2Sur les 20 km de tracé linéaire total de ce nouveau réseau, les prescriptions du service régional de l’Archéologie de Bourgogne se sont concentrées sur un segment de 1400 m de long, correspondant au tronçon commun contournant la ville ancienne (soit 1000 m), mais aussi à l’amorce de son prolongement vers le nord-est (soit 400 m) – à quoi il faut ajouter la surface de la plus grande place de la ceinture des anciens remparts, la place de la République, au nord, devenue le nœud principal du réseau de tramway (elle couvre plus de 24 000 m²). Le choix de privilégier le premier segment s’expliquait par sa superposition approximative au tracé des murailles réputées fondées au XII^e siècle, maintes fois reprises et associées à toutes sortes d’ouvrages défensifs spécifiques, mais aussi, plus largement, par la possibilité de couper voies de communication, cours d’eau, faubourgs éventuels, voire nécropoles, associés à l’enceinte médiévale ou moderne, ou plus anciens (occupations antiques ?). Le segment nord-est, totalement extérieur à la ville fortifiée moderne, visait plus particulièrement la recherche d’indices liés à la voie antique de Lyon à Langres, un des axes majeurs du réseau viaire de la Gaule romaine. Son tracé est en effet censé longer le centre-ville sur son flanc est, et on y voit traditionnellement l’élément déclencheur de la formation d’une première agglomération à l’origine de Dijon. Les découvertes du XIX^e siècle le long de son parcours supposé suggèrent une voie jalonnée entre autres de nécropoles (Périchon, Provost, 2009).

Les modalités d’intervention

3Le projet avançant vite, la première intervention archéologique (de diagnostic) à l’intérieur des zones prescrites a été tout de suite couplée à celle accompagnant les travaux préalables, déjà fort importants, de dévoiement de la totalité des réseaux, enfouis parfois profondément sous les boulevards longeant les anciennes fortifications. Aux conduites principales s’ajoutaient de nombreux raccords et branchements. Ce chantier créait donc un chevelu de tranchées de toutes tailles et de toutes profondeurs, dont les creusements et rebouchages intervenaient sans cesse, pendant des mois, d’un bout à l’autre de l’emprise. Dans le but de limiter dans le temps la période de gêne pour les usagers, s’agissant d’axes actuels de circulation majeurs pour l’agglomération dijonnaise, ces travaux ont été confiés à un grand nombre d’entreprises opérant simultanément, par lots juxtaposés. Leur suivi aura accaparé pendant trois mois et demi, de la fin de juillet au début de novembre 2009, une équipe très mobile de quatre archéologues de l’Inrap. Ponctuellement, à certains moments cruciaux, cet effectif a pu grimper jusqu’à six archéologues, et même dix. S’y ajoutait la présence d’un topographe de l’Inrap, sollicité plusieurs fois par semaine. Au final, c’est en complément de ces tranchées « subies » qu’auront été effectués les sondages de diagnostic plus « classiques », dans des conditions davantage maîtrisées par les archéologues, à travers toute l’emprise de la place de la République, et sur une autre place à l’extérieur nord-est de la ville ancienne (place Jean Bouhey), en octobre et novembre 2009.

4On notera qu’à l’intérieur de la zone de prescription archéologique, la surface réelle concernée par les travaux de réseaux, intégralement prise en compte par l’équipe de l’Inrap, augmentait de façon significative (par un ajout de 4200 m² environ, qu’il faut compléter par 450 m² de sondages « classiques ») celle de l’emprise au sol des futures lignes du tramway (14 500 m²). Il en allait de même pour les profondeurs d’excavation (3,80 m pour la tranchée de l’égout majeur, ponctuellement associée à deux « puits » techniques atteignant 6 à 7 m, contre 1 m en moyenne sous les voies du tramway).

