Céramique et boissons fermentées

2La fabrication et la consommation de boissons fermentées consistent en une succession d’opérations, depuis la sélection et le conditionnement de la matière première (principalement, mais non exclusivement, des ressources végétales) jusqu’à la consommation de la boisson, et nombre d’entre elles impliquent l’utilisation de récipients et ustensiles potentiellement très diversifiés. La disparition de la quasi-totalité des matières organiques nous prive à la fois des contenus (si l’on excepte quelques dépôts et les imprégnations de matériaux biologiques ayant subi une transformation profonde), mais également d’une part non mesurable, et sans doute considérable, des contenants et ustensiles : vanneries et contenants en bois, matière organique fossile, textile, peau, corne, voire aménagements de terre crue, instruments de bois, d’os, de corne etc. Les quelques vestiges organiques, les rares objets métalliques, les restes d’amphores et les nombreux restes de récipients et ustensiles en céramique découverts en contexte archéologique ne peuvent ainsi être considérés comme représentatifs de l’ensemble du mobilier impliqué pendant la Protohistoire dans la fabrication et la consommation des boissons fermentées, y compris si l’on ne considère que la question des plus grands contenants [ill. 1].

3Si cette « part de l’inconnu » ne peut être écartée de la discussion, le témoignage des restes de céramique n’en est pas moins fondamental. Textes, iconographie, enquêtes ethnographiques, travaux ethnoarchéologiques et archéologiques attestent l’emploi partout, et dans des temps plus ou moins éloignés, de récipients et ustensiles en céramique pour produire et consommer des alcools. Les sources qui documentent la Protohistoire dans le nord de la France sont maigres, mais les analyses d’imprégnations biologiques révélant de nombreuses traces de fermentation alcoolique apportent une documentation nouvelle sur le sujet (Garnier, 2015 ; Dubuis, Garnier, 2018 ; Rageot et al., 2019). Leurs résultats, d’interprétation souvent complexe, demandent de développer en parallèle une étude fonctionnelle systématique des céramiques. Tout indique d’ailleurs qu’après un démarrage déjà ancien si l’on considère le travail précurseur de Michel Bats portant sur le lien entre vaisselle et pratiques alimentaires dans les régions méditerranéennes (Bats, 1988), ce type d’approche connaît un développement rapide.

Entre principes et problématiques

4Les restes céramiques archéologiques sont difficiles à interroger sous l’angle fonctionnel tant les paramètres à considérer sont nombreux (Rice 1987 ; Orton et al., 1993, p. 217). Qu’il soit question de variabilité techno-pétrographique et/ou de variabilité morpho-métrique, la corrélation à la fonction des récipients demande à être démontrée (Roux, 2016, p. 273 et suiv.). Les travaux ethnographiques et ethnoarchéologiques mettent en lumière la complexité des situations, tout en révélant de possibles relations univoques entre catégories morpho-métriques et fonctions des récipients (de Ceuninck, 1994). En faisant progresser la compréhension des formes, mais également l’interprétation des traces d’usage, ils sont un apport décisif aux études archéologiques, tant pour la définition d’une méthodologie que pour celle des problématiques et des cadres d’interprétation (Skibo, 1992 ; 2013).

5L’étude fonctionnelle des céramiques en contexte archéologique demande de suivre quelques principes comme le maintien d’une distinction claire entre les phases d’observation/analyse des données et d’interprétation et, tout particulièrement, celui d’une séparation nette entre la définition d’une famille de récipients et ustensiles et son interprétation en matière d’usage ; il est en effet tentant de relier par commodité les ensembles de contenants à des fonctions théoriques pour proposer des études globales de corpus. Cela n’est pas sans intérêt, mais peut conduire à des impasses et à un rétrécissement de la discussion. L’analyse fonctionnelle requiert également une prise en compte argumentée de critères multiples relatifs aux techniques/propriétés physiques et à la géométrie des formes, notamment pour tenter de définir des familles de récipients correspondant possiblement à une fonction intentionnelle, dès la fabrication par le potier, fonction qui peut avoir différentes facettes. Dans un second temps, la quantification des traces et l’étude des contextes archéologiques renseignent sur l’utilisation effective correspondant au fonctionnement de l’objet pendant sa durée de vie, là encore avec plusieurs facettes possibles jusqu’à des étapes de réemploi, voire de recyclage, du matériau. Dans le cas d’une production céramique faiblement spécialisée dans ses procédés, la définition d’un classement souple, susceptible d’être modifié au fil des avancées de la recherche, permet la prise en compte des variabilités. Face à la complexité du sujet, il semble par ailleurs pertinent de se focaliser sur des problématiques spécifiques pour tenter de maîtriser un nombre suffisant de paramètres (environnementaux, culturels…).

