1Pendant longtemps, les archéologues se sont davantage intéressés à la production d’alcools qu’aux usages culturels et sociaux en lien avec ces boissons. La progression des études typochronologiques et les rapprochements interdisciplinaires ont permis depuis peu d’aborder ces sujets. Ainsi, l’étude des produits consommés et diffusés s’est enrichie du travail avec les historiens de l’économie, celle des implications sociales et culturelles des modes alimentaires, de la collaboration avec les anthropologues, celle de la production et de la transformation des céréales et des fruits, des réflexions des environnementalistes et des bioarchéologues. Plus récemment encore, les traces des boissons – restées longtemps invisibles – conservées sur les parois des récipients de stockage, de transport ou de consommation ont pu être analysées par les biochimistes.

2Il est certain que le goût de l’alcool a accompagné l’histoire de l’humanité et son évolution depuis des périodes très anciennes. Nombreux ont dû être des cas de fermentations accidentelles d’un rayon de miel, de fruits stockés ou d’une poignée de céréales oubliée dans un récipient… : autant de découvertes et de redécouvertes ponctuelles de sensations gustatives originales et d’effets secondaires inhabituels. Comme on a pu le dire, l’alcool n’avait pas à être inventé, il était là.

3Le développement de l’agriculture et de la céréaliculture, en particulier, a entraîné une diversification des modes de transformation des céréales dont la production de bière semble être une des premières déclinaisons. L’hydromel, quant à lui, a dû accompagner le quotidien des premières sociétés paysannes avant même la domestication des abeilles. Les témoignages archéologiques très anciens de ces deux boissons existent dans le monde sumérien et dans le néolithique du Proche-Orient ; ils sont suffisants pour l’attester dans l’Occident protohistorique.

4La consommation d’alcool est aussi affaire de mode et d’exotisme, notamment en ce qui concerne le vin à la Protohistoire. Le statut de cette boisson est en grande partie forgé par la puissance des mythologies méditerranéennes, elles-mêmes enracinées dans la technicité de sa fabrication, et ensuite par l’ampleur de sa diffusion et de son impact économique, social et culturel. Le vin n’est pas une boisson naturelle : le sort inéluctable du jus de raisin est de devenir du vinaigre. La maîtrise de la vinification implique une attention particulière, du choix du cépage jusqu’au stockage, y compris l’introduction d’arômes et de conservateurs, et une gestion attentive du transport. Le mode de consommation du vin est tout aussi particulier, l’ajout systématique d’eau et d’aromates est le plus souvent un « maquillage » du produit initial dont les qualités ont pu être altérées.

5Ces dernières décennies, l’archéologie préventive a largement contribué à enrichir ce dossier des boissons alcoolisées. Ce sont, en premier lieu, les sites de production, en particulier les villas viticoles dont le corpus a été sensiblement augmenté depuis les années 1990. Ensuite, c’est la fouille des champs de vignes – dont les traces de plantations ou de provignages ont été identifiées aux portes de Marseille grecque puis dans différents terroirs antiques de Gaule – qui a bouleversé nos connaissances. Enfin, on se souviendra de l’exploration des restes de grands lieux de banquets à Aix ou Lyon et des recherches sur les amphores antiques chez les Arvernes, les Éduens ou les Volques…

6Ce numéro d’Archéopages livre les premiers résultats d’études nouvelles qui croisent des approches contextuelles, typologiques et biochimiques. La soif gauloise est illustrée dans sa diversité. Pour le Moyen Âge, la production et la consommation de bière, souvent oubliées des travaux récents, bénéficient d’études complémentaires. Enfin, pour la période contemporaine, c’est l’image du consommateur qui est appréhendée : dans la taverne ou sur le front, l’alcool qui « encourage » à monter à l’assaut, mais aussi celui qui soigne et qui permet de fraterniser.

7Dans notre débat, Fanette Laubenheimer et Stéphane Le Bras, deux spécialistes de l’histoire du vin, soulignent que boire de l’alcool n’est pas toujours qu’un privilège et que, parfois, les boissons alcoolisées ont été une solution aux problèmes d’eau impropre. Enfin, ils nous rappellent aussi que la limite entre l’ivresse, saine et joyeuse, et l’ivrognerie, honteuse et dégradante, est souvent pointée mais toujours fluctuante.

Une cour pavée et des infrastructures hydrauliques mises au jour sous une épaisse couche de cendres volcaniques lors d’un diagnostic à Saint-Pierre en Martinique en 2016, dans le Quartier de la Galère Nord.

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Ces vestiges, adjacents à un vaste entrepôt sur cave, sont ceux d’une des nombreuses rhumeries de ce secteur de la ville construites à partir du milieu du XIX^e siècle et détruites lors de l’éruption de la Montagne Pelée en 1902. Responsable d’opération : Emmanuel Barthélémy-Moizan.

C. Martin, Inrap