1Lorsqu’il s’agit évoquer les diagnostics sur les projets linéaires, on pense rapidement aux grands tracés (autoroutes, LGV, gazoducs etc.) traversant des contrées majoritairement rurales, et qui se développent sur des distances très importantes, de l’ordre de dizaines, voire de centaines de kilomètres. Le propos, ici, est d’aborder un autre type de grand tracé – un tramway – qui concerne une longueur bien moindre et des milieux plus variés.

Le projet et son implantation

3Le projet est entièrement situé en milieu urbanisé, et la presque totalité des emprises à aménager est occupée par des voies de circulation publiques. Les interventions menées dans le cadre de cet aménagement ont donc été l’occasion de traiter des espaces urbains – les rues et les places – qu’il nous avait été jusqu’ici rarement permis d’aborder.

4Si certaines de ces rues semblent d’origine ancienne (romaine ou antérieure : rue du Faubourg Madeleine, rue Porte Madeleine), d’autres sont de création bien plus récentes, et sont percées à travers des secteurs bâtis ou des axes de circulation anciens [ill. 2]. Il en va ainsi de la place de l’étape, ouverte au XVI^e siècle et réaménagée au XIX^e siècle, des boulevards Alexandre-Martin et Jean-Jaurès créés à la charnière des XVIII^e et XIX^e siècles, de l’essentiel de la rue Jeanne-d’Arc percée dans la première moitié du XIX^e siècle, de la rue Théophile-Chollet dans les années 1920-1930, ou de la place De-Gaulle et de l’extrémité occidentale de la rue Jeanne-d’Arc aménagées au sortir de la seconde guerre. Tous ces espaces publics d’origine moderne ou contemporaine sont concentrés dans le centre ancien d’Orléans. Ils offrent la perspective de conserver dans leur sous-sol les traces des occupations antérieures à leur transformation en lieux de circulation. Ils offrent également, dans le cadre spécifique de ce projet, la possibilité d’intervenir sur de vastes emprises. En effet, si la plateforme du tramway n’est large que de 6 m, sa construction s’accompagne d’un véritable projet de requalification urbaine qui comprend une réfection de tous les aménagements de surface sur la largeur totale des espaces publics traversés. Ainsi par exemple, la largeur de l’emprise des travaux est portée de 6 à 20 m rue Jeanne-d’Arc, et les places concernées par le projet sont comprises dans leur totalité dans le champ de l’étude.

La mise en œuvre du diagnostic

6Le récolement documentaire a consisté en un traitement des sources, publiées ou non mais rapidement accessibles (données de la carte archéologique nationale, rapports d’opérations archéologiques, etc.). Il avait pour objectif de déterminer la localisation et les caractéristiques (emprise, nature, datation, état de conservation) des sites archéologiques déjà connus dans ou à proximité immédiate de l’emprise des travaux, et d’identifier d’éventuelles zones ayant déjà fait l’objet d’une destruction du sous-sol.

7La recherche dans les fonds d’archives de documents nouveaux ou non encore exploités dans le cadre de l’archéologie préventive a été engagée notamment afin d’identifier des « grands travaux » anciens dont la réalisation aurait pu porter atteinte au sous-sol, ou de préciser les questions historiques auxquelles les vestiges présents a priori dans l’espace étudié étaient susceptibles de répondre.

8Les travaux de terrain avaient quant à eux pour but soit de détecter et de caractériser de nouveaux sites par le biais de sondages mécaniques systématiques sur les secteurs méconnus, soit de préciser les emprises, profondeurs d’enfouissement et degré de conservation des sites déjà répertoriés. En ce dernier cas, le nombre de sondages a été réduit et leur localisation a été déterminée au préalable afin de répondre au mieux aux questions.