Fondements ethnographiques et archéologiques

6Le choix des plus grands contenants pour aborder la question des boissons fermentées se fonde sur des travaux ethnographiques/ethnoarchéologiques. Concernant en particulier la bière, l’implication de grandes céramiques dans sa fabrication a été observée à de multiples reprises, qu’il s’agisse de la bière de manioc amer en Guyane (Rostain, 1991-1992, p. 116-117), de la chicha andine (Hayashida, 2008) ou des bières fabriquées et consommées par les populations au Sénégal (Thiam, 1991 ; Diop, 2000, p. 279-280), en Éthiopie (Arthur, 2003) ou au Kenya (Dietler, Herbich, 2006). Au Sénégal, les plus grandes jarres (parfois de plus de 100 l) servent à cuire la bière comme à contenir la réserve d’eau quotidienne et, apparemment, seules des traces de chauffe permettent de trancher (Thiam, 1991 ; Diop, 2000, p. 279-280). Au Pérou, le brassage de la chicha implique de nombreux contenants en céramique de très grandes dimensions (30/40 l ou plus) dont la morphologie varie en fonction des opérations : cuisson, travail du mélange, fermentation (Hayashida, 2008). En archéologie, la réflexion autour des dolia et autres grands vases des régions méridionales va également dans le sens d’un rapport préférentiel entre les très grands contenants et le stockage de liquides comme le vin, l’eau et peut-être l’huile et la bière (Py, 2009 ; Carrato, 2017, p. 70-73). Et, dès les années 1990, un lien entre de grandes jarres protohistoriques et une boisson de type bière a été établi grâce à des analyses effectuées sur des résidus dans des céramiques de sites protohistoriques catalans et aragonais comme Genό (Lleida) ou Tossal Montañés (Juan-Tresserras, 1998 ; Juan-Tresserras, Moret, 2002). Dans le cas de la bière, la diversité des modes d’emploi, incluant en règle générale une étape de cuisson, s’accompagne d’une variabilité, plus ou moins forte, des vases impliqués. Ces travaux nous incitent à porter une attention particulière à certains traits morphologiques : le degré de resserrement à l’embouchure, la position du diamètre maximum ou le diamètre interne à l’ouverture en relation avec des actions/intentions comme accéder au contenu, abriter les denrées, créer une interaction avec l’environnement, faciliter l’évaporation… ; le renforcement plus ou moins marqué de la lèvre pour s’adapter, entre autres, à des gestes et usages éventuels d’ustensiles. Les contextes de découverte sont également importants car ces grands vases peu mobiles, régulièrement installés dans le sol des espaces occupés, sont susceptibles d’être trouvés dans une disposition correspondant à leur dernière phase de fonctionnement (renvoyant potentiellement à leur destination initiale) ou non loin du lieu de leur dernière utilisation.

