraire prend place dans une zone probablement marécageuse et présente une disparité importante dans la constitution des dépôts funéraires, puisque certaines zones de la nécropole concentrent des inhumations qui en sont systématiquement dotées alors que d’autres secteurs sont caractérisés par la présence d’inhumations qui en sont dénuées. Les datations obtenues lors des interventions de 1986 et de 1997 sont cohérentes et semblent indiquer une vocation funéraire de cet espace ayant concerné toute ou partie de la seconde moitié du Ve millénaire. Les ensembles funéraires contemporains documentés en Basse-Auvergne sont peu nombreux et n’ont pas été fouillés sur des emprises aussi importantes qu’à Pontcharaud. Il est possible de mentionner celui de l’Aiguille à Culhat7 (Tixier 1984) ou des Sablières à Cébazat (Georjon et al. 2004).
12En substance, le secteur de Pontcharaud recèle deux particularités remarquables pour le Néolithique ancien et moyen 1 en Auvergne. La première correspond à cette occupation, probablement à vocation domestique, du Néolithique ancien, qui ne connaît pas d’équivalents régionaux et constitue à l’évidence une référence pour l’habitat de cette période. De plus, la présence concomitante de céramiques de types rubané récent et épicardial confère à cette occupation un intérêt national permettant de documenter les contacts entre les deux grands courants de néolithisation. La seconde particularité réside dans la présence de cet ensemble funéraire du Néolithique moyen 1, qui n’a pas d’équivalents en Auvergne et même, plus largement, dans le centre de la France. Il constitue donc, à l’instar de l’occupation domestique le précédant, un site de référence.
13Le Néolithique final de Basse-Auvergne est, à l’instar du Néolithique ancien, une période particulièrement mal documentée. Un seul site d’habitat structuré a pu être identifié et fouillé ces dernières années. Il s’agit de celui de Trémonteix à Clermont-Ferrand, étudié sous la direction de Sylvie Saintot (Inrap) en 2010, au pied des côtes de Clermont (Saintot dir. 2019). Des aires d’activités spécialisées ont été identifiées sur un versant dont le pendage pouvait atteindre 10 %. Des fosses, lambeaux de sols et trous de poteaux ont été mis en évidence, attestant ainsi de manière indubitable le caractère domestique de l’occupation. Le mobilier associé, notamment la céramique, indique une nette influence du centre-ouest de la France en positionnant de fait cette occupation dans la sphère artenacienne.
- 8 Cf. la notice dans le Bilan scientifique régional Auvergne ,2006, Le Crest (Puy-de-Dôme). La Croix (...)
- 9 Responsable d’opération : S. Saintot, Inrap.
14Un autre site du bassin clermontois a permis de mettre en évidence une occupation attribuable au Néolithique final. Il s’agit d’une fosse fouillée en 2006 par Philippe Hénon (Inrap) sur le site de la Croix Saint-Roch au Crest, au sud de Clermont-Ferrand (Hénon 2006). Il est pour l’heure difficile d’associer cet unique aménagement à une occupation structurée. Plus au nord, la fouille du Bournadiau8 à Quinssaines, dans le département voisin de l’Allier, a révélé en 2007 un petit site à vocation domestique attribuable au Néolithique final9 (Saintot et al. 2011). Caractérisé par la présence d’au moins deux bâtiments et d’un exceptionnel dépôt de 17 pièces en silex pressignien, ce site a livré un assemblage céramique et lithique qui permet de l’associer également à la sphère artenacienne.
- 10 Site fouillé par Jean-Jacques Houdré et R. Liabeuf en 1972.
- 11 Diagnostic, responsable d’opération : G. Vernet, Afan, 1988.
15Les données funéraires attribuables au Néolithique final dans le bassin clermontois sont également très diffuses. On notera cependant une série de sites présentant des sépultures multiples incinérées déposées dans des abris souvent exigus. Bien connue en Haute-Loire comme à Coubon (Crémillieux et al. 1977) ou à Goudet10 (Delporte 1972), cette pratique concerne également le bassin clermontois, comme l’attestent deux occurrences de ce type qui ont pu être identifiées à la Mourette à Beaumont11 ainsi qu’à la carrière Garcia de Corent (Daugas et al. 2004).
16Au sein de ce modeste panorama, l’occupation néolithique final de Pontcharaud fait donc figure de référence régionale. Elle a été mise au jour en 2018 lors de la conduite du diagnostic afférent à l’élargissement de l’A75. Elle se présente sous la forme d’une série de structures en creux, principalement des fosses, mais également un puits et quelques trous de poteau. La présence de bâtiments est bien attestée et confirme le caractère domestique de cette occupation. La présence d’un niveau d’occupation et de sols conservés est alors pressentie, comme en atteste l’épandage de mobilier observé en plusieurs endroits du site. La céramique associée à cette occupation présente un caractère local marqué, déjà rencontré sur le site voisin de Trémonteix, sur la commune de Clermont-Ferrand. Des éléments de forme et de décors laissent cependant entrevoir la présence d’une influence culturelle plutôt occidentale (centre-ouest) et seraient probablement associés à l’horizon artenacien, comme la majorité des autres sites de la région. À l’instar de l’habitat contemporain de Trémonteix, il offre la possibilité unique de documenter de manière extensive la structuration d’un habitat important du milieu du IIIe millénaire, tout en confirmant le développement d’une réelle et récurrente influence artenacienne en Basse-Auvergne au cours de cette séquence chronologique.
