I. Résumé des conférences

1La participation du directeur d’études à un cours européen de numismatique (« Du denier de Charlemagne au gros tournois : création et diffusion d’un modèle monétaire », dans De la dracma a l’Euro. Sistemes i unions monetaries a l’occident d’Europa, Albert Estrada Rius, dir., Barcelone, 2017 (XXI Curs d’historia monetaria hispanica, p. 63-84) a fourni le sujet de séances introductives sur la mise en place d’une unification monétaire à l’époque carolingienne autour du denier d’argent, ce qui a donné l’occasion de discuter de ses limites et de présenter son évolution jusqu’au xii^e siècle. La question du profit monétaire pour définir les spécificités du mode de gestion de la monnaie par les autorités monétaires médiévales, présentée par le DE aux Rendez-Vous de l’histoire à Blois (« Quelques spécificités des monnayages médiévaux. Le seigneuriage et autres innovations au temps de Philippe le Bel », à paraître dans Dialogues d’histoire ancienne) a ensuite retenu l’attention de la conférence, d’autant que la question de « l’histoire économique des mutations monétaires », pour reprendre le titre de l’ouvrage d’Adolphe Landry a constitué une voie centrale d’approche lors de la réflexion sur l’œuvre de cet économiste directeur d’études à l’EPHE (« Autour de l’œuvre d’Adolphe Landry (1874-1956) », Bulletin de la Société française de numismatique, 73-4, avril 2018, p. 143-150).

2Des interventions du directeur d’études dans le séminaire d’histoire économique de Paris I et à l’atelier Monnaie et finances de la MSH Val de Loire l’ont conduit à revenir sur le rôle financier des changeurs français, si peu banquiers, et sur leurs méthodes de calcul et de manipulation des chiffres et des grandeurs monétaires.

3L’actualité a ensuite imposé la réflexion sur le trésor médiéval découvert en fouilles à Cluny (fouilles A. Baud, A. Flammin) dont l’étude numismatique est conduite par Vincent Borrel, visiteur habitué des conférences dans le cadre d’un PCR auquel prend part le DE. Cette découverte qui a fait l’objet d’une couverture médiatique exceptionnelle le 17 novembre 2017 est remarquable par l’association d’un anneau sigillaire, d’un lingot et de monnaies dont un ensemble de deniers et d’oboles de Cluny dont la circulation était jusque-là peu documentée en dehors de quelques chartes clunisiennes et d’un trésor monétaire trouvé en Espagne à Sahagun sur le chemin de Saint-Jacques. C’est cette même voie de circulations monétaires que suggère la composition du nouveau trésor qui compte une vingtaine de marabotins d’or almoravides qui sont évidemment à rapprocher des fastueux versements d’Alfonse VI à Cluny (portés de 1 000 à 2 000 marabotins par an en 1070) et du développement de l’influence clunisienne et française en Léon et Castille, y compris sur le plan monétaire, comme l’attestent les représentations de la chaîne opératoire du monnayage sur les portails des églises de Carrion de las Condes et d’Arenillas datées de l’époque de cette influence clunisienne et si on en croit la récente hypothèse de A. Roma Valdès sur l’origine française de nombreux monnayeurs castillans dont les noms (malheureusement assez peu spécifiques : Raoul…) se rencontrent notamment à Chartres. L’examen des trouvailles françaises de marabotins et autres monnaies d’or renvoie au trésor dispersé au xvii^e s. de Meslay-le-Vidame à proximité de Chartres où le marabotin est représenté en majesté sur le vitrail des rois mages pour symboliser l’or. Le DE a saisi l’occasion d’une journée d’études à Aurillac pour reprendre dans ce contexte l’interprétation du trésor de 40 marabotins trouvé en 1983 à Aurillac.

