Aménagements antiques

2La ville antique de Meaux, chef-lieu de cité du peuple des Meldes (Magnan, 2008), s’est développée à l’intérieur d’un méandre connu sous le nom de « Plaine de Saint-Faron ». Deux adductions et un point de distribution ont été à ce jour repérés [ill. 1]. Le premier aqueduc a été reconnu ponctuellement en 1959 dans la plaine de Saint-Faron, entre la ruelle des Capucins et la chapelle des Visitandines (Desbordes, 1961, p. 55-60). Orientée sur une pente nord-est/sud-ouest, la canalisation maçonnée en « U » de 30 cm de côté (un pied romain) a été mise au jour à 0,75 m de profondeur. Mentionnée sans couverture, elle est constituée d’une maçonnerie en mortier de tuileau. Le fond, composé de tegulae jointives est doté ponctuellement de paliers pour ralentir le débit. La pente n’a pu être calculée faute de données de nivellement. Malgré l’absence actuelle de preuve, il est possible d’envisager que cet aqueduc était alimenté à partir des sources de Crégy, au nord, largement utilisées ultérieurement. Le second aqueduc a été identifié au sud-ouest de la ville antique de Meaux, sur la commune de Villenoy, au xix^e siècle, lors de travaux sur la Chaussée de Paris (Denis 1849, p. 119-120). Cette adduction a été fouillée en 2009 sur une longueur de 368 m (Couturier, 2010). L’enfouissement de la canalisation varie fortement d’amont en aval (de 1 m à 4 m) [ill. 2]. Deux états de la maçonnerie ont été reconnus : la canalisation initiale, de près de 30 cm de côté également, est aménagée en négatif dans une maçonnerie en béton coffré ; le volume de l’aqueduc est ensuite augmenté par exhaussement des montants latéraux de la conduite. Cette réalisation est en blocs de meulière liés au mortier et couverte de dalles en calcaire d’origine locale. Dix-sept regards maçonnés ont été repérés [ill. 3] ; ils ne sont peut-être pas contemporains. Leur intervalle diminue, d’amont en aval, de 18 m à 15 m. Les sources qui alimentaient cet aqueduc ne sont pas encore localisées. La construction n’est pas précisément datée (analyses au carbone 14 en cours), mais son abandon se situe au Bas-Empire.

Réseaux médiévaux et modernes

4Ils sont connus par cinq opérations archéologiques (Bauchet, Couturier, Paccard, à paraître) [ill. 4-5] et cinq autres indices issus de découvertes anciennes. Les modules des canalisations retrouvées ont été recensés [ill. 6-7]. Les tuyaux correspondent, pour la plupart, à des productions de la période moderne (xvii^e siècle). Ils mesurent de 65 cm à 75 cm de long. Ils sont en pâte sableuse beige rosée ou orangée très cuite, voire grésée [ill. 8-9]. L’intérieur est doté de glaçure couvrante, de couleur souvent jaune-orangée, et plus rarement verte. Seul un tronçon retrouvé en rejet, associé à un réseau en place, pourrait appartenir à une conduite plus ancienne, peut-être médiévale : le module est nettement plus court que les autres, sa pâte sableuse est beige claire sans revêtement.

5À l’heure actuelle, les témoins archéologiques déficitaires, surtout pour la période médiévale, peuvent être compensés par les travaux d’érudits locaux des xvii^e et xviii^e siècles. En effet, ils décrivent quelques aménagements médiévaux encore actifs et font état de vestiges aujourd’hui disparus. Ces renseignements, souvent imprécis et sujets à caution, témoignent de l’existence d’équipements multiples pour le Moyen Âge. Ils mettent avant tout l’accent sur les communautés religieuses. Selon le curé Janvier (Médiathèque Meaux, ms 81, p. 105), l’abbaye carolingienne de Saint-Faron se serait dotée d’un système d’adduction en 1227, qui alimentait principalement une « pierre de prodigieuse longueur » placée près de la porte du cloître pour les ablutions des moines. Il distribuait également le réfectoire et le logis abbatial. Cette installation fut complétée, à la fin du xv^e siècle, par la mise en place d’un « lavoir » au bout de la salle du réfectoire. La source était captée plus au nord, dans les coteaux de la vallée de la Marne, à 1500 m du cloître.

