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Résumés des conférences

Histoire et archéologie des mondes musulmans

Jean-Michel Mouton
p. 56-58

Résumé

Programme de l’année 2017-2018 : I. Biographie de Saladin. — II. Études de documents papyrologiques de Syrie : les lettres. — III. Fouilles de la forteresse d’Abū l-asan (Liban).

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Texte intégral

I. Biographie de Saladin

1Les conférences de la première partie de cette année ont été consacrées au règne du sultan ayyoubide Saladin (1174-1193) et aux fondements religieux et idéologiques de son pouvoir. Une attention particulière a été portée aux relations qu’il entretenait avec les soufis et à la place qu’ils occupèrent dans son entourage. Trois moments où leur rôle semble essentiel ont été étudiés : le renversement du califat fatimide du Caire en 1171, l’accomplissement du pèlerinage par procuration effectué pour le compte de Saladin avant 1180 par le soufi ‘Izz al-Dīn al-Qušayrī et le contrôle de l’espace sacré de la ville de Jérusalem après sa reconquête par le sultan en 1187. Ce groupe occupa également une place très importante dans les relations diplomatiques de cette époque : la fonction et le rôle des šay al-šuyū, c’est-à-dire des chefs des communautés soufies de Bagdad et de Damas, ont été analysés à travers la composition des différentes ambassades circulant dans l’Orient musulman et l’étude de leur réseau depuis l’Iran jusqu’à la Syrie.

2Dans la seconde partie de l’année, les conférences ont été consacrées à la grande mosquée de Damas et à l’étude de la topographie des lieux. Le contrôle de cet espace fut en effet durant toute la période médiévale un enjeu de pouvoir majeur. Les différents princes contrôlant la ville souhaitèrent laisser leur empreinte sur cet édifice et cherchèrent bien souvent à l’utiliser comme instrument de leur légitimation, en y créant de nouveaux foyers de sacralité, comme par exemple celui qui se dessine autour du coran de ‘Uṯmān déposé au début du xiie siècle par le prince bouride Tuġtakīn, près du mirāb central. Les différentes communautés musulmanes, ainsi que les différents groupes ethniques présents dans la ville, essayèrent aussi de s’implanter dans cet espace. Le contrôle du moindre emplacement ou celui du temps dévolu à la prière accordé à telle ou telle communauté donnèrent souvent lieu à des luttes féroces qui pouvaient se terminer par l’exil, voire la condamnation des vaincus. Un certain nombre de ces emplacements ont ainsi été étudiés comme la zāwiya al-Ġarbiyya, occupée un temps par le célèbre théologien al-Ġazālī et ensuite par des savants d’origine khurasanienne, qui prend peu à peu son autonomie en ayant ses propres waqf. Tout aussi importants sont les mašhad chiites situés à l’est de l’édifice, près de Bāb Ǧayrūn. Les différentes sources semblent indiquer qu’ils s’implantent dans la grande mosquée à partir de l’époque fatimide et non pas à l’époque umayyade, comme cela a été défendu. Aussi n’apparaissent-ils pas comme des lieux de culte visant à entrer en rivalité avec le culte de la tête de saint Jean-Baptiste vénérée dans la salle de prière, mais plutôt comme une réaction chiite face au contrôle de l’édifice par les sunnites. Ainsi la grande mosquée fut durant la plus grande partie du Moyen Âge un lieu de lutte d’influence des différentes communautés soucieuses d’accroître leur présence et leur visibilité au sein de l’édifice : un des moyens les plus sûrs pour atteindre cet objectif fut de multiplier les foyers de sacralité à partir de traditions liées aux prophètes, aux imans et aux saints musulmans.

