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Chroniques de la section des Sciences historiques et philologiques – année 2023-2024

Jean-Pierre Machelon (1945-2022)

Jean-Michel Leniaud
p. XXII-XXIV

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Texte intégral

1Le décès de notre collègue Jean-Pierre Machelon intervenu le 2 octobre 2022 a été immédiatement salué par le petit monde des juristes. Figaro Vox publiait le 10 octobre suivant une tribune rédigée par quatre professeurs de droit public de l’université Paris-Cité à propos de celui qui avait été leur ancien doyen. « Jean-Pierre Machelon, libéral avec une nuance conservatrice, ressentait de façon aiguë la fragilité des choses », tel en est le titre.

2Machelon naquit en 1945 à Gannat dans l’Allier. Son père, avocat, avait été bâtonnier près la cour d’appel de Riom. Maire et conseiller général MRP de Gannat, il a laissé son nom, Yves Machelon, au musée-château de la ville, connu pour conserver un célèbre évangéliaire carolingien. Son fils n’entendait pas lui succéder. Il expliqua dans un discours prononcé à l’occasion d’une remise de décoration qu’après son baccalauréat, il avait préféré aux courettes bien bordées, quoi qu’arides, des classes préparatoires la voie hasardeuse de l’université et qu’il s’était inscrit à la faculté de droit de Clermont-Ferrand dans l’objectif de préparer ce qu’il appelait « les grands concours ». Cet attachement provincial ne dura pas puisqu’il obtint le diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris, le doctorat d’État en droit de l’université Paris II Panthéon Assas et, en 1978, l’agrégation de l’enseignement supérieur en droit public. En 1980, il était nommé professeur de droit public à l’université de Clermont-Ferrand ; il demeura sur cette chaire jusqu’en 1987 puis fut élu professeur à l’université de Paris-Descartes devenue Paris-Cité.

3En 1976, il avait publié sa thèse de doctorat en droit public aux presses de la Fondation des sciences politiques. Elle consacra sa réputation : La République contre les libertés ? – avec un point d’interrogation. L’ouvrage proposait un examen critique de la IIIe République entre 1879 et 1914 et consacra sa réputation. La question soulevée possède un côté blasphématoire : la République est-elle susceptible de critique ? Consécutifs au changement de majorité parlementaire et de personnel administratif intervenus après le Second Empire, le renversement jurisprudentiel, le travail législatif, la politique anticléricale et antireligieuse qui caractérisent la période envisagée pourraient-ils être interprétés comme attentatoires aux libertés publiques ? L’ouvrage fut immédiatement salué par un compte rendu très élogieux de Maurice Agulhon, dans Annales, sociétés, civilisations, de l’année 1979. Celui qui s’employait à exercer une magistrature morale autant scientifique sur l’histoire politique du xixe siècle exprimait contre toute attente son accord avec l’un des principes sur lequel la thèse est fondée et reconnaissait, déjà, l’actualité de ce principe politique : « L’État républicain, État libéral, a le droit de se défendre contre l’avènement d’un autre État qui le serait moins. ». Il acceptait aussi l’une des conclusions de l’ouvrage : ce qu’il y a de négatif dans le legs républicain apparaît aujourd’hui caduc mais sa partie positive reste bien vivante. Aujourd’hui, la lecture qui est faite de la thèse de Machelon se montre passablement différente de celle qu’en donnait Agulhon. Par exemple, la tribune précitée des quatre juristes de Paris Cité (les professeurs Degoffe, Daugeron, Rambaud et Rouvillois) s’écrit sur une toute autre tonalité : « La IIIe République s’opposera obstinément à la création d’une cour constitutionnelle, au vote des femmes, à la reconnaissance d’un véritable pouvoir judiciaire, à l’intégration de la Déclaration des droits de l’homme dans la constitution. »

4Si je me suis attardé sur les jugements contrastés qu’on a porté sur une thèse ambiguë, c’est qu’ils expriment les aspects paradoxaux de la personnalité de notre collègue. Extrêmement urbain, il ne détestait pas la polémique ; plus qu’attentif aux nuances dans l’expression du discours scientifique et politique, il n’hésitait pas à se porter sur l’arène quand il l’estimait utile. C’est probablement ce doigté qui le conduisit à l’exercice de responsabilités sensibles comme celle de président de la commission de réflexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics (2005-2006), de membre du Conseil supérieur de la magistrature (2011-2015) et même, auprès du ministre de l’Intérieur, de membre du Conseil national des opérations funéraires (2006-2015).