6Non loin de là, se trouvait une autre source, baptisée la « Sainte-Fontaine ». Elle alimentait, au moins dès le xiii^e siècle, deux couvents établis dans le faubourg Saint-Nicolas, l’un abritant les Cordeliers et l’autre les religieux de Sainte-Céline (Duplessis, 1731, p. 13).

7Les particuliers n’avaient à leur disposition qu’une seule fontaine publique, monumentale, qui occupait le centre de la cité, au-devant du parvis de la cathédrale Saint-Étienne [ill. 10]. Selon la tradition elle aurait été édifiée en 1200 par Thibaut III, comte de Champagne. La localisation tend à démontrer une origine plutôt épiscopale. D’après Janvier, elle était alimentée par des tuyaux de plomb qui couraient à travers la plaine alluviale. Après le vol de certaines sections, la fontaine aurait été entièrement démontée en 1512.

8Les adductions modernes sont documentées par des sources écrites plus abondantes et détaillées et par quelques plans anciens. Après la mise au jour d’une conduite à l’hôpital de Meaux, une cartographie régressive a été réalisée. Elle a permis le rapprochement de cette adduction avec l’une des allées du parc de l’abbaye de Saint-Faron. Ce réseau desservait l’église (Couturier, À paraître). Des dépouillements d’archives ont ensuite été entrepris dans les fonds de l’abbaye ainsi que dans les études notariales des xvii^e et xviii^e siècles À défaut de renseigner sur la section découverte, ces sources témoignent d’une importante rénovation du réseau en 1629, près de dix ans après la restauration spirituelle et matérielle de l’abbaye. Ces travaux coûteux ont été partagés avec les Capucins, installés sur un terrain voisin depuis 1611, qui bénéficient dès lors d’une portion des eaux. Le marché commun conclu avec un maître fontainier de Coulommiers délivre des informations riches d’enseignement : sur la récupération des matériaux, la nature des tuyaux posés (en plomb et en « poterye plombée »), leur provenance (les potiers de la Ferté-sous-Jouarre), la construction des regards et leurs intervalles (233 m), etc. L’un des baux d’entretien contractés quelques années plus tard (1643) décrit le parcours complexe de cette adduction passant par la cuisine, la lavanderie, la sacristie, le bassin du petit cloître, puis le bassin du jardin avant de s’écouler dans le Brasset.

9En 1643, l’abbé de Saint-Faron s’associe avec l’évêque de Meaux pour modifier une partie importante de ses équipements hydrauliques : installation d’un château-d’eau pour le partage des eaux ; mise en place de conduites en bois dans la partie inondable de la plaine ; conduite en céramique pour desservir le palais épiscopal ; franchissement des fossés de la ville sur des chevalets de bois, etc.

10Toute l’activité est contrôlée et dictée dans les moindres détails par le commanditaire. La réalisation revient au fontainier ou, à défaut, à un chaudronnier ou à un fondeur. Il se charge de toute la procédure de mise en place d’une canalisation d’eau, depuis la recherche de la source, du captage, de la pose des canalisations et des robinets jusqu’à leur entretien. Ces données historiques contribuent à une meilleure compréhension des techniques employées quand l’archéologie ne dispose encore que de quelques témoignages épars. Elles facilitent également l’identification des sections mises au jour et permettent parfois leur datation : la conduite repérée dans l’ancien couvent de Capucins est clairement attestée par une donation faite par l’évêque à cette communauté en 1643 (Couturier, 2007, p. 53). La découverte d’une réfection de conduite au sud du Chemin de l’Hospice est également documentée par un accord entre les Cordeliers et les religieux de Sainte-Céline en 1669 (Couturier, 2009, p. 55).

