- 1 Diagnostic, responsables d’opération : Olivier Agogué et Arnaud Barbeyron, département de la Dordog (...)
- 2 Fouille, responsable d’opération : Christian Scuiller, Inrap, 2010. Envisagée initialement pour tro (...)
1L’opération archéologique réalisée sur la commune de Saint-Laurent-des-Hommes, au lieu-dit Belou, dans le sud-ouest de la Dordogne (rive droite de la vallée de l’Isle)1 a permis de mettre au jour, de manière tout à fait inattendue, un site exceptionnel. À commencer par l’extraordinaire longévité de ce secteur, fréquenté depuis le Paléolithique supérieur jusqu’à la Période moderne. L’originalité des structures mises au jour s’illustre notamment par la découverte de l’une des plus vastes nécropoles du haut Moyen Âge (seconde moitié du ve s.-fin du vie s.) reconnues en Aquitaine2. Riche de plusieurs centaines de sépultures, le mobilier qui accompagne les défunts révèle les influences culturelles diverses qui se croisent dans cette période de mutation, et son étude contribue à mettre en lumière le caractère somptueux et l’origine, parfois lointaine, de certains objets.
2L’occupation se développe sur deux parcelles situées en bordure de la moyenne terrasse et du lit de l’Isle [ill. 1]. Sur la première, relativement bien drainée, au nord-est sur le rebord de la terrasse, se trouve principalement la nécropole. La seconde, plus humide, située en contrebas au sud-ouest, correspond à une occupation dense de plus de 600 structures en creux (potentiellement identifiées comme bassins, fossés, fosses, trous de poteau), réparties sur 9 000 m² environ et chronologiquement échelonnées du Paléolithique supérieur à la Période moderne. Signalons que cette perduration dans le temps long des occupations humaines, sans être unique, s’avère remarquable au regard du secteur périgourdin considéré.
1. Plan du site de Belou nord à Saint-Laurent-des-Hommes.
Inrap.
- 3 Amas 2596, avec 144 artefacts ; étude technologique : Milagros Folgado-Lopez, Inrap.
- 4 Christian Chevillot (chercheur associé à l’UMR 6566 « CReAAH ») a largement contribué à la reconnai (...)
3La Préhistoire, illustrée par une concentration d’artefacts lithiques du Paléolithique supérieur final3 et par quelques fosses du Néolithique récent, laisse la place à la Protohistoire, qui s’inscrit plus fortement dans l’espace grâce à une vingtaine de structures en creux datées du Bronze moyen et surtout du Bronze final (BF IIIa). Ces structures témoignent d’une occupation « de plein air » assez peu courante en vallée de l’Isle4.
4De la période antique – quantitativement la mieux représentée sur la zone –, nous avons identifié près de 81 structures, avec les habituels trous de poteau, fosses, silos et fossés, dont la majorité a livré un mobilier du ier siècle de notre ère. Parallèlement, l’occupation est aussi caractérisée par des structures linéaires liées à de probables bâtiments sur poteaux de bois et possibles soubassements de pierre, plus largement attribués au Haut-Empire bien que leurs vocations exactes soient restées indéfinies. Ces vestiges surplombent deux cuvettes d’inégales surfaces (240 et 930 m²) associées potentiellement à une activité nécessitant l’utilisation d’une grande quantité d’eau. L’hypothèse d’installations liées à l’exploitation du chanvre a été avancée (possibles bassins de rouissage), mais celle de l’extraction de la tourbe, suggérée par l’analyse pédologique, n’est pas exclue.
- 5 Ambroz 16/1, série 1, variante 3.
5Si les vestiges ruraux de l’Antiquité tardive et du premier Moyen Âge s’avèrent peu courants en Aquitaine, où ils restent de ce fait encore mal connus, l’occupation caractérisée à Belou se distingue par la découverte d’un imposant bâtiment sur poteaux de presque 80 m² et de deux « fonds de cabane excavée » de petites surfaces (2 et 6 m²) situés en limite d’emprise, en contrebas et à quelques dizaines de mètres de l’espace funéraire. Difficile à appréhender d’un point de vue structurel en raison de la densité des vestiges, le matériel retrouvé dans ces bâtiments, notamment de la céramique d’Argonne décorée à la molette, valide la datation de ces structures. Le comblement d’un des fonds de cabane excavée a aussi livré une fibule en alliage cuivreux que l’on peut rattacher aux productions du type Ambroz5, caractéristiques du ve siècle de notre ère et associées à la culture de Tchernjakov, ce qui confirme la contemporanéité des bâtiments et du cimetière tout en renforçant les liens culturels qui transparaissent dans le mobilier retrouvé dans l’habitat et les tombes (Boudartchouk, Cabau 2019).
