2Nous souhaitons présenter ici l’apport de cette technique de télédétection à l’opération archéologique, mais aussi en souligner les limites. Nous nous intéresserons pour cela au tronçon G, long de 73 km, entre Baudrecourt et Dannes-et-Quatre-Vents, dans le département de la Moselle, géré par le SRA de Lorraine, l’autre tronçon ayant été géré par le SRA d’Alsace. Sur ce tronçon G, l’ensemble des opérations (diagnostics et fouilles) ont été exécutées par l’Inrap, à l’exception de trois fouilles réalisées par le service archéologique du Conseil départemental de la Moselle. Une intéressante collaboration s’est de plus mise en place avec des chercheurs de l’Inra de Nancy et de l’UMR « Chrono-environnement » de Besançon sur l’étude de « mardelles », dépressions humides fermées, très fréquentes sur le tracé.

L’acquisition lidar de 2008

3La télédétection par lidar consiste à répéter des mesures de distance à un objet à l’aide d’un système à impulsions laser dont le faisceau lumineux est balayé à la surface de la terre (Bilodeau, Deroin, 2008 ; Georges-Leroy et al., 2014). Le nuage de points obtenu fait alors l’objet d’une classification permettant de séparer les points sol de ceux ayant touché la végétation ou d’autres objets. On obtient ainsi une description précise des surfaces du sol sous la forme d’un nuage de points géoréférencés dans les trois dimensions. Ces points servent à construire un modèle numérique de terrain (MNT) sur lequel sont appliqués des traitements de visualisation à partir desquels l’archéologue va pouvoir détecter et cartographier les vestiges archéologiques ou d’autres éléments. En constant développement depuis ces dernières années, ces méthodes de visualisation sont nombreuses et plus ou moins complexes. On peut citer des méthodes de visualisation simples comme l’ombrage, les pentes, les courbes de niveau, qui peuvent être combinées entre elles, des méthodes avancées, comme les ombrages multidirectionnels, les modèles de reliefs locaux, le Sky View Factor ou des représentations en 3D (Georges-Leroy et al., 2014). Des études ont montré qu’en matière de détection, l’utilisation d’une seule méthode ne suffit pas et qu’il est préférable d’en associer plusieurs (Bennett et al., 2012 ; Štular et al., 2012).

L’utilisation des données lidar lors de l’opération archéologique

6La livraison des données lidar au SRA de Lorraine, en mai 2008, est donc intervenue alors que les diagnostics venaient de débuter, rendant impossible toute anticipation dans leur analyse. Du point de vue archéologique, une des motivations premières de cette acquisition était la difficulté à intervenir en milieu forestier sur ce type d’infrastructures linéaires, comme l’avait notamment montré la première phase de construction de la LGV Est. En effet, les zones boisées ne sont pas disponibles pour les diagnostics à la pelle mécanique aussi en amont que les zones en milieu ouvert car les arbres sont coupés assez tardivement par rapport aux travaux. De plus, sur ce nouveau tronçon de la LGV Est, la coupe devait être retardée au maximum dans les forêts du Parc Naturel Régional (PNR) de Lorraine pour des raisons écologiques. Par ailleurs, l’abattage des arbres peut être partiellement destructeur pour les sites conservés sous forme de microreliefs, qui sont fréquents en forêt.

7Après livraison, les données ont donc été traitées par le SRA de Lorraine en se focalisant dans un premier temps sur les grands massifs forestiers, soit une douzaine de kilomètres de long dans les forêts domaniales de Fénétrange et Albestroff. Une visualisation rapide, basée uniquement sur des ombrages rasants (élévations de 3 ou 10°) réalisés dans deux directions (45° et 315°), a permis d’identifier un certain nombre de secteurs forestiers prioritaires (environ 20 ha), notamment dans les forêts sensibles du PNR de Lorraine. Ces zones ont été déboisées les premières et les sondages y ont été réalisés en 2009. En revanche dans les autres zones (environ 25 ha), toutes localisées dans le PNR, les arbres ont été coupés trop tardivement pour qu’elles puissent être étudiées, à l’exception de la fouille de quelques mardelles. Le bilan du recours au lidar est donc assez mitigé, puisque de très grandes zones n’ont finalement pas été sondées.

