La culture comme support de médiation plutôt que de diffusion

4La culture peut-elle être cependant ce vecteur d’éducation diffuse aux enjeux d’une relation politiquement plus pertinente aujourd’hui des rapports entre sciences, techniques et société ? Peut-elle servir d’outil de médiation non seulement des connaissances scientifiques et des savoirs dits profanes, mais surtout de médiation entre différentes conceptions de ce que les uns et les autres font à la société, et réciproquement ? Oui si la culture en question comprend le spectre large de ses acceptions. Une telle assertion commande de préciser le cadre de délimitation de la culture convoquée au chevet de la pacification des relations entre savoirs et société. Elle doit être comprise non seulement comme la culture telle que légitimée par les élites, mais comprendre aussi l’ensemble de ses expressions, considérant en cela la diversité de leurs modes d’existence. Prenons donc au sérieux l’incantation partout assénée de devoir considérer que les sciences et les techniques font partie intégrante de la culture ; mais laquelle ? Trois registres de considération des cultures scientifiques et techniques retiennent ici l’attention. Ils sont qualifiés respectivement de culture élitaire, de culture populaire et de culture ordinaire des sciences et des techniques dans leurs rapports à la société.

5Dans le cadre de ses formations professionnelles à la médiation des sciences, des techniques et de la société par le design culturel, le Cnam explore depuis plusieurs années le sens et la pertinence de ces distinctions et de leurs frontières, entre le formel, le non-formel et l’informel. Sa justification est qu’il n’est pas un domaine de la vie ordinaire qui ne soit en mesure de fournir des matériaux utiles pour questionner l’intrication permanente des sciences, des techniques et de la société. Autrement dit, l’observation attentive du banal permet de servir de point d’appui à la conception, à la création, à la réalisation et à l’animation de dispositifs de médiation entre les sciences et les publics. Nul besoin de voir impérativement grand et beau, le quotidien fera l’affaire. Sorti du cadre institutionnel des musées ou de la lecture d’un ouvrage de vulgarisation, le dehors est plein de sciences et techniques en acte. Il suffit de les faire parler.

Un spectre culturel étendu des sciences et techniques en société (STS)

6L’expérience pédagogique dont il s’agit de rendre compte ici consiste à considérer le banal et l’ordinaire comme les matériaux d’une archéologie culturelle, à identifier leurs manifestations parmi les plus convaincantes afin d’en faire des cadres de pensée et d’action. Elle a pour vertu d’éprouver la distinction de ces différents modes d’existence culturelle des STS. Non pour les opposer, mais au contraire pour en faire des leviers complémentaires d’exercice d’une médiation servant une diplomatie des épistémologies, des valeurs et de leurs rationalités. Loin de conforter la démarcation entre savants et ignorants, la démarche invite plutôt à rallier sous un même étendard culturel la question de la place des sciences et techniques dans la banalité de nos vies.

7Pour ce faire, les élèves sont invités à développer leur acuité envers les manifestations informelles de cette culture ordinaire. Il leur est demandé d’être interpelés par une situation évocatrice d’un questionnement ayant trait aux relations entre sciences, techniques et société. La sélection d’un texte, d’un document ou d’un signe dans l’espace public est le support permettant de déployer une interprétation de l’existant culturel dans la banalité de son expression courante. Cette exégèse donne lieu à un travail d’affinage des lignes de distinction entre ce qui relève de la culture élitaire, populaire et ordinaire.

8La culture élitaire est celle qui se donne à voir dans les institutions dédiées, au travers de dispositifs formels de diffusion des connaissances et des savoirs légitimes. Commandée par la recherche scientifique et le monde académique, s’inscrivant dans le cadre de l’action publique ou de la communication des organisations, elle est normative et prescriptive. Elle dit ce que l’on devrait tous savoir afin d’exercer pleinement son esprit critique selon les canons de la rationalité scientifique et technique. L’éducation scolaire et l’éducation populaire sont, avec la mission des établissements culturels, leurs vecteurs majeurs d’action.

