1L’opération archéologique consistait à diagnostiquer, avant son aménagement, un fond de vallon sec incisé dans la craie blanche à silex sénonienne (Destombes, 1974) à proximité de sa confluence avec l’estuaire de la Canche (figure 1). La parcelle est bordée d’un site du Néolithique de référence à l’échelle régionale au lieu-dit « Les Sablins », étudié en fouille programmée (Hurtrelle & Piningre, 1976, 1978 ; Piningre et al., 1991 ; Philippe et al., 2011) (figure 1, no 1). Le modèle numérique de terrain obtenu par LiDAR le long du littoral métropolitain (programme litto3D®, IGN et SHOM) révèle en vis-à-vis du site des Sablins, sur l’interfluve opposé, une enceinte probable inconnue par ailleurs (figure 1, no 3 et figure 2). L’estuaire et ses abords, particulièrement riches archéologiquement (Mariette, 1971 ; Desfossés & Bernard, 2000 ; Lebecq et al., 2010), ont fait également l’objet d’études géologiques qui permettent d’en retracer l’évolution au cours de l’Holocène (Meurisse-Fort, 2008, 2016 ; Meurisse et al., 2005, Meurisse-Fort et al., 2009). Cependant, la nature, l’âge et le potentiel archéologique du comblement de ce petit vallon sec restaient inconnus.
Figure 1 : Localisation et environnement de la zone sondée / Figure 1: Location and environment of the surveyed area
A) Confluence entre le vallon sec et l’estuaire de la Canche, coordonnées Lambert 93, MNT d’après levé par LiDAR de la partie aérienne du programme litto3D® (IGN-SHOM) et les données RGE ALTI® à la résolution de 5 m (IGN) avec : 1) site néolithique des Sablins ; 2) zone sondée ; 3) probable enceinte, visible sur le MNT, V) vannerie. B) Localisation de la carte A dans l’environnement estuarien de la Canche. C) Localisation de la carte B dans le nord de la France.
A) Confluence between the dry valley and the Canche estuary, Lambert 93 survey, DEM according to LiDAR survey of the aerial part of litto3D® program (IGN-SHOM) and RGE ALTI® data (IGN), 5 m resolution, with: 1) neolithic site of the Sablins; 2) area surveyed; 3) likely enclosure, visible on the DEM, V) basketry. B) Location of map A in the estuarine environment of the Canche river. C) Location of map B in northern France.
Figure 2 : MNT en lumière rasante, localisation des transects schématiques / Figure 2: DEM in grazing light and location of the schematic cross-sections
1) Site néolithique des Sablins. 2) Zone sondée. 3) Probable enceinte ; V) Vannerie, A et B) Transects schématiques de la fig. 3.
Coordonnées Lambert 93, sources MNT : voir fig. 1 / Lambert 93 survey, DEM sources: see fig. 1
1) Neolithic site of the Sablins. 2) Surveyed area. 3) Likely enclosure; V) Basketry, A and B) Schematic cross-section, see fig. 3.
Figure 3 : Transects schématiques / Figure 3: Schematic cross-sections
La couche de remblais sableux récents tapissant le fond du vallon et l’arasement d’une partie du versant ne sont pas figurés. Échelles horizontales non respectées. 1) Craie. 2) Argile à silex. 3) Sable marin finement et régulièrement lité (haut niveau marin pléistocène ?). 4) Formation à silex. 5) Tourbe. 6) Sable marin inférieur. 7) Sable clair sur versant (éolien). 8) Sol humifère avec industrie lithique. 9) Sable marin médian. 10) Sol humifère avec matériel gallo-romain. 11) Sable marin et limon bleu. 12) Sable supérieur (éolien). 13) Sable colluvié. 14) Labour et horizon humifère superficiel.