6L’espace funéraire, relativement vaste, se développe sur une surface d’environ 3 500 m² et compte 391 fosses sépulcrales [ill. 2 et 3]. Celles-ci sont orientées majoritairement du nord-est vers le sud-ouest et, de façon moindre, de l’est vers l’ouest, avec de grands alignements, l’ensemble constituant une organisation interne en rangées disposées autant est-ouest que nord-sud. La parcelle a été appréhendée dans sa quasi-totalité, et seule la limite nord du champ d’inhumation n’a pu, à ce jour, être reconnue.
2. L’ensemble funéraire en cours de décapage.
C. Scuiller, Inrap.
3. Vue partielle de la nécropole en fin de fouille.
W. O’yl, Inrap.
7Les tombes se caractérisent par des fosses de formes oblongues de profondeurs très inégales (entre 0,15 m et 0,90 m), avec des bords droits et des fonds relativement plats. Un certain nombre de contenants s’y trouvaient matérialisés par des traces linéaires de bois (aspect de charbon) plus ou moins continues, qui pouvaient correspondre à des empreintes de parois de coffrages ou de sarcophages monoxyles (39 spécimens) et/ou par des clous exhumés dans un état de conservation assez remarquable. Les positions de ces derniers, alignés et en équerre, indiquaient sans conteste des cercueils cloués (45 individus). Des banquettes de sédiments préservées sur les côtés encadraient le négatif de l’emplacement des contenants (21 cas).
- 6 Analyses PH de sol : INRA-Arras.
8Une autre caractéristique de cette nécropole était de ne receler quasiment aucun ossement en raison de l’acidité du sol, vecteur supposé de leur dissolution (PH moyen de 5)6. Pourtant, l’identification d’empreintes d’os sur le fond de certaines fosses a permis de révéler des emplacements de segments de corps. Mais cela n’a été perceptible que dans un nombre réduit de sépultures (28 tombes), pour lesquelles une série de tests utilisant un éclairage ultraviolet a montré qu’effectivement des restes de matière osseuse se trouvaient conservés dans ces empreintes, provenant notamment d’os longs et de la boîte crânienne [ill. 4].
4. Exemple de photographie aux ultraviolets (sépulture 1228).
W. O’yl, Inrap.
9Du fait de la quasi-absence d’ossements, c’est la présence d’objets qui révèle le mieux l’identité du sujet inhumé. Qu’ils soient en place ou proches de leur position d’origine, ces éléments témoignent d’individus inhumés habillés, quand il s’agit d’éléments vestimentaires comme les fibules ou les boucles de ceintures – disposés visiblement en position fonctionnelle –, ou bien sont déposés en accompagnement, comme peuvent l’être la céramique ou les objets de toilette.
- 7 Fouille, responsable d’opération : Didier Paya, Inrap, 2004-2005.
- 8 Fouille, responsable d’opération : Jean-Paul Cazes, ACTER, 2011.
- 9 Fouille, responsable d’opération : Claude Rayaud, CNRS, 1985.
10Avec 391 tombes repérées et fouillées, l’ensemble funéraire de Saint-Laurent-des-Hommes est l’un des plus importants cimetières d’Aquitaine pour ces périodes. Mais c’est surtout le nombre de tombes contenant du mobilier (132, soit un peu plus de 34 % des sépultures) qui le rend si singulier. Cette proportion remarquable de tombes à mobilier tranche nettement avec la plupart des ensembles contemporains fouillés dans le Sud-Ouest. À titre de comparaison, les gisements fouillés récemment en Aquitaine révèlent un nombre de tombes à mobilier qui se situe entre 5 et 10 %, et qui est généralement inférieur à 20 %. Il faut progresser vers la Méditerranée pour trouver, au sud de la Loire, des ensembles qui présentent une fréquence à peu près analogue ou supérieure à celle de Saint-Laurent-des-Hommes, à commencer par celui du Mouraut (Vernet, Haute-Garonne)7 avec près de 40 % d’inhumations habillées (Paya, Hernandez 2019), mais aussi à Sainte-Madeleine (Pezens, Aude)8, certes incomplet, mais dont le nombre de tombes à mobilier avoisine les 60 % (Cazes 2019), proportion que l’on retrouve dans la nécropole des Horts (Lunel-Viel, Hérault)9 (Raynaud et al. 2010).
