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AccueilNuméros156Résumés des conférencesÉpigraphie latine du monde romain

Résumés des conférences

Épigraphie latine du monde romain

François Bérard
p. 182-189

Résumé

Programme de l’année 2023-2024 : I. Élites politiques, sociales et économiques des cités de la Gaule romaine. — II. Inscriptions concernant l’armée et l’administration romaines.

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Texte intégral

I. Élites politiques, sociales et économiques des cités de la Gaule romaine

1Après l’étude de l’organisation fédérale des Trois Gaules, qui avait occupé la conférence les années précédentes, on a choisi cette année de s’intéresser à l’administration de la colonie de Lyon, toujours en liaison avec la préparation de l’Atlas topographique de Lugdunum, mais aussi en confrontation avec celles d’autres cités de Gaule, sur lesquelles sont parus récemment plusieurs travaux importants, comme le premier tome du corpus épigraphique de Narbonne dans les ILN.

2Il y a un lien assez direct avec le sujet précédent, puisqu’une bonne partie des élites municipales des cités des Trois Gaules, dont l’épigraphie est souvent très pauvre, est connue par les monuments qui ont été élevés à Lyon aux délégués qui les représentaient au concilium provincial. L’enquête concerne donc surtout les magistratures, souvent résumées dans le sanctuaire lyonnais par la formule omnibus honoribus apud suos functus, et les prêtrises, qui se situaient au sommet de la hiérarchie municipale, mais aussi le décurionat, les subdivisions des cités, comme les pagi, le sévirat augustal, qui a fait lui aussi l’objet de nombreux travaux récents, et les autres collèges, dont on sait qu’à côté de leur fonction professionnelle ils avaient souvent aussi un rôle dans la vie publique de la cité.

3On a commencé cet examen par la colonie romaine de Lyon, pour laquelle une découverte récente est venue compléter le tableau dressé en 1999 dans le volume Cités, municipes, colonies (Paris, 1999, p. 97-126). Il s’agit d’une petite plaque de calcaire moulurée découverte dans le remplissage d’une fosse creusée dans une voie de circulation située sur l’avenue du Point-du-Jour, qu’on considère traditionnellement comme la voie antique qui quittait la colonie de Lyon vers l’ouest et donc l’Aquitaine. Si le tracé exact garde toujours une part d’incertitude, la présence de nombreux fosses-bûchers et surtout de trois enclos alignés en bordure de la voie garantissent qu’il s’agissait d’un axe important, et on peut donc supposer que la plaque était prise dans un mur d’enclos ou de petit monument funéraire (cf. F. Bérard, F. Herbin et J. Ramona, dans RAE, 72, 2023, p. 459-470). Aux trois premières lignes figure le nom du défunt, P. Valerius P. / fil(ius) Gal(eria) / Primus, qui est très banal. Mais la dernière, écrite en lettres plus petites, contient une carrière municipale qui présente une grande originalité : aed(ili) pro IIuir(o) bis.

4L’absence de questure montre que, contrairement à ce qu’on a pu penser, celle-ci n’était pas une magistrature de début obligatoire dans le cursus lyonnais. On a réexaminé les six édiles déjà connus à Lyon, dont deux présentent la même absence de questure, l’anonyme dont le monument figurait dans le célèbre alignement des mausolées de Trion, découvert à la fin du xixe siècle aux portes de la colonie en bordure de ce qui était peut-être la même voie d’Aquitaine (CIL, XIII, 1917), et peut-être aussi Sex. Attius Ian[uarius], si on a raison de restituer a[ed(ilis)] après le décurionat sur le sarcophage qu’il a élevé pour son épouse (CIL, XIII, 1912). La questure apparaît en revanche comme une magistrature de début dans les deux carrières célèbres de Sex. Vagirius Martianus, qui enchaîna questure, édilité et duumvirat (CIL, XIII, 1900), et de Sex. Ligurius Marinus, dont le parcours est plus atypique (CIL, XIII, 1921). L’apparition d’un second exemple de succession questure, édilité et duumvirat pour le dédicant anonyme d’une des dédicaces impériales du Verbe Incarné (AE, 1980, 639) a pu conduire à préférer une questure en début de carrière, comme dans d’autres colonies romaines et, notamment, dans l’album de Canusium. Mais la nouvelle découverte du Point-du-Jour montre au contraire que ce n’était qu’une possibilité parmi d’autres et que, comme dans de nombreuses autres colonies romaines, et notamment à Narbonne, la questure n’était pas une magistrature de début obligatoire. Cela conduit à interpréter un peu différemment le cas de Iulius Martianus, aed(ilitate) et q(uaestura) fu[nctus] (CIL, XIII, 1920), dont les magistratures pourraient être énumérées dans l’ordre chronologique. Mais la conclusion reste incertaine, d’autant que la formulation n’a guère de parallèles (avec aedilitate voir CIL, XIII, 5682 = ILLingons, 15 ; IlJug, 1048, à Sirmium ; AE, 1973, 605, en Afrique ; avec quaestura, ILAlg, II/3, 8794, et AE, 1911, 99, également en Afrique). Quant à l’inscription CIL, XIII, 1919, elle ne peut rien apporter au débat, puisque l’édilité y apparaît seule, en dehors de tout cursus.