A deep sandy embankment layer overlaying the valley bottom and the arasement of a part of the slope are not displayed. Horizontal scales are not respected. 1) Chalk. 2) Flint clay. 3) Thin and evenly beds of marine sand (Pleistocene high sea level?). 4) Flint rich deposits. 5) Peat. 6) Lower marine sand. 7) Light sand on slope (windblown). 8) Humic horizon with lithic industry. 9) Median marine sand. 10) Humic horizon with gallo-roman remains. 11) Marine sand and blue silt. 12) Upper sand (windblown). 13) Colluviated sand. 14) Ploughed and top humic horizon.
2L’épaisseur des dépôts rencontrés et la présence d’un imposant remblai récent de sable boulant (jusqu’à près de 2 m) ont impliqué une investigation par sondages en puits à la pelle mécanique. Soixante-cinq sondages ont ainsi permis d’explorer les premiers mètres de la stratigraphie du fond de vallon et de la jonction avec le versant exposé vers l’est, avec collecte de matériel archéologique associé. Les sondages profonds, décrits, photographiés individuellement et précisément repérés en planimétrie et altimétrie (système de nivellement IGN 69), ont donné lieu à une synthèse stratigraphique selon quatre transects détaillés avec mentions des éléments archéologiques rencontrés (Deschodt et al., 2011). Des fragments de bois remontés à la pelle mécanique ont été prélevés et étudiés en laboratoire (infra).
3Les terrains rencontrés dans le vallon sec peuvent être synthétisés selon deux transects schématiques (figures 2 et 3), composés des unités lithologiques suivantes :
41 – Craie. Vers le sud (transect A), la craie forme une paléofalaise.
52 – Argile à silex.
63 – Sable finement et régulièrement lité. Ce sable correspond à un dépôt d’estran. Il est observé dans un unique sondage entre zéro et 1 m d’altitude à la faveur d’un paléo-talweg inscrit dans la craie (indiscernable dans la topographie actuelle car comblé par la formation à silex 4) (figure 4).
74 – Formation à silex. Accumulation de silex gélifractés, sans matrice ou avec une matrice argilo-sableuse, ou sable vert ou brun fortement chargé en silex gélifractés.
85 – Tourbe. Une tourbe a été rencontrée dans un seul sondage au sud-ouest de l’emprise (figure 4).
96 – Sable marin inférieur. Sable régulièrement lité qui supporte au nord-ouest le sol 8.
107 – Sable clair sur versant. Un sable clair, homogène tapisse le versant. L’horizon 8 se développe en partie à son sommet. La limite stratigraphique entre les unités 7 et 6 n’a pas été perçue. Il est probable que l’unité 7 résulte d’un dépôt éolien contemporain de l’invasion marine et du dépôt de l’unité 6.
118 – Sol humifère avec matériel lithique. L’unité 7 sur versant et l’unité 6 en fond de vallon supportent un sol humifère sombre conservé dans la partie nord-ouest de la parcelle sondée (figure 4). L’horizon est riche en industrie lithique sur éclats (cf. partie 3.3.). Dans le fond de vallon, à près de 2 m IGN 69, l’horizon contient en sus de la faune osseuse. Un sondage a observé l’arrêt brutal de l’horizon de sol (limite érosive, bord probable de chenal) en s’éloignant du versant. L’horizon passe latéralement et est recouvert par l’unité 9.
129 – Sable marin médian. Sable régulièrement lité, avec coquillages. Sous la cote 2 m et en l’absence de l’horizon de sol 8, nous ne pouvons distinguer les unités 6 et 9. L’épais dépôt sableux marin est vraisemblablement diachrone et traversé de chenaux de marée qui ne peuvent être distingués en sondages en puits. Les lits comportent fréquemment des débris tourbeux probablement arrachés à l’unité 5 sous-jacente.
1310 – Sol humifère avec matériel gallo-romain. Un horizon de sol se développe entre 3,5 et 4 m d’altitude sur le sable 9. Il contient des coquillages et, assez fréquemment, du matériel céramique gallo-romain (fragments de sigillée) et des matériaux de construction (fragments de terre cuite, tegula probable).