Le choix de la bière

7Les textes antiques qui évoquent la consommation de bière par les Gaulois et les découvertes d’orge maltée en contextes archéologiques protohistoriques restent en nombre limité (Laubenheimer, 2015 ; Stika, 2011 ; Bouby et al., 2011). L’intérêt de la bière est cependant renforcé par les études archéobotaniques régionales. Elles indiquent une importance de la culture de l’orge dans la plaine crayeuse notamment à partir de la transition du premier vers le second âge du Fer avec une forme de spécialisation qui se traduit par l’omniprésence des restes d’orge vêtue au second âge du Fer (Matterne, 2001 ; Zech-Matterne et al., 2009, p. 396-398). Cette céréale peu exigeante propre aux régions tempérées se satisfait des sols pauvres de la Champagne et fournit une matière première idéale pour la fabrication de bière (ainsi qu’une ressource fourragère accompagnant un fort développement de l’élevage). Cependant, une variabilité des cultures céréalières est perceptible en particulier dans le secteur de la vallée de la Seine (Auxiette, Toulemonde, 2018). D’autres céréales sont à considérer, comme le millet dont la culture est importante entre le Bronze final et le premier âge du Fer. Les résultats des analyses biologiques effectuées sur la céramique de Vix orientent ainsi vers l’implication de céramiques de production locale dans la fabrication / consommation de bière de millet au premier âge du Fer (Rageot et al., 2019).

La définition des familles de grands contenants

8Une définition de familles larges de grands récipients a été proposée dans le cadre d’une étude fonctionnelle de corpus du second âge du Fer en Champagne – en particulier, pour l’habitat d’Acy-Romance (Ardennes) et pour les habitats de Champfleury et Villers-aux-Nœuds (Marne) (Saurel, 2017). La capacité volumétrique minimale prête à discussion. Les sources citées plus haut mentionnent de très grands contenants de plusieurs dizaines de litres, mais l’étude des corpus champenois incite à intégrer des récipients à partir de 8-9 litres, en raison de traits morphologiques et/ou de traces intérieures et/ou de dispositions parfois comparables à celles des céramiques plus volumineuses. L’analyse technique et morphologique a mis en évidence au moins quatre grands ensembles de récipients susceptibles d’être pris en compte et constituant des familles aux contours plus ou moins précis et indépendants en fonction des cas : les grandes formes hautes à moyennes « communes » (ce vocable a été retenu par commodité, mais on pourra préférer le terme « utilitaires », ou encore la désignation « plutôt grossières ») ; les grandes formes hautes à moyennes « plutôt fines » ; les grandes formes basses à moyennes « communes » ; les grandes formes basses à moyennes « plutôt fines ».

9S’est aussi posée à nous la question des termes à employer pour désigner ces grands contenants, et notamment les grandes formes hautes à moyennes communes, très largement majoritaires. Pour user du terme dolium, il convient de voir sur quels critères il est défini dans le monde de la Gaule méditerranéenne (Garcia, 1992 ; Py, 1993, 2009 ; Carrato, 2017). Charlotte Carrato propose une définition fondée principalement sur la morphologie, la taille/capacité et l’épaisseur (ibid., p. 40 et suiv.). L’analyse d’un corpus lui permet de proposer une définition du dolium reposant – par opposition aux autres grands contenants non tournés qualifiés de « grandes urnes » – sur la combinaison d’une capacité volumétrique très élevée, de 45 litres au minimum dès la période ancienne (V^e-IV^e siècle avant notre ère), et d’un rapport capacité en litres/hauteur en centimètres avoisinant 1 au minimum. Le dolium est ainsi défini comme un très grand contenant pansu aux parois épaisses dont la discrimination et l’évolution au fil du temps sont documentés. On perçoit combien la définition relativement précise d’un type sur la longue durée est complexe et on se gardera de toute analogie prématurée en écartant provisoirement le terme « dolium » (même si la relation est manifeste par exemple pour certaines productions tardives comme les très grands conteneurs de Villeneuve-Saint-Germain cf. Gransar, 1991, 2002). Le terme « urne » renvoyant souvent à un usage funéraire sera également écarté au profit du terme « jarre », même s’il peut recouvrir d’autres significations et notamment un lien spécifique avec le conditionnement des liquides (Alexandre-Bidon, 2005, p. 272).