4La publication, édition et traduction du De asse de Guillaume Budé par Luigi-Alberto Sanchi a permis de définir la démarche de Budé comme une démarche de lecture monétaire des textes antiques, supposant leur intelligibilité et la cohérence des indications monétaires et des indications de valeur qu’elles contiennent. C’est une démarche similaire – qui n’est donc en rien une innovation de la conférence – qui a été appliquée à l’ensemble du texte de Budé (au-delà des exemples proposés dans « Guillaume Budé témoin des monnaies et des finances de son temps », à paraître dans actes du colloque Les noces de Philologie et de Budé, Paris 4-6 mai 2018) pour approcher les réalités du xvi^e s. et qui a été confrontée à divers documents, un petit trésor monétaire daté des environs de 1570 (« Petit trésor de monnaies d’or du xvi^e siècle trouvé en fouilles à Chilleurs-aux-Bois (Loiret) », dans Journées numismatiques, Orléans. Bulletin de la Société française de numismatique, 73-6, juin 2018, p. 263-269), un inventaire après décès de 1566 et un manuscrit du changeur parisien Nicolas Duhamel, quasi contemporain de Budé.

5La conférence a bénéficié de présentations de Ruth Pliego pensionnaire 2017-2018 de l’IEA Paris sur son programme de recherches sur les petites monnaies de bronze du haut Moyen Âge dans la péninsule Ibérique et en Méditerranée et de Jens Christian Moesgaard, fellow Marie Curie du Studium Val de Loire pour l’année 2017-2018 pour son programme de recherche sur les monnaies normandes du x^e siècle. Dans la perspective du colloque consacré à cette période en octobre 2018 diverses trouvailles de La Tène (Neuchâtel, Suisse) et des sites castraux de Montcy-Notre-Dame (Ardennes), Montfélix (Chavot, Marne), L’Isle Aumont (Aube), Écrille (Jura) et autres sites du Jura et du Doubs ont été comparées et discutées en relation avec les trouvailles publiées dans Trésors monétaires XXVII et avec les enquêtes présentées lors du colloque d’octobre 2018. Philippe Charnotet conservateur au musée Carnavalet a présenté les collections monétaires médiévales du musée et une séance d’étude dans les locaux du musée est programmée pour 2018-2019.

6Enfin, une intervention de Thibault Cardon et Lucie Morin a présenté les méthodes de classification hiérarchique et de clés d’identification largement usitées en sciences de la vie dans une démarche collaborative de construction d’une classification universelle. Cette réflexion proposait un utile contrepoint pour guider les réflexions menées pour la construction d’un portail d’accès aux données de la numismatique française.

II. Monnaies médiévales et modernes en ligne (Marc Bompaire [EPHE], Florence Codine [BNF, Nomisma])

7Au cours de séances mensuelles animées par Florence Codine dans le cadre des conférences de Numismatique et économie monétaire de l’occident médiéval et moderne, les auditeurs et un groupe de travail composé de spécialistes et de représentants d’institutions conservant des collections dans ce domaine ont travaillé à la mise en place du cadre théorique et pratique nécessaire à la création d’un portail dédié aux monnaies françaises médiévales et modernes permettant l’interrogation fédérée des grandes collections de monnaies françaises.

Présentation du contexte

8Une séance de présentation du projet dans son contexte a permis de faire un état des lieux des ressources du web de données en numismatique, en particulier médiévale et moderne, et de réfléchir aux pratiques actuelles de catalogage, en particulier l’utilisation de vocabulaires contrôlés et les normalisations existantes, comme le standard NUDS (Numismatic Unified Database Standard) et l’ontologie nomisma.org.

9Des portails et des initiatives similaires existent ou sont en développement pour les monnaies romaines de l’Empire OCRE (Online Coins of Roman Empire) et de la République CRRO (Coins of the Roman Republic Online) comme de monnaies grecques OGC (Online Greek Coins), qui s’appuient sur la suite d’applications Numishare développé par Ethan Gruber en open source et sur une ontologie de domaine pour la numismatique hébergée par l’ANS (American Numismatic Society) et enrichie de façon collaborative sous la supervision du consortium nomisma, qui réunit notamment des représentants des principales institutions de conservation mettant en ligne des images numérisées de leurs monnaies. Ces portails sont constitués d’une base de données de types, correspondant toujours à une référence bibliographique dans un catalogue typologique largement utilisé dans le domaine concerné, chaque type étant décrit précisément et lié directement à tous les identifiants nomisma pertinents (émetteur, lieu d’émission, dénomination, métal…). Les exemplaires de chacun de ces types conservés dans les institutions partenaires sont moissonnés régulièrement à partir de leurs catalogues, avec leurs images numériques, cotes et informations métrologiques. Les portails proposent une interface de recherche et des options de visualisation riches (cartes, frises chronologiques, statistiques). Les liens fait à l’ontologie nomisma permettent, si cela est pertinent, d’interroger plusieurs de ces portails de manière fédérée à partir de l’API de nomisma.