5Après la questure et l’édilité, on s’est intéressé au duumvirat, dont on ne connaît à Lyon que six attestations, dont deux pour des anonymes, celui du Verbe Incarné et un autre, dont le cursus est encore plus fragmentaire. Les mieux connus sont Sex. Vagirius Martianus et Sex. Ligurius Marinus, qui ont exercé tous deux la charge de summus curator des citoyens romains à l’échelle d’une province (CIL, XIII, 1900 et 1921). Mais alors que le premier présente un cursus régulier avec questure, édilité et duumvirat, le second n’a pas exercé l’édilité et obtenu d’abord les ornements du duumvirat avant de parvenir à la magistrature elle-même sur la demande du peuple. La précision ex postulatione populi, spécificité qu’on retrouve dans deux autres inscriptions lyonnaises (AE, 1966, 252 et CIL, XIII, 1929), est généralement interprétée comme une preuve de l’intervention du peuple dans la nomination des magistrats. Mais il s’agit peut-être plutôt d’une formulation un peu élaborée et destinée à souligner l’accord entre les décurions et le peuple, comme dans les dédicaces de statues honorifiques, pour lesquelles la formule est beaucoup plus régulièrement employée (cf. CIL, IX, 4970 et AE, 1967, 97 ; en Afrique CIL, VIII, 22743 et 14702 ; en Narbonnaise CIL, XII, 1585 = ILN, Die, 20, etc.).

6La mention des ornements du duumvirat est rare en Gaule, alors qu’elle est plus répandue dans les colonies romaines du monde grec : voir CIL, III, 384 = IK, 53, 39, à Alexandreia Troas, CIL, III, 7334 = CI Ph, II, 78, pour Nicopolis, IGLS, VI, 2798 et 2781, à Héliopolis, AE, 2019, 1198, à Iader, et surtout Corinth, VIII, 2, 105 et III, 152, 196, 237, etc., à Corinthe, où les ornamenta duumuiralicia sont très souvent mentionnés, mais toujours en même temps que ceux des autres magistratures, édilité et quinquennalat, et surtout de la charge d’agonothète des Jeux Isthmiques, qui était de loin la plus honorifique dans la carrière corinthienne. On trouve cependant une seconde attestation des ornamenta duumuiralia pour un autre décurion lyonnais, un vétéran de la XIIIe cohorte urbaine dont peut-être la notoriété n’était pas suffisante pour un duumvirat de plein droit (AE, 1976, 443). Dans le cas de Ligurius Marinus, les ornamenta pourraient aussi signaler une carrière atypique, qui n’était pas à l’origine destinée aux plus hautes fonctions, mais finit par déboucher sur la magistrature suprême et même le pontificat.

7La troisième carrière conservée est celle de Ti. Aquius Apollinaris, lui aussi duumvir expostulante populo, mais dont les fonctions antérieures ne sont pas précisées (AE, 1966, 252). Comme Marinus, il parvint à une prêtrise, l’augurat, mais accéda ensuite aux décuries de juges, dignité dans laquelle il est le seul lyonnais connu, avec C. Aucius Macrinus (CIL, XIII, 1798). Il est aussi le seul à avoir obtenu trois prêtrises coloniales, puisqu’à l’augurat s’ajoutent un flaminat diuorum autrement inconnu, mais qui était peut-être la principale charge du culte impérial à Lyon, et celui de Mars, également sans autre titulaire connu. Cette accumulation confirme que les prêtrises étaient bien les fonctions les plus prestigieuses, prestige qui se reflète dans le luxe du monument, l’inscription étant une des rares à être gravée dans le marbre. Le dernier duumvir connu est Q. Acceptius Firminus, qui a dédié un somptueux mausolée à son jeune fils mort prématurément à 11 ans alors qu’il était déjà décurion ; le père n’indique pas pour lui-même d’autre magistrature que le duumvirat, soit qu’il n’en ait pas exercé, soit qu’il ait préféré développer la longue titulature du décurionat lyonnais (CIL, XIII, 1910).

