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Avant-propos

Aux origines d’un projet de recherche
Géraud Buffa, Audrey Jeanroy et Nicolas Pierrot
p. 5-8

Texte intégral

1L’architecte et l’usine. Confronter ainsi l’homme et l’œuvre, c’est immédiatement poser une multitude de questions sur le rôle de l’architecte dans la création d’une usine, sur la place de l’architecture dans la conception d’une usine, sur le processus même de conception d’une usine et finalement sur ce qu’est l’usine, cette dernière étant, dans sa matérialité, impossible à réduire au process de production. Ce sont ces questions, fondamentales aussi bien pour l’histoire de l’architecture industrielle que pour la recherche dans le domaine du patrimoine industriel, qu’entend aborder ce dossier d’Artefact.

2Sont ici présentés les échanges et communications de la journée d’étude « L’architecture et l’usine : à la croisée des approches » qui s’est tenue à Paris, à la fondation Maison des sciences de l’homme, le 8 décembre 2023, sous l’égide de l’Association d’histoire de l’architecture (AHA), en partenariat avec le ministère de la Culture (mission de l’Inventaire général du patrimoine culturel), et la Région Île-de-France (direction de la culture, service patrimoines et inventaires). L’appel à propositions initial avait envisagé une approche assez ouverte pour susciter des présentations selon des thématiques variées : l’usine et les spécificités de son programme à l’aune de l’intervention de l’architecte ; l’attachement de l’architecte à la conception et à la construction d’architecture, d’espace et de territoire industriels ; son éventuelle spécialisation quelles que soient les modalités de cette spécialisation, du conseil à la conception ; l’empreinte d’un ou de plusieurs architectes dans un territoire industriel donné.

3Au centre de la journée, nous avons souhaité placer le rapport entre l’architecte, dans la pluralité de ses compétences (maître d’œuvre, technicien, dessinateur, artiste, concepteur, théoricien, conseiller) et un programme précis, non moins complexe et hétérogène, l’usine du xviiie au xxie siècle en France. Le terme « usine » lui-même mériterait de longs développements, mais il faut surtout le comprendre comme un terme employé pour désigner une réalité très large, à la fois lieu et cadre d’une organisation du travail et d’une production. Dès le départ, peu nous importait que ces relations s’établissent sous le regard de l’historien des techniques, du géographe, de l’ingénieur, du sociologue, du chercheur de l’Inventaire général ou de l’historien de l’architecture. En effet, toutes ces disciplines se mêlent et apportent leurs compétences propres lorsqu’on appréhende l’espace industriel. Le plus important était de réussir à replacer l’architecte à sa plus juste place, à travers des cas précis, sans le caricaturer, face à des programmes et à des ensembles où il n’est ni toujours utile, légitime, à l’aise, désintéressé ou seul concepteur, ni toujours absent, silencieux ou identifié. Ces interrogations initiales s’articulaient en grande partie autour de la question de la « conception » de l’usine, mais elles entendaient également questionner aussi bien l’histoire de l’architecture produite à travers l’étude des usines que les concepts de patrimoine industriel, d’archéologie industrielle et d’histoire de l’architecture industrielle, autant que les particularités du programme architectural que constitue l’usine.

4Finalement, de ces multiples approches sont ressortis deux grands axes regroupant huit interventions permettant d’organiser le programme aussi bien de la journée d’étude elle-même que celui de cette publication. La première session s’est ainsi concentrée sur le rôle de l’architecte face aux programmes industriels tandis que la seconde entendait mettre le territoire (échelle, identité, paysage) au cœur de ses interrogations. Bien sûr, les différentes présentations abordaient chacune une variété de thèmes qui croisaient en toute liberté ces deux grands axes. Une seule proposition toutefois – invitant à de nouvelles découvertes – propose d’explorer le rôle local d’un architecte impliqué dans la construction de multiples usines au sein d’un bassin mono-industriel – en l’occurrence le rôle de Léon Le Bel (1878-1957) dans la construction des usines de parfumerie à Grasse, étudiées par Gabriel Benalloul.