1411 – Sable marin et limon bleu. L’absence de l’horizon de sol 10 permet de cartographier des chenaux de marée (figure 4). Leur comblement est composé d’un sable lité avec coquillages, similaire aux unités 7 et 9. Le chenal le plus à l’ouest érode la formation à silex (unité 4). Nous retrouvons au droit, entre environ 1 et 2 m d’altitude, une nappe de cailloutis avec matériel céramique (gallo-romain) et terre cuite assez abondante. L’unité 11 passe progressivement vers le haut à un sédiment plus fin, limoneux, gleyifié, avec des lits sableux. Le sédiment recouvre entièrement le sol de l’unité 10 et s’élève jusqu’à environ 4,4 m d’altitude IGN 69 et scelle alors l’ensemble du vallon.
1512 – Sable supérieur. Un sable jaune épais de quelques décimètres recouvre le limon bleu qui constitue la partie supérieure de l’unité 11. Le contact est net et brutal. Le sommet de l’unité 11 est dépourvu de trait pédologique. Le sable 12 est plus épais dans la partie ouest du vallon, à proximité du versant, où apparaissent des lits limoneux avec parfois un enrichissement de débris végétaux. Le sable 12 est interstratifié au pied du versant avec l’unité 13 colluviale.
1613 – Sable colluvié. Au pied du versant exposé à l’est, l’unité 12 est interstratifiée avec un sable brun riche en gélifracts de silex, silex taillés et céramique gallo-romaine.
1714 – Labour et horizon humifère superficiel.
18Le dépôt grossier à silex (unité 4) tapisse une partie du versant. L’unité a déjà été rencontrée sur la fouille programmée contiguë des Sablins. Elle est attribuable à une phase froide du Pléistocène. Cette épaisse formation scelle une unité de sable lité (unité 3) semblable à un dépôt d’estran. Il peut s’agir d’un lambeau d’un dépôt de haut niveau marin pléistocène conservé à la faveur de la paléotopographie (un talweg remblayé) dans une zone qui n’a plus été réoccupée par la mer depuis (figure 4).
19La présence de tourbe (unité 5) au sein du vallon témoigne de la formation d’une zone humide en arrière du littoral. La mer pénètre par la suite dans le vallon et érode partiellement la tourbe. Un sable lité se dépose sur plusieurs mètres (unités 6 et 9). Cette unité correspond sans ambiguïté à la remontée du niveau marin holocène jusqu’à un niveau proche de l’actuel et une transgression qui culmine au début du 4e millénaire av. J.-C. Le faciès et l’altitude des dépôts sont conformes aux observations et synthèses locales et régionales (Sommé, 1977 ; Denys & Baeteman, 1995 ; Meurisse et al., 2005 ; Meurisse-Fort, 2008, 2016 ; Meurisse-Fort et al., 2009 ; Baeteman et al., 2011). La présence, au sein du dépôt sableux marin, d’un horizon de sol avec mobilier néolithique (unité 8), vers 2 mètres d’altitude, indique un arrêt temporaire de la sédimentation marine dans le vallon.
20L’épais dépôt sableux marin (unités 6 et 9) est scellé par la formation d’un sol entre 3,5 et 4 mètres d’altitude. Le matériel contenu, assez abondant, permet de lui attribuer un post quem gallo-romain. L’absence du sol permet de cartographier la présence de chenaux de marées (figure 4). Le chenal le plus à l’est, au pied du versant de regard ouest, comporte un aménagement daté de l’antiquité tardive ou du Haut Moyen Âge (cf. infra). Le fonctionnement des chenaux est donc attesté pour cette période. Le chenal le plus à l’ouest charrie des silex provenant du versant auxquels est mêlé du matériel gallo-romain.
21Par la suite, toute la zone est recouverte d’un sédiment fin, régulièrement lité, avec présence d’hydrobies et, dans un sondage, un réseau de fentes de dessication au sein de l’unité. Ces éléments témoignent d’une zone en vasière et d’une faible énergie marine. Les dépôts marins sont présents jusqu’à l’altitude maximale de 4,4 m.