8Le nouvel édile du Point-du-Jour n’arriva pas au duumvirat, peut-être parce qu’il est mort avant d’en avoir eu la possibilité. Mais on lit à la dernière ligne de son épitaphe une autre fonction : pro IIuir(o), qui est une vraie surprise. La charge était en effet jusqu’ici inconnue à Lyon, mais trouve en revanche des parallèles assez proches dans la province voisine de Narbonnaise. C’est notamment le cas à Narbonne, où l’on recense une petite dizaine de praefecti pro IIuir(o), que nous avons étudiés grâce au nouveau corpus des inscriptions de Narbonne (CIL, XII, 4371-4372, 4396, 4401, 4403, 4405, 4417, 4420 = ILN, Narbonne, I, 59, 70, 58, 84, 74, 81, 78 ; cf. M.-T. Raepsaet-Charlier, p. 88-89). Plusieurs ont exercé la fonction après l’édilité, comme C. [Manlius ?] Rufus, P. Ignius Sisenna et peut-être P. Vinicius Legio (ILN Narb, I, 58, 70 et 81), et au moins trois ont accédé ensuite au duumvirat, voire au duumvirat quinquennal (ILN Narb, I, 58, 59, 70). Dans la colonie voisine de Béziers, le cursus de C. Gresius Domitus, qui appartient à la tribu locale Papiria, montre la même séquence aed(ilis), praef(ectus) pr(o) IIuir(o) (ILGN, 559), et la fonction est attestée dans trois autres inscriptions plus fragmentaires, dont deux fois en association avec un flaminat (CIL, XII, 4230, 4250 ; ILN Narb, I, 73) : l’absence du duumvirat n’est pas forcément significative, les textes n’étant pas complets.

9On trouve une situation analogue dans la colonie latine d’Aix, où un cursus quasi-anonyme montre une nouvelle fois la succession aedilis, praef(ectus) pro IIuir(o) (CIL, XII, 529 = ILN, Aix, 28). On peut compléter le dossier par la colonia Equestris de Nyon, qui appartenait à la province de Germanie supérieure, mais était toute proche de Genève et presque contemporaine de la colonie de Lyon. Deux inscriptions y font état de praef(ecti) pro IIuiro ou pro IIuiris, dans des cursus très complets qui comprennent aussi la fonction locale de préfet contre le brigandage (arcendis latrociniis), le duumvirat, les deux fois réitéré, et le flaminat impérial (CIL, XIII, 5010 et AE, 1978, 567 = RISchweiz, II, 47 et 247) ; on note que celui de Q. Seuerius Marcianus, qui donne aussi le début de la carrière, mentionne à nouveau l’édilité avant la préfecture pro IIuiro. Il faut peut-être ajouter aussi une des grandes inscriptions lacunaires d’Avenches, où malgré les incertitudes du texte les mots pro IIuiro semblent bien pouvoir être restitués sur un des multiples fragments conservés (CIL, XIII, 5105 = 11498 = AE, 2009, 936 ; contra, R. Frei-Stolba, dans Cités, municipes, colonies, p. 83).

10La fonction est en revanche presque totalement inconnue en Italie, mais se rencontre assez fréquemment dans les colonies de la moitié orientale de l’empire, comme Dyrrachium (CIL, III, 605 = CIA, 33 = LIA, 42), Corinthe (Corinth, VIII, 3, 150) ou Poetovio (AE, 1986, 568).

11Un point commun à toutes ces attestations est que l’indication pro IIuiro vient toujours après le titre de praefectus, alors que celui-ci manque dans le nouveau texte lyonnais. Faut-il comprendre que le mot praef(ectus) a été oublié ? que c’est en tant qu’édile que P. Valerius Primus a été amené à remplacer un duumvir ? ou que pro IIuiro est une sorte d’abréviation pour praefectus pro IIuiro ? ces explications ont toutes leur logique, la troisième pouvant s’expliquer notamment par le manque de place à la dernière ligne, qui est déjà écrite en lettres plus petites que les autres. Mais le choix dépend aussi du rôle qu’on attribue à ces praefecti.