9La culture populaire est celle qui se donne à voir dans les productions artistiques de masse. Guidée par le commerce et l’industrie, exerçant son magistère au travers des loisirs ou du divertissement, elle n’a pas d’intention formelle de faire œuvre de formation scientifique et technique des esprits. Elle dit d’abord l’irréalité des possibles, éprouve les fantasmes éternels de l’humanité, propose des expériences de pensée et traduit en projection l’économie de la promesse technoscientifique. Sans être normative, elle reste néanmoins conventionnelle. Ses canaux d’expression n’ont pas de limite autre que l’imagination créative.

10La culture ordinaire est celle qui se donne à voir dans tous les actes de la vie quotidienne et concerne sans exception la multitude que nous sommes. Nos usages, nos gestes, nos comportements face aux machines, nos choix technologiques… nos habitudes, si elles nous semblent naturelles et anodines, n’en sont pas moins significatives de nos rapports avec les sciences et techniques. Toute production humaine matérialise par son exposition des ordres du discours sur leur place et leur fonction politique dans nos vies. Le champ d’exposition informelle de cette culture ordinaire est infini mais pertinent au regard des objectifs de médiation des sciences, des techniques et de la société. Un travail d’interprétation de ses empreintes est nécessaire afin d’en faire la démonstration.

L’enseignement « Étude socio-culturelle des sciences et techniques en société » au Cnam

11L’un de nos enseignements se prête plus particulièrement à la conduite de cet exercice. Le cours « Étude socio-culturelle des sciences et techniques en société : histoire, représentation, imaginaires » a pour objectif de permettre aux élèves de repérer, décoder et interpréter la diversité des manifestations des STS dans l’espace public, telles qu’elles se donnent à voir au sein de la culture (au sens large), mais sans préjuger des intentions.

12Il s’agit de leur faire explorer les signes banals des STS du quotidien afin de les familiariser à la culture ordinaire des sciences et techniques en société. Cet enseignement est l’occasion de se donner un temps privilégié de réflexivité par rapport à la fabrique permanente de signes, de représentations et d’imaginaires accompagnant la médiation omniprésente des sciences et techniques dans la société.

Préparer les élèves

13Quatre exercices/ateliers préliminaires sont proposés en amont de la sélection de leur dispositif informel de médiation culturelle des sciences ou des techniques.

14Une porte d’entrée dans cette initiation à la culture ordinaire est un exercice qui consiste à mettre en scène la lecture d’un texte de leur choix parmi le recueil Impasciences de Jean-Marc Lévy-Leblond (2000). Ce livre permet tout d’abord aux élèves – aux profils très variés, souvent peu familiers des « grands » textes des STS – une promenade dans la culture technicoscientifique où se croisent Marie Curie, MacGyver, le trou d’ozone ou encore le Big Bang. Jouer ces textes, tous issus des chroniques du même auteur dans le mensuel scientifique Eurêka, c’est aussi solliciter l’imagination et la créativité des auditeurs pour s’approprier autrement les STS. Ils prennent alors conscience que l’on peut dire les STS en dehors du carcan conventionnel de la culture des sciences et techniques.

16Un troisième atelier présente une approche historique des médiations culturelles des sciences et techniques à partir d’un corpus iconographique varié (tableau, gravure, affiche, caricature, billet de banque, etc.). Ces supports de diffusion de la culture scientifique et technique sont présentés sur un temps long, du bien connu tableau de Joseph Wright of Derby (1768) représentant une démonstration de la pompe à air dans un salon bourgeois ou une séance de baquet magnétique par Mesmer dans un cabinet aristocratique du xviii^e siècle, à l’affiche de la campagne présidentielle de Valery Giscard-d’Estaing (1981) avec sa déclinaison d’arrière-fonds industriels (centrales nucléaires, etc.). Encore une fois, l’exercice est mené à rebours, l’étudiant cherchant à interpréter à partir de signes identifiés quelles sciences ou techniques se projettent dans (et font) la culture, et les modes de médiation du support visuel qu’ils ont sous les yeux.

17Une dernière séance, très proche des objectifs de l’exercice final, est dédiée à un atelier d’« archéologie » urbaine des sciences et techniques du quotidien. Elle permet d’exercer l’œil de l’étudiant à détecter les manifestations de l’ordinaire culturel des sciences et techniques, des plus triviales, banales, au plus subtiles ou cachées. Ainsi, on leur demande d’explorer les signes des STS dans la cité en parcourant à pied un périmètre urbain de quelques rues autour du Cnam à Arts et Métiers. Dans le contexte particulier de la Covid-19, les séances, principalement assurées en distanciel, nous ont obligés à nous adapter : l’exploration a été réalisée via Google Streetview.