Les grandes formes hautes à moyennes communes

10Pour la fin de l’âge du Fer, l’évolution non linéaire vers une certaine standardisation (corrélation plus forte des caractéristiques techniques et formelles) permet de circonscrire une famille de jarres communes qui peut être de prime abord distinguée d’une famille de pots communs à la surface rugueuse de moindres dimensions, à la fois par des caractéristiques morphologiques et par les capacités volumétriques. Ainsi, en Champagne, les lèvres larges et/ou épaisses, aux profils variables, caractérisent exclusivement de grands récipients dont la capacité s’établit entre 8 l et plus de 15 l (les vases de plus de 15 l étant nettement majoritaires au sein de cet ensemble notamment à La Tène D) (Saurel, 2017, p. 283) [ill. 2]. Dans une synthèse sur la céramique de la moyenne vallée de l’Oise au second âge du Fer, une limite inférieure variant entre 8 et 10 l en fonction des périodes est également avancée pour les plus grands contenants (Gaudefroy et al., 2006, p. 103, 116 et 130). Pour la toute fin de l’âge du Fer, en Lorraine, une capacité supérieure à 10 l caractérise des formes hautes de grande capacité réunies sous l’appellation de « céramiques de stockage » (Bonaventure, 2011, p. 45) ; et, de façon générale, la capacité tend vers plusieurs dizaines de litres pour les récipients à la lèvre renforcée, de production spécialisée (traits techniques renvoyant à des ateliers diffusant à une échelle encore difficile à maîtriser), souvent qualifiés de dolia avec une définition qui peut varier légèrement. Les dolia de type Zürich-Lindenhof étudiés par différents auteurs figurent parmi les plus modestes en dimensions (Roth-Zehner, 2010 ; Bonaventure, 2011). Aux VII^e-V^e siècles avant notre ère en Champagne, les jarres et grands pots communs – à partir de 8-9 l de capacité – bien attestés, peuvent atteindre des volumes très élevés [ill. 3] (Saurel, 2018 ; Saurel, Monnier et al., à paraître). Certains récipients dépassent 50 l (voire plus de 100 l), et des tendances morphologiques se dessinent. Mentionnons que, durant la Protohistoire, les représentants de cette famille de jarres communes ne figurent que rarement dans les contextes funéraires, si l’on excepte le réemploi occasionnel de fonds comme couvercles et certains cas avérés de récipients complets, entre autres dans la nécropole du Champ Potet à Châtres (Aube) vers le III^e siècle avant notre ère (Zipper dans Félix-Sanchez, Dupéré, 2013).

Les grandes formes hautes à moyennes plutôt fines

11Cet ensemble est composé de grands vases de pâte mi-fine à fine, révélant souvent un investissement important pour le montage (formes parfois complexes et/ou productions tournées précoces), pour la finition (notamment par brunissage), voire pour la décoration (Gallay, Burri-Wyser, 2014). Ces jarres fines sont régulièrement présentes dans les contextes domestiques, mais également dans les dépôts funéraires et ont fait l’objet, entre vallée de l’Aisne et vallée de la Marne, de différentes approches pour l’âge du Fer. Contrairement aux grands contenants communs, ces pièces ne se démarquent pas en règle générale, sur le plan de la morphologie et du décor, de récipients de même catégorie et de moindre capacité (Desenne et al., 2009 ; Friboulet, 2013, p. 143 ; Saurel, 2017, p. 305-309). Il existe le plus souvent une déclinaison des mêmes formes en différents modules. Les capacités maximales sont par ailleurs bien en deçà de celles des récipients communs. Elles ne dépassent pas 13 l pour les nécropoles d’Acy-Romance à La Tène C2-D et cela correspond aux observations faites sur l’habitat où les plus grandes formes hautes à moyennes plutôt fines s’inscrivent dans une fourchette de 8 à 15 l de contenance et sont peu représentées au regard des récipients plus petits que ce soit à La Tène C2-D1a (2 % de grands contenants pour un corpus de 203 individus en céramique fine de forme haute à moyenne, incluant 14 % de vases de dimensions non évaluables) ou à La Tène D (12 % pour un corpus de 101 individus avec 13 % de vases de dimensions non évaluables).