12La bibliographie considère généralement que les praefecti pro IIuiro étaient les remplaçants que les lois municipales espagnoles prévoient pour suppléer les duumvirs défaillants ou les membres de la famille impériale nommés à titre honorifique (lex Salp. et lex Irn., chap. 24-25) et qui sont mentionnés dans les inscriptions italiennes, souvent avec le titre de praef(ecti) i(ure) d(icundo) (cf. M. C. Spadoni, I prefetti nell’amministrazione municipale dell’Italia romana, qui distingue deux grandes catégories de préfets, impériaux et municipaux). L’expression praefectus pro IIuiro n’est certes attestée qu’une fois en Italie, dans une inscription de Terracine (EE, VIII, 636 = AE, 1987, 238c), mais l’un des titulaires de la colonie de Béziers porte le titre très éclairant de praefectus pro IIuiro C. Caesaris Aug(usti) f(ilii) (CIL, XII, 4230 et 4241 = ILGN, 558).

13En revanche aucune indication ne vient préciser la fonction des praefecti narbonnais, ni de ceux qui sont connus dans d’autres villes gauloises, et dans ces conditions, il faut prêter attention à une vieille hypothèse de A. Grenier, reprise par J. Gascou dans sa synthèse du Congrès épigraphique de Nîmes en 1992, puis par M. Dondin-Payre dans le volume Cités, municipes, colonies et enfin par M.-T. Raepsaet-Charlier dans les nouvelles ILN, Narbonne. Selon cette hypothèse, le praefectus narbonnais serait non pas un remplaçant, mais un adjoint des duumvirs, chargé d’un secteur d’activité particulier, comme à Narbonne les ports, ou sans doute plutôt d’une partie du territoire plus ou moins éloignée du chef-lieu. C’est ce qu’on observe en particulier en Afrique dans des cités dotées d’un vaste territoire comme Carthage ou Cirta. Parmi de nombreux exemples possibles, nous avons plus spécialement étudié celui de C. Caecilius Gallus, praef(ectus) i(ure) d(icundo) à Rusicade, qui était une des quatre colonies de la confédération cirtéenne (CIL, VIII, 7986 = ILAlg, II/1, 36 ; cf. J. Gascou, « La praefectura i(ure) d(icundo) dans les cités de l’Afrique romaine », L’Afrique dans l’Occident romain, Rome, 1990, p. 367-380). Comme l’a justement noté J. Gascou, une telle fonction conviendrait bien à des cités pourvues d’un grand territoire, comme Narbonne ou Béziers, mais c’est moins vrai pour Nyon, dont le territoire était plus exigu, et il est évidemment impossible de se prononcer pour Lyon, où la charge même est hypothétique.

14La nouvelle épitaphe du Point-du-Jour garde donc une part de mystère, et le fait que P. Valerius Primus ait exercé deux fois (bis) sa dernière fonction ne facilite guère le choix, dans la mesure où il a pu aussi bien remplacer deux fois un duumvir défaillant qu’obtenir deux fois de suite un poste d’adjoint du collège duumviral. Tout ce qu’on peut dire c’est que la séquence édilité-préfecture pro IIuiro, bien attestée à Narbonne et dans d’autres villes comme Béziers, Aix ou Nyon, plaide plutôt en faveur d’une fonction intermédiaire, exercée entre l’édilité et, éventuellement, le duumvirat. Dans tous les cas, les parallèles étudiés apportent au moins un repère chronologique solide, puisque les praefecti pro IIuiro de Narbonne présentent tous une date ancienne, dans la première moitié du ier siècle, voire parfois avant, et que cette chronologie haute convient aussi à des colonies comme Corinthe ou Dyrrachium. Elle convient aussi très bien au support de l’inscription du Point-du-Jour, un type de plaque moulurée qu’on trouve pour des monuments datés de la première moitié du ier siècle, comme à Lyon ceux de C. Iulius Seleucus et de Clemens (AE, 1973, 333-334) ou dans la cité voisine de Vienne l’épitaphe récemment découverte d’un nouveau praefectus pagi (AE, 2017, 942 ; pour d’autres exemples, voir F. Bérard, F. Herbin et J. Ramona, dans RAE, 72, 2023, p. 466-469).

