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Résumés des conférences

Histoire et archéologie des mondes musulmans

Jean-Michel Mouton
p. 54-57

Résumé

Programme de l’année 2023-2024 : I. Histoire et archéologie du Proche-Orient aux XIIe-XIIIe siècles. Études de la collection de documents de la Grande mosquée de Damas. — II. Sources et méthode de l’histoire du monde musulman médiéval.

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Texte intégral

I. Histoire et archéologie du Proche-Orient aux XIIe-XIIIe siècles

1Le directeur d’études a bénéficié au premier semestre de l’année 2023-2024 d’un congé pour recherches et conversions thématiques. Il a repris son enseignement au second semestre. Celui a porté sur l’armée ayyoubide en Syrie (1174-1260) et en Égypte (1174-1250). Les premiers cours ont été consacrés aux effectifs et à l’organisation de cette armée qui, après le règne de Saladin, se réorganise dans les différentes principautés de l’Empire ayyoubide. On note de fréquents passages, des émirs et de leurs hommes, du service (ḫidma) d’un prince à un autre selon les offres. Les composantes ethniques de ces armées (Turcs, Kurdes et bédouins), leur organisation très souvent tribale, la part des hommes libres et des mamlouks, ainsi que le mode de rémunération ont constitué les thèmes abordés dans les cours suivants. Une attention particulière a été apportée au mode de casernement des troupes dans les citadelles et les forteresses de l’Empire ayyoubide d’après les rares données textuelles et les fouilles archéologiques. Un mode particulier de casernement, constitué d’unités d’habitation de 100 à 200 m2, abritant plusieurs soldats avait été mis en évidence lors de la fouille de la forteresse ayyoubide de Ṣadr au Sinaï au début des années 2000. Le système mis au jour lors des fouilles de la forteresse d’Abū l-Ḥasan, à 20 km à l’est de Sidon au Liban lors de la campagne 2022, est quelque peu différent. La garnison était abritée dans un bâtiment long de 34 m, adossé à la courtine orientale du secteur nord, juste au sud du donjon. Il compte 10 cellules de 12 à 15 m2, chacune dotée d’une ou deux banquettes et pouvant abriter un ou deux soldats. Ce système de casernement, construit durant la dernière phase de l’occupation franque du site, entre 1170 et 1187, dut être récupéré par la garnison musulmane qui s’y installa jusqu’au démantèlement de la forteresse en 1219. Dans chaque cas, cet habitat était adossé à la courtine et doté d’une archère permettant de participer à la défense du site. Le chemin de ronde contre lequel étaient appuyées ces cellules constituait un second niveau de défense.

2Une séance a également été consacrée à la dernière campagne de fouilles conduites en septembre 2023 sur le site d’Abū l-Ḥasan au Liban en présence des membres de la mission. Cette campagne, présentée dans le précédent rapport, a porté sur la fouille du donjon et sur l’étude du matériel. Jean-Olivier Guilhot a proposé durant cette séance une première tentative de restitution 3D de cette tour-maîtresse, située à l’extrémité nord du site.

II. Étude de documents arabes

3Six documents arabes d’époque ayyoubide, provenant du dépositoire de vieux papiers de la Grande mosquée de Damas, ont été étudiés cette année (liasse 13 309, trois documents en liasse 13 327, liasse 13 577, T8 69-70). En lien avec le thème de l’année, ces documents traitent de l’approvisionnement des armées aussi bien en armes qu’en fourrage pour les animaux. Le plus important d’entre eux, un « journal d’écurie » (liasse 13 327), détaille sur plusieurs mois, la ration journalière en avoine dispensée aux chevaux (de 4 à 8) qui séjournent durant de brèves périodes dans cette écurie. Cette ration se monte à environ 1,5 mudd (5 à 6 kg) par jour et par cheval : on trouve parmi ces animaux l’étalon du sultan ou encore le cheval d’un émir ainsi que sept dromadaires de passage. Cette petite écurie, peut-être située dans la citadelle de Damas, était réservée à l’élite militaire. Le second document est une requête portant sur la demande de bêtes de somme pour le transport de nourriture liée à une expédition militaire. Deux autres lettres, adressées chacune à un émir, font part, dans l’une d’entre elle, des difficultés rencontrées pour faire paître les chevaux sur les terres du seigneur de Kérak et demande une intervention auprès de ce prince pour obtenir l’autorisation d’accéder à ses prairies. L’autre lettre rend compte de la livraison de chargements de paille aux écuries de la citadelle de Damas, du Maydān et d’al-Quṣayr où devaient se trouver une écurie sultanienne. Deux lettres traitent de l’armement d’émirs. L’une accompagne l’envoi « d’un sabre noir du Khwarizm » et d’un casque à un émir de Damas. La seconde adressée à un certain Aslam, émir de Saladin, est particulièrement intéressante. Elle traite des problèmes rencontrés lors du décès de la veuve de son frère qui laisse un certain nombre de vêtements, d’armes et de montures ayant appartenus à son mari. Le document dresse la liste des biens confisquées par le fisc et de ceux qu’il s’agit de dissimuler afin qu’ils reviennent à Aslam. On possède ainsi la description complète de l’équipement d’un militaire de haut rang ayant vécu sous Saladin et les premiers Ayyoubides.