22Un sable homogène (unité 12) recouvre les dépôts marins. Il est interprété comme dépôt éolien. L’absence de tout trait pédologique au sommet de l’unité 11 conforte l’interprétation d’une mise en place éolienne rapide. Il peut être corrélé avec le dépôt sableux éolien qui recouvre un sol post quem gallo-romain dans un talweg en bordure du plateau 700 m plus à l’ouest (Bouchet et al., 2012). Au sein de l’unité 12, le faciès lité, rencontré au pied du versant de regard ouest, pourrait être le fait de rares incursions marines (dépôt de tempêtes) mais aussi d’une activité fluviale sporadique dans le vallon.
23Dans l’unité 8 (horizon de sol), treize sondages ont livré 624 objets lithiques représentant plus de 18 kg de matériaux exploités. Parmi eux, cinq sondages ont fourni 60 % de la totalité du corpus. Les artefacts récoltés sur le versant présentent un état de surface altéré (patine lustrée consécutive à un déplacement en contexte sableux, bords et arêtes ébréchés, parfois points de rouille liés à un séjour prolongé dans l’horizon de labour). En revanche, l’industrie provenant des sondages situés dans le fond du vallon, sous l’unité 9, est « fraîche » : son état de surface montre que les artefacts n’ont pas subi de bouleversements post-dépositionnels importants. En outre, dans cette partie basse, une quarantaine de débris de silex et de grès brûlés (850 g) provenant d’un seul sondage suggèrent la présence d’une structure de combustion, en place ou démantelée.
24Deux principaux faciès de silex crétacés ont été distingués. Le plus abondant se présente sous la forme de nodules à matrice noire à l’origine, plus ou moins homogène, à cortex peu épais et lisse. Ce matériau, d’origine locale, est disponible dans les assises crayeuses du Sénonien sub-affleurantes sur les versants des affluents de la Canche. L’autre faciès, présent en proportion moindre, dérive du précédent : il s’agit de galets de silex issus des formations marines et/ou fluviatiles.
25L’existence marginale de rognons de silex à cortex verdi (altérite) a également été observée dans ce corpus. Ils sont caractéristiques des formations tertiaires du Landénien qui surmontent le plateau de Tubersent à environ 2 km au nord-est de l’emprise.
26Les niveaux de sable de ces mêmes formations recèlent des blocs de grès qui ont été exploités et que l’on trouve ponctuellement sous la forme de nodules chauffés. Quelques éléments en grès quartzitique sont également présents dans deux sondages. D’autres matériaux, d’origine allochtone, ont été identifiés sur le versant : un fragment d’arkose présentant une surface abrasée et un fragment de plaquette de schiste également travaillée (SP8) sont probablement à rattacher aux périodes protohistorique et/ou gallo-romaine.
27Globalement, cette série se caractérise par l’importance des éclats débités à partir de matériaux locaux, qui constituent l’essentiel de l’effectif. Quelques éclats allongés sont associés à ces éclats courts, de dimensions relativement importantes dans l’ensemble. Les nucléus en relation avec cette production témoignent d’un débitage multipolaire ou unipolaire effectué au percuteur de pierre dure suivant une méthode simple. Les débris, relativement abondants, sont liés à la fracturation de blocs gélifs suivant les diaclases. La présence ponctuelle de quelques lamelles (parfois marquées d’une patine blanche) et de produits laminaires plus réguliers a été remarquée dans plusieurs sondages. Quelques tablettes partielles de ravivage de plan de frappe de nucléus et une lame sous-crête indiquent la mise en œuvre de schémas opératoires plus complexes destinés à la production de lames.
28Avec seulement 36 produits utilisés ou retouchés (soit 4 %), la proportion des outils apparaît globalement faible. Les éclats retouchés et les grattoirs sont majoritaires. S’y ajoutent quatre microdenticulés (dont l’un porte le poli marginal brillant caractéristique de la spécialisation fonctionnelle de cet outil en contexte néolithique final) ainsi que 2 tranchets, 1 denticulé, 1 racloir et 3 éclats de retaille de haches polies dont un exemplaire au moins est en silex allochtone.