15P. Valerius Primus s’inscrit ainsi, aux côtés de l’édile de Trion et de l’anonyme du Verbe Incarné, parmi les très rares magistrats lyonnais datables du ier siècle, voire de la première moitié du ier siècle, et il est même le seul dont on connaisse le nom. Cette nouvelle épitaphe jette donc un peu de lumière sur une période très mal connue de la colonie de Lugdunum, qui la rapproche de fondations anciennes comme Narbonne, Nyon ou Corinthe. C’est peut-être aussi pour cela qu’on y trouve une forme de magistrature inconnue jusqu’ici, mais il faut souhaiter que d’autres découvertes nous apportent davantage d’information sur ce point.

II. Inscriptions concernant l’armée et l’administration romaines

16Dans la deuxième heure on a commencé par étudier le service a loricata mentionné dans plusieurs inscriptions relatives à la chancellerie impériale. Le point de départ a été une base de statue découverte à Pergè, en Pamphylie, dont la première publication a été révisée et complétée par F. Onur dans la revue Gephyra (5, 2008, p. 60-64, d’où AE, 2008, 1428). Comme l’a bien montré F. Onur, cette base de statue élevée par un affranchi de Claude nommé Ti. Claudius Plocamus à un procurateur de Galatie et de Pamphylie est la partie inférieure d’un texte qui figurait déjà dans le corpus de Pergè (IK, 54, 24). Le rapprochement nous fournit le nom du procurateur, L. Pupius Praesens, dont le début de carrière était déjà connu par une inscription d’Iconium (ILS, 8848), qui mentionne le commandement de la même ala Picentiana, après lequel l’officier est entré dans la carrière procuratorienne avec la responsabilité des rives du Tibre (cf. H.‑G. Pflaum, Carrières, no 24 ; S. Demougin, Prosopographie, no 519 ; PIR2, P 1087). Le principal intérêt du nouveau texte est donc la procuratèle a loricata, à laquelle il semble avoir été promu à la fin de ses fonctions en Galatie et Pamphylie et donc avec un rang ducénaire.

17Ainsi que l’a noté F. Onur, le seul procurateur a loricata attesté jusqu’ici était L. Vibius Lentulus, qui est aussi le premier a rationibus de rang équestre connu. On a réexaminé sa célèbre carrière, qui est principalement connue par quatre inscriptions grecques d’Éphèse : I Eph, 736, 2061 I et II et surtout 3046 ; cf. H.-G. Pflaum, Carrières, no 66 ; PIR2, V 553. Trois d’entre elles présentent après le titre d’ἀπὸ τῶν λόγων (a rationibus) le mot λωρεικάτης, qui est évidemment une transposition d’a loricata. Le cursus montre que la fonction se situe au sommet de la carrière ducénaire, après la procuratèle de la province d’Asie et au niveau de la fonction d’a rationibus, sans qu’on puisse savoir clairement si elle était distincte de celle-ci, comme pensait Pflaum, ou au contraire confondue avec elle, comme on l’a envisagé depuis.