5Jean-Pierre Machelon avait été désigné chargé de conférences à la section en 1983 sur l’intitulé « Histoire politique et administrative de la IIIe république » puis fut élu en 1992 comme directeur d’études sur la conférence d’Histoire des institutions européennes. En procédant à ce choix, la section se lançait dans une ambitieuse politique d’ouverture en direction d’un champ disciplinaire qu’elle n’avait pas eu l’usage d’explorer jusqu’alors : l’histoire des institutions publiques postérieures à la révolution française. Depuis quelques années déjà, elle organisait sous l’impulsion de Michel Fleury, de Jean Tulard et de Guy Thuillier des journées d’études annuelles au Conseil d’État en collaboration avec l’Institut français des sciences administratives. La création d’une conférence nouvelle devait ouvrir la voie à la mise en œuvre des méthodes positivistes dont la section s’est fait la spécialité au profit d’un domaine que les sciences sociales ne revendiquaient pas encore et que seules les sciences juridiques arpentaient.

6À la section, Machelon commença par l’impulsion de travaux prosopographiques sur le personnel politique de la IIIe République, Loire-Inférieure, Tarn-et-Garonne, Algérie, Allier, Nièvre, entreprit l’étude d’un manuscrit inédit de Charles François-Saint-Maur (1869-1949), juriste catholique, partisan du suffrage féminin et sénateur de 1920 à 1941 puis élargit ses études en direction des industriels nantais et parisiens, le cercle des chemins de fer en particulier et des avoués près la cour d’appel de Paris. Un fois nommé directeur d’études et, plus particulièrement dans le cadre du collège doctoral européen que l’École avait mis en place avec l’université technique de Dresde, il fut actif dans le projet « Ordres institutionnels, écrits et symboles ». On note la thèse d’une doctorante allemande sur l’intégration par naturalisation, étude comparée entre la France et l’Allemagne ou une intervention du directeur d’études à un colloque international sur l’administration des cultes dans les pays de l’Union européenne (2006). Outre les travaux de prosopographie politique et parlementaire qu’il poursuivait toujours, en collaboration avec François Naud, Machelon profitait de nos relations avec Dresde pour entreprendre des recherches comparées sur les cultures constitutionnelles des grands états européens.

7Jean-Pierre Machelon occupa diverses responsabilités dans l’Enseignement supérieur : de 1992 à 1997, directeur scientifique adjoint au département des sciences de l’homme et de la société au CNRS et, de 2003 à 2005, directeur scientifique pour les sciences de la société au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Il s’y est signalé par ce sentiment de délicatesse de jamais profiter de ces fonctions pour tenter de favoriser l’institution où il servait comme directeur d’études.

8La carrière de notre collègue donne l’exemple de la conjugaison d’une production scientifique et théorique abondante et, simultanément, d’une participation active aux instances de la Cité, particulièrement dans le domaine des Cultes, de la Défense et de la Justice. Il accéda à l’éméritat en 2014, dans son université comme à la section, laissant l’image d’un collègue courtois, savant, ouvert et ferme à la fois.

Jean-Michel Leniaud

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Michel Leniaud, « Jean-Pierre Machelon (1945-2022) »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 156 | 2025, XXII-XXIV.

Référence électronique

Jean-Michel Leniaud, « Jean-Pierre Machelon (1945-2022) »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 156 | 2025, mis en ligne le 02 avril 2025, consulté le 13 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ashp/7740 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13msd

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Auteur

Jean-Michel Leniaud

Directeur d'études émérite, École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques

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