Les grandes formes basses à moyennes communes

13Une étude de la relation entre le diamètre à l’ouverture et le traitement de la panse a permis de faire ressortir, au sein des formes basses de l’habitat d’Acy-Romance, un ensemble de grandes formes basses rugueuses plus ou moins profondes d’un diamètre de 29 cm au minimum pour une capacité minimale avoisinant 4 l (Saurel, 2017, p. 299-305) [ill. 2]. Il n’existe pas une rupture nette avec les formes basses de moindre dimension et des subdivisions se dessinent qui permettent d’individualiser en particulier les plus grands contenants : une série de jattes vers 7-9 l pour un diamètre de 33-37 cm ; une série de bassines et plats moins profonds vers 12-18 l pour un diamètre vers 38-45 cm ; quelques bassines de plus de 30 l pour plus de 45 cm de diamètre. Les similitudes qui unissent certains des plus grands exemplaires aux jarres communes (lèvre renforcée, parois épaisses, pâtes), observées également sur l’oppidum de Villeneuve-Saint-Germain ou à Bibracte, confortent la nécessité d’une analyse conjointe (Gransar, 1991 ; Barral, 2002, p. 162-164).

Les grandes formes basses à moyennes plutôt fines

14Quelques récipients plutôt bas et bien ouverts, pots bas ou bassines, se distinguent parmi les grands contenants des nécropoles de La Tène A-B en Champagne [ill. 4]. Il n’y a pas d’unité avérée de cette « famille » qui compte des profils arrondis simples rares, renvoyant aux bassins métalliques et/ou au dinos méditerrannéen en céramique, et de grandes jattes reproduisant des profils récurrents en plus petites dimensions. On relève le lien fonctionnel avec les jarres fines entre autres dans l’association avec un très petit contenant.

Traces d’altérations et boissons fermentée

16Une première approche générale pour le corpus de l’âge du Fer en Champagne a notamment permis de mettre l’accent sur la corrélation entre la composition des pâtes et les types d’altérations affectant la paroi intérieure des vases (Saurel, 2017, p. 340-346). La relation est évidente dans le cas de la porosité intérieure secondaire, correspondant notamment, dans la plaine champenoise et ses marges, à la dissolution des inclusions calcaires présentes dans les pâtes (sous l’action d’un contenu acide). La relation est moins directe dans le cas des lacunes en cupule (dites desquamations ou corrosions) qui touchent plus spécifiquement des céramiques à la pâte riche en inclusions de chamotte et en particulier celles comportant des éléments grossiers [ill. 5]. Ces lacunes pourraient découler notamment de processus physiques liés à la fermentation des contenus. En outre, la quantification des traces a démontré une forte représentation de ces deux formes d’altérations dans le cas des jarres communes et, dans une moindre mesure, dans celui des bassines et des formes hautes plutôt fines de capacités diverses. Cette convergence tend à conforter le lien avec la fabrication / consommation des boissons.

Des contextes prometteurs ?

17La question des consommations communautaires a tout particulièrement été traitée pour les périodes récentes de l’âge du Fer (Poux, 2002, 2004). Pour des périodes plus anciennes de la Protohistoire, elle est développée dans le cadre de recherches récentes concernant la consommation de denrées animales et végétales et des sites d’exception comme celui du Gros Buisson à Villiers-sur-Seine à la toute fin de l’âge du Bronze (Auxiette, Toulemonde, 2018, p. 181-185 ; Peake, 2020). Plus largement, la consommation et la fabrication des boissons fermentées ont été abordées lors des travaux développés autour des analyses de résidus biologiques dans les céramiques des sites princiers des VII^e-VI^e siècles avant notre ère (Stockhammer, Fries-Knoblach, 2018).