18Si on ne connaît que deux procurateurs équestres, l’épigraphie romaine a gardé le souvenir de trois affranchis impériaux qui étaient aussi procurateurs a loricata (CIL, VI, 8690-8692). Nous avons réexaminé ces petites plaques de bronze, dont la provenance est malheureusement inconnue. Il faut ajouter la plaque d’un actor Caesaris qui avait exercé ses fonctions ad Castorem et ad loricata(m) (CIL, VI, 8688). On en a souvent tiré argument pour placer le service au voisinage du temple de Castor et Pollux sur le forum romain, où se traitaient des affaires financières et où des tabernae étaient installées dans le podium (cf. O. Hirschfeld, Kaiserliche Verwaltungsbeamten2, p. 4 et n. 4 ; I. Nielsen, dans LTUR, I, 1996, p. 243, etc.). Mais l’argument n’est pas décisif, les deux fonctions ayant pu être exercées successivement, et le mot loricata nous entraîne dans une autre direction. Comme l’avait déjà vu Hirschfeld, il désigne une statue cuirassée de César, très probablement la même que celle auprès de laquelle devait être gravé dans le bronze le sénatusconsulte célébrant les mérites de Pallas qui a scandalisé Tacite (Ann., XII, 53) et Pline (Ep, VIII, 6, 13). L’emplacement de cette statue n’est pas connu, les deux auteurs citant seulement le texte du sénatusconsulte ordonnant son érection, et les commentateurs se partagent entre l’hypothèse traditionnelle du forum romain et celle du forum de César, où se trouvaient la célèbre statue équestre du dictateur devant le temple de Vénus Genitrix et une statue loricata signalée par Pline l’Ancien (HN, XXXIV, 18). Il est difficile de dire si la statue équestre peut être qualifiée de loricata, ou s’il faut supposer la présence d’une seconde statue, probablement pédestre. Mais ces références invitent de toutes façons à préférer le forum de César. Le texte de Pline précise que l’exemple de Pallas pourra servir de modèle à ses successeurs dans l’administration impériale, et, comme il était a rationibus, c’est un bon argument pour placer sur le forum de César les services du fiscus (cf. M. Corbier, RN, 152, 1997, p. 11-40, avec aussi des indications sur les tabernae des portiques qui auraient pu les abriter). Ce pourrait être aussi un argument pour identifier le bureau a loricata avec les services de l’a rationibus, ce qui est une des manières de comprendre la carrière de Vibius Lentulus. Mais comme cette dualité ne se retrouve pas dans celle de Pupius Praesens, c’est une question difficile à trancher en l’état de nos sources, et on pourrait envisager aussi qu’il ait été une partie de ceux-ci.

19À propos de Pallas, on a étudié la belle urne funéraire d’un de ses affranchis, M. Antonius Asclepiades, découverte dans les horti Pallantiani, sur l’Esquilin (CIL, VI, 11965 = EDR168765), au voisinage donc du monument funéraire de Pallas décrit par Pline (Ep, VII, 29 ; cf. LTUR, IV, p. 275). Dans le même secteur de l’Esquilin se trouvaient les jardins d’Epaphroditus, le célèbre affranchi qui après avoir aidé Néron à réprimer la conjuration de Pison lui prêta aussi son assistance au moment de la mort (Suétone, Ner., 49). Un fragment d’architrave monumental découvert dans un voisinage assez proche (AE, 1914, 279) est souvent attribué à un mausolée que, comme Pallas, il se serait fait construire dans ses jardins (cf. LTUR, V, p. 289, et en dernier lieu F. D’Andrea, dans MEFRA, 130, 2018, p. 143-164). Mais Epaphroditus est un nom assez courant parmi les affranchis, et l’attribution à l’a libellis de Néron est aujourd’hui contestée : cf. M. Giovagnoli, dans ZPE, 204, 2017, p. 241-245, qui ajoute une deuxième inscription relative au même monument découverte dans les archives ; AE, 2017, 87 et EDR072718 ; C. Ricci, dans Epigraphica, 85, 2023, p. 431-433.

20La quatrième inscription de L. Vibius Lentulus à Éphèse (I Eph, 2061 II) est la dédicace d’une statue qu’il a offerte à T. Flauius Montanus, ἀρχιερεύς d’Asie à Ephèse, et qui est célèbre par l’énumération de toutes les libéralités dont celui-ci s’est acquitté envers la cité (cf. M. D. Campanile, I sacerdoti del koinon d’Asia, p. 96, no 90). Il y est simplement défini comme ἐπίτροπος ἀπὸ͂ των λόγων, sans mention de la loricata, peut-être parce qu’il n’était pas le dédicataire, mais seulement le dédicant du monument.

21On a ensuite examiné les carrières de quelques a rationibus qui, comme Vibius Lentulus, avaient eu, sous Hadrien ou vers le milieu du iie siècle, une carrière procuratorienne rapide, avec seulement trois postes ducénaires : T. Statilius Optatus (CIL, VI, 41272 ; cf. H.-G. Pflaum, Carrières, no 119 ; M. L. Caldelli, Prefetti dell’annona, no 16) et M. Petronius Honoratus (CIL, XIV, 4458 ; cf. H.-G. Pflaum, Carrières, no 117 ; M. L. Caldelli, Prefetti dell’annona, no 19), auxquels il faut ajouter l’anonyme d’une inscription de Salamine de Chypre, qui porte en grec le titre de d’[ἐπὶ τ]ῶν λόγων τῶν κ[αθόλου] (AE, 1976, 676, avec la relecture de W. Eck, ZPE, 21, 1976, p. 135-145 ; PME, Suppl I, Inc 33bis, no 126 ; Carrières Suppl, no 119A ; Salamine de Chypre, XIII, 2, 122).

