1Dans le cadre de la thèse récemment soutenue (Cherel, 2020), une catégorie spécifique de vaisselle a été étudiée : les céramiques pourvues d’un fond à perforations multiples. Elles sont généralement considérées dans les rapports ou les publications archéologiques comme des faisselles pour la fabrication de fromages, plus rarement comme des passoires pour filtrer les boissons. Le terme générique de « vase-filtre » pour les dénommer est préférable à celui de faisselle ou de passoire car leur fonction présumée est bien de faire passer un liquide ou une matière fluide, à travers un filtre constitué d’orifices.

2Des antiquisants ont posé assez tôt des bases à l’établissement d’une typologie des vases-filtre en Gaule du Sud puis dans la moitié nord de la Gaule, en classant ces récipients de morphologies différentes dans une catégorie commune, intégrant les vases de préparation. Pourtant, cette démarche initiée par les antiquisants est peu relayée par les spécialistes de la Protohistoire récente (excepté l’étude des prestigieuses passoires en bronze liées au service de la boisson), probablement en raison de la disparité des données, de la variété des formes rencontrées et de la difficulté à appréhender leurs contenus. Des synthèses régionales émergent depuis peu (par exemple, Saurel, 2017), avec toutes les incertitudes fonctionnelles qu’implique l’absence d’analyses biochimiques.

3En Bretagne, moins d’une trentaine de vases-filtre de l’âge du Fer sont recensés. Ceux en matériaux périssables (vanneries, etc.) se sont certainement détériorés dans le substrat acide, comme ceux en bronze qui ont pu aussi être refondus. Les exemplaires connus proviennent majoritairement d’habitats riches, rejetés au sein de dépotoirs culinaires : établissements agricoles prospères, agglomération ouverte, habitats aristocratiques, lieux de spécialisations artisanales dont la nature est parfois difficile à définir. Afin d’identifier le contenu de ces récipients, neuf analyses organiques ont été réalisées par Nicolas Garnier dans le cadre du projet ANR Magi.

4Un vase-filtre a plus particulièrement retenu notre attention, en lien avec la problématique des boissons fermentées, car c’est le plus ancien répertorié à l’âge du Fer en Bretagne. Il provient de la Goultière à Châteaubourg (Ille-et-Vilaine), zone artisanale dévolue à l’extraction de matériaux argileux (Aubry, 2007 ; Sicard, 2011), datée de la fin du premier âge du Fer et du début de La Tène ancienne par l’étude du mobilier (Aubry, 2007, p. 40-51) et par les résultats d’analyses 14C (Sicard, 2011). Ce vase-filtre [ill. 1] est lustré sur sa panse brun-orangé. Sa pâte locale contient des oxydes métalliques et des éléments de quartz anguleux de fort module. Les trous réguliers, dont les diamètres varient de 2 à 3 mm, se répartissent sur l’ensemble du fond épais et traversent parfois la partie inférieure de sa panse légèrement arrondie. Il appartient au type le plus ancien de la typologie des vases-filtre (Cherel, 2020), sommairement modelé et facile à réaliser avec son profil simple tronconique ouvert. Le rapport entre la hauteur et le diamètre à l’ouverture se situe entre 0,3 et 0,4.

1. Vase-filtre de la Goultière

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Les résultats des analyses biochimiques indiquent la présence d’un vin ou vinaigre de vin rouge. Des graisses animales chauffées ont aussi été détectées (laboratoire LNG).

A.-F. Cherel, Inrap

5Malgré de fortes pollutions plastiques, les analyses montrent qu’il a contenu un jus de raisin noir fermenté. La présence intense de raisin est indiquée par l’acide tartrique, l’acide syringique permettant de préciser la couleur du raisin, noire. L’acide malique est constitutif des fruits sauvages. La fermentation alcoolique est révélée par la combinaison des acides succinique, maléique, fumarique, pyruvique et itaconique. Les marqueurs du raisin noir associés à ceux de la fermentation alcoolique définissent un vin ou un vinaigre de vin rouge. Il a donc contenu, à un moment donné, un vin rouge ou du vinaigre qui a été filtré, probablement pour le débarrasser des résidus de raisin. En partant du principe que toutes les amphores vinaires importées étaient poissées, l’absence de poix suggère qu’il s’agit bien d’un vin/vinaigre local.

6Outre du vin/vinaigre, des graisses animales chauffées ont été détectées. Des corps gras d’animaux ruminants et non ruminants sont en effet associés au squalène, indiquant la présence de graisse sous-cutanée. L’hypothèse du filtrage de la graisse chauffée pour la rendre fluide est proposée, en sus de son utilisation comme étanchéifiant. Au quotidien, la graisse animale convient en effet à de multiples usages. Une utilisation opportuniste de ce vase-filtre correspondant à des usages successifs est avancée.

7La présence de vin/vinaigre dans le vase-filtre de Châteaubourg, à une dizaine de kilomètres seulement de Cesson-Sévigné (carporestes de vigne), conforte bien l’hypothèse de la présence ancienne de la vigne sauvage dans ce secteur. Ces résultats posent à nouveau le problème de la nature du contenu de la superbe passoire à deux anses et à décor de style libre de la Croix Boizard à Brion (Maine-et-Loire), peinte en rouge, datée de la fin de La Tène ancienne. Ce secteur du Val de Loire est en effet riche en occurrences polliniques de la vigne sauvage.