29Parmi l’outillage, deux éléments se distinguent du lot : un pic se singularise par une double patine indiquant qu’il a sans doute été recyclé d’un contexte plus ancien et réaménagé pour une nouvelle utilisation ; un fragment de pièce bifaciale en silex crétacé pourrait appartenir à un ciseau ou une ébauche de lame de hache. Enfin, l’existence de fragments de percuteurs, de nucléus réutilisés comme percuteurs et d’éclats détachés spontanément illustre l’usage de ce type d’instruments pour des étapes de débitage, de façonnage et/ou de ravivage de l’outillage lithique ou macrolithique.
30Les caractères techno-typologiques de cet assemblage, dominé par une production d’éclats sur silex local particulièrement ubiquiste, semblent se rattacher à plusieurs industries diachrones (appartenant au Mésolithique, au Néolithique moyen et final, à l’Âge du Bronze).
31La présence de blocs de craie, de rognons de silex et de silex taillés dans le sable marin à environ 2 m d’altitude a attiré notre attention lors des sondages. Ils sont tous concentrés sur une petite zone à la limite est de l’emprise. Les vestiges sont exclusivement présents au droit d’un chenal de marée (figure 4).
Figure 4 : Cartographie du toit de la craie et de quelques unités litho-stratigraphiques / Figure 4: Mapping of the chalk roof and some litho-stratigraphic units
Équidistances des courbes : 1 m ; en mètres IGN 69. 1) Craie atteinte par les sondages en puits. 2) Autres sondages en puits. 3) Sondage en puits avec présence de matériel gallo-romain. 4) Sondage en puits avec présence de bois travaillé. 5) Présence de l’unité 3 (haut niveau marin pléistocène ?). 6) Présence de l’unité 5 (tourbe). 7) Arasement anthropique de la craie. 8) Extension de l’unité 8 (horizon humifère avec industrie lithique). 9) Extension de l’unité 10 (horizon humifère avec matériel gallo-romain). 10) Érosion de l’unité 8 par l’activité marine. 11) Limite vers l’ouest de l’unité 10, contact versant-fond de vallon. 12) Axe de chenal de marée.
Equidistance of the curves: 1 m; in IGN 69 survey meters. 1) Chalk reached in test pit. 2) Other test pits. 3) Test pit with Gallo-Roman remains. 4) Test pit with wood handcrafts. 5) Presence of unit 3 (Pleistocene marine high stand?). 6) Presence of unit 5 (peat). 7) Anthropic truncation of the chalk. 8) Unit 8 extension (humic horizon with lithic industry. 9) Unit 10 extension (humic horizon with Gallo-Roman remains). 10) Erosion of unit 8 by marine activity. 11) Westwards limit of the unit 10, slope-the valley contact. 12) Tidal channel axis.
32La même zone a livré des petits bois travaillés. Il est probable qu’ils proviennent du fond d’un chenal de marée contemporain (figure 5).
Figure 5 : Stratigraphie au droit du chenal est (ouvrage tressé) et proposition d’une restitution / Figure 5: Stratigraphy at east channel place (braided handcraft) and proposal for a restitution
1) Stratigraphie observée, avec G=gley, cercle=prélèvement, carré=fragment de céramique, losange=fragment de terre cuite, triangle=silex taillé. 2) Restitution.
1) Observed stratigraphy, with G=gley, circle=sample, square=ceramic fragment, diamond=baked clay fragment, triangle=carved flint. 2) Restitution.
33Du fait de la méthode de fouille en puits creusés à la pelle mécanique, les bois ont été récupérés très fragmentés, et prélevés individuellement ou en bloc (avec le sédiment) dans les remblais.
34Les éléments en vrac ont été lavés, observés et regroupés en classes de diamètre. Quelques recollages ont été effectués, limités par la fragmentation des tiges qui n'ont par ailleurs pas pu être intégralement récupérées.
