Site
La papeterie de la Seine
Nanterre
Hauts-de-Seine

Date
novembre 2018

Surface
8,5 ha

1La papeterie de la Seine, fondée en 1904, a marqué pendant plus d’un siècle le paysage industriel de la ville de Nanterre en banlieue parisienne. Sa fermeture en 2011 donne lieu à un vaste projet de réaménagement des bords de Seine. Les travaux de démolition ont fait réapparaître un abri antiaérien de la seconde guerre mondiale. Dans les années 1930, la menace d’un nouveau conflit avec l’Allemagne est de plus en plus prégnante. En 1935, une loi rend obligatoire l’organisation de la Défense passive sur l’ensemble du territoire national (loi du 8 avril 1935 relative à l’organisation des mesures de protection et sauvegarde de la population civile). Dès 1937, les communes sont chargées par le ministère de l’Intérieur de faire l’inventaire de lieux susceptibles d’abriter les populations civiles. Les capacités des caves d’immeubles et des grands abris publics (abris d’îlots, métropolitain, carrières) étant insuffisantes, on planifie la construction de tranchées bétonnées sur des espaces publics et privés, les tranchées-abris. Bien que peu coûteuses et rapides à construire, elles ne le seront qu’après le début des hostilités. En juin 1940, lors des premiers bombardements allemands sur Nanterre, aucune tranchée-abri n’existait.

2L’abri découvert en 2018 (Samuelian, 2019) a été construit afin de protéger les occupants du lotissement composé de pavillons ouvriers attenant à la papeterie. Il était situé à l’écart de ces maisons, à moins de 10 m. Répondant à un cahier des charges précis édicté par la Direction de la Défense passive (Ministère de la Défense Nationale et de la Guerre, 1940, p. 13), ces abris doivent être creusés à une distance au moins équivalente à la hauteur des bâtiments voisins pour limiter les chutes de gravats. Ce sont des tranchées coffrées et couvertes dont le tracé doit comporter des éléments d’interruption ou de retour pour limiter les effets de souffle [ill. 1]. La couverture peu résistante de ces tranchées doit pouvoir être enlevée facilement par les sauveteurs, le cas échéant. La hauteur sous plafond est fixée à 2 m et la largeur de tranchées, selon le nombre de rangée(s) de bancs (une ou deux), doit mesurer entre 1,2 et 1,8 m (Ministère de la Défense Nationale et de la Guerre, 1940, p. 13). On estime à deux par mètre linéaire le nombre de personnes assises sur les bancs placés contre les parois. Les lignes droites ne doivent pas dépasser 10 à 12 m de longueur. Les accès se font par un escalier de 1 m de large, à raison d’un escalier pour 50 occupants. Les tranchées doivent être asséchées grâce au percement de puisards. Les itinéraires à suivre et les entrées doivent être indiqués par des écriteaux (Arch. dép. Hauts-de-Seine, 2138 W, 1938) et accessibles rapidement de jour comme de nuit en cas d’alerte aérienne.

1. Les trois grandes catégories de plans de tranchées-abris : à crémaillère, à traverses et en grecque.

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Chacun de ces plans devait être conservé dans les archives de la Préfecture, de la commune et du poste de sapeurs-pompiers (Ministère de la Défense Nationale et de la Guerre, 1940).

Ministère de la Défense Nationale et de la Guerre

3Cette tranchée-abri, dont on retrouve la mention dans des notes des Ponts et Chaussées de 1942 (Arch. dép. Hauts-de-Seine, 2138 W, DP, 1942), est une construction plutôt sommaire, de plan symétrique [ill. 2]. On y accédait par deux escaliers perpendiculaires aux extrémités de la tranchée et ouverts sur la rue. Au pied de ces escaliers se trouvent deux puisards, percés dans le sol en béton, qui permettent de drainer l’eau grâce à la présence de graviers et ainsi d’éviter les risques d’inondation. Le couloir sud, long de 8 m, était occupé sur l’un de ses bords par des bancs dont il ne subsiste désormais que les fiches métalliques fixées dans le mur, servant d’assises aux planches de bois. Cette partie de l’abri a été la plus endommagée par les travaux de démolition [ill. 3]. Ailleurs, l’ensemble de la dalle de couverture a été dégagée et l’intérieur raclé par le godet d’une pelle mécanique, endommageant ainsi tout aménagement intérieur éventuel. En revanche, la partie centrale de la tranchée est désaxée, plus courte (6,75 m), et les bancs se situent sur le bord opposé à celui des galeries sud et nord. On note également la présence de trois mortaises creusées dans les murs à 1,5 m du sol. Dans l’une d’elles était fiché un morceau de planche en bois. La fonction de ces structures demeure pour le moment incomprise (étayage du plafond, cloisonnement de la galerie, etc.). Les murs de cet ouvrage en béton armé mesurent 0,4 m d’épaisseur et la dalle de couverture 0,1 m. La ventilation se faisait par le biais de six soupiraux (deux par couloir) et l’éclairage par un réseau électrique dont il subsiste encore quelques vestiges (supports métalliques positionnés dans le mur à 1,8-1,9 m du sol sur lesquels demeurent parfois encore des isolateurs en porcelaine ; fragments d’une demi-sphère en verre probablement issue d’un plafonnier).

2. Plan de la tranchée-abri.

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Parallèle à l’ancienne rue de Bezons, elle mesure 26 m de long et sa linéarité est brisée par deux créneaux. Cet abri répond aux critères architecturaux définis par le Secrétariat permanent de la Défense passive. Son plan, sans être atypique, demeure inédit. Il avait la capacité d’accueillir environ 35 personnes, c’est-à-dire une partie des occupants des lotissements.

N. Samuelian, Inrap

3. Au premier plan, la partie endommagée par le projet d’aménagement : une partie du mur a été arasée et le sol détruit.

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M. Belarbi, Inrap

4À la fin de la guerre, ces abris sont rapidement murés ou détruits lorsqu’ils gênent les aménagements d’un territoire en pleine mutation. C’est pour cela que la découverte de ce type de vestiges dans le cadre d’interventions archéologiques est encore rare. Dans le cas de la papeterie de la Seine, les deux entrées situées au niveau de la rue avaient été condamnées par un mur de briques ; une palissade en béton était venue définitivement isoler la tranchée et la faire ainsi tomber dans l’oubli. Certains habitants, alors enfants d’ouvriers de la papeterie de la Seine, se souviennent malgré tout de cette tranchée.