18Affiches, signalétique, l’attention des étudiants est portée vers les modes de médiation informelle des STS. Peu à peu, apparaît la diversité des signes qui fait la cité, avec ses supports divers : images, textes, symboles, signaux lumineux, sonores, images en dialogue avec un texte, bref une expression aux modes quasi infinis.

19Une fois l’étudiant initié, l’exercice individuel consiste à sélectionner un dispositif informel de médiation culturelle des sciences ou des techniques. L’étudiant doit alors rédiger un texte de 5 000 signes pour présenter et justifier son choix. Dans un deuxième temps, l’équipe pédagogique a mis en place un atelier collaboratif dans lequel la promotion réalise un travail éditorial. La Lucarne fonctionne comme une banque, une base cumulative de tous les dispositifs retenus par les promotions depuis 2008, en parallèle d’un suivi de l’actualité et de l’agenda culturel à la manière d’un blog sur l’information de la médiation culturelle des sciences et techniques (Fig. 1). Il s’agit ainsi d’un site à vocation pédagogique, vu lui-même comme un dispositif de médiation de cette culture ordinaire. L’auditeur réalise en quelque sorte la médiation de la médiation retenue par ses soins. Chaque année, la promotion est invitée à repenser le site, à l’améliorer (en plus de l’alimenter) : revoir l’architecture, les catégories, la pertinence des dispositifs retenus, etc.

Pour quels résultats ?

20Comment les étudiants s’approprient-ils ces concepts ? Quels regards portent-ils sur les STS de leur quotidien ? Que sélectionnent-ils parmi toutes ces manifestions qui saturent notre espace public ?

21Le champ de la culture ordinaire des STS est vaste, comme en témoigne la grande diversité des dispositifs identifiés par les élèves. Les registres, les modes, les formats sont des plus variés. Cent quatre-vingt-six dispositifs ont été versés sur le site de la Lucarne et classés dans les catégories actuellement retenues par la dernière promotion : « au musée », « à l’écran », « à la maison », « à la page », « dans la rue ». Une étude quantitative sur cet échantillon (186 dispositifs, 14 promotions depuis 2008) ne ferait pas tellement sens tant la palette est étendue et les choix assez bien répartis. Des tendances apparaissent cependant. Une première manière « réflexe » de penser le dispositif émerge à travers des lieux ou des moments associés à ses fonctions de médiation : la « Fête de la science », la Cité des sciences et de l’industrie, le Palais de la découverte, le Muséum national d’histoire naturelle, etc. Ces « expériences » sont envisagées de manière indifférenciée avec leurs supports de diffusion (collections, expositions, conférences, etc.). Citons par exemple l’étude du sceau du Muséum national d’histoire naturelle dessiné par le peintre naturaliste Gérard van Spaendonck en 1793, en pleine Révolution française, ou encore l’exposition MécanHumAnima coorganisée par l’artiste Enki Bilal et le Musée des arts et métiers de Paris, entre transhumanisme et dystopie technologique. Une deuxième étude majeure concerne le champ de la science-fiction à travers ses ouvrages et ses productions cinématographiques. Elle vient alimenter les deux catégories « à l’écran » et « à la page ». En plus des « classiques » sur les fantasmes de l’intelligence artificielle – 2001, l’Odyssée de l’espace (1968), War Games (1983) –, des productions plus récentes proposant des fictions dystopiques sur les technologies de l’hyper-connectivité et de la réalité virtuelle – comme les séries Real Humans (2013), Black Mirror (2014) ou encore le film Her (2013) –, imprègnent l’imaginaire STS des étudiants. Une autre ligne apparaît sur la question environnementale et l’anthropocène : citons par exemple Don’t Look up : Déni cosmique (2021), comédie mettant en scène l’arrivée d’une comète tueuse sur Terre et l’inaction des gouvernements, en résonance avec les arènes du débat sur le changement climatique, entre climatosceptiques, fake news et rapports du GIEC ; ou encore Le château dans le ciel (1986), un film d’animation de Hayao Miyazaki, avec une réflexion subtile sur l’opposition entre nature et culture, et en deuxième lecture une réflexion sur une forme d’ostracisme prononcé par la culture contre les techniques.