8Faute de disponibilité des agents du SRA et de l’Inrap, aucun autre examen préalable aux diagnostics n’a été mis en œuvre sur le reste du tracé ni sur les zones d’installations annexes. En revanche, les données ont été partiellement mobilisées par l’Inrap à partir de 2009 dans les rapports de diagnostic, mais elles ne l’ont pratiquement pas été dans les rapports de fouilles. Cette faible utilisation du lidar dans les études post-fouilles peut s’expliquer par un éclatement de l’opération après les sondages de diagnostic sur la trace, mais aussi peut-être par le fait que cette exploitation a reposé sur une seule personne, le géomorphologue de l’équipe, et que les topographes ne s’en sont pas servi faute de temps pour se former.

Un apport à l’étude des mardelles et à la connaissance des paysages anciens

10Malgré une utilisation limitée des données lidar au cours de l’opération, un bilan peut être tiré de cette expérience à plusieurs niveaux. Tout d’abord, un des premiers enjeux archéologiques concernait la présence sur ce tracé de mardelles [ill. 1, 2, 3], ces dépressions humides dont l’origine, discutée depuis plus d’un siècle, oppose les partisans de théories anthropiques et ceux de théories naturelles. Ces mardelles, plus ou moins colmatées, forment des milieux naturels particuliers très riches en espèces végétales et animales, surtout lorsqu’elles sont encore en eau. Leurs remplissages tourbeux constituent quant à eux de formidables archives sédimentaires offrant un enregistrement continu et à haute résolution des changements d’usage des sols. C’est pourquoi des travaux ont été entrepris sur celles-ci par des chercheurs de l’Inra de Nancy et de l’UMR Chrono-Environnement à partir de 2004. Ces travaux ont notamment donné lieu à une thèse, engagée par David Étienne en 2007 (Étienne, 2011 ; Étienne et al., 2011 ; Leroy, 2012). L’opportunité que représentaient alors les opérations archéologiques à mener sur le tracé ferroviaire a motivé la mise en place d’une collaboration entre l’Inra, l’Inrap et le SRA.

11Grâce à leur visualisation sur les images lidar, 550 mardelles, dont plus des deux tiers localisées en forêt, ont été recensées sur les 102 km² ayant bénéficié de la télédétection lidar. Certaines totalement colmatées dans des champs cultivés étaient visibles sur les images lidar, mais quasiment pas au sol. Une étude métrologique précise et l’analyse de leur organisation spatiale ont ainsi pu être mises en œuvre. Cet inventaire systématique s’est poursuivi par un travail de terrain sur la trentaine de mardelles touchées par le tracé dans les forêts domaniales de Fénétrange et Albestroff, qu’elles soient en eau ou comblées, cela avant leur déboisement (photographies, inventaire botanique plus ou moins détaillé, mesure de la profondeur et, dans quelques cas, carottages). En parallèle, sur l’ensemble du tracé, 25 mardelles comblées ont fait l’objet d’observations, sous la direction de Stéphanie Goepp, à l’occasion des sondages de diagnostic à la pelle mécanique. L’ensemble de ces études a débouché sur la prescription d’une fouille préventive réalisée en 2010 sur sept mardelles localisées dans les forêts de Fénétrange-Albestroff, afin d’apporter des réponses aux questions posées : modalité de leur mise en place et utilisations primaires et secondaires de ces structures, étude de leur remplissage en vue d’appréhender l’évolution du paysage dans le secteur (Klag, 2015). Si l’ensemble de ces travaux ont abouti à des interprétations divergentes sur l’origine de ces mardelles, ils ont toutefois fourni un riche dossier documentaire susceptible de faire avancer cette question. Par ailleurs, l’apport sur l’histoire de l’évolution du paysage, grâce aux études palynologiques notamment, est important (Étienne et al., 2013). En plus des variations dans l’ouverture du milieu depuis l’âge du Fer, ces études ont aussi mis en évidence des assemblages polliniques contrastés dans les deux grandes phases d’ouverture du milieu : aux périodes gauloises et antiques, une pratique pastorale intensive associée à une pratique agraire secondaire, et, du X^e au XV^e siècle, un développement des pratiques agricoles et une diversification des cultures céréalières.

