Traces de vin dans une crémation d’immature

3Le choix d’initier des analyses pour détecter d’éventuels indices de restes organiques a porté sur le dépôt 15, le mieux conservé. Ce dépôt est caractérisé par la présence d’une urne principale de 30 cm de diamètre dans laquelle un gobelet caréné était disposé sur l’amas osseux [ill. 5]. L’échantillonnage a porté sur les sédiments issus du comblement des deux vases, prélevés en trois strates distinctes, ainsi que sur les parois internes du gobelet [ill. 6] (Bernard, 2018, p. 169-183). Le vase a été retrouvé en position primaire. Le sédiment contenu, à quelque moment qu’il soit venu combler l’urne, l’a remplie d’un coup ou progressivement. Dans tous les cas, les couches horizontales de sédiment sont stables au cours du temps, le contenu de l’urne n’ayant pas été perturbé. Il en va que les imprégnations des différentes couches du sédiment sont des indicateurs du contenu liquide de l’urne (couches du fond) ou de liquide versé par-dessus (coupes superficielles). La stabilité des couches de sédiment et leur absence de migration selon une direction verticale représentent un des principes de bases de la géochimie, largement démontré par les études de paléoenvironnement. Seules les molécules chimiques ionisables ou très solubles dans l’eau (acides gras en milieu alcalin, sucres en tout milieu) peuvent migrer avec les eaux d’infiltration. Leur interprétation demande plus de prudence. En revanche, les molécules apolaires insolubles (terpènes, stérols…) ou formant rapidement des précipités totalement insolubles (acides aldariques des fruits et de la fermentation) restent stables et « accrochés » à leur support depuis leur imprégnation.

4Les analyses ont révélé, d’une part, que le gobelet était caractérisé par la présence d’un corps gras d’animal non ruminant avec peau (présence de séries d’acides gras pairs, cholestérol et squalène, peut-être un morceau de pièce carnée ou de gras placé au-dessus du gobelet), d’un corps gras végétal (dont du millet ou Panicum miliaceum L. identifié par le sitostérol et la miliacine), de résine de conifère en faible quantité et de cire d’abeille utilisée à des fins d’imperméabilisation du récipient. Ce contenant renfermait principalement des traces de jus de raisin fermenté (d’après les critères définis par Barnard et al., 2011). En effet, parmi les marqueurs de fruits, les acides tartrique et malique, dont les proportions relatives sont quasi spécifiques au raisin (éliminant ainsi toute hypothèse d’une autre source), y sont très représentés. L’acide syringique issu de la malvidine et de ses dérivés d’oxydation indique qu’il s’agit de raisin noir (Singleton, 1995). Les acides de la fermentation alcoolique (acides malonique, succinique, maléique, fumarique et pyruvique) témoignent que le raisin a subi un processus de fermentation le transformant ainsi en vin rouge. Cependant, il n’est pas possible, à ce jour, de distinguer le vin du vinaigre, tous deux ayant les mêmes marqueurs. L’étude comparative des extraits obtenus à partir des imprégnations des parois du gobelet, prélevées à différents niveaux, et la quantité particulièrement importante d’acide tartrique, notamment au fond du gobelet et dans la couche de sédiment supérieur dans l’urne [ill. 7], orienteraient vers l’hypothèse du dépôt d’un vase rempli de vin, seul geste susceptible de laisser une telle concentration. De surcroît, la présence de graisses animales et végétales sur les parois internes du gobelet témoigne d’une probable réutilisation de cette vaisselle usuelle à des fins funéraires.

5L’étude des sédiments issus de l’urne principale a également révélé la présence d’un corps gras d’animal non ruminant et de millet en faible quantité. La présence de cendres végétales (cét-2-ones) semble indiquer un remplissage du vase ossuaire avec un mélange de cendres et de terre au moment de l’enfouissement. L’analyse des trois passes de sédiment permet de déterminer que les marqueurs du raisin noir présentent un gradient de concentration descendant, les marqueurs étant plus concentrés dans la couche superficielle. Les trois marqueurs – acides tartrique, malique et syringique – provenant de la même source présentent la même évolution dans les trois prélèvements. C’est dire que du vin a imprégné la passe supérieure n° 1 plus fortement que l’intermédiaire n° 2 et que celle située au fond de l’urne n° 3. L’évolution des concentrations permet donc de conclure que du vin a été versé sur le comblement de l’urne une fois que celle-ci a été remplie de sédiment.

6L’analyse biochimique présente cependant une limite, non en tant que méthode mais de par la constitution chimique identique du raisin sauvage et du raisin cultivé. Ainsi, il est impossible de dire, par la chimie, si le vin est préparé à partir de baies sauvages ou cultivées. À ce jour, seule l’étude morphométrique des pépins de raisin est à même d’élucider cette question. L’état des connaissances actuelles se limite, en France, à la découverte de pépins de raisin sur quelques sites tels que Félines-Minervois (Hérault) et Noyen-sur-Seine (Seine-et-Marne) pour le Mésolithique et se concentre surtout dans la région méditerranéenne (Lattes, Hérault) pour les périodes du Néolithique et de l’âge du Bronze. Dans tous les cas, il s’agit de raisin issu de vignes sauvages (Barberan et al., 2008).

Vers une archéologie du geste ?

7Ce dépôt funéraire 15 était celui d’un jeune adolescent de sexe indéterminé. Le ramassage des restes du défunt semble n’avoir concerné que la partie supérieure du corps voire principalement le crâne. La quasi-absence de cendres ou de charbons de bois associés aux ossements tend à indiquer que ces derniers ont fait l’objet d’un traitement post-crématoire, a minima d’un tri et d’un nettoyage (Bernard, 2018, p. 106-124). L’étude de ce dépôt funéraire de l’âge du Bronze final (phase IIb-IIIa) ne permet pas de préciser le statut social de l’individu ayant bénéficié d’une offrande post-crématoire de vin/vinaigre de vin rouge (libations ?) faute d’éléments de comparaison. Cependant, cette offrande d’alcool post-dépositionnelle pourrait être interprétée comme une des étapes des cérémonies de funérailles.

8Les nouveaux protocoles de détermination des marqueurs du raisin et des boissons fermentées mis en place ces dernières années et une méthodologie de prélèvement minutieuse ouvrent donc de nouvelles perspectives qui permettront, à l’avenir, une meilleure compréhension des gestuelles funéraires de ce type de dépôt toutes périodes confondues. Aussi, les analyses réalisées récemment (Lardé et al., à paraître ; Cherel et al., 2018 ; Pecci, 2019 ; Winkler et Rageot, 2019) commencent à montrer l’importance du raisin et du vin, encore sous-estimée, dans la vie quotidienne, cultuelle et funéraire des populations protohistoriques voire préhistoriques.