22Au-delà de ces premiers choix « confort », sans grande prise de risque, les cinq catégories, toutes bien alimentées, témoignent néanmoins de la grande palette des dispositifs retenus. L’onglet « à l’écran » ne contient pas que les « classiques » du genre listés précédemment : le jeu vidéo Minecraft et sa logique algorithmique ou le dessin animé la Pat’Patrouille sur les mécanismes de la formation d’ouragan sont par exemple moins attendus. Mentionnons également une publicité fictive relevée dans le film L’aile ou la cuisse (1976) : le logo de fiction Tricatel, satire de l’industrialisation alimentaire et de la première chaîne de Restoroute de Jacques Borel.

23Des objets attirent également l’attention des élèves : de la figurine solaire d’Einstein au jouet « l’écorché ludique » pour anatomie, en passant par des jeux de société, depuis le plateau « Inventions & découvertes, jeu instructif et amusant » (1889) édité pendant l’exposition universelle de Paris de 1889, au « Terraforming Mars » (2016) dont l’objectif est de rendre la planète Mars habitable pour l’être humain. Les médiations graphiques ont aussi la faveur des étudiants : citons les pochettes des albums The Dark Side of the Moon des Pink Floyd ou de The 2^nd Law de Muse représentant les connexions cérébrales modélisées par Human Connectome Project, jusqu’au titre qui se réfère à la seconde loi de la thermodynamique, ou encore une photographie de la guerre du Vietnam illustrant le déversage de l’agent orange, symbole de la guerre chimique menée par les USA.

24Un regard rétrospectif sur ces médiations est présent, bien que minoritaire. Mentionnons par exemple la caricature « Robespierre guillotinant le bourreau après avoir fait guillotiner tous les Français » (1794) représentant une machine rationalisée, optimisée au carrefour des sciences de la médecine et de la mécanique, ou encore la une du London Daily Post (1888) sur les crimes de Jack l’Éventreur dans le quartier de Whitechapel, propulsant le médecin dans l’imaginaire populaire.

25La catégorie « à la maison » est particulièrement intéressante car elle amène à prendre conscience de son écosystème STS dans son propre espace domestique. Citons parmi les signes relevés les symboles du recyclage, ou encore une publicité de 1962, « Moulinex libère la femme ! », représentant une femme (bien sûr souriante) entourée des machines modernes des arts ménagers avec toute sa gamme d’électroménager (un batteur, un aspirateur, un autocuiseur, un four, une machine à café, un toasteur, un robot, un couteau électrique, etc.), comme un écho à La complainte du progrès de Boris Vian en 1956, évocation drolatique, par la chanson, de la société de consommation.

26Avant d’ouvrir aux pistes de réflexion, nous souhaiterions nous arrêter sur deux productions récentes, de la promotion 2021-2022. L’auditeur Thierry Hotton a retenu une berline-bac à fleurs comme dispositif de médiation STS (Fig. 2). Il s’agit originellement d’un wagonnet de mine chargé de transporter le minerai appelé minette, devenue bac à fleurs sur un rondpoint de Moselle. On peut penser ici à la philosophie simondonienne : quel est le mode d’existence de cet artefact ? D’un côté, il y a perversion de la technicité de l’objet, désormais réduit à la seule fonction décorative, et détournant donc son essence technique. D’un autre côté, cet artefact se fait le protecteur d’un passé industriel révolu, le garant de la mémoire d’un métier et d’un ancien bassin minier. La Moselle minière se matérialise alors dans cet objet d’un autre temps. Le statut de l’objet n’est donc pas immuable. D’abord sans identité, produit de série, la berline standardisée acquière une identité individuelle, localisée, qui remet en cause son usage normal en faveur d’un usage incongru, mais pour mieux devenir historique.

Quelques pistes de réflexion

28Premièrement, au-delà de la tendance des auditeurs à se tourner vers l’appareillage formel et institutionnel des STS, il apparaît une certaine difficulté à saisir la frontière (parfois poreuse) entre informel/institutionnel, à savoir ce sur quoi porte la dénomination : est-ce l’acteur derrière la médiation qui est informel et/ou le support en lui-même ?