5Dans un second temps, au vu des résultats de la première tranche (Saint-Jean Vitus, 2010), et une fois lancés les travaux du tramway proprement dits, le service régional de l’Archéologie a prescrit trois fouilles le long du tronçon commun aux deux lignes, sur le tracé des fortifications. Elles concernaient des surfaces de 580, 730, et 150 m². Les trois ont été réalisées conjointement par la même équipe de l’Inrap, par ouvertures de secteurs successifs s’intercalant dans le temps d’un site à l’autre, en continu pendant près de trois mois au total, de la mi-septembre à la première semaine de décembre 2010. La profondeur d’emprise était en principe de 1 m, mais des sondages profonds restaient possibles, ce qui a permis des observations en stratigraphie jusqu’à - 2,20 m. Enfin, alors que se poursuivait la construction des deux lignes, et après un an d’études « post-fouille » (Saint-Jean Vitus, 2011b, c et d), une dernière fouille a été ouverte place de la République, dans le cadre d’une opération de requalification de l’espace urbain directement liée aux bouleversements induits par le tramway. C’est la création d’une fontaine au centre de la place qui a suscité cette intervention finale, concernant 100 m² environ pour une profondeur de 3 m, en janvier 2012 (Saint-Jean Vitus, 2012a).

6Bien sûr, les archéologues auraient souhaité bénéficier d’emprises réellement fouillées plus étendues (et plus profondes), ainsi que d’un regard sur les portions de lignes qui s’éloignent du centre vers les périphéries de la ville actuelle, au nord, au sud et à l’est (vers l’ouest, le tramway ne dépasse pas la gare SNCF, en bordure du centre-ville). Il est vrai que les suivis de réseaux et sondages de diagnostic « classiques » effectués sur l’unique tronçon prescrit en dehors de la ville médiévale et moderne, au nord-est, se sont révélés décevants. Mais le tramway traverse dans ce secteur un quartier fortement remanié aux XIX^e et XX^e siècles, où les chaussées actuelles recouvrent des terrains brassés sur une épaisseur importante. Par ailleurs, tous les vestiges identifiés lors de la première phase n’allaient pas forcément être détruits par la construction des voies : les suivis de tranchées de 2009 sont donc restés pour l’essentiel sans complément d’investigation.

7Aussi, une part importante des données archéologiques a été fournie par la première phase d’intervention, en 2009. C’est dans ce cadre notamment qu’ont été effectuées d’importantes découvertes à l’emplacement de l’ancien « château », cette forteresse greffée sur l’enceinte urbaine à la fin du XV^e siècle. Enfouis sous l’actuel boulevard de Brosses et sous plusieurs rues voisines, ses restes ont été entaillés par de nombreuses tranchées en tous sens [ill. 1]. Toutefois, la construction de la voie du tramway est censée avoir préservé au mieux les structures encore en place, enterrées sur plusieurs niveaux superposés…

8Dans ces conditions, la prise en compte soignée des vestiges et leur levé topographique précis constituaient un enjeu majeur de l’accompagnement archéologique des travaux de réseaux. Concrètement, cette phase d’intervention particulièrement délicate, du fait de la co-activité et de la pression exercée sur toutes les entreprises, s’est plutôt bien passée (à quelques ratés près, surtout dans les premières semaines, et pour les deux « puits » profonds du boulevard de La Trémouille). La disponibilité constante sur le terrain de la petite équipe de l’Inrap a facilité les choses, mais aussi le fait que le personnel de chaque entreprise ne travaillait jamais partout en même temps à l’intérieur de sa zone d’intervention. Une fois les archéologues bien intégrés au dispositif général des travaux, il a donc été possible, dans la plupart des cas, de leur laisser à disposition les secteurs méritant une attention archéologique approfondie, pendant une durée convenue à chaque fois, au cours de laquelle le personnel de l’entreprise pouvait s’affairer ailleurs. Les véritables « arrêts de chantier » ont été peu nombreux. Il faut cependant reconnaître que la nature des vestiges incriminés, où dominaient des maçonneries d’identification aisée, souvent imposantes, et susceptibles de poser de sérieux problèmes techniques pour les réseaux, facilitaient, et notre travail, et l’acceptation par tous de son intérêt, lui conférant une forme d’évidence.