35Les prélèvements en blocs ont été dégagés en laboratoire, avec photos et schéma de positionnement des tiges (planche 1).
36Toutes les tiges ont fait l’objet d’une prise de diamètre et de photos soit en groupes, soit séparément pour l’allure des tiges (planche 2), ou les biseaux de coupe (planche 3). Le bois a ensuite fait l’objet d’une détermination taxonomique systématique.
37La présence de biseaux de coupe liés à la récolte des tiges et l’organisation qui se dégage des blocs prélevés indiquent sans ambiguïté qu’il s’agit du dépôt anthropique d’un artefact, et non du simple rejet d’un « fagot » de branchages récoltés puis abandonnés.
Planche 1 : Différentes vues du bloc 3 / Plate 1: Different views of block 3
A) Organisation des tiges en carré pouvant correspondre à l’ouverture d’un goulet. B) Détail de la tige de chêne/châtaignier.
A) Organisation of the stems in a square that can correspond to the opening of a fish trap. B) Detail of the oak/chestnut stem.
Planche 2 : Allures des tiges / Plate 2: Stems aspects
A) Tige sinueuse. B) Tiges noueuses. C) Détail des fibres torses autour d’un nœud.
A) Sinuous stems. B) Knotty stems. C) Detail of fibers twisted around a knot.
Planche 3 : Divers biseaux rencontrés sur les tiges de Fabacées / Plate 3: Various bevels encountered on the Fabaceae stems
Les flèches soulignent le biseau et orientent le sens de la coupe. Notez la signature de l'outil sur la photo (C) (fines stries laissées par de micro-ébréchures sur le fil de la lame).
Bevels are underligned by arrows which are orientated according the blow. Note the mark of the tool on the picture (C) (fine streaks left by micro-chips on the wire of the blade).
38La majeure partie des bois prélevés consiste en de petites branchettes fragmentées, tourmenteuses et tortueuses (planche 2) relevant d'un unique taxon, à savoir un bois jaune à grain fin de la famille des Fabacées. L’écorce, lorsqu’elle est conservée, est très fibreuse et se détache facilement. Quelques départs de branches sont observés, dans une disposition alterne spiralée. De très fins éléments semblent être insérés directement sur les tiges.
39Deux autres taxons ont par ailleurs été identifiés, à raison d’un unique fragment de tige chacun : il s’agit du chêne ou du châtaignier et du noisetier.
40Concernant l’identification du chêne ou du châtaignier (Quercus sp. / Castanea sativa), les deux essences présentent un plan ligneux très proche que seuls les larges rayons du chêne, absents chez le châtaignier, permettent de séparer. Peut-être la jeunesse de la tige (2 ans) peut-elle expliquer l’absence des larges rayons nécessaires au diagnostic, mais en l’état nous ne saurions trancher.
41Le noisetier (Corylus avellana) est un arbuste pionnier très répandu sur notre territoire, en terrain plutôt sec, et ses longues tiges droites et souples sont souvent utilisées pour la réalisation d’ouvrages de vannerie.
42Les Fabacées représentent l’essence majoritaire de l’échantillon étudié (96 éléments sur 98). Chez ce bois à pores diffus ou zone semi-poreuse, les vaisseaux du bois final sont mêlés aux cellules de parenchyme en bandes aliformes (en forme d’ailes flexueuses), tangentielles ou radiales, ou formant divers motifs (planche 4).
Planche 4 : Coupes transversale (a) et tangentielle (b) d’un bois de la famille des Fabaceae (probablement un Genista) (vues au microscope) / Plate 4: Transversal (a) and tangential (b) sections of a Fabaceae wood (probably a Genista) (microscopic views)
Les vaisseaux sont groupés en guirlandes ou en bandes tangentielles parfois convergentes et formant un motif de filet (a). Les cellules fusiformes de parenchyme (b) présentent une structure étagée (cellules de même taille alignées à la base et au sommet).