18Concernant les contextes régionaux pour la Protohistoire, deux cas constituent, au premier examen, des pistes prometteuses. D’une part, de grands contenants apparaissent « isolés » ou intégrés dans un petit ensemble de vestiges aux traits spécifiques. On relèvera notamment un type de sites comportant au moins un très grand contenant retrouvé dans une fosse à sa mesure et une fosse allongée. Cette combinaison est documentée en particulier à la Fosse aux Fromages à Reims et, avec une meilleure conservation, à Saint-Dizier/Bettancourt-la-Ferrée (Haute-Marne) avec des traces sur la céramique évoquant possiblement une fermentation, voire une cuisson (Saurel, 2018) [ill. 6]. Les caractéristiques du fossé de Saint-Dizier sont comparables à d’autre faits reconnus dans la région : longueur de 3,5-4 m, largeur de 0,5-1 m, parois verticales, fond relativement plan, orientation préférentielle et lien probable avec une activité de combustion plus ou moins perceptible en fonction de la conservation (Bocquillon et al., 2009, p. 147-149). Ces traits pourraient renvoyer en particulier aux fossés fouillés sur le site de Reps à Hochdorf et interprétés, d’après les vestiges et les observations, comme des aménagements abrités pour la germination et/ou le séchage du malt à température réduite en préalable à la fabrication de bière (Stika, 2011). Dans le second cas, il s’agit de sites avec une concentration particulière de grands contenants présentant des altérations intérieures [ill. 7]. On s’interroge sur le statut de ces habitats – comme les sites de Bussy-Lettrée, Mont Lardon (Marne) pour les VII^e-VI^e siècles avant notre ère cf. Bailleux, Riquier et al., 2005 – ou de ces quartiers – comme dans le cas de l’agglomération d’Acy-Romance (Ardennes) aux II^e-I^er siècles avant notre ère cf. Lambot, Méniel, 2000 – dans le cadre d’une approche d’ordre sociologique. Leurs occupants auraient développé tout particulièrement la transformation de récoltes pour la fabrication de boissons fermentées (Saurel, 2017 ; Saurel, 2018).

Conclusion

19Les classements présentés ici pour les grands contenants reposent sur trois critères principaux : la capacité volumétrique ; la forme, basse ou haute, à l’embouchure plus ou moins resserrée ; la combinaison d’une catégorie de pâte (densité et taille des inclusions) et d’un traitement de surface avec des productions plutôt communes et d’aspect rugueux, lissé ou brut, à la panse parfois couverte d’un enduit argileux, et des productions plutôt fines d’aspect lissé/bruni uni. Une définition plus précise de familles de grands contenants pour la Protohistoire est en cours à partir d’un corpus élargi de sites d’habitats de Champagne – de la fin de l’âge du Bronze au passage de l’âge du Fer vers l’époque romaine – et d’un enregistrement des données complété en fonction des critères maîtrisables et significatifs (Saurel, Monnier et al., à paraître). Les nouvelles combinaisons de critères auront en particulier pour but d’évaluer l’adaptation des céramiques aux étapes respectives de la fermentation des boissons alcoolisées et de la cuisson de la bière. L’étude de la variabilité chronologique des techniques, formes et décors des grands vases au cours de la Protohistoire sera affinée afin de tenter de maîtriser la dimension chrono-culturelle qui rend complexe l’analyse fonctionnelle sur une longue période. L’objectif est de proposer d’une part un classement renouvelé des grands contenants, en intégrant la dimension chronologique, et une nouvelle quantification des traces combinée avec un programme d’analyses intégrées (analyse des pâtes et analyses des résidus biochimiques). Ces travaux interdisciplinaires devraient permettre un réexamen des hypothèses concernant des espaces – habitats, quartiers ou zones d’activités spécifiques – qui auraient été plus ou moins dédiés à la transformation de récoltes pour la fabrication de boissons fermentées, et tout particulièrement de bière pendant la Protohistoire. Le questionnement autour de ces espaces et de leur statut est fondamental si l’on considère que, pour les populations, ces boissons constituaient une forme de nourriture tout autant qu’un psychotrope et que leur fabrication / consommation comporte une forte composante sociologique (Arthur, 2003 ; Dietler, 2006 ; Dietler, Herbich, 2006).