1Dans le Nord de la France et en Flandre, nombre de familles possèdent encore d’assez énigmatiques récipients de grès bicolore, frappés sous le col des initiales SRD. Particulièrement solides et très pratiques, ils ont connu plusieurs générations successives d’utilisateurs, qui bien souvent ont peu à peu perdu le souvenir de l’origine de ces récipients, puis ils sont tombés en désuétude au profit de contenants plus modernes. Assez prisés des collectionneurs lorsqu’ils sont intacts, ils sont en fait une trace ténue de la présence des troupes du Commenwealth sur le continent durant la Grande Guerre. Si les documents photographiques d’époque sur lesquels figurent ces jarres sont assez rares, ils étaient pourtant utilisés en très grandes quantités par l’armée britannique pour stocker et transporter le rhum ou le whisky bas de gamme nécessaire au soutien du moral des troupes, alcools distribués à la seule initiative des officiers et en fonction des circonstances. Bien évidemment, les archéologues qui sondent et fouillent depuis plus de 20 ans les environs de villes emblématiques de la présence anglo-saxonne retrouvent régulièrement de tels objets, plus ou moins complets. Autour d’Arras, les découvertes répétées de jarres SRD dans des dépotoirs britanniques permettent de se faire une idée des différents types utilisés par les troupes, qui semblent avoir souvent conservé d’assez nombreux exemplaires qu’ils ont certainement détournés de leur usage initial au profit d’une utilisation « domestique » en première ligne ou au repos.

2La jarre SRD est un récipient emprunté au monde civil d’avant-guerre, qui l’utilisait déjà en quantités industrielles. Ainsi, quelques exemplaires découverts en fouille portent un millésime antérieur au conflit et ne sont pas estampillés des lettres SRD. Dans l’Arrageois, les jarres SRD se déclinent sous trois formats, d’un demi-gallon, d’un, puis de deux gallons [ill. 1]. En règle générale, ces bonbonnes en grès très épais présentent un vernissage de deux tons différents. La panse est de couleur beige clair, alors que le goulot et le tiers supérieur du récipient, qui correspond à l’élargissement entre la base du goulot et le sommet de la panse, sont dans des tons brun-jaune plus foncés. Quel que soit le fabricant identifié par son estampille, ces deux couleurs sont toujours quasiment les mêmes, mais de rares exemplaires sont aussi unicolores et intégralement vernissés en beige clair.

1. Jarre SRD.

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À gauche, jarre SRD d’une contenance de deux gallons ; au centre, deux jarres d’un gallon provenant de deux fabricants distincts et présentant des profils et des goulots légèrement différents ; à droite, bonbonne d’un demi-gallon.

M. Redouane, Service archéologique municipal d’Arras

3D’infimes variations de profil ou de goulot soulignent la multiplicité des fabricants requis pour produire en nombre suffisant ces récipients, afin d’approvisionner l’ensemble du contingent du Commonwealth engagé sur le continent. La forme la plus répandue présente un profil arrondi de l’embouchure de la bonbonne au haut de la panse, mais certains exemplaires adoptent un profil plus rectiligne, de forme tronconique. De rares exemplaires sont aussi dotés d’une petite anse permettant de mieux saisir ce récipient, dont les formes mêmes et la surface lisse et glissante paraissent rendre la manipulation malaisée dans des tranchées si souvent boueuses. L’utilisation d’un tel système n’a certainement été que marginale.

4Presque tous les récipients retrouvés en fouille portent une marque de fabrique, le plus souvent apposée sur le fond du récipient, sous la forme d’un poinçon dont les lettres peuvent être soulignées à l’encre noire, ou d’un tampon encré. L’étude rapide de ces marquages permet de montrer que tous les fabricants britanniques ont été sollicités. Seul le marquage SRD relie réellement toutes ces productions, mais lui aussi connaît des variations de formes importantes, soulignant ici encore la multiplicité des producteurs.

5Finalement, la jarre SRD n’est qu’un produit civil rapidement passé sous l’uniforme par l’apposition de ce marquage, dont la signification même a longtemps été sujette à interprétations. Il est vrai que l’humour britannique avait trouvé dans ces trois lettres un terrain d’expression particulièrement fertile, puisque les soldats ont rapidement réinterprété la mention SRD en développements plus ou moins caustiques, comme « Special Rations Department » (Service des rations spéciales), « Service Rum Dilute » (rhum de dotation dilué), « Seldom Reaches Destination » (atteint rarement sa destination) ou « Soon Runs Dry » (reviendra bientôt à sec). La réalité était bien plus prosaïque puisqu’elle faisait référence au « Supply Reserve Depot » (dépôt des fournitures de réserves) de Woolwich, qui centralisait nombre d’approvisionnements alimentaires avant leur expédition vers le front. L’image de la bonbonne SRD n’en est pas moins restée emblématique pour le combattant britannique du réconfort qu’elle lui prodiguait trop rarement à son goût, puisqu’on la retrouve dans d’assez nombreuses caricatures de cette époque.