12Si ces mardelles étaient attendues, le lidar a révélé un parcellaire ancien inconnu jusqu’alors, dans les forêts domaniales de Fénétrange et d’Albestroff [ill. 1, 2]. Quasi invisible sur le terrain avant le déboisement, il n’était plus lisible du tout après la coupe des arbres, du fait des ornières et des nombreuses branches au sol. La connaissance de ces linéaments, préalable aux sondages de diagnostic, a tout de même permis de recouper l’un d’entre eux à la pelle mécanique et de montrer qu’il s’agissait d’un simple talus terreux de quelques dizaines de centimètres de haut, mais rien n’était observable en coupe dans l’humus forestier. Ces talus terreux n’auraient pas pu être repérés lors de sondages « en aveugle » et ne l’ont d’ailleurs pas été en dehors de celui coupé intentionnellement.

13Le lidar apporte donc une information importante sur ce terroir anciennement cultivé, alors que quasiment aucun site archéologique n’y a été détecté, du fait de l’absence de sondages sur une grande partie des zones recelant ces parcellaires. Les sondages ont tout de même mis au jour une nécropole à incinération du II^e siècle de notre ère et du mobilier protohistorique et antique à Loudrefing. Même si sa datation est loin d’être assurée, ce parcellaire à trame polygonale pourrait avoir été établi au second âge du Fer ou durant l’Antiquité. Les analyses palynologiques réalisées sur les sédiments accumulés dans les mardelles du secteur montrent en effet pour cette époque un paysage largement ouvert, composé de champs et de prairies, et témoignent de l’absence de grands défrichements postérieurs. Cette découverte est d’autant plus inattendue que, jusqu’à présent, les parcellaires fossiles conservés sous couvert forestier dans la région étaient principalement le résultat de l’épierrement de sols pierreux, alors que l’on se trouve ici sur des terrains argilo-marneux. La multiplication récente des levés lidar dans la région a montré que ces parcellaires anciens occupent des surfaces considérables (Georges-Leroy et al., 2013). Ces données témoignent d’importantes fluctuations dans le mode d’exploitation de ces terroirs et montrent que la couverture forestière n’a pas seulement évolué selon des pulsations de déboisement/reboisement autour de noyaux pérennes, mais s’est bien déplacée dans le territoire, selon des modalités encore à préciser.

14D’autres éléments apportant des informations sur le paysage ancien ont été identifiés et le scanneur laser permet par ailleurs de compléter nos connaissances sur le contexte archéologique autour des sites découverts lors des sondages. De nombreuses traces de culture de type champs bombés sont visibles dans des zones aujourd’hui en prairie. À Saint-Epvre, on peut les observer dans le prolongement de ceux fouillés en 2002-2003 par Jean-Marie Blaising lors de la première phase de construction de la LGV Est (Blaising, 2011), alors qu’ils sont quasiment imperceptibles au sol. Sur la commune de Dolving, deux importantes terrasses de culture bien documentées lors des sondages ont pu être rattachées à un parcellaire bien net sur le lidar et se développant sur un coteau dominant la vallée du Landbach [ill. 4].

15Des chemins repérés dans les sondages ont également été mis en relation avec des sites visibles hors tracé dans la bande lidar, comme la grande villa du « Mur des païens » à Sarraltroff [ill. 5] ou la ferme médiévale et moderne de « Sarrewald » à Dolving. On peut aussi mentionner la découverte d’un site de hauteur fortifié totalement inconnu, localisé au sud du tracé sur la commune de Lesse ou la révélation du plan réel du site connu de Marthille « Bois des seigneurs », autre site de hauteur fortifié associé à une probable motte médiévale.

16Enfin, le lidar a servi à mieux appréhender le contexte topographique de certains sites ou espaces. On peut ainsi citer l’étude de Vincent Ollive dans le secteur de Lucy, où le diagnostic sur une zone d’environ 70 ha (dépôts et trace) localisée au pied de la butte témoin des « Francs Alophes » a été l’occasion de réaliser un enregistrement sédimentaire et d’étudier les dynamiques d’érosion. L’interprétation de la répartition spatiale des dépôts sédimentaires en fonction de la paléotopographie s’est faite grâce au MNT lidar (Ollive et al., 2016).