Vocabulaire et cadre théorique

10La mise en place d’un portail pour la monnaie française a nécessité une réflexion approfondie sur le vocabulaire et les notions couramment employées en numismatique médiévale et moderne, dont ont fait l’objet les deux séances suivantes. Plusieurs séances ont été consacrées à clarifier les relations entre des notions souvent non explicitement distinguées dans les ouvrages de référence, telles que l’atelier, le lieu d’émission et la collectivité émettrice, ou encore des termes polyvalents employés pour désigner des réalités diverses, comme celui de « dénomination ». Ces efforts de clarification ont abouti à plusieurs propositions d’enrichissement de l’ontologie nomisma.

11La « dénomination », terme souvent employé indifféremment dans les ouvrages numismatiques pour renvoyer à divers noms attribués à une espèce, qu’il s’agisse de noms usuels ou d’indications de valeur attestés dans les textes contemporains, reconstitués ou forgés ultérieurement, a été redéfinie plus strictement comme la valeur de la monnaie telle qu’elle est exprimée par un nombre d’une unité de compte s’inscrivant dans un système monétaire et reposant sur un étalon contemporains de l’émission. Cette définition a le mérite de distinguer clairement la dénomination du ou des nom usuels de l’espèce, attestés dans les sources contemporaines, ainsi que des noms attribués rétrospectivement à cette espèce par les numismates, ou encore des références bibliographiques d’espèces.

12Le terme « espèce » correspond à la notion d’une catégorie de monnaies définie par un caractère commun distinctif. Il est en cela identique au concept de « type » tel qu’il est défini dans l’ontologie nomisma. Les caractères distinctifs pris en compte pour définir une espèce sont la dénomination, telle que définie plus haut, et le type iconographique et épigraphique. Selon le degré de précision de la description du type iconographique et / ou épigraphique, l’espèce regroupe un plus ou moins grand nombre d’exemplaires ; en adoptant deux niveaux possibles de précision dans cette description, il est possible de distinguer des sous-espèces au sein d’espèces. L’objectif de ces regroupements étant de correspondre aux logiques d’émission et de production de la monnaie, l’existence de plusieurs niveaux de description et partant d’espèces et de sous-espèces au sein d’un monnayage ne doit pas être arbitraire mais correspondre à l’état des connaissances ou de la recherche. Une espèce (ou une sous-espèce) peut être associée à un nom usuel d’époque, à un nom usuel employé par les numismates et / ou à une référence bibliographique au sein d’un catalogue typologique.

13Ce qui est renseigné dans le champ « atelier » de beaucoup de notices numismatiques, et qui correspond à la notion nomisma de mint correspond en fait à des lieux d’émission. Un même lieu renseigné sur plusieurs monnaies peut en effet correspondre en pratique à plusieurs ateliers de production, qui ne sont pas même obligatoirement situés dans cette localité. Nomisma a par ailleurs dans les discussions des comités de pilotage souligné la difficulté d’établir des limites chronologiques aux mints définies par des URI, lorsque ces localités ont émis de la monnaie sur une longue période. La proposition du groupe de travail est par conséquent de créer une nouvelle classe dans nomisma afin de distinguer le lieu d’émission de l’atelier proprement dit, le lieu d’émission pouvant ainsi rester le même depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque contemporaine, et l’atelier servant, si des informations plus précises sont disponibles, à renseigner le contexte de production de façon plus spécifique. Dans l’exemple traité, le champ « atelier » contenait également dans quelques cas des informations se rapportant en fait à un émetteur institutionnel (ex. : Saint-Firmin d’Amiens), qu’il faudra prendre garde à traiter à part, comme un émetteur.