- 10 Environ 263 objets suivant le mode de comptage et sans les perles.
11La majorité des objets découverts10 correspond essentiellement à des éléments de parure auxquels s’ajoutent quelques objets utilitaires ainsi que des effets personnels liés à la toilette. Le costume comprend un nombre varié d’éléments qui se répartissent en pièces de ceinturon, fibules, boucles d’oreilles et colliers. Des objets utilitaires, principalement des fermoirs d’aumônière et des couteaux, accompagnent parfois le défunt. On note aussi la présence d’accessoires tout aussi rares liés à la toilette, comme les pinces à épiler. Les parures rivalisent d’ingéniosités techniques ou décoratives. Si les métaux blancs (argent) dominent, certaines parures n’hésitent pas à associer différentes matières pour mettre en avant leur polychromie, à l’exemple d’une série de garnitures de ceinturon en alliage cuivreux doré dont la plaque offre un décor cloisonné couvrant, rehaussé de grenats et verroteries multicolores. Accessoires importants à Saint-Laurent-des-Hommes, plus de 4 000 perles complètent la toilette de 31 défunts [ill. 5]).
5. Exemples de perles en verre et ambre.
P. Galibert, D. Poulain et C. Fondeville, Inrap.
- 11 Voir aussi le mémoire de DEA de J. Hernandez : « Le mobilier métallique de parure du haut Moyen Âge (...)
- 12 Identification numismatique : Vincent Geneviève, Inrap.
12Cette caractèristique distingue la parure de Belou des ensembles qui se développent à la même période dans le sud-ouest de la Gaule, où l’utilisation de perles apparaît quasiment anecdotique (Raynaud et al. 2010)11. Outre leur utilisation en colliers ou boucles d’oreilles, les microperles en provenance d’Asie du Sud-Est, brodées sur le vêtement ou des coiffes, contribuent à mettre en lumière la variété du costume. Par ailleurs, une tombe a livré quelques fils d’or retrouvés au tamisage, qui devaient là encore agrémenter un vêtement ou une coiffe. Il faut noter également la présence de deux petits lots de monnaies retrouvés dans l’aumônière de deux défunts. Tout comme les objets de parure, ces monnaies s’avèrent elles aussi exceptionnelles, puisqu’il s’agit d’argentei peu courants à l’effigie de Valentinien III (419-455)12.
- 13 Analyses de composition réalisées en collaboration avec Bernard Gratuze (CNRS) au centre Ernest-Bab (...)
- 14 Réalisé par Constantin Pion (Université libre de Bruxelles) et B. Gratuze.
13Les matériaux sont principalement le fer, les alliages cuivreux (bronze, laiton), l’argent ainsi que le verre, la pâte de verre et l’ambre pour les perles. Un certain nombre de parures présentent ces matériaux en association avec des techniques différentes comme la damasquinure ou le cloisonné. La mise en place d’une cellule de traitement du mobilier sur le site et la présence d’une restauratrice durant la fouille se sont avérées de première importance pour prélever et commencer à traiter ce matériel dans de bonnes conditions. Des radiographies, effectuées en parallèle dès les premiers prélèvements, ont permis aussi d’apprécier tant la technique que l’état de conservation des pièces métalliques, afin d’y apporter les soins nécessaires. Des analyses de composition portant sur quelques perles miniatures en verre étiré ont révélé de façon tout à fait inattendue, pour certaines d’entre elles, une origine indo-pacifique13. Depuis cette première identification, le recensement des sites ayant livré des perles miniatures de type indo-pacifique14 fait état d’une quarantaine de nécropoles réparties sur les actuels territoires de Belgique, France, Espagne ou d’Allemagne, Suisse et Pays-Bas ainsi que de Serbie (Gratuze, Pion 2013). Plus largement, la recherche sur l’origine de ces perles, comme sur celle d’autres produits tels que les grenats, a ouvert de larges perspectives d’études sur les circuits de production, de circulation et de consommation en place à la fin de l’Antiquité et au début du haut Moyen Âge. À l’inverse des grenats, vraisemblablement issus du Rajasthan et rencontrés à Saint-Laurent uniquement sur une paire de fibules aviformes, les lieux de production des perles miniatures peuvent être l’Inde du Sud ou l’actuel Sri Lanka.
- 15 Analyses : Clotilde Proust (musée d’Archéologie nationale) et Fabienne Médard (Anatex).