La nature des données collectées

9À l’issue de ces multiples interventions, le cumul des données collectées pendant trois ans renouvelle notre vision de l’évolution topographique de Dijon aux périodes médiévale et moderne. Si on prend ainsi l’exemple de la place de la République, la juxtaposition des opérations a permis d’y ouvrir dix fenêtres d’investigation réparties dans l’espace, aux dimensions les plus variées (de 15 à 730 m² chacune, pour des profondeurs variant entre 1,60 et 4 m). Celles-ci totalisent en surface plus de 1000 m² ayant livré des niveaux archéologiques dignes d’intérêt. Qui plus est, les témoins d’occupations anciennes s’y étageaient sur des épaisseurs finement stratifiées de 1,50 à 2 m, illustrant une chronologie centrée sur la séquence XIII^e-XVI^e siècle.

10Plus largement, les données recueillies sur l’ensemble des opérations ont particulièrement mis en valeur la période des XIV^e-XVI^e siècles. Suivis de travaux, sondages et fouilles n’ont en revanche apporté aucune information nouvelle sur l’Antiquité ou le premier Moyen Âge. À l’opposé, la plus petite des trois fouilles de 2010 a concerné un aménagement du XIX^e siècle. Sa problématique se rattachait cependant à celle, majoritaire, des fortifications et de l’extension des limites de la ville, puisqu’il s’agissait de l’inspection des restes de la dernière porte percée dans l’enceinte, à la veille de son démantèlement. Elle reflétait donc l’ultime étape de cette histoire.

11Parallèlement, ces opérations ont aussi fourni l’occasion d’une remise à plat du dossier documentaire associé à l’évolution topographique de Dijon, depuis les premiers témoins d’occupation antiques ou la célèbre description due à Grégoire de Tours au VI^e siècle de notre ère, jusqu’à l’explosion urbaine du XIX^e siècle. La place importante réservée à ces études dans les rapports des différentes interventions traduit ce renouvellement de façon éloquente. Les sources écrites et iconographiques (essentiellement des vues urbaines et plans anciens de l’époque moderne jusqu’au début du XX^e siècle) ont été mises à contribution, tant sur des aspects généraux que par rapport aux problématiques spécifiques abordées par l’archéologie. Ce travail a même été l’occasion d’une relecture critique, par Emmanuel Laborier (Inrap), de sources anciennes maintes fois citées par le passé, telle cette mention d’un grand incendie en 1137, censé être à l’origine de la construction de l’enceinte élargie dont le tracé a perduré jusqu’à l’époque moderne… alors que les originaux des textes utilisés restent sibyllins et sujets à critique quant à la réalité et à l’étendue du sinistre, sans qu’y figure la moindre mention d’une réfection d’enceinte. Plus systématiquement, notre collègue a cherché à vérifier et classer les mentions médiévales et modernes des ouvrages remarquables (tours, portes, bastions), qu’il a positionnées sur un plan issu d’une compilation de données assemblées par le topographe [ill. 1].

12Outre la question générale de l’évolution topographique de Dijon, la confrontation des sources et des données archéologiques a mis en valeur trois grandes problématiques spécifiques. La première concernait les fortifications médiévales et leurs remaniements modernes, sous différents aspects – privilégiant la partie nord de leur emprise. La deuxième regardait l’aménagement des abords et la gestion du Suzon, ce cours d’eau aujourd’hui largement dévié, canalisé et enfoui, disparu du paysage urbain actuel, mais qui a traversé la ville du nord au sud, à ciel ouvert jusqu’aux années 1840. Enfin, la troisième intéressait cet important faubourg nord de Dijon à la fin du Moyen Âge, le faubourg Saint-Nicolas, situé sous l’actuelle place de la République.

Les fortifications médiévales et leurs remaniements

13Sur l’histoire de la fortification urbaine de Dijon, ces opérations archéologiques ont complètement renouvelé les connaissances relatives à trois thématiques principales.