Repères techniques

La bibliographie la plus riche en ce domaine provient d’études en contextes monastiques. L’exemple de l’abbaye de Maubuisson (Val-d’Oise) constitue, régionalement, le seul site monastique de référence, étudié précisément (Toupet et Wabon 1992, Toupet et al. 2004). De façon plus générale, les actes du colloque sur l’hydraulique monastique sont une source d’informations très complète sur l’approvisionnement en eau : ils font état des différents types d’aménagements hydrauliques répertoriés tout en soulevant les problématiques techniques et chronologiques du sujet (Pressouyre 1992).
Par ailleurs, la lecture d’un article très détaillé sur des réseaux en Auvergne a été d’un apport précieux : tant pour ses descriptions techniques et technologiques détaillées que pour l’étude critique diachronique de la bibliographie disponible (Dupré et Virieux 2003).
Comme le souligne Paul Benoit « les aménagements modernes semblent, en bien des cas, utiliser des techniques très proches de celles qui étaient en usage au moins dès l’époque médiévale (…). Ces comparaisons ne se limitent pas aux seuls tuyaux (…). Le captage des sources se situe dans la même lignée » (Benoit 1992, p. 483 ; Benoit et Lardin 2000, pp. 5-13).
Les indices datant sont très disparates dans la documentation consultée. Certains ouvrages consacrés à l’histoire des techniques font état d’un emploi successif de tuyaux en bois remplacé par des tuyaux en terre cuite puis en métal, en plomb et par la suite en fonte (Diderot et d’Alembert 1772, Greber 1947, Daumas 1979, p. 534). Cette énumération typo- chronologique assez stricte ne semble pas corroborée par les exemples connus en contextes monastiques.
Concernant la fabrication des tuyaux de terre cuite de la période médiévale au début de la période moderne, les indications recensées proviennent pour la plupart d’ouvrages datant au plus tôt des xviii^e s.-xix^e s. où il est fait parfois allusion à des techniques antérieures.
Il semble que les tuyaux soient fabriqués par les tuiliers, mais les travaux menés à ce jour sur les tuileries ne livrent guère d’informations sur le sujet.
Le principe du tuyau à emboîtement est déjà connu dans les contextes gallo-romains. Les conduits sont en pâte commune claire et sont munis d’embouts mâle et femelle. Malgré quelques variantes surtout dimensionnelles, le système reste cependant comparable au Moyen Âge et à la période moderne. Seuls les rapprochements technologiques avec la céramique commune à usage domestique (pâte et traitement de surface) permettent de disposer d’indicateurs chronologiques.

Conclusion

11Il ressort de ces différentes observations que la ville de Meaux était alimentée depuis l’Antiquité par plusieurs sources³. Certaines, parmi les plus proches, ont été irrémédiablement détruites et détournées depuis la construction du canal de l’Ourcq (xix^e siècle), à l’exception du point de captage des Capucins sur lequel une intervention archéologique reste envisageable. Quant aux sources plus lointaines, alimentant l’aqueduc de Villenoy, tout reste à découvrir. Des prospections aériennes n’ont rien apporté de tangibles en amont du tronçon fouillé. L’orientation vers le repérage des différentes sources du bassin versant du Rutel, conjuguée à une étude microtoponymique reste la voie retenue pour les recherches à venir. La reconnaissance des différents réseaux intra-urbains d’adduction devrait en revanche être facilitée par les nombreuses opérations archéologiques (diagnostics et fouilles) prévues au nord du castrum. Elles ne permettront pas de répondre à certaines interrogations comme le franchissement de l’ancien bras de la Marne (pont-aqueduc à l’emplacement de l’ancien pont Saint-Rémy ?) mais apporteront certainement de nouveaux éclairages sur la distribution des édifices publics et privés de la ville antique et des établissements religieux des périodes médiévale et moderne.