II. Études de documents papyrologiques de Syrie : les lettres

3Les documents étudiés dans la deuxième partie de la conférence proviennent de la collection des « Papiers de Damas » découverte lors de l’incendie de la grande mosquée de Damas en 1893 et transférée à Istanbul en 1911. Ces documents photographiés dans les années 1960 par Dominique et Janine Sourdel ont déjà donné lieu à plusieurs publications, portant notamment sur les actes notariés. Il s’agit maintenant d’étudier les nombreuses lettres préservées dans cette collection. Les lettres étudiées cette année ont été choisies en fonction des thèmes traités durant la première heure de la conférence. Il s’est agi essentiellement de lettres émanant de la communauté soufie de Damas qui nous permettent à la fois d’apprécier l’implantation de celle-ci dans la cité et de comprendre son organisation en réseau, notamment à partir des relations qu’elle entretenait avec les autres communautés établies en Ǧazīra et à Bagdad. Plusieurs documents, également des lettres, ont été sélectionnés en fonction des données qu’ils contenaient sur la vie et l’implantation des différentes communautés au sein de la grande mosquée de Damas : lettres aux desservants du mašhad de Zayn al-‘Ābidīn et de la tombe de Zakariyyā’, aux imams du cercle hanbalite, aux hommes de religion résidant dans les différents minarets de l’édifice.

III. Fouilles de la forteresse d’Abū l-asan (Liban)

4Après la campagne préparatoire de 2017 (5 jours), une deuxième campagne de terrain de 13 jours a eu lieu en 2018 sur le site de la forteresse médiévale d’Abū l-Ḥasan au Liban. Cette forteresse est située au cœur du mont Liban, dans la caza de Jezzine, sur le territoire du village de Sfaray. Elle occupe le sommet d’un éperon rocheux qui se dresse à l’intérieur d’un méandre du nahr al-Awalī, le fleuve qui arrose la ville de Sidon située 15 kilomètres en aval, et domine celui-ci avec plus de 200 mètres d’à-pic rocheux.

5Le site est mentionné pour la première fois dans les sources en 1128. Le patriarche de Jérusalem, Gormond de Picquigny, fait le siège de la forteresse appelée Belhasem dans les sources latines. Elle était alors « détenue par certains pillards » selon Guillaume de Tyr. Cette appellation désigne sans doute des chefs de tribus arabes ou des émirs de la montagne, appartenant souvent à des minorités religieuses comme les druzes ou les nuṣayrīs, qui contrôlaient alors les hauteurs du mont Liban. Cette zone servit dans le premier quart du xiie siècle de marche ou de zone tampon entre les États latins qui venaient de s’implanter dans la zone côtière et la principauté musulmane de Damas contrôlée par la dynastie turque des princes bourides (1104-1154). La forteresse, une fois conquise par les Francs, fut intégrée à la seigneurie de Sidon. Sans doute un temps reprise par les musulmans sous le règne de Nūr al-Dīn, elle fut reconquise par le roi de Jérusalem Baudouin III en 1160 et resta aux mains des Francs jusqu’au lendemain de la bataille de Hattin en 1187. À ce moment-là, Saladin en fit personnellement le siège et en prit le contrôle. Elle fut alors administrée durant plusieurs décennies par des émirs au service des princes ayyoubides de Syrie. Elle dut cependant repasser quelques temps aux mains des croisés vers le milieu du xiie siècle avant d’être définitivement reconquise par les musulmans aux premiers temps de l’époque mamlouke.

6La campagne 2018 a porté sur 5 axes :

  • une prospection pédestre sur le plateau où est installée la forteresse ainsi que sur les rives du méandre du nahr al-Awalī qui l’enserre 100 m en contrebas ;
  • une étude des structures en élévation du front est au sud (relevé pierre à pierre des salles de stockage et de la grande pièce) ;
  • une étude du système d’entrée de la forteresse composé de trois portes successives ;
  • la réalisation d’une orthophotographie du site au moyen d’un drone complétée d’un levé topographique au tachéomètre afin de dresser le plan des structures visibles de la forteresse et le relief en courbes de niveau ;
  • le dégagement sur 6 m2 du sol de la salle 10 située au sud de la plateforme sommitale a permis de reconnaître le potentiel stratigraphique du site. Ce sondage a livré un abondant matériel céramique qui autorise une datation relativement précise (milieu xiie-xiiie s.) et il a également fourni un matériel archéozoologique important lié à des rejets de table qui renseigne sur les pratiques alimentaires dans la forteresse avec notamment une importante consommation de suidés.
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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Michel Mouton, « Histoire et archéologie des mondes musulmans »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 150 | 2019, 56-58.

Référence électronique

Jean-Michel Mouton, « Histoire et archéologie des mondes musulmans »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 150 | 2019, mis en ligne le 07 juin 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ashp/2890 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ashp.2890

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Auteur

Jean-Michel Mouton

Directeur d’études, M., École pratique des hautes études — section des Sciences historiques et philologiques

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