Des limites rédhibitoires dans la détection des sites arasés

17À quelques exceptions près, les sites découverts lors des sondages à la pelle mécanique n’apparaissent pas sur les images lidar. Sur les 22 sites majeurs mis au jour sur le tracé et les deux fouillés sur les zones annexes, aucun n’aurait été identifié comme tel sur ces images avant les sondages, à l’exception peut-être de la nécropole de tumulus de Morville-sur-Nied conservée sous couvert forestier. Elle est composée de quatre tumulus très arasés, d’un diamètre de 5-6 m jusqu’à 8-11 m, qui apparaissent sur les images sous la forme d’un monticule irrégulier où l’on ne distingue qu’un des tumulus. Cette mauvaise visualisation est peut-être due à un problème de classification de points, malgré une densité de points sol correcte (2,74 pts/m²). Deux autres sites ont tout de même laissé quelques traces : de légères dépressions dans des labours pour un chemin non daté et une mardelle.

18À de rares exceptions, l’ensemble de ces sites apparaissent à une faible profondeur d’enfouissement. Certains des vestiges, découverts principalement en milieu ouvert, se prêtent mal à une conservation sous forme de microreliefs, comme les habitats sur poteaux et les nécropoles à incinérations protohistoriques et antiques, ou encore un groupe d’inhumations d’époque mérovingienne. Les six établissements antiques avec des bâtiments construits en dur ou la ferme médiévale, à soubassement de pierres, de Lucy (Gérard, 2015, p. 118-119), tous découverts dans des zones cultivées ou sous prairies, n’ont pas laissé plus de traces [ill. 6]. À Hérange, les visualisations lidar présentent même une image assez divergente du plan de fouille. Ainsi, on peut observer des tas et monticules sur les visualisations qui ne correspondent à aucune structure fouillée et, à l’inverse, on ne voit rien à l’emplacement des bâtiments maçonnés. La mise en culture de ces terrains a donc totalement nivelé les vestiges ou les masque lorsqu’il s’agit d’anciens champs bombés aujourd’hui fossilisés par des prairies. En revanche, certains bâtiments de la villa du « Mur des païens » à Sarraltroff, située hors tracé, sont nettement visibles sur les images lidar, car les bâtiments sont conservés en élévation dans des taillis [ill. 5]. Il en est de même d’un probable bâtiment de la villa de Sarraltroff « Hohlgasse » qui se poursuit au-delà de la zone fouillée sur le tracé, zone en cultures sur laquelle plus rien n'est visible.

19Pour les chemins et voies, le bilan est plus contrasté. Dix-sept d’entre eux, datés de l’Antiquité à l’époque moderne, ont été repérés lors des sondages et certains ont été fouillés. La majorité, soit dix, ne sont plus visibles – parmi lesquels des chemins datés de l’époque moderne –, deux sont nettement visibles et deux autres semblent matérialisés par un mouvement de terrain, enfin deux correspondent à d’anciennes limites parcellaires. Quant aux 25 mardelles étudiées en sondages, les deux localisées en forêt sont bien visibles sur les images lidar. Les autres, situées dans des zones cultivées, sont en majorité perceptibles sous la forme d’une légère dépression, mais huit d’entre elles n’ont laissé aucune trace en surface.

Une méthode qui doit encore trouver sa place en archéologie préventive

20Cette méthode de télédétection, qui a déjà montré toute son efficacité pour la détection de sites sous couvert forestier, peut donc s’intégrer à différents stades dans le processus de l’archéologie préventive. En amont, tout d’abord, comme outil d’inventaire bien sûr, mais aussi d’aide à la décision. L’exemple de la LGV Est a montré son utilité par rapport au milieu forestier qui pose des problèmes spécifiques de conservation et d’accessibilité, même si l’expérience n’a finalement abouti que de manière partielle. Cette méthode peut ensuite servir à détecter des vestiges difficilement ou non appréhendables par sondages mécaniques. Et enfin, elle apporte des informations sur le contexte topographique et archéologique des sites étudiés.

21Il ne faut toutefois pas ignorer ses limites, puisqu’à quelques exceptions près, cette technique n’assure que la détection de microreliefs. Elle ne peut donc en aucun cas remplacer les sondages à la pelle mécanique qui permettent de repérer des vestiges n’ayant laissé aucun relief caractéristique au niveau du sol. Par ailleurs, un retour sur le terrain est nécessaire pour la validation des observations faites sur les images et pour obtenir des informations complémentaires (matériaux de construction, mobilier datant, etc.).