L’origine de l’enceinte élargie

14La première concerne l’origine de l’enceinte traçant l’emprise du centre-ville actuel (englobant à peu près 95 ha). Celle-ci regroupe, à un moment donné, le noyau fortifié du castrum d’origine tardo-antique (couvrant 10 ha), l’abbaye Saint-Bénigne et son bourg, initialement extra muros (d’extension difficile à estimer) et d’assez vastes terrains alentour. Une fois revisitée la documentation écrite, les quatre premières mentions textuelles à peu près fiables de portes ou de murs associés s’inscrivent entre 1171 éventuellement, 1190 en tout cas, et 1201 : toutes concernent le tronçon nord abordé par les travaux [ill. 1]. Or sur les 80 m additionnant les segments de courtine reconnus en 2009 et 2010, seul un pan d’1,60 m de long est susceptible de remonter à ces périodes, d’après le faciès assez typique de ses parements de petit appareil. Il est situé boulevard de La Trémouille, juste à l’ouest du cours médiéval du Suzon. À cet endroit précis s’amorce une reprise de la construction sur toute sa hauteur, en direction du nord-est ; vers le sud-ouest, d’autres faciès s’observent à 40 m de distance et au-delà. À ce jour, rien de comparable n’a encore été observé sur tout le restant du tracé. On en vient donc à se demander si l’enceinte a été réellement construite en maçonnerie dans sa totalité dès la fin du XII^e siècle, ou si on n’a pas édifié, dans un premier temps, quelques portes et tronçons de courtine uniquement.

Une phase de construction majeure au XIV^e siècle

15La deuxième thématique renforce cette interrogation en s’intéressant à la phase majeure de construction de cette fortification. Caractérisée par un faciès de maçonnerie très différent (parements de moyen appareil de pierre de taille à face brochée), elle se reconnaît en effet sur la plus grande partie des vestiges observés [ill. 2]. De chaque côté du témoin de l’état précédent, les segments identifiés, précédés d’un large fossé extérieur, s’alignent sur un parcours d’au moins 300 m vers le nord-est jusqu’à la place de la République ; vers le sud-ouest, un échantillon est attesté à 80 m de là, mais 400 m plus loin, cette mise en œuvre est aussi celle du premier état de la « porte Guillaume », partiellement dégagé lors de la fouille de la place Darcy en 1992 (Jannet-Vallat, 1992). À ce vaste chantier s’intègre un ouvrage particulièrement original fouillé en 2010, boulevard de La Trémouille : la « porte d’eau » qui franchissait le Suzon à son entrée en ville, mentionnée comme « tour aux Ânes » dans quelques textes de la fin du Moyen Âge. Cette tour rectangulaire de 12 m sur 8 m en plan enjambait la rivière par deux couples d’arches en cintre brisé reconnues à la fouille, munies vers l’extérieur de grilles à gros barreaux de fer [ill. 3]. Cette campagne remodèle donc considérablement le paysage des fortifications dijonnaises. La datation de l’ensemble dans la première moitié voire le milieu du XIV^e siècle, suggérée par la mise en œuvre des maçonneries, est confirmée par le mobilier recueilli dans la fouille. On verra que ce chantier s’accompagne d’une importante opération d’urbanisme le long du Suzon.

Les transformations et modernisations de l’enceinte (XV^e et XVI^e siècles)

16La troisième thématique regarde alors les modifications effectuées après cette phase majeure : entre à la fin du XV^e et la fin du XVI^e siècle essentiellement. La documentation écrite suggérait a priori trois grandes interventions : entre 1478 et 1510 avec l’implantation puis l’extension du « château » des rois Louis XI et Louis XII ; de 1515 à 1525 avec la reconstruction de plusieurs ouvrages, et notamment de la « tour aux Ânes », par le gouverneur de Bourgogne, Louis de La Trémoille ; et entre 1547 et 1570 environ, avec l’ajout de bastions extérieurs, dont un au nord de l’enceinte. Ces trois étapes ont effectivement été illustrées par des découvertes conséquentes lors des travaux du tramway, sans qu’émerge une autre phase d’importance comparable. Au reste, les deux fouilles effectuées précédemment sur l’enceinte de Dijon, place Darcy à l’ouest (barbacane de la « porte Guillaume » : Jannet-Vallat, 1992) et rue de la Manutention au sud-ouest (« tour de Suzon » : Simonin, Virlogeux, 1997) avaient repris pour leur phasage tout ou partie de ce même découpage.