22On a également étudié la carrière un peu plus tardive et aussi un peu plus longue de Q. Baienus Blassianus, dans laquelle la fonction d’a rationibus doit être restituée, de préférence à la préfecture des vigiles, à la fin de la ligne 3, avant la procuratèle de Lyonnaise et d’Aquitaine, à l’issue de laquelle c’est une promotion logique (CIL, XIV, 5341, 5353 et 5382 ; cf. H.-G. Pflaum, Carrières, no 126 ; M. L. Caldelli, Prefetti dell’annona, no 23).

23Enfin on a examiné le cas de Ti. Cl. Vibianus Tertullus, qu’une inscription bilingue d’Éphèse (I Eph, III, 651) dit avoir été successivement ab epistulis Graecis, a rationibus Augg(ustorum) (à la fin du règne de Marc Aurèle), puis préfet des vigiles, confirmant qu’ἐπὶ τῶν καθόλου λόγων est bien la traduction normale d’a rationibus ; mais on trouve aussi καθολικὸς ἐπίτροπος dans une inscription de Selgè, qui était sans doute sa patrie (I Selge, 13). Sur le personnage et sur son identification possible avec le consul d’IK, 54, 194, voir désormais PIR2, T, p. 34 ; voir aussi R. Sablayrolles, Vigiles, p. 491-492, qui note que la préfecture des vigiles remplace dans son cas celle de l’annone, qui est un débouché bien plus fréquent pour les anciens a rationibus. Cette spécialisation financière se retrouve aussi à un échelon inférieur avec le poste centenaire de procurator monetae, qu’on trouve par exemple dans les carrières de Vibius Lentulus et de M. Petronius Honoratus.

24Au printemps on s’est occupé d’une autre inscription découverte dans la colonnade de Pergè et également révisée par F. Onur (Gephyra, 5, 2008, p. 58-60, d’où AE, 2008, 1427). Il s’agit encore d’une base acéphale, que, comme dans le cas de L. Pupius Praesens, F. Onur a rapprochée d’une inscription fragmentaire qui figurait déjà dans le corpus de Pergè (IK, 54, 222) et qui en constituait la partie supérieure. Celle-ci ne contenait que quelques lettres, mais très importantes, puisque la filiation Sex(ti) f(ilio) et la tribu Vol(tinia) permettent de confirmer que ce préfet du prétoire de Claude et de Néron ne pouvait être que Sex. Afranius Burrus, le célèbre préfet de Néron, dont le cursus était déjà connu par une statue qui lui a été élevée dans sa patrie de Vaison (CIL, XII, 5842 ; cf. H.-G. Pflaum, Carrières, no 13, et S. Demougin, Prosopographie, no 552). La nouvelle inscription de Pergè montre que la procuratèle qui n’est pas détaillée dans le texte de Vaison était celle de Galatie-Pamphylie, mais inversement elle ne mentionne pas les ornamenta consularia, qui ne lui furent décernés qu’au moment de sa préfecture du prétoire. Par comparaison avec celle de Burrus, on a étudié l’inscription, également offerte par les Vasienses, d’un autre chevalier originaire de la ville, C. Sappius Flavus, dont la carrière s’est arrêtée aux milices équestres et à la préfecture de la rive de l’Euphrate (CIL, XII, 1357 ; H.-G. Pflaum, Fastes de Narbonnaise, p. 213-215 ; PME, S 8).

25Pour conclure le riche dossier de Pergè nous nous sommes intéressés à Ti. Claudius Plocamus, cet ami des procurateurs qui a dédié à la fois la statue de Burrus et celle de Pupius Praesens, lesquels se sont sans doute succédé dans la procuratèle. Il a été lui aussi honoré d’une statue à Pergè (IK, 54, 35), avec une inscription qui nous apprend que cet affranchi impérial, qui avait été prêtre de Claude à Claudiconium, avait aussi manifesté sa piété dans sa ville, où il avait peut-être introduit le culte impérial.

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Pour citer cet article

Référence papier

François Bérard, « Épigraphie latine du monde romain »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 156 | 2025, 182-189.

Référence électronique

François Bérard, « Épigraphie latine du monde romain »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 156 | 2025, mis en ligne le 02 avril 2025, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ashp/7945 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13mt9

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Auteur

François Bérard

Directeur d'études, École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques

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