17Les aménagements laténiens identifiés sur le site de Pontcharaud prennent place au sein d’un site beaucoup plus vaste qui semble correspondre à un habitat, parfois densément occupé, se développant sur plusieurs dizaines d’hectares. Ce complexe avait été identifié comme tel dès 1983 par John Collis à partir des fouilles du site de la Grande Borne (Collis 1984). Par la suite, il fut nommé « complexe d’Aulnat » par Christine Mennessier-Jouannet et finalement « complexe de Gandaillat/la Grande Borne » lors d’une synthèse présentée en 2003 et publiée en 2007 (Deberge et al. 2007). Ce vaste ensemble connaît une genèse attestée dès La Tène B2 dans le secteur de la Grande Borne. Le site s’étend par la suite au cours de La Tène C puis connaît une véritable phase d’acmé au cours de La Tène D1 en couvrant une surface estimée à environ 150 hectares (Deberge et al. 2007). En ce qui concerne La Tène D1 (unique séquence représentée sur le secteur de Pontcharaud suite aux observations produites lors du diagnostic de G. Vernet en 2018), l’occupation de ce vaste ensemble est caractérisée par une imbrication étroite entre espaces domestiques, espaces funéraires et secteurs à vocation artisanale. L’ensemble de cette trame permet de discerner une organisation de l’espace qui semble s’articuler selon une logique d’îlots parfois délimités par une palissade, un chemin ou un fossé (Deberge et al. 2007, p. 285). Cette organisation est particulièrement visible sur le site de Gandaillat, un des seuls secteurs de ce complexe qui a pu bénéficier de décapages de grande ampleur.
18La zone de Pontcharaud a pu être documentée par plusieurs opérations s’échelonnant entre 1985 et 2000. De nouvelles données ont également été collectées en 2018 lors de la conduite du diagnostic liée à l’élargissement de l’A75. De nombreuses fosses ont alors été identifiées sur l’intégralité de l’emprise diagnostiquée. Certaines d’entre elles ont livré un abondant mobilier, caractérisé par une forte proportion d’amphores italiques. La fonction précise de ces fosses reste pour l’heure difficile à établir. Cependant, certaines d’entre elles ont révélé la présence de mobilier caractéristique d’activités métallurgiques (tuyères, moules en terre cuite, gouttes de bronze, scories ferreuses…), ce qui atteste une fonction artisanale liée à la production d’objets en fer et en alliages cuivreux.
- 12 Responsables d’opération : V. Richard et P. Arnaud, Afan, 1991.
19Trois sépultures ont également été identifiées pour la même période. Il s’agit d’autant d’inhumations, qui semblent constitutives de l’ensemble funéraire déjà mis en évidence plus à l’ouest lors de la création de l’autoroute (Loison, Gisclon 1991). Les inhumations sont déposées dans des fosses en pleine terre. L’une d’entre elles est par ailleurs accompagnée d’un vase balustre. À la suite de ces différentes interventions, la trame organisationnelle de ce secteur a pu être appréhendée. S’il semble moins organisé et structuré que d’autres parties du complexe, comme Gandaillat, ce secteur a permis de confirmer l’étroite imbrication entre contextes funéraires et domestiques. Deux grandes zones avoisinant les 1 000 m² dotées de sols aménagés à l’aide de fragments d’amphores ont pu être identifiées à proximité d’un secteur associant fosses domestiques, puits et sépultures à inhumation. L’ensemble de ces aménagements est attribuable à La Tène D1. La présence massive d’amphores dans le comblement de certains puits et de nombreuses fosses a permis d’évoquer une possible fonction cultuelle pour ce secteur. De manière générale, la très grande quantité d’amphores italiques est à noter dans cette zone, celles-ci représentant en effet jusqu’à 31 % du nombre minimum d’individus (NMI) dans le secteur du Brézet. Un peu plus à l’est, la fouille conduite en 1991 sur le site de la rue Élisée-Reclus12 a permis, sur 500 m² décapés, d’identifier la suite de cette trame organisationnelle mêlant contextes domestiques et funéraires. C’est lors de cette opération que quatre vases peints entiers ont été mis au jour (Deberge et al. 2007, p. 273).