III. Mission archéologique

4Après l’achèvement des campagnes de fouilles sur le site d’Abū l-Ḥasan en septembre 2023 et pendant la préparation de la publication, une nouvelle mission a été lancée au Liban portant sur les murailles de la ville de Jubayl. Cette mission s’est déroulée du 12 au 22 avril 2024 et le directeur d’études était accompagné pour cette étude de Jean Doumit, professeur de géographie à l’Université libanaise, Jean-Olivier Guilhot, inspecteur général de l’archéologie, Clément Moussé, maître de conférences à l’EPHE-PSL et Claudine Piaton, architecte (AUEC), membre du « laboratoire In visu ». L’enceinte de cette ville est en effet, contrairement à celles des autres villes libanaises, encore largement préservée. Si les archéologues d’aujourd’hui ont tendance à parler de la muraille ottomane de Jubayl alors que ceux du début du xxe siècle parlaient de la muraille croisée, il faut constater qu’aucune étude n’avait jamais été conduite sur ces vestiges. Cette mission avait aussi pour principaux objectifs de reconstituer le tracé exact de la muraille et de dater les différentes phases de construction encore visibles aujourd’hui. Cette muraille, en forme de trapèze, s’étendait sur un peu moins d’un kilomètre, enserrant sur trois côtés la ville, le quatrième côté donnant sur la mer et abritant le port médiéval n’était qu’en partie fortifié. Seuls les côtés nord et est de l’enceinte sont aujourd’hui conservés, la courtine sud ayant été détruite dans les années 1920 par les archéologues français fouillant le site de l’antique Byblos. Les sources écrites ne livrent aucune information sur les origines de cette muraille qui pourrait remonter à l’époque byzantine ou au début de l’époque arabe. La première attestation de son existence date seulement de 1047 lors du passage dans la ville du voyageur persan Nāṣir-i Khusraw qui signale que « cette ville a la figure d’un triangle dont la base est formée par le rivage de la mer. Elle est entourée d’une muraille très haute (besyār boland) et bien fortifiée (ḥaṣīn) ». Elle fut visiblement renforcée avant l’arrivée des Francs comme le signale le texte de fondation d’une tour (burǧ) à l’époque fatimide à l’angle sud-est de la muraille. La prise de la ville par les Francs en 1104 n’entraîna pas de dommages sur l’enceinte. Idrīsī au milieu du xiie s. recueille des informations qui attestent que la muraille a toujours « une enceinte faite de pierres solides (ḥaǧār ḥaṣīn) ». La prise de la ville par Saladin le 4 août 1187 n’entraîna pas de dégradation car la ville se rendit à la demande du seigneur Hugues de Jubayl en échange de sa libération. Mais dès 586/1190, à l’annonce de l’arrivée de « 100 000 cavaliers allemands, dirigés par Frédéric Barberousse », Saladin donna l’ordre de détruire les remparts de Jubayl et de transporter à Beyrouth la population. Bien que la ville repassât aux Francs dans les années 1190, la muraille ne fut pas immédiatement reconstruite, il fallut attendre plusieurs décennies. Cette reconstruction fut éphémère car lorsque les Mamlouks reprirent la ville en 1291, le vizir du sultan Qalāwūn, Sanǧar al-Shuǧā‘ī « envoya à Jubayl ‘Alam al-Dīn Dāwādarī et al-Ǧakī qui détruisirent le rempart de cette ville et sa citadelle ». Si les tours qui sont encore aujourd’hui conservées appartiennent à des époques anciennes, les courtines doivent pour l’essentiel avoir été reconstruite à la fin de l’époque mamlouke ou durant le premier siècle de l’occupation ottomane. Le voyageur et pèlerin portugais, Pantaleao d’Aveiro qui voyage en Terre Sainte en 1563 indique : « Ce lieu est entouré d’épaisses murailles, mais il est minuscule. Un imposant château fortifié se dresse non loin de la mer ». Henri Maundrell en 1697 confirme ses données en évoquant « un fossé sec et une muraille avec des tours carrées à 12 pieds de distance l’une de l’autre ». Les voyageurs du xixe siècle comme C. L. Meryon (1815), Georges Robinson (1830) ou encore l’abbé Bourassé (années 1830) signalent tous une ville entourée d’une muraille dont le tracé est donné pour la première fois sur les plans de Jubayl dressés en 1859 par Emmanuel Rey et en 1861 par la mission de Phénicie de Renan.