17Greffé sur la courtine nord-ouest de l’enceinte, à 150 m de la « porte Guillaume » et à 350 m du cours médiéval du Suzon, le « château », fondé après le rattachement de la Bourgogne à la couronne de France pour héberger la garnison royale, s’avançait largement sur le fossé extérieur. D’après les plans anciens, il dessinait un grand carré flanqué d’une tour ronde à chaque angle, précédé d’un accès fortifié vers l’intérieur de la ville, et complété vers l’extérieur, en 1510, par un « boulevard » en fer à cheval [ill. 1 supra], le tout cerné de grands fossés. Des photographies existent de cet édifice démoli en 1897. Les travaux de 2009 ont dévoilé une reprise associée de la courtine sur son flanc oriental, caractérisée par un appareil à bossages qui évoque certaines photographies du château, et qu’on retrouve aux parements extérieurs de ses tours nouvellement découvertes. Car c’est surtout le détail de la partie nord de l’ouvrage qui a pu être documenté lors des travaux de réseaux, boulevard de Brosses et alentour : en résulte un plan en pointillés de ce côté du monument, comprenant galeries de circulation et chambres de tir trouvées pratiquement intactes, enfouies sur toute leur hauteur, au niveau de la partie supérieure des anciens fossés [ill. 4 et 5]. Par ailleurs, le levé topographique des affleurements du terrain naturel au fond des tranchées montre qu’on se trouvait au point le plus haut de l’enceinte : entouré de fossés secs en l’absence de possibilité d’alimentation en eau, le château renforçait probablement un point faible de la défense.

18À 350 m de là vers l’est, la reconstruction de la « tour aux Ânes » par Louis de La Trémoille, en 1522, a légué le nom du gouverneur à l’ouvrage rénové (puis à l’actuel boulevard « de La Trémouille », qui recouvre ses vestiges arasés !). Il s’agit d’une conséquence directe du siège de Dijon en 1513 par les armées suisses alliées à l’empereur Maximilien d’Autriche, dans le contexte des « guerres d’Italie » (Vissière et al., 2013). Conscient des faiblesses de la fortification existante face aux progrès de l’artillerie, La Trémoille, une fois le danger écarté, décide de la moderniser. Après avoir fait ajouter dès 1515 un « fer à cheval » à l’extérieur de la porte Saint-Pierre au sud de la ville, il fait appliquer le même plan semi-circulaire à la « tour aux Ânes », lui conférant la silhouette identifiable sur les vues et plans des XVI^e-XIX^e siècles, dotée d’une terrasse sommitale destinée à recevoir des canons. La fouille de 2010 a montré qu’on s’était alors contenté d’un chemisage extérieur de l’ancienne tour, ménageant en partie inférieure deux conduits voûtés canalisant le cours d’eau en deux bras parallèles, qui intégraient les arches du XIV^e siècle [ill. 6]. Au même moment, comme l’a montré la fouille de 1997 rue de la Manutention, la « porte d’eau » aval, au sud de la ville, se trouve transformée selon les mêmes principes (Simonin, Virlogeux, 1997).