14Très altérés, les éléments en fer contenus dans les fosses – aussi bien les clous que les objets de parure – ont particulièrement favorisé, par le processus de perminéralisation, la préservation de petites surfaces de matière organique comme le bois, le cuir ou le textile. Plus exceptionnel, un fragment de plume (ou de duvet) a également été observé, piégé sur un fermoir d’aumônière15. Les premières observations réalisées à l’aide d’une loupe binoculaire indiquent que ces éléments organiques se retrouvaient présents sur au moins 87 pièces métalliques provenant de 63 sépultures. L’impossibilité de réaliser des analyses fines au microscope électronique à balayage (MEB) sur l’ensemble des pièces a conduit à n’en sélectionner qu’un nombre restreint afin d’identifier, dans la mesure du possible, l’origine des fibres textiles utilisées (animale ou végétale) ainsi que leur mise en œuvre.
15La densité de ces restes fossilisés sur les pièces étudiées a ainsi permis de montrer l’emploi et la superposition de matières textiles variées, à l’exemple de l’une des fibules ansées asymétriques de la sépulture SP1427 (iso2), sur laquelle deux étoffes différentes ont été mises en évidence grâce aux prélèvements effectués. Dans le détail, sur l’objet même, ces étoffes occupent des zones distinctes, la première en partie distale [ill. 6], la seconde davantage en partie proximale (bien que nous ne savons pas si à l’origine les tissus se recouvraient) [ill. 7]. L’analyse des matières premières confirme la distinction opérée, puisque le tissu préservé en partie distale s’avère conçu à partir de fibre végétale, alors que l’autre est en laine. Sur ce second tissu, l’observation de l’orientation des fils indique la technique d’un tissage aux plaquettes, ce qui suggère une lisière ornementale appliquée ou tissée en même temps que la première étoffe. D’après la localisation des restes textiles, une restitution de l’emplacement de l’objet peut alors être proposée : la fibule devait être piquée sur le galon. Ainsi, dans cet exemple, il s’agirait d’un tissu relativement fin tissé en armure toile et bordé d’un galon ornemental sur lequel ont été piquées les fibules destinées à fermer le vêtement, alors placé sur la partie supérieure du corps.
6. Textile 1, fibre végétale.
a. Fil tordu en Z ; b. Empreintes de fibres végétales dégradées.
J. Hernandez, Inrap, C. Proust, MAN et F. Médard, Anatex.
7. Textile 2, fibre de laine.
c. Section de fibre de laine ; d. Empreinte de deux fibres de laine.
J. Hernandez, Inrap, C. Proust, MAN et F. Médard, Anatex.
16À une échelle plus étendue, à en juger par le résultat des études effectuées sur les vestiges de la période mérovingienne, le lin et la laine apparaissent comme les fibres textiles les plus répandues ; du point de vue technique, la production est alors dominée par l’armure toile. Les tissus de Saint-Laurent-des-Hommes pourraient s’inscrire également dans ce schéma où, s’agissant de textiles relativement fins associés à un riche mobilier, nous pouvons penser que les vêtements retrouvés dans les sépultures, qu’ils soient portés ou déposés, devaient être d’assez belle facture.
17Si la typologie des contenants nous incite à situer la fréquentation de l’ensemble funéraire dans le courant du premier Moyen Âge, en l’absence d’ossements – ce qui interdit le recours aux datations par des analyses au radiocarbone –, c’est essentiellement le mobilier qui nous renseigne sur la chronologie et la structuration du cimetière. L’évolution de la parure permet ainsi de proposer un découpage chronologique au cours duquel les influences culturelles que l’on perçoit au travers du mobilier funéraire évoluent radicalement, parallèlement au développement topographique des inhumations sur la parcelle. Il apparaît ainsi possible de situer les premières inhumations à partir de 440-450, avec une majorité d’inhumations situées entre 440-450 et 520-530, période qui rassemble la plus grande partie des sépultures habillées. Le vie siècle marque l’expansion de l’ensemble funéraire qui sera par la suite abandonné, entre la fin du vie et le début du viie siècle.