14La notion d’« émetteur » et d’« autorité émettrice » a également nécessité quelques précisions. La personne mentionnée sur la monnaie peut aussi bien être l’autorité émettrice qu’un émetteur par délégation officielle, par usurpation, ou correspondre à une immobilisation. Nomisma prévoit deux fonctions : autorité et émetteur. Nous avons pour le moment considéré que cela suffisait à couvrir tous ces cas, par la combinaison de ces deux informations. Le cas de l’immobilisation reste cependant à retravailler. Peut-être qu’un système plus subtil, sur le modèle de ce qui est employé dans les codes projet de la Bibliothèque nationale de France, serait plus adapté ; cela pourrait être mis en place en ajoutant un attribut de certitude à la propriété nomisma nmo:hasIssuer ou nmo:hasAuthority du type @cert=true, @cert=false @cert=uncertain. Un émetteur et une autorité peuvent aussi bien être une personne qu’une collectivité. Le titre auquel une personne émet ou autorise l’émission de monnaie peut être traduit par l’ajout d’un royaume, duché, collectivité comme émetteur ou autorité émettrice dans la notice de l’espèce.

Relations possibles avec Cosme

15Le portail a pour objectif de croiser les informations issues des exemplaires de monnaies et d’objets numismatiques conservés et celles issues des textes (en particulier les textes officiels) pour documenter les espèces monétaires médiévales et modernes, en considérant les informations liées à leur émission, fabrication et mise en circulation. Le projet Cosme adopte une approche complémentaire consistant à croiser les données issues de documents archivistiques englobant textes officiels et textes de la pratique afin de documenter les mentions monétaires et les données liées aux comptes et donc à l’utilisation et à la circulation de la monnaie, depuis l’émission des espèces et pendant toute la durée de leur circulation.

Interface

16Une réflexion a été engagée sur le portail lui-même, sa structure, son alimentation et ses interfaces d’alimentation et de consultation. Concernant sa structure, l’utilisation de la suite applicative Numishare a conduit à conserver la structure habituelle à ce type de ressource, à savoir une base de données d’espèces (nmo:TypeSeriesItem), moissonnant les catalogues des institutions partenaires pour en faire apparaître les exemplaires assortis de leurs images numérisées et informations d’identification et métrologiques.

17Aucune image ou donnée d’exemplaire n’est hébergée directement par le portail, mais les données sont récupérées depuis les catalogues des institutions. Une adaptation à prévoir sera l’introduction de sous-espèces, qui entraînera sans doute également un besoin de visualisation en arborescence à ajouter à l’interface. Afin de limiter le travail de suivi du portail, les vérifications, mises à jour et intégrations de contributions de chercheurs ne seront pas faites de façon continue, mais par chantiers.

18Pour chaque domaine d’étude numismatique cohérent, un recensement des typologies existantes sera fait afin de déterminer la source des fiches d’espèces et de sous-espèces à créer dans le portail. Ces fiches pourront par la suite s’enrichir de nouvelles fiches d’espèces non couvertes par les grands ouvrages de référence, au fur et à mesure que des exemplaires issus de collections publiques seront moissonnés par le portail.

19Du côté de l’interface, des visualisations statistiques, chronologiques et spatiales des données sont à prévoir. Il faudra prévoir de rendre visible la part du corpus ne disposant pas de données visualisables, afin d’éviter de fausser les résultats. Une fonctionnalité d’exportation des données en divers formats est indispensable. L’interface de recherche sera précisée ultérieurement, et un outil d’aide à l’identification des monnaies serait également un apport souhaitable.

Constitution de listes d’identifiants nomisma

20En s’appuyant sur les notices des monnaies médiévales royales d’or de la Bibliothèque nationale de France, les participants ont par ailleurs établi une première liste d’identifiants nomisma qu’il serait souhaitable de créer dans l’ontologie nomisma.