19Enfin, l’adjonction de trois bastions en avancée sur l’extérieur des fortifications, au sud-ouest, au nord et à l’est, à partir de 1547, s’inscrit dans la suite logique de cette modernisation. Il s’agit de vastes terre-pleins cernés de murs, au plan apparenté au dessin d’un as de pique, suivant les conceptions de l’ingénieur italien Girolamo Bellarmato. Au nord, le « bastion Saint-Nicolas », construit à partir de 1552, s’avance sous l’actuelle place de la République [ill. 1 supra]. De 2009 à 2012, la combinaison des sondages et des fouilles a permis de recaler sa position en plan, de retrouver les niveaux d’arases de sa terrasse, juste sous les sols de la place actuelle, de reconnaître l’épaisseur des remblais apportés pour la constituer (plus de 2 m), ainsi que le procédé de maintien de ces terres à l’intérieur des parois. Mais la fouille de 2010 a surtout reconnu le système d’avant-porte associé à ce bastion, à l’extérieur de l’ouvrage médiéval de la « porte Saint-Nicolas » [ill. 7]. Entre le mur de courtine de l’enceinte médiévale et le flanc intérieur du bastion, un dispositif « en chicane » oblige alors à contourner le bastion, de l’ancienne porte au nouveau pont franchissant le fossé déporté sur l’extérieur, par une chaussée surélevée traversant avant le pont une cour fermée flanquée de bâtiments (corps de garde, logement de portier, guichet de paiement de taxe… ?).

Un dernier percement de porte au XIX^e siècle

20S’ajoutent donc à cela les données issues de la fouille de la barrière d’octroi de la rue des Godrans, en 2010. Celle-ci a procuré un aperçu de la dernière porte percée dans l’enceinte de Dijon, de 1837 à 1839. Elle était encadrée par deux pavillons symétriques, destinés à la perception de l’octroi : construits sur le remblai des fossés un peu en avant du rempart désormais transformé en promenade, ils comprenaient chacun une cave voûtée. Entre les pavillons s’étendait un système de grilles à deux portes, l’une cochère et l’autre piétonne – dont la fouille a retrouvé les traces d’ancrages dans des plots maçonnés. Sur les côtés, des murs en arc de cercle fermaient l’ensemble, reliant les angles des pavillons au tracé de l’ancienne enceinte. Mais cet ouvrage s’accompagnait aussi de la création d’une place extérieure en demi-cercle (actuelle place Saint-Bernard), sur laquelle se greffait le premier lotissement hors les murs de la ville [ill. 8]. En fait, cette création marquait le début d’un mouvement très rapide d’expansion urbaine : cette dynamique justifia le report des limites de l’octroi et le démantèlement de l’enceinte… moins de deux décennies plus tard.

Les aménagements et la gestion d’une rivière oubliée

21La fouille de 2010, boulevard de La Trémouille, a encore fourni des éléments complètement nouveaux sur les travaux d’aménagement du Suzon à son entrée dans la ville, datés du XIV^e siècle, et sur le paysage urbain en résultant. Ce chantier s’inscrit dans la même campagne que la construction initiale de la « tour aux Ânes ». Mais ces aménagements participent aussi de la gestion des eaux de la rivière. Sur ce point, les sources documentaires apportent quelques informations complémentaires.

22Dans son état du XIV^e siècle, la « tour aux Ânes » est précédée sur l’extérieur (au nord), par deux murs épais, toujours dotés des mêmes parements de grands blocs de pierre de taille brochée, qui sont mariés à ceux de la tour. Orientés de façon légèrement convergente vers les deux angles du bâtiment, ils semblent avoir canalisé l’eau, à la manière d’un entonnoir, vers les deux arches dotées de grilles sous lesquelles elle devait s’engouffrer. Une fois passée la tour, le Suzon s’écoule à l’intérieur de la ville dans un lit d’un peu plus de 8 m de large, entre deux murs de soutènement de quais à beaux appareils de pierre de taille, toujours indissociables des constructions de la tour. Sur chaque rive, est et ouest, a été fouillée une stratigraphie de voiries et de dépôts d’utilisation des quais, se succédant du XIV^e au XVII^e siècle. Les mobiliers associés, très fragmentés comme c’est le cas dans une zone de passage, traduisent la fréquentation d’une population urbaine plutôt aisée. La présence d’éléments de ferrage – et particulièrement d’un éperon à molette, probablement de la seconde moitié du XIV^e siècle [ill. 9] – attire l’attention sur la circulation de chevaux et de cavaliers. L’importance du passage à cet endroit est renforcée par la présence d’un pont à deux arches – toujours construit dans la même campagne – à quelques mètres en retrait du pied de la tour. Large de 4,80 m, à peine doté de parapets, il avait conservé une stratigraphie de voiries en place, avec ornières [ill. 10].