Latewood pores and parenchyma are grouped in garlands or tangential bands occasionallly joined in net-like pattern (a). Fusiform parenchyma cells (b) of latewood are storied (same size of cells, aligned at base and top).
43Les rayons, de caractère peu hétérocellulaire, présentent essentiellement 3 à 6 cellules de large pour une hauteur de 35 à 60 cellules (jusqu’à 1 mm de haut), mais les rayons 1-2 sériés sont également présents, notamment chez les très jeunes tiges. On observe la présence de cellules bordantes (cellules allongées sur les côtés des rayons), ainsi que des cellules dressées aux extrémités. Les cellules de parenchyme (tissus de réserve), fusiformes, sont parfaitement étagées, et plus ou moins étagées avec les rayons courts. Les perforations de vaisseau sont simples, et on observe la présence d’épaississements spiralés dans les vaisseaux.
44Ces caractères sont malheureusement partagés par de nombreux membres de la très grande famille des Fabacées (également appelées Légumineuses ou Papilionacées) à laquelle appartiennent entre autres les cytises, glycines et genêts.
45La nature tortueuse des tiges, la qualité fibreuse et fine de l’écorce, font penser à la glycine (Wisteria sp.). Cependant cette essence est une importation récente et n’a été introduite en France qu’au 19e siècle, et son plan ligneux présente des vaisseaux de diamètre plus important que les nôtres. Nous pouvons aussi éliminer les cytises (Laburnum sp.), qui sont exogènes (plutôt méditerranéens) et / ou à tige carénée, ce qui n’est pas le cas ici (les tiges observées sont plutôt ovoïdes et lisses).
46De fait, seuls un ou deux représentants du genre Genista (les genêts) semblent finalement envisageables de par la morphologie des tiges et la répartition géographique. Le genêt des teinturiers (G. tinctoria) ou le genêt anglais (G. anglica), bien représentés dans le Pas-de-Calais, peuvent mesurer jusqu’à un mètre de haut. Les rameaux sont glabres, et le bois est jaune, comme les branchages ici étudiés. La longueur restreinte des tiges ligneuses ne semble pas être un frein à son utilisation dans certaines vanneries. Les genêts semblent par ailleurs fréquemment mentionnés par les auteurs antiques pour la fabrication de liens ou de vanneries (Cullin-Mingaud, 2010). Cette essence pourrait être celle que nous recherchons.
47La présence de biseaux de coupe liés à la récolte des rameaux indique clairement que l’ensemble n’est pas un dépôt naturel.
48Les brins se sont cassés et ont été déplacés mais dans l’ensemble, la fouille des blocs a permis de mettre en évidence une organisation des tiges qui ne doit rien au hasard et ne laisse aucun doute sur leur nature tressée (planches 1 et 4). Il s’agit d’un ouvrage de type vannerie, aux tiges passées seules ou par faisceau de deux brins. Les tiges semblent pour partie écorcées, mais l’écorce, très fine, se détache vraisemblablement facilement et naturellement. Les petits rameaux sont conservés et vrillés autour de la tige qui les supporte avant sa mise en œuvre.
49Le bloc 3 (planche 1a), présentait un « montant » de 1 cm de diamètre, les autres tiges ne dépassant pas 0,5 cm de diamètre. Plusieurs fragments de tiges de très faible diamètre (< 0,15 cm), détachés des précédentes, étaient également pris dans le sédiment (planche 1b).
50Le bloc 4 (planche 4) montre des éléments de diamètre compris entre 0,3 et 1 cm disposés parallèlement et entrelacés avec d’autres tiges de diamètre 0,4 à 0,8 cm.
51C’est dans ce bloc que se trouvait, dans une position verticale par rapport au reste des éléments, la seule tige de chêne/châtaignier identifiée, en présentation apicale avec fourche terminale coupée. Il pourrait s’agir de l’extrémité d’un montant de vannerie, ou d’un élément de type perche venant maintenir l’ouvrage au fond du chenal et/ou permettant de le localiser facilement. Des fragments de coquillages bivalves marins étaient pris dans le sédiment, ainsi que quelques graviers.
