Le cadre administratif et scientifique

1Les recherches archéologiques menées depuis 2019 sur le château de Villers-Cotterêts, préalablement à l’installation du Cité international de la langue française (Clif) décidée par le président de la République, participent d’un double mouvement scientifique.

7Sur l’ensemble de toutes ces opérations, dont la grande complexité n’est ici qu’à peine effleurée, le contrôle scientifique et technique (CST) exercé par le SRA a été nécessairement bien plus fréquent et poussé que sur les opérations d’archéologie préventive habituelles. Ce CST a été doublé d’un CST commun avec la CRMH et l’Udap sur des questions transversales.

Le déroulement des opérations

9Les opérations archéologiques se répartissent en diagnostics, fouilles « classiques » en aire ouverte, études de bâti et suivis de terrassement sur l’ensemble du Logis, avec plusieurs travaux à suivre en même temps. Elles se déroulent totalement en coactivité suivant une partition du château en différentes phases et tranches, attribuées à plusieurs entreprises, qui elles-mêmes utilisent des sous-traitants. Cela entraîne, pour les archéologues, une obligation d’explications claires de leurs problématiques et protocoles de fouille à un grand nombre de personnes, mais leur apporte l’intérêt de pouvoir discuter et comprendre des métiers divers (tailleurs de pierre, charpentiers, cordistes, restaurateurs ; travaux de terrassement et de mise en sécurité).

11Ces conditions amènent à trouver un mode de gestion afin de pouvoir travailler en simultané et enregistrer indépendamment les uns des autres les unités stratigraphiques, le mobilier, les prélèvements et le bâti : chaque pièce du Logis est identifiée par une lettre et l’ensemble du château et de ses abords a été divisé géographiquement.

Les premiers résultats

12Le nom de Villaris, identifié avec grande prudence avec Villers-Cotterêts, apparaît dans les textes au milieu du ix^e siècle lorsqu’il est rattaché au Valois. Dans la seconde moitié du xii^e siècle, la « Malemaison » ne semble être qu’un petit manoir quand Philippe d’Alsace, comte de Flandres, comte de Vermandois et de Valois, nouveau possesseur du domaine, fait construire un nouveau corps de logis et laisse son ancien logement à un intendant. En 1213, le château entre dans le domaine royal. Il est principalement remanié au xiii^e siècle, puis au xiv^e siècle ; des travaux sont aussi documentés en 1471. Le Valois est ensuite donné en apanage par Louis XII à son cousin le futur François I^er qui, devenu roi, décide une reconstruction presque complète de l’édifice à partir des années 1530.

13Les études se poursuivent encore sur le site et le travail de post-fouille n’en est qu’à ses débuts, mais les premiers résultats révèlent la très bonne conservation des vestiges médiévaux, avec au moins trois grandes phases d’agrandissement mis en évidence. À terme, il sera possible de restituer en plan, mais aussi en élévation la forteresse de la fin du Moyen Âge.

14Les maçonneries les plus anciennes, d’une largeur d’environ 1,30 m, sont construites en gros blocs de grès et de calcaire non équarris avec des fondations très importantes. Le plan qu’elles dessinent reste encore mal défini, mais il semble que ce premier château, comprenant des bâtiments indépendants les uns des autres, occupe grossièrement une partie des ailes est et ouest actuelles. Si sa datation reste difficile à estimer – aucun niveau contemporain de ces constructions n’ayant été mis au jour – un indice de l’importance du site au xii^e siècle est fourni par la découverte, en réemploi, d’une base de colonne gothique du milieu du xii^e siècle, de près de soixante centimètres de diamètre [ill. 3], et de fragments de colonnes pouvant lui être associés.

15À la fin du xiii^e siècle ou au début du xiv^e siècle, les bâtiments sont repris à l’ouest et un nouveau logis est construit à l’est. De plan rectangulaire, il possède deux tours à ses extrémités nord-est et sud-est, la première existant toujours au centre de l’aile est. Au rez-de-chaussée, le logis se compose de deux pièces dont au moins une est pavée de carreaux en terre cuite en panneaux séparés par des bandes axiales, avec un motif en chevron par l’emploi de glaçure vert foncé et vert clair.

