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Résumés des conférences

Vers une histoire de la physiognomonie savante (v. 1200-v. 1500)

Joseph Ziegler
p. 266-269

Texte intégral

1Le but de cette série de quatre conférences était de partager et de soumettre à un test critique quatre chapitres clés d’un livre en préparation sur l’histoire de la physiognomonie savante en Occident entre 1200 et 1500.

2Habituellement, les histoires de la physiognomonie occidentale commencent par la Grèce antique et sautent par-dessus le Moyen Âge pour arriver à la Renaissance, considérée comme la deuxième étape importante de l’histoire. Mais que s’est-il passé à cet égard au cours du millénaire intermédiaire ? Je soutiens que la physiognomonie classique a été transformée entre le xiiie et le xve siècle par les philosophes et les médecins scolastiques et qu’elle a préparé le terrain pour le déferlement des textes physiognomoniques au xvie siècle. Je souhaite combler la lacune médiévale dans l’histoire de la physiognomonie et à reconstruire l’essor d’une nouvelle science dans le contexte scolastique de la période v. 1200-v. 1500.

3Chacune des trois premières séances a été consacrée à une contribution médiévale clé dans la longue histoire de la physiognomonie.

41. La question de la causalité, ou l’explication raisonnée du lien entre un signe physiognomonique et le comportement qu’il dénote, a été l’une des principales nouveautés de la physiognomonie latine à partir du xiiie siècle. Dans la séance intitulée « Établissement d’un fondement théorique : la complexion, l’astrologie et l’observation scientifique », j’ai brièvement présenté le problème de la physiognomonie sans explication causale ; j’ai souligné l’importance de l’introduction du concept de complexion dans le discours physiognomonique à partir du xiiie siècle, ainsi que l’émergence vers 1500 de vestiges d’actes d’observation scientifique dans le cadre de l’établissement de la validité et de la certitude de la pensée et de la pratique physiognomoniques. Mais je me suis concentré sur le « tournant astrologique » dans le discours physiognomonique qui a fourni encore un autre fondement théorique pour une explication causale du signe physiognomonique. Le Reductorium physonomie de Roland l’Écrivain (Rolandus Scriptoris) [vers 1430] est l’exposé le plus savant de l’astro-physiognomonie dans un traité de physiognomonie avant 1500. Il a parfaitement conscience de la position centrale de la hora formationis pour fournir une explication causale à la science de la physiognomonie, mais il ne manifeste aucune gêne lorsqu’il revient au raisonnement astrologique dans l’introduction théorique qui ouvre sa somme physiognomonique ou lorsqu’il explique un signe physiognomonique spécifique (notamment en liant un certain cas de nez retroussé à la sodomie). Il insiste sur le fait que les puissances astrales ne sont pas les seuls ou les principaux agents causaux lorsqu’il s’agit d’identifier la relation complexe entre les corps et les âmes : les puissances élémentaires et complexionnelles sont également en jeu, et dans son encyclopédie physiognomonique, elles occupent une place prépondérante.

52. La deuxième séance intitulée « La pratique de la physiognomonie : le cas de la physiognomonie et la procédure judiciaire » était consacrée à la pratique de la physiognomonie avec une référence particulière à son utilisation possible dans des contextes judiciaires (la sélection des juges, l’identification des délinquants, la fiabilité des témoins, et la décision réelle d’un juge concernant la culpabilité des suspects). J’ai présenté des preuves indirectes tirées principalement des manuels de physiognomonie qui peuvent renforcer l’hypothèse d’un lien jusqu’ici inaperçu entre la physiognomonie et la pratique judiciaire dans l’Europe de la fin du Moyen Âge. Le discours de la physiognomonie savante comporte des allusions spécifiques à la pratique judiciaire. Les manuels de physiognomonie décrivent l’examen physiognomonique comme un acte de jugement et soulignent l’affinité essentielle entre les médecins, les avocats et les physiognomonistes, qui suivent tous un parcours professionnel similaire. Une partie essentielle de la preuve de la validité d’un jugement physiognomonique à partir des expressions faciales s’appuie sur des exemples paradigmatiques tirés des cours de justice. Cela montre que certains auteurs de traités savants de physiognomonie avaient conscience de l’utilité potentielle de la physiognomonie pour le juriste, qui pouvait bénéficier de l’expertise du physiognomoniste pour détecter la peur et la honte (en identifiant des signes transitoires) ou des inclinations naturelles à un comportement criminel (en identifiant des signes qui révèlent la complexion radicale d’une personne). L’observation physiognomonique de la couleur du visage, au moment où l’accusation est portée ou lorsque l’accusé est confronté à l’accusateur, permet de savoir si le soupçon est fondé ou non. Des exemples tirés du tribunal ont corroboré la validité des règles physiognomoniques et l’expertise du physiognomoniste professionnel pour prédire le comportement criminel.