52Un fragment de Fabacée provenant du sondage SP61 a été daté par radiocarbone dans le cadre du programme ARTEMIS du ministère de la culture et du PCR (Programme Collectif de Recherche) « ArchGéol ».
53La date standard est 1250 ± 30 BP (Lyon-A4421, SacA-50801) soit, en âge calibré, un intervalle de plus forte densité de probabilité à 95 % entre 528 et 989 ap. J.-C., la plus forte probabilité se situant vers l’année 750 ap. J.-C. (logiciel chronomodel 2.0.13, courbe de calibration InterCal13).
54Nous sommes en présence d’un ouvrage tressé du Haut Moyen Âge associé à des apports de blocs de craie et de silex. Le tout se situe dans le fond d’un chenal de marée connecté à l’estuaire de la Canche. Cette position particulière et son éventuel goulot (bloc 3) autorisent à l’interpréter comme un instrument de pêche, peut-être une nasse.
55Dépourvues de cours d’eau pérenne, les petites vallées soumises à la transgression flandrienne et à l’activité littorale sont des secteurs particulièrement propices à un enregistrement stratigraphique et à la conservation des activités humaines.
56Le cas d’Étaples « Opalopolis » illustre particulièrement bien ce potentiel avec la conservation d’un possible haut niveau marin pléistocène, deux pédogenèses holocènes distinctes au sein des dépôts marins et un artefact en bois tressé de l’antiquité tardive ou du Haut Moyen Âge dans un chenal de marée.
57L’ouvrage peut être interprété comme un piège à poissons. En effet, dans les zones soumises à la marée, les hommes ont mis en place d’ingénieuses structures composées de claies fixes (ou d’empilement de blocs) formant un « V » à la pointe duquel se trouve le piège proprement dit (nasse ou filet) maintenu par des pieux solidement ancrés dans le sable. Ces barrages à poissons sont bien attestés dès le Néolithique (Salisbury, 1991 ; Billard, 2012 ; Billard & Bernard, 2016). À Saint-Jean-le-Thomas « plage de Pignochet » dans la baie du Mont-Saint-Michel, l’emploi du genêt est bien attesté (avec le noisetier) à la base des haies de barrage (Billard & Bernard, 2016). Les pièges peuvent être présents en estuaire : estuaire des rivières Fergus (Dillon, 2006) et Shannon (O’sullivan, 2001) en Irlande. Ils sont observés aussi en milieu fluvial : Paris Quai Branly et Chelles (Lecomte-Schmitt, 2009a ; Miéjac et al., 2009). Ces ouvrages nécessitent un piège à large goulet d’entrée, ce qui ne semble pas être le cas ici (bloc 3). Peut-être faut-il plutôt envisager une nasse coulée, maintenue au fond par des lests – bien qu’aucun galet ne semble avoir été retrouvé à proximité (galets rainurés maintenus par un cordage ou simple galet déposé à l’intérieur de la nasse) – et possédant un marquage en surface (haut pieu d’attache dépassant de la surface de l’eau par exemple), comme cela est par ailleurs connu au Moyen Âge (Aston, 1988). Les exemples de nasses sont rares, mais bien connus : nasse de Noyen-sur-Seine, nasses de Lattes (Daveau et al., 2009), de Chelles, en bois de noisetier, hêtre et chêne (Lecomte-Schmitt, 2009b), et plus récemment les très beaux exemples complets mis au jour à Brissay-Choigny (nappe de plusieurs nasses à claire-voie de dimensions variées écrasées en place avec leurs pierres de lest ; Flucher, 2015) ou à Pont-sur-Seine (ensemble de nasses encore en volume, en place le long d'une pêcherie fixe fossilisée dans un ancien chenal de la Seine ; Peltier, 2018).
58Les vestiges recueillis à Étaples « Opalopolis » sont fugaces. Ils témoignent toutefois indéniablement d’un aménagement du Haut Moyen Âge, probablement un piège à poissons, dans le vallon affluent soumis aux marées.