9Ces trois outils que sont le récolement documentaire, la recherche en archives et les sondages mécaniques, ont été utilisés de manière complémentaire et non hiérarchisée pour l’ensemble du projet. Au contraire, l’outil privilégié a varié en fonction de critères basiques (zone anciennement urbanisée ; zone nouvellement urbanisée ; zone intermédiaire mal définie), de l’identification préalable de vestiges dans l’emprise du projet via des études ou projets de recherche existants (étude des enceintes urbaines, des voies de communications anciennes etc.), ou, dans certains cas, des conditions d’accessibilité des terrains ou du calendrier imposé par le rythme de réalisation du projet. Ces deux derniers critères, s’ils ne reposent ni sur des questions scientifiques ni sur des analyses de topographie historique, doivent toutefois être pris en compte au même titre que les autres s’agissant de travaux d’archéologie préventive menés dans le cadre d’un projet d’aménagement.

10Enfin, plus ponctuellement, l’équipe a eu recours à des surveillances de travaux (notamment pour les réseaux profonds) et à une prospection radar couplée à une prospection sismique ciblée.

Les résultats des diagnostics

11À l’issue des diagnostics [ill. 3], il s’avère que 16 % des surfaces concernées se sont révélés déjà détruits et 18 % ont fait l’objet de profondes restructurations ayant – parfois en partie seulement – détruit l’éventuelle stratification archéologique. Si 43 % du tracé se sont révélés vierges ou présentant des structures d’intérêt limité, 18 % ont en revanche livré des vestiges inédits et présentant une valeur informative importante. Ces derniers sont principalement, mais pas exclusivement, situés dans le centre ancien d’Orléans. Enfin, 5 % du tracé n’ont pas fait l’objet d’exploration autre que le simple recensement documentaire, les réunions régulières entre les intervenants ayant abouti à un abandon du diagnostic sur des espaces difficiles d’accès et/ou déjà traités dans un autre cadre opérationnel.

12Sur la section est du tracé, le diagnostic n’a livré aucun vestige ancien identifiable.

13Sur la section ouest, les sondages mécaniques ont donné lieu à la découverte de vestiges maintes fois recherchés mais encore jamais mis au jour. C’est notamment le cas de la voie antique Orléans-Tours, mise en évidence en plusieurs endroits le long de la rue du Faubourg Madeleine. Ils ont aussi permis l’identification de vestiges jusqu’alors inconnus, comme les traces d’une voie médiévale à Ingré (commune la moins impactée par l’aménagement) ou d’un parcellaire antique et mérovingien à Saint-Jean-de-la-Ruelle. Toujours à Saint-Jean-de-la-Ruelle [ill. 4], ce sont des paléochenaux est-ouest qui révèlent ce qu’était la Loire aux époques anciennes et, en lien avec le mobilier exhumé remontant au Paléolithique moyen et à l’Épipaléolithique ou au Néolithique [ill. 5], qui permettent de poser les bases de nouvelles problématiques de recherche sur les populations humaines et le paysage ligérien de ces périodes.

14Enfin, sur la section centre, qui traverse la ville ancienne d’Orléans, la question de savoir si l’emprise du projet renfermerait un site archéologique est sans objet, voire une aberration. En effet, la ville ancienne dans son entier forme le site, et le tracé devant la traverser de part en part, il serait pour le moins saugrenu de s’interroger sur la probabilité de croiser des vestiges et sur la pertinence d’en apprécier l’intérêt. Les seules questions à se poser alors se rapportent aux conditions d’accès aux vestiges, au degré de conservation de ceux-ci et – il va sans dire – à l’apport attendu de leur étude à l’accroissement de la connaissance.

15En fonction des résultats des diagnostics, quatre prescriptions de fouilles ont été signées entre juin et septembre 2009 [ill. 2]. L’une (rue de la Madeleine) concerne une zone comprise pour partie sur la commune de Saint-Jean-de-la-Ruelle et pour partie sur la commune d’Orléans. Les trois autres (place De-Gaulle, rue Jeanne-d’Arc, place de l’étape) sont localisées dans le centre ancien d’Orléans.