5Il faut naturellement se réjouir d’avoir bénéficié de présentations fort diverses, explorant d’une part, le rôle des architectes pour un programme industriel considéré sur le temps long de plusieurs siècles (« Trois siècles d’architecture pour l’industrie des tabacs » de Paul Smith), d’autre part les apports des architectes dans un programme industriel à une époque donnée (« L’architecte et l’ingénieur au défi de la Reconstruction : l’exemple du secteur agro-industriel en Normandie occidentale [1945-1955] » de Stéphanie Dupont), ou encore la permanence de la relation architectes-ingénieurs au service de l’innovation et de l’image de marque d’une usine de prestige (« Noisiel : l’architecte, l’ingénieur, l’entrepreneur et l’usine » par Anne Barbara). L’œuvre incontournable de Jean Prouvé est par ailleurs abordée par l’intermédiaire des enjeux de sa restauration (« Quel avenir pour la chaufferie centrale des parfumeurs de Grasse, œuvre d’André Bruyère et de Jean Prouvé ? », par Ève Roy). Deux contrepoints sont venus ouvrir le cadre de ces réflexions en s’attachant à un éclairage plus spécifique : celui des matériaux anciens et de leur disposition à une reconversion durable (« L’architecte et l’ingénieur face aux matériaux anciens dans le cadre de la reconversion du patrimoine industriel » de Marina Gasnier) ou celui du regard porté par le sociologue du travail et de l’art sur l’immixtion de l’art dans l’usine (« Le chevalier Antar : Pierre Pocorull et Robert Lesbounit à la raffinerie de Donges [1958-1961] » de Gwenaële Rot et François Vatin).

6Cette diversité des approches a contribué sans aucun doute à la richesse des échanges et des liens noués, que ce dossier de la revue Artefact entend aujourd’hui restituer. C’est ici l’occasion de souligner la grande richesse du public qui fut nombreux – pour une thématique souvent considérée comme niche – et varié, rassemblant étudiants et professionnels, jeunes et moins jeunes, architectes et chercheurs dans le domaine du patrimoine, témoins, etc.

7Cet aspect est essentiel à plusieurs titres, car l’un des objectifs poursuivis par cette journée d’étude était justement de faire en sorte que des personnes aux profils multiples, qui n’ont pas toujours l’occasion de travailler, de chercher, de réfléchir ensemble ou encore de partager les résultats de leurs expériences, puissent se retrouver autour d’une thématique située à la croisée des chemins de différentes disciplines. De ce point de vue, on ne peut que se réjouir d’avoir vu tout particulièrement les chercheurs spécialisés dans le domaine du patrimoine industriel à l’Inventaire général collaborer étroitement avec des universitaires spécialisés en histoire de l’architecture. C’était l’un des principaux attendus de ce projet.

8Sans aller jusqu’à parler de regrets, il faut néanmoins souligner que les échanges, s’attachant à la figure de l’architecte, se sont finalement assez peu aventurés dans les questionnements propres à l’histoire de l’art et aux différents courants artistiques, ne pouvant faire ressortir que les caractéristiques des usines relevant du classicisme, du style international ou de l’éclectisme. Il ne faut pas s’en étonner puisque tel n’était pas notre sujet, il le sera peut-être demain. Pour autant, ces questions à peine effleurées soulignent encore une fois, comme une marque imprimée en négatif, les difficultés que pose l’analyse de la perméabilité d’une usine aux courants artistiques de son temps et qui n’apparaissent que trop peu dans les ouvrages spécialisés.

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Pour citer cet article

Référence papier

Géraud Buffa, Audrey Jeanroy et Nicolas Pierrot, « Avant-propos »Artefact, 23 | 2025, 5-8.

Référence électronique

Géraud Buffa, Audrey Jeanroy et Nicolas Pierrot, « Avant-propos »Artefact [En ligne], 23 | 2025, mis en ligne le 01 novembre 2025, consulté le 07 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/artefact/18544 ; DOI : https://doi.org/10.4000/152yq

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Auteurs

Géraud Buffa

Géraud Buffa est conservateur des monuments historiques à la DRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Audrey Jeanroy

Audrey Jeanroy est docteure en histoire de l’art contemporain et maîtresse de conférences à l’université de Tours (laboratoire InTRu). Elle est actuellement en résidence CNRS au Centre Pompidou et au Centre d’études supérieures de la Renaissance (Tours).

Articles du même auteur

  • Introduction [Texte intégral]
    Quelle(s) histoire(s) pour l’architecture industrielle ?
    Paru dans Artefact, 23 | 2025

Nicolas Pierrot

Nicolas Pierrot est docteur en histoire et conservateur en chef du patrimoine au service patrimoines et inventaire de la Région Île-de-France, en charge du patrimoine industriel.

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