20Cette vaste agglomération laténienne constitue l’une des toutes premières manifestations du fait urbain en territoire arverne. À l’instar de sites comme Aigueperse au nord ou Saint-Flour au sud, ce phénomène de concentration de l’habitat et des moyens de production artisanaux se développe de manière précoce et ne semble pas lié au phénomène des oppida qui viendront se mettre en place par la suite. Le site Gandaillat/la Grande borne reste pour l’heure le plus étendu et le mieux documenté des habitats laténiens à vocation urbaine sur le territoire arverne, notamment pour La Tène D1.
21Le secteur de Pontcharaud revêt à l’évidence un caractère exceptionnel pour la Préhistoire récente auvergnate. Toute une série d’occupations, séparées ou non de hiatus, se développent et s’incrémentent sur cette bordure méridionale de la Grande Limagne. Depuis les prémices du Néolithique jusqu’à la romanisation, l’intensité de l’anthropisation caractérisant ce secteur est en tout point remarquable, notamment en ce qui concerne sa récurrence. En effet, rares sont les terroirs où les implantations humaines se succèdent pendant six millénaires avec une telle intensité et une telle régularité. Le milieu en lui-même revêt certaines caractéristiques qui semblent prédisposer à une telle évolution. En premier lieu, les terres agricoles localisées à proximité de ce secteur, notamment en direction du sud, possèdent d’indéniables qualités agraires avec peu d’équivalence à l’échelle régionale. Cet état de fait et cette proximité peuvent impliquer une anthropisation ancienne liée à la mise en place des premières sociétés agricoles du Néolithique ancien puis moyen 1, qui s’implantent, comme souvent, dans des terroirs favorables à cette activité. La présence de ces terres agricoles prospères peut également impliquer une certaine pérennité de l’implantation humaine dans ce secteur au cours du Néolithique et des âges des métaux, l’activité et l’évolution de ces sociétés étant en effet intimement liées à la pratique agricole et aux activités connexes. Par la suite, le développement de l’agglomération de Gandillat/la Grande Borne semble s’inscrire dans une autre dynamique, plus directement liée à l’avènement du fait urbain. Il est cependant évident que cette expérience urbaine et sa réussite sur deux siècles est également induite par la proximité immédiate de terroirs agricoles en capacité de l’approvisionner.
22Au-delà des qualités agraires des terres de ce secteur de la Grande Limagne, il faut également noter la proximité immédiate de ces éminences pépéritiques que sont les puys de la Poix et de Crouël. Ils sont à considérer comme autant de gisements de matières rocheuses, dont la présence est excessivement rare en Grande Limagne. Les blocs de pépérite se retrouvent par ailleurs régulièrement employés dans l’architecture funéraire des tombes de la nécropole du Néolithique moyen 1. Il est cependant difficile d’estimer le poids réel de la proximité de cette ressource dans la dynamique d’anthropisation du secteur au cours de la Préhistoire récente et de la Protohistoire. Comme souvent, cet élément doit certainement participer d’un faisceau de causes, qui en se cumulant constituentun terroir favorable à l’implantation humaine pendant ces périodes.
23La localisation du secteur de Pontcharaud est également un élément à prendre en compte. Il se situe en effet le long de l’axe méridien qui a, depuis la Préhistoire récente pour le moins et jusqu’à nos jours, assuré la relation entre le Midi languedocien et le Bassin parisien via le Massif central. Cet axe, souvent sous-estimé si l’on se réfère à la modeste bibliographie dont il a fait l’objet en comparaison de l’axe Saône-Rhône, a connu quelques phases d’acmé bien documentées, comme le premier âge du Fer (Dedet et al. à paraître), mais semble de tout temps avoir connu une certaine importance dans les échanges à longue distance au sud de la France. Il permet en effet de s’affranchir de la traversée de la moitié septentrionale du Massif central grâce à l’alignement méridien des bassins d’effondrement que sont les Limagnes de Clermont-Ferrand (Grande Limagne), d’Issoire puis de Brioude. Il est bien entendu excessivement difficile de déterminer précisément le lieu de passage exact de cet axe tant il a pu fluctuer dans son implantation au fil des millénaires, mais il n’est pas anodin que l’axe méridien A71-A75 actuel reprenne peu ou prou un tracé de même cohérence. La présence concomitante, au Néolithique ancien par exemple, de céramiques du Rubané récent septentrional et épicardiales issues de la sphère méridionale (le site est le point de découverte le plus septentrional de ce type de production en France) atteste, pour le moins, d’échanges méridiens se matérialisant de façon concrète sur le site. Par la suite, les mobiliers et les solutions architecturales, domestiques ou funéraires confirmant la présence d’influences aussi bien septentrionales que méridionales, coexistant ou se succédant, attestent la vivacité de ces échanges méridiens sur cinq millénaires, dont le secteur de Pontcharaud est un réceptacle évident, comme le territoire auvergnat de manière plus globale.