29Ensuite, sans que l’équipe enseignante ne les guide, les élèves ont transformé le terme « dispositifs » en « expériences ». Il apparaît ainsi que l’objet seul comme medium ne suffit pas ; il leur faut penser la dynamique d’intermédiation. On peut s’interroger ici sur le terme même de « dispositif » tel qu’il est interprété par les étudiants. Bien qu’utilisée dans un autre contexte, la notion de dispositif chez Foucault a elle-même de fortes connotations techniques, mais certains étudiants se sentent obligés de choisir un dispositif « technique », comme si une sur-connotation était nécessaire. Paradoxalement, peu envisagent des dispositifs « dynamiques », il y a même une certaine difficulté à penser des moments de médiation – passer le tourniquet de métro après avoir validé son pass Navigo, se guider par GPS ou commander un VTC avec son smartphone par exemple, pour rester dans le champ des mobilités. Les auditeurs se tournent plutôt vers des dispositifs classiques (image/affiche/livre), ce qui est plutôt étonnant à l’heure des humanités numériques, de l’ubérisation de la société et de l’omniprésence de l’algorithme.

30On peut noter ensuite, sans avoir le temps de l’interpréter dans le cadre de ce compte rendu, le manque de familiarité pratique avec des objets ou des procédés accessibles dans la vie quotidienne. Les dispositifs retenus montrent peu de réflexivité par rapport aux expériences matérielles, à l’interaction des étudiants avec des dispositifs matériels (tableau de bord de voiture, smartphone, etc.). Les imaginaires technoscientifiques contenus dans les usages (anodins, ordinaires) sont globalement absents. Il y a une tendance des élèves à aller vers un mode de médiation (textuelle ou graphique) de cette culture ordinaire. Ils hésitent à piocher dans le terreau (pourtant fertile) de nos objets fonctionnels du quotidien. Le rôle des objets comme médiateurs est souvent oublié. En caricaturant, le choix (pertinent) du tableau de Monet La gare Saint-Lazare (1877) est particulièrement intéressant, car on a l’impression qu’il faut le regard d’un artiste (peinture, street art, etc.) pour que le dispositif « gare » devienne medium des STS. À grands traits, les étudiants ne pensent pas directement à l’objet, dispositif ou machine du quotidien ; le prisme artistique leur apparaît nécessaire pour que l’artefact devienne dispositif de médiation. Ici, la série répétitive, quasi obsessionnelle de tableaux de Monet sur la gare, son regard quotidien sur sa modernité puis sa mise en image, semblent donner plus d’épaisseur à la gare en même temps qu’ils lui confèrent un statut de dispositif de médiation aux yeux des étudiants.

31Enfin, les auditeurs résistent un peu à aller vers des médiations où la technique est maintenant cachée. Ce défaut de familiarisation ne concerne pas que les choses, ne passe pas que par les mains, il concerne aussi le monde des symboles (le QR code en est un contre-exemple). Quid de la signalétique, comme les panneaux quasi oubliés du code de la route : limitations de la charge à l’essieu, longueur du véhicule, etc. ? Il y a également peu d’exploration du côté des chantiers de construction, pourtant nombreux, du Grand Paris, avec leur batterie de panneaux explicatifs pour faire patienter le public et justifier les nombreuses gênes occasionnées : que se passe-t-il sous terre ? Comment justifier les retards de mise en fonction par une forme d’exploit technique ?

Conclusion

32La sélection des dispositifs de médiation par les étudiants en dit long sur leur vision de la mise en culture de la science et de la technique et ses rapports les plus banals avec la société. La grande diversité des dispositifs identifiés par les élèves, aux registres les plus variés, témoigne du vaste champ de la culture ordinaire des STS. Penser les sciences et techniques en société avec un horizon culturel élargi présente un intérêt majeur pour la formation des futurs médiateurs et médiatrices.

33Il s’agit finalement de faire émerger une culture matérielle et visuelle ordinaire des sciences et techniques afin de leur faire prendre la mesure de la diversité, mais aussi de l’intelligibilité (scientifique, technique) du monde artificiel environnant, au travers d’une pensée rationnelle, en contraste avec des pratiques routinières, magiques ou rituelles, pour parvenir à une lecture compréhensive de notre monde.