Les résultats des opérations de fouille

17Rue de la Madeleine, l’intervention s’est principalement focalisée sur l’étude de la voie antique Orléans-Tours et son évolution jusqu’à nos jours. Elle a également concerné les liens entre cette voie et les vestiges du prieuré de la Madeleine, édifice religieux étudié au cours de plusieurs campagnes archéologiques menées entre 1998 et 2007 (Blanchard et al., 2010).

18Place De-Gaulle, la fouille a été menée en plusieurs zones, séparées les unes des autres par la première ligne de tramway. Les vestiges sont stratifiés et couvrent une occupation longue de vingt-deux siècles. Ils se rapportent à des ateliers de forge gaulois, une place du début de notre ère, des îlots bâtis et des rues antiques, un espace en partie abandonné durant la fin de l’Antiquité et rapidement réinvesti par un habitat du premier Moyen Âge, les restes de l’enceinte urbaine (en particulier une porte) médiévale, et des îlots bâtis modernes et contemporains.

19Rue Jeanne-d’Arc, la fouille a concerné cinq zones non contiguës. La première (les zones sont numérotées d’ouest en est) a livré des vestiges d’habitat antique, et les restes d’une rue et de constructions médiévales à contemporaines. La deuxième a livré notamment les restes d’une partie de l’église Saint-Sulpice et des rues qui la bordent. La troisième a été l’occasion d’étudier principalement un tronçon de l’enceinte antique, puis un habitat et une rue occupés du Moyen Âge à l’époque contemporaine. La quatrième a été implantée au cœur d’un habitat moderne. La cinquième enfin, face à la cathédrale Sainte-Croix, a permis, pour ne citer que les vestiges les plus significatifs, l’étude d’une porte de l’enceinte antique et médiévale, et l’identification d’un vaste édifice maçonné du premier Moyen Âge.

20Place de l’étape, les investigations se sont concentrées sur les vestiges d’un édifice religieux (probable église Saint-Chéron) et des zones sépulcrales qui l’entourent.

La présentation des résultats

21Les interventions de terrain liées à la construction de la seconde ligne de tramway de l’agglomération orléanaise se sont déroulées sur une longue période, entre janvier 2009 et juin 2012. Les diagnostics ont donné lieu à la remise de dix-huit rapports intermédiaires et de deux rapports finaux, et les quatre fouilles ont fait l’objet chacune d’un rapport, remis entre septembre 2010 et novembre 2012. Ces fouilles représentent des points d’observation renforcée, ciblés sur des vestiges dont le potentiel informatif a été jugé suffisamment important pour justifier une étude de détail.

22L’avantage d’une telle opération, initiée par un diagnostic complet portant sur la totalité des emprises concernées par les différents aménagements, est que ces points d’observations majeurs sont reliés entre eux par les investigations menées dans le cadre du diagnostic. Ces dernières, qu’il s’agisse du récolement documentaire, de l’étude d’archives, des sondages mécaniques ou des suivis de travaux de réseaux, fournissent, à l’issue de la totalité des interventions, de précieuses informations complémentaires sur la nature de l’occupation humaine ou sur la stratification et sa conservation. Il est ainsi possible de disposer de données presque continues sur la totalité du parcours étudié. L’opération, dans son ensemble, permet donc la constitution d’un véritable transect à travers tout le territoire concerné.

24Cette forte dépendance de l’opération archéologique aux contingences du projet d’aménagement résulte en grande partie d’une volonté de tous les acteurs d’insérer pleinement la recherche archéologique au sein même du programme global de travaux. Cette conception, pour confortable qu’elle puisse avoir été pour les différentes équipes, a toutefois eu une conséquence non négligeable sur le découpage des zones de fouilles, qui a été défini au regard des trois critères : l’intérêt scientifique des espaces à étudier, l’emprise de la séquence opérationnelle de construction et le calendrier de disponibilité des terrains pour l’étude archéologique.