23Au-delà du pont, les quais se poursuivent en direction du sud. À quelques mètres de la fouille, en rive orientale, ils longent notamment le bâtiment le plus ancien du secteur conservé en élévation : le cellier de l’ancien domaine de l’abbaye de Clairvaux, que son architecture situe aux environs de 1200. Ainsi, la suite régulière de grandes arcades qui rythment la façade longitudinale de cet édifice, donnant aujourd’hui sur la petite « ruelle de Suzon », dominait en réalité le quai de la rivière [ill. 1 et 3 supra]. À 700 m de là, les travaux suivis par l’Inrap en février-mars 2016 dans la rue Piron, sur l’axe reliant l’ancien castrum à l’abbaye Saint-Bénigne, ont fait apparaître les traces d’un autre pont de même aspect (un peu plus grand), suggérant une possible contemporanéité, toujours en relation avec des maçonneries de soutènement de quais du Suzon. Il semblerait donc qu’on ait affaire à une véritable opération d’urbanisme dans la première moitié du XIV^e siècle, affectant peut-être le Suzon sur toute sa traversée de la ville. On est décidément loin de la simple réfection d’une portion d’enceinte…

24Mais cette forme d’endiguement de la rivière reflète aussi le souci d’en contrôler le cours. D’éloquents dépôts sableux et argileux fouillés au-dessus du « pont aux Ânes » le rappellent : ce petit cours d’eau à régime torrentiel est capable de crues violentes – dont se fait écho la documentation écrite. Par ailleurs, à 150 m de là, après le cellier de Clairvaux, le Suzon entraîne, au XV^e siècle au moins, les moulins de la ville. Or c’est encore lui qui, en amont de la « tour aux Ânes », alimente en eau la partie orientale des fossés de l’enceinte. Ces fossés servent donc de trop-plein au cours de la rivière, qui doit être régulée dans sa traversée de la ville, à la fois pour limiter les effets des crues et pour activer correctement les moulins. Ces nécessités expliquent sans doute la présence des deux murs retenant l’eau devant les arches de la « tour aux Ânes » : ils auront délimité le bassin aval du système de barrage avec déchargeoir précédant la tour pour permettre le partage des eaux [ill. 11].

25Ainsi, la mise en place d’un front de fortifications précédées d’un fossé va de pair avec d’importants travaux hydrauliques, visant à gérer au mieux les différentes utilisations de la rivière.

26Au total, c’est donc un chantier urbain considérable qui a été révélé par cette fouille du tramway, concernant à la fois les fortifications, la gestion d’un cours d’eau traversant la ville, et l’urbanisation de ses abords, dans la première moitié du XIV^e siècle apparemment.

Un quartier médiéval hors les murs

28Mais sous la place de la République, les opérations associées au tramway ont surtout montré que les 2 m de remblais du terre-plein du bastion de 1552 recouvraient directement les arases de murs et les empierrements de voirie d’un ensemble scellé par une couche d’incendie : le mobilier de ce niveau s’est avéré datable du tout début du XVI^e siècle ! Avant cette destruction, la combinaison des différentes fenêtres de fouille suggère de restituer à cet endroit, depuis le début du XIV^e siècle, un réseau assez dense de petites rues orthogonales entre lesquelles s’insèrent des constructions maçonnées de taille modeste, présentant dans un cas l’amorce d’une cave, dans un autre un foyer domestique [ill. 12]. Le mobilier recueilli, notamment les accessoires métalliques d’habillement et de parure, témoigne de la fréquentation d’une population urbaine relativement aisée.