5Claudine Piaton s’est chargée de l’expertise et a joint à l’étude des sources textuelles, les observations de terrain, l’exploitation des photos anciennes (fonds Maurice Pillet) et du cadastre. Il s’agissait durant cette première mission d’établir le ou les tracés de la muraille et de proposer une datation relative à partir des appareils conservés (taille des éléments constitutifs, mode d’assemblage) pouvant être croisée avec les sources historiques. Cette mission a d’abord révélé l’importance des restaurations, dont on connaissait l’existence mais pas l’ampleur. Elles ont été conduites dans les années 1970, avant la guerre civile, par l’ingénieur restaurateur de la direction générale des antiquités du Liban (DGAL), Haroutune Kalayan. Une partie de la mission a été consacrée à la recherche des vestiges et du tracé de la muraille sud détruite par les archéologues du site antique de Byblos (Pierre Montet de 1921 à 1926, puis Maurice Dunand). Les photos du chantier et les rapports des archéologues permettent de restituer le tracé de cette muraille qui comprenait au sud-ouest une tour détruite par Pierre Montet entre 1920 et 1921. Cependant la profondeur des excavations et les déblais déversés en direction de la côte n’ont laissé aucune trace de l’enceinte médiévale en dehors du soubassement d’une villa qui correspondait peut-être à une tour dont le mur occidental, percé d’archères, comprend des tambours de colonnes antiques disposées en boutisses. Si la ville comprend aujourd’hui quatre portes, deux seulement semblent anciennes, la porte de Tripoli, longtemps murée, sur la courtine nord et Sayyidat al-bawwāba, la porte principale sur la courtine est, mais toutes deux ont été profondément remaniées. Les éléments de datation de ces vestiges restent pour l’instant délicats. On notera en remploi la présence de décors fatimides ou ayyoubides sur le voussoir de Sayyidat al-bawwāba et sur la face orientale de la tour nord-est (sceau de Salomon, fleurons). Deux types d’appareils bien identifiables ont été mis en évidence : un grand appareil à joint fin avec insertion de tambours de colonnes antiques en boutisses, type d’appareil que l’on trouve notamment sur la citadelle de Jubayl, et un petit appareil avec des blocs de hauteur régulière d’environ 30 cm et chronologiquement plus tardif. On relève également de gros blocs enjambés par la courtine qui pourraient correspondre à des structures antiques sur lesquelles la ville médiévale s’est installée. Il est difficile de proposer, en l’état, une chronologie absolue. Des sondages archéologiques sont pour cela nécessaires et devront être accompagnés de prélèvements de mortiers pour des analyses physico-chimiques. En l’état actuel, après une première confrontation des textes et des données archéologiques, on pourrait proposer un tracé fatimide de l’enceinte, des tours de l’époque franque et des élévations des courtines des deux derniers siècles de l’époque mamlouke ou du premier siècle ottoman.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Michel Mouton, « Histoire et archéologie des mondes musulmans »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 156 | 2025, 54-57.

Référence électronique

Jean-Michel Mouton, « Histoire et archéologie des mondes musulmans »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 156 | 2025, mis en ligne le 02 avril 2025, consulté le 16 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ashp/7805 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13msp

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Auteur

Jean-Michel Mouton

Directeur d’études, École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques, membre de l’Institut

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