16Une troisième campagne d’agrandissement du château, encore mal datée, pourrait intervenir dès le xiv^e siècle. La forteresse présente alors un plan en « U » renversé, ouvert au sud et entouré par un grand fossé large de 13,50 m à l’ouverture et profond de 6,20 m [ill. 4], par l’adjonction d’une aile nord ; des tours rondes sont présentes à chaque angle, auxquelles il faut ajouter une tour carrée, dont la destination reste encore mal définie, située sur la façade nord, mais légèrement excentrée vers l’est [ill. 5]. Les élévations extérieures des murs du logis sont épaulées par des massifs de soutènement rectangulaires. Trois grandes salles sont présentes au rez-de-chaussée de cette aile nord, dont une avec une cheminée et au moins une autre avec un pavement de carreaux en terre cuite glaçurée vert foncé, vert clair et jaunes [ill. 6 : a]. Le décor est formé de panneaux séparés par des bandes axiales et on peut signaler la présence de quelques carreaux décorés, avec des croix de Malte, des fleurs de lys et des motifs de chasse [ill. 6 : b et c]. Il faut signaler la découverte d’une matrice de sceau dans une poche de charbons de bois dans cette salle. Cet objet en bronze représente un cavalier surmontant un dragon, fort probablement saint Georges, ce qui est confirmé par la légende « i p pri/eur/devillers lesm/oine » [ill. 7]. Le sceau appartiendrait donc au responsable du prieuré Saint-Georges de Villers-les-Moines (aujourd’hui gîtes Saint-Rémy), situé à moins d’un kilomètre du château. Des recherches vont maintenant être menées pour rechercher les relations entre ce prieuré et le château. À l’est, un pan de mur permet de joindre cette nouvelle construction à l’ancien logis. Dans un angle est construit un nouveau bâtiment avec une cave semi-enterrée. La pièce pavée dans l’ancien logis change de destination avec l’installation d’une grande cheminée le long de son mur oriental, et la mise en place d’un aménagement servant à découper sur place les pièces de viande, probablement les animaux tués lors de chasses. Il se compose d’un grand bac en dallage calcaire posé au sol, avec une dénivellation permettant d’amener les fluides dans un caniveau débouchant sur l’extérieur [ill. 8]. Enfin, l’aile ouest est également reprise avec la création d’une cave à cellules encore présente au centre de l’actuelle aile ouest.

17La fouille de la cour des Offices a permis d’observer la basse-cour du château, avec une partition très nette de l’espace : au sud, les fosses de rejet, un puisard et des latrines ; au nord, un grand bâtiment et une cour ouvrant sur le Logis royal.

18Les résultats sont également très importants pour la période moderne, avec la possibilité d’étudier deux jeux de paume successifs : le premier du xvi^e siècle, placé par François I^er au cœur de son logis ; le second construit au xviii^e siècle dans un bâtiment dédié au nord-est. Les accès à l’eau ont également été précisés, grâce à la découverte du réseau de canalisations en plomb puis en terre cuite qui parsèment le terrain depuis le nord (et la captation des sources en forêt puis son acheminement par le réseau dit de « la Laie des Pots ») jusqu’au sud et du réservoir de la ville installé dans l’angle sud-est de la cour des Offices.

19Outre l’étude de bâti, qui permet de retrouver les maçonneries médiévales et du xvi^e siècle dans les façades et les intérieurs repris au xviii^e siècle [ill. 9], la fouille a mis en évidence les vestiges d’une longue galerie construite par François I^er au nord-ouest du Logis, ainsi que les murets soutenant une galerie en appentis entourant la cour des Offices sur ses trois côtés. Il a également été possible d’observer les fondations de deux tourelles carrées servant de latrines, l’une au sud-ouest du Logis, en arrière du corps des Offices, et l’autre au sud-est, aujourd’hui sous le bâtiment du Jeu de paume. Ces éléments permettent de confirmer la grande concordance des premiers plans connus du château, en particulier celui d’Androuet du Cerceau, publié en 1579. De manière générale, les recherches sur ce monument ont typiquement bénéficié, pour les phases modernes et contemporaines, d’une confrontation fructueuse entre données archéologiques et sources documentaires, notamment les nombreux plans anciens. Un point important pour la compréhension de l’édifice construit par François I^er a été la possibilité d’étudier la chapelle royale au premier étage de l’aile sud, depuis son plancher jusqu’à la toiture. L’accompagnement du démontage du plancher actuel, mis en place à la fin du xix^e siècle [ill. 10], a permis de mettre en évidence la nature du pavement au xvi^e siècle (des carreaux de terre cuite non glaçurée) et leur mise en œuvre. Cela a conduit à un échange avec le CMN et l’architecte en charge du projet, avec la décision de proposer la restitution d’un sol carrelé dans cette salle.

20On peut également signaler la conservation, en partie supérieure des fondations du xvi^e siècle, de graffitis au crayon avec des marques de construction (modules des blocs marqués de I à VII ; on retrouve les mêmes marques, mais gravées sur les pierres, pour les blocs médiévaux), d’aménagements des anciennes maçonneries (par exemple l’emplacement des cheminées ou l’endroit à partir duquel les blocs d’une tour doivent être retaillés) ou de dessins (essentiellement des fleurs de lys).

21Les opérations archéologiques menées au château de Villers-Cotterêts participent pleinement de la constitution du patrimoine national en renouvelant notre connaissance du monument. En effet, le château, connu historiquement comme le lieu de la signature de l’ordonnance éponyme en 1539 et reconnu architecturalement comme un château Renaissance, recèle un héritage du Moyen Âge si fort et prégnant que le plan de la forteresse médiévale et de sa basse-cour a conditionné sa forme actuelle et que des pans de mur entiers, encore en élévation, subsistent malgré les transformations des époques moderne et contemporaine.