29D’après ces données, ce quartier semble avoir occupé l’espace de 150 m de large qui sépare deux axes routiers majeurs d’orientation sud-nord attestés en sondages, et dont les premiers empierrements remontent au XIV^e siècle. Ceux-ci prolongent deux rues principales de Dijon orientées sur deux portes de l’enceinte connues par des textes : la « porte Saint-Nicolas », mentionnée pour la première fois en 1273 (sous un autre nom) et la « porte au Fermerot », citée dès 1190 sous le nom de « porte Boichefol », mais murée au XVI^e siècle pour la construction du bastion [ill. 1 supra]. En limite sud du faubourg, d’après la fouille de 2010, une voie transversale longe le bord extérieur du fossé de ville devant les murs d’enceinte au XIV^e siècle. Ses niveaux sont réhaussés vers la fin du siècle, quand des constructions du faubourg se fixent sur son flanc sud, en léger contrebas. Vers le milieu du XV^e siècle, la destruction de ces bâtiments est suivie d’une nouvelle surélévation de cette chaussée, laquelle dessine comme une rampe latérale d’accès extérieur (ou « berle ») joignant la porte Saint-Nicolas : elle préfigure ainsi le chemin haut reliant, à la fin du XVI^e siècle, la porte médiévale à la nouvelle avant-porte associée au bastion [ill. 13].

B. Saint-Jean Vitus, Inrap

30Deux impressions majeures ressortent de ces investigations. La première est que la physionomie du faubourg de la fin du Moyen Âge apparaît plutôt urbaine, quand l’intérieur de l’enceinte, au XIV^e siècle en tout cas, connaît encore d’importants vides d’occupation. Depuis 2012, plusieurs opérations archéologiques, de diagnostics essentiellement, à l’intérieur de l’enceinte de la fin du Moyen Âge mais en périphérie du castrum, confirment plutôt ce sentiment, au moins jusqu’au début du XIV^e siècle, parfois jusqu’au XVI^e siècle. La seconde impression est que le début du XIV^e siècle, période majeure de construction de l’enceinte, en partie nord de la ville au moins, s’accompagne encore une fois, dans la continuité chronologique de son achèvement, d’un développement urbain conséquent : en l’occurrence, celui-ci se fait à l’extérieur des murs.

31Malgré leur ampleur limitée, les opérations archéologiques suscitées par les travaux du tramway de Dijon, assez bien réparties à travers la zone nord et nord-ouest des fortifications de la fin du Moyen Âge, ont livré une moisson non négligeable d’informations nouvelles sur l’évolution topographique de la ville : particulièrement sur la question de l’enceinte, mais pas uniquement. L’essentiel des données recueillies concerne la séquence chronologique des XIV^e-XVI^e siècles. Dans ce panorama, la première moitié du XIV^e siècle acquiert un relief particulier, comme période de transformation décisive et d’impulsion de l’essor urbain - ce qui n’était pas donné d’avance. Au-delà des résultats proprement archéologiques, cette opération aura occasionné une relance des études de topographie urbaine, comprenant une relecture significative (quoique partielle !) des sources documentaires, textuelles et iconographiques, ainsi que l’amorce d’une mise en relation avec les données des trop rares fouilles ayant concerné le centre-ville auparavant (Jannet-Vallat, 1992 ; Simonin, Virlogeux, 1997 ; Saint-Jean Vitus, 1999). À sa suite, et peut-être sous l’influence de la dynamique ainsi créée, plusieurs diagnostics ont été pratiqués depuis 2012, et même des fouilles (actuellement en cours ou prévues à brève échéance), à l’intérieur comme en périphérie immédiate de la ville ancienne. Certains de leurs résultats alimentent déjà les mêmes problématiques.

32Cette dynamique s’est aussi traduite par quelques brèves publications : en conséquence directe des opérations du tramway, à travers deux petits articles d’information générale (Saint-Jean Vitus, 2011a et 2012b), mais aussi, par le hasard du jeu des commémorations, à l’occasion de la célébration des cinq cents ans du siège de 1513 (Laborier, Saint-Jean Vitus, 2013 ; Saint-Jean Vitus, Laborier, 2015). Plus largement, la relance de la réflexion sur l’évolution topographique de la ville nourrit aussi d’autres contributions (Saint-Jean Vitus, à paraître).