18La première phase d’utilisation est caractérisée par la forte représentation de garnitures de ceinturon à plaque quadrangulaire ou semi-circulaire plaquées d’argent ou damasquinées [ill. 8]. Ces plaques-boucles, probable héritage des productions romaines tardives (Sommer 1984), sont notamment – mais pas seulement – présentes au cours de la seconde moitié du ve siècle dans le Pays mosan, où elles sont associées à la culture protofranque. Elles apparaissent ici dans vingt tombes et représentent un quart du mobilier associé à cette première phase. Outre les exemplaires classiques, on note la présence de variantes où la plaque est désormais décorée d’un placage d’argent, voire d’une tôle d’argent rivetée portant un décor couvrant, aux formes géométriques variées. Si l’origine de ces productions peut faire débat quant à leur attribution culturelle, il convient de souligner que, si on les retrouve sur un large territoire qui couvre l’Europe de l’Ouest, jamais une telle concentration n’avait été observée. De fait, Saint-Laurent-des-Hommes permettra sans nul doute de reformuler les problématiques relatives à ces objets si particuliers. Très clairement, la composante wisigothique dans les costumes apparaît massive. Seize tombes livrent du mobilier pouvant être attribué à cette sphère culturelle. Les parures concernent ici uniquement des inhumations dites féminines ; elles comprennent des plaques-boucles à placage d’argent avec ou sans cabochon, à plaque d’alliage cuivreux estampée ou encore cloisonnée [ill. 9]. Plus encore que ces garnitures, ce sont les fibules qui traduisent le mieux la culture matérielle wisigothique, au-delà du caractère féminin de la parure. Parmi celles-ci, on reconnaît des productions ansées asymétriques dérivées des prototypes danubiens (type Mainz-Bretzenheim et assimilés notamment) [ill. 10]. Autre modèle, l’exemplaire en argent de la tombe SP1203 constitue un véritable type de transition avec des parties rajoutées, soudées, comme sur les prototypes dont elle s’inspire, et d’autres issues de fonderie et qui annoncent les productions postérieures [ill. 11]. Le cimetière de Belou livre de la même manière une des plus importantes séries de fibules asymétriques, en fer ou en alliage cuivreux, dites « en arbalète » et dérivées de modèles germaniques de l’époque des Grandes Migrations. Soulignons enfin la présence dans deux tombes de petites fibules circulaires à tôle estampée sur âme de fer, essentiellement attestées en Espagne et peu connues en Gaule, ce qui renforce une nouvelle fois les liens avec la culture wisigothique [ill. 12].
8. Plaques-boucles en fer à décor damasquiné ou de tôle d’argent.
a. Fer et laiton ; b, c. Fer et argent ; d. Fer, laiton, argent.
J. Hernandez, Inrap.
9. Plaques-boucles wisigothiques.
e. Fer, argent, alliage cuivreux, pâte de verre ; f. Alliage cuivreux, or, pâte de verre.
J. Hernandez, Inrap.
10. Fibule de type Mainz-Bretzemheim.
g. Fer et alliage cuivreux.
J. Hernandez, Inrap.
11. Fibule de type Duraton 103.
h. Argent (i. Détails).
J. Hernandez, Inrap.
12. Fibules « en arbalète ».
j, k. Fer.
J. Hernandez, Inrap.
19Parallèlement, en fin de période, des productions dont l’origine est sujette à débat font une timide apparition sous la forme d’une plaque-boucle à décor cloisonné couvrant. Ces garnitures se répandent entre 470-480 et 520-530 sur une large zone géographique qui couvre les régions aussi bien septentrionales que méditerranéennes [ill. 13].
13. Plaque-boucle à décor cloisonné.
l. Alliage cuivreux et pâte de verre.