25Il en résulte qu’une prescription scientifiquement cohérente peut comporter des zones physiquement séparées, comme par exemple place De-Gaulle où la plateforme de la première ligne de tramway divise l’emprise d’étude en deux blocs distincts. Inversement, une prescription peut concerner une unique séquence opérationnelle, mais regrouper des zones discontinues, définies cette fois en fonction d’interrogations historiques. Ainsi rue Jeanne-d’Arc, cinq zones ont été définies dans la prescription. Deux sont localisées dans l’emprise de la ville gauloise et du Haut-Empire, mais en dehors de la ville close de la fin de l’Antiquité et du premier Moyen Âge. Deux sont incluses dans la ville close, et une dernière est située de part et d’autre du mur d’enceinte construit au Bas-Empire. Ces zones distinctes, regroupées au sein d’une même prescription, concernent donc des entités historiques différentes, et des perspectives d’accès aux vestiges variées. En effet, certaines permettent un accès rapide aux traces d’occupations antiques, tandis que d’autres donnent à observer principalement les aménagements médiévaux ou les constructions modernes.

26La coïncidence entre les emprises de fouilles et celles des séquences de travaux a donné lieu à quelques incongruités. Ainsi, la zone 1 de la prescription de la rue Jeanne-d’Arc est contiguë avec la zone 2 de la prescription de la place De-Gaulle. Il aurait été scientifiquement logique de traiter ces deux zones au cours d’une même intervention et d’un même rapport. Mais la zone 1 de la rue Jeanne-d’Arc est pourtant associée aux autres zones de cette rue, dont elle est séparée autant physiquement qu’au plan des résultats archéologiques. Il en va de même pour la zone 5 de cette même prescription, séparée de la fouille de la place de l’étape par quelques mètres seulement (en réalité, l’emprise d’un passage pour piétons), alors qu’elle est éloignée de plusieurs dizaines de mètres de la zone 4.

27À l’issue des interventions, les résultats sont donc présentés de manière dissociée au fil de six rapports distincts, deux rapports de diagnostics et quatre rapports de fouilles. Une exploitation postérieure, qu’elle soit à visée scientifique ou de vulgarisation et de valorisation, doit s’imaginer d’une manière différente. On l’a vu, le découpage des opérations, et donc des rapports, est dans le cas présent dépendant d’une logique opérationnelle (les emprises des séquences de travaux) ou réglementaire (emprise de diagnostic ou de fouille), et ainsi déconnecté de toute cohérence scientifique. Définir judicieusement l’emprise des opérations en plein cœur de ville selon des critères strictement scientifiques paraît en tout état de cause une gageure, tant la réalité de la ville au cours des siècles est mouvante et la plupart du temps impossible à cerner a priori avec un détail satisfaisant.

28L’exploitation et la présentation des résultats doivent alors découler d’une autre logique. Il faut envisager des synthèses thématiques (la fortification gauloise, l’enceinte romaine, l’enceinte médiévale, l’habitat du Haut-Empire, la voirie romaine etc.) ou chronologiques (la ville gauloise, romaine, médiévale). Trois publications sont déjà en cours, relatives à l’enceinte tardo-antique d’Orléans (en collaboration avec le service archéologique municipal de la ville d’Orléans), à la restitution d’une porte de l’enceinte antique, et à la topographie funéraire et religieuse au nord de la ville close médiévale. Comme à l’habitude (c’est particulièrement visible en milieu urbain), ces données thématiques ou chronologiques ne prennent tout leur sens qu’une fois mises en perspectives avec les résultats des opérations antérieures ou d’autres études. Il convient alors d’élargir le champ d’étude, et de ne pas le limiter à l’emprise stricte de l’aménagement qui a donné lieu à cette intervention particulière.

29En ce sens, publier « les résultats des fouilles du tramway » revient à publier un état des connaissances sur la ville et son territoire, mis à jour et remis en perspective à partir des données acquises à l’occasion des opérations (diagnostic et fouilles) engendrées par la mise en œuvre du tramway. Il ne s’agit pas de publier des « monographies de sites » (en réalité des monographies de chantiers), ce que sont déjà les rapports d’opérations, mais de présenter des données traitées, assimilées et insérées dans des champs de recherches bien plus larges, à tout le moins bien mieux définis.