J. Hernandez, Inrap.
20La seconde phase d’utilisation de la nécropole peut être située entre 470-480 et 560-570. Sur les 391 tombes fouillées, seules dix-neuf peuvent être attribuées avec certitude à cette période. Le vie siècle est marqué à Saint-Laurent-des-Hommes par une chute du nombre des inhumations habillées, qui s’accompagne d’une baisse proportionnelle du nombre d’objets déposés dans les tombes. Trente-cinq tombes sont dénombrées pour cette phase, contre quatre-vingt-quinze antérieurement. Le mobilier funéraire est de moins en moins diversifié et se résume à des boucles simples de ceinturon accompagnées de leurs tenons de fixation. Les plaques-boucles sont très peu représentées, tout comme les objets de parure et les accessoires. Le nombre d’objets est lui aussi en forte diminution, la grande majorité des tombes n’étant accompagnées que par un ou deux voire trois objets. De la même manière, les perles ne sont plus présentes que dans quatre tombes contre vingt-sept pour la phase chronologique précédente. Du point de vue culturel, le mobilier wisigothique disparaît totalement au profit des productions mérovingiennes. Parmi les tombes recelant ces productions du monde franc, deux peuvent être considérées comme parmi les plus riches ou en tout cas les mieux dotées de la série. L’inhumation féminine SP1279 se démarque tout autant par la richesse du vêtement – une tunique ou coiffe rehaussée de fils d’or torsadés – que par celle du mobilier [ill. 14]. La parure se compose d’une paire de boucles d’oreilles en argent et d’une paire de fibules aviformes en argent associées à une troisième fibule, ansée asymétrique, en alliage cuivreux doré. Un grand nombre de perles de formes et natures variées (essentiellement pâte de verre et ambre) complètent l’ensemble. La seconde parure comprend une paire de fibules ansées asymétriques en argent doré et nielle, une paire de boucles d’oreille à extrémité polyédrique décorées de grenat ainsi qu’une grosse pendeloque en ambre [ill. 15]. Le nombre ainsi que la qualité des objets confirment le caractère particulier que revêtent ces sépultures mérovingiennes au sein de l’ensemble funéraire de Saint-Laurent-des-Hommes. Au-delà des aspects quantitatifs ou qualitatifs, c’est bien l’origine culturelle de ce mobilier qui est ici importante. Elle doit être interprétée comme le reflet des nouvelles influences qui pénètrent dans la nécropole dans le courant du vie siècle, au moment où les marqueurs de la culture matérielle wisigothique disparaissent brutalement.
14. Parure représentative de l’influence septentrionale qui pénètre à Saint-Laurent-des-Hommes en phase 2.
m. Alliage cuivreux et or ; n, o. Argent et grenat ; p. Argent ; q. Ambre et pâte de verre ; r. Or.
J. Hernandez, Inrap.
15. Parure représentative de l’influence septentrionale qui pénètre à Saint-Laurent-des-Hommes en phase 2.
s, t. Alliage cuivreux et or.
Département de Dordogne, service de l’archéologie.
21Près de dix ans après son exploration, Belou nord reste un site de référence et une source de connaissances de premier ordre en ce qui concerne les modalités d’implantation et d’occupation humaines en vallée de l’Isle. On retiendra l’importance de la surface de l’occupation (environ 1,5 ha) et l’originalité des structures exhumées qui soulignent, entre autres, la permanence de l’occupation entre le ive siècle avant notre ère et le viie siècle de notre ère.
22Le caractère exceptionnel de la découverte réside plus spécifiquement dans la découverte de trois bâtiments associé à une vaste zone funéraire. Le nombre de sépultures (391) révèle la présence d’une forte communauté dont l’habitat a été très imparfaitement reconnu du fait des limites de la zone définie par la prescription. Si l’association entre des bâtiments de ce type (maison sur poteaux et « fond de cabane ») et une nécropole est inédite pour ces périodes dans la région, la singularité du gisement transparaît également dans le mobilier retrouvé dans plus d’un tiers des sépultures et qui offre à ce jour le plus riche corpus d’objet goths connus en France. Cette forte représentation de la culture matérielle wisigothique est d’autant plus exceptionnelle qu’elle persiste au cours des différentes générations qui se succèdent au sein de l’ensemble funéraire entre la seconde moitié du Ve et le milieu du vie siècle, alors que les ensembles funéraires contemporains dans le Sud de la Gaule affichent des influences culturelles beaucoup plus variées (par exemple le Mouraut à Vernet ou les Horts à Lunel-Viel). Ce n’est qu’à partir des dernières décennies de la fréquentation du cimetière, soit à la fin du vie ou au début du viie siècle, que des objets relevant d’une autre origine deviennent perceptibles au travers de certaines parures.
23Les apports, acquis et à venir, qu’offrent la fouille de l’habitat et de l’ensemble funéraire de Saint-Laurent-des-Hommes quant à la connaissance des pratiques funéraires et du peuplement de l’Aquitaine par les Goths sont d’ores et déjà majeurs. Ils permettent une approche renouvelée concernant les modalités d’installation et d’intégration de ce peuple dans un secteur où leur présence matérielle faisait jusqu’à présent quasiment défaut. Cette découverte est d’autant plus exceptionnelle qu’elle donne, grâce au corpus hors norme d’objets et à l’homogénéité des dépôts funéraires parfaitement cohérents sur quatre générations, un éclairage fondamental sur les autres nécropoles wisigothiques, moins spectaculaires, du Sud de la Gaule. Les Goths de Gaule nous sont désormais un peu moins étrangers.