63. La troisième séance intitulée « La physiognomonie et le corps féminin » a examiné systématiquement la présence du corps féminin dans le discours physiognomonique savant de la fin du Moyen Âge et a cherché à saper l’idée de l’absence du corps féminin dans la physiognomonie pré-moderne. Les femmes sont devenues une partie autonome du regard physiognomonique aux xive et xve siècles, et non au xixe siècle, mais contrairement au cas masculin, ce regard était limité à leur fonction génitrice et aux organes liés à cette fonction. Bien qu’il ne soit pas impossible que l’ensemble des signes physiognomoniques s’applique également aux femmes (comme l’a soutenu Michel Scot), les textes physiognomoniques ultérieurs ne mentionnent pas l’application générale des signes physiognomoniques aux femmes. Mais même ce but limité de l’examen physiognomonique appliqué aux femmes est en soi une innovation significative, qui n’a pas pour autant démenti les anciennes croyances misogynes liant les signes corporels féminins à un caractère défectueux. Le corps féminin qui ressort de ce chapitre est silencieux et passif, exposé à l’examen visuel actif, presque voyeur, du physiognomoniste. Leur corps est lié à des pulsions et à des appétits physiques et émotionnels sauvages, ainsi qu’à une instabilité mentale (inconstantia). Mais en même temps, les nombreuses allusions à une similitude fondamentale entre les signes corporels des hommes et ceux des femmes (et leur incidence possible sur le caractère de la personne) semblaient effacer les marqueurs de la différence entre les sexes. Par rapport à la situation antérieure d’ignorance totale, il s’agit d’un changement majeur qui a introduit les femmes en tant qu’objets (bien qu’inégaux par rapport aux hommes) de la pensée et de la pratique physiognomoniques.

74. La quatrième séance intitulée « Retour au débat sur la physiognomonie et la race » a introduit l’enchevêtrement de la physiognomonie médiévale dans l’historiographie récente de la race et des racismes pré-modernes. Trois points cruciaux ressortent de mon étude. Tout d’abord, ce que j’ai qualifié de promiscuité dans l’utilisation du mot « physiognomonie » et de son dérivé « physionomique ». Dans toutes ces études, les mots « physiognomonie » ou « physiognomonique » signifient tous les signes physiques transmettant des modèles moraux et comportementaux spécifiques sans nécessairement de lien spécifique avec un texte physiognomonique faisant partie du corpus de la science de la physiognomonie. Deuxièmement, un constat historique incontestable de la concomitance d’un changement spectaculaire dans les modes littéraires ou artistiques de description des groupes ethniques, et d’une prolifération et de la diffusion croissante de la physiognomonie aristotélicienne au-delà de ses lecteurs scolastiques. Cette diffusion peut être largement étudiée en examinant les textes vernaculaires, tant physiognomoniques que littéraires. Troisièmement, étant peu familiarisés avec le discours savant de la physiognomonie médiévale, ils soutiennent tous que les principes philosophiques, la logique et le raisonnement ainsi que les maximes spécifiques de la physiognomonie savante ne sont pas restés confinés aux cercles savants, mais se sont rapidement répandus dans d’autres disciplines et dans la culture populaire. Or si la tentative d’étudier la portée plus large de la physiognomonie sur des cercles autres que les médecins et les philosophes naturels qui ont inventé et développé son discours scientifique à partir du xiiie siècle est louable et pertinente pour comprendre la portée intellectuelle de la physiognomonie et ses implications pratiques, il faut toutefois le faire avec prudence, sans imposer aux textes médiévaux des idéologies, des perceptions et des sensibilités contemporaines. Que nous apprennent les manuels de physiognomonie sur l’applicabilité des règles physiognomoniques à divers groupes ethniques ou minorités religieuses au Moyen Âge ? L’absence flagrante d’un discours physiognomonique renforçant la supériorité d’un groupe ethnique mérite une explication. Entre 1200 et 1500, les penseurs latins des différents domaines de la philosophie naturelle, de la médecine et de la théologie se sont de plus en plus engagés dans la réflexion biologique. Le nouveau discours physiognomonique, qui inscrit les traités classiques de physiognomonie dans un cadre explicatif dense profondément enraciné dans la théorie humorale, s’inscrit dans cette évolution biologique. Mais malgré cette tendance, les physiognomonistes du Moyen Âge et du début de la Renaissance ont largement contourné les usages ethniques ou proto-racistes de leurs connaissances. Dans le séminaire, je me suis concentré sur une exception significative datant d’environ 1300 qui existe dans un commentaire anonyme sur la physiognomonie du Ps.-Aristote conservé dans un manuscrit de Bruges. Son caractère unique met en évidence l’absence de discours ethnologique dans la physiognomonie savante. Mais en même temps, son existence même suggère qu’en marge de la physiognomonie savante principale, ethniquement neutre, une variante ethnologique ciblant les peuples d’Europe, et non ses minorités, a pu exister. Parmi les conseils pratiques proposés par l’auteur anonyme de cette série de questions sur la physiognomonie du Ps.-Aristote vers 1300, on trouve l’impérieuse nécessité de considérer « le pays, le village, la manière de vivre et les parents » de la personne examinée. Faute d’une catégorie analytique stable ou inaltérable, les savants physiognomonistes ont fait de la physiognomonie une pratique universelle visant à déchiffrer la personnalité des individus et non des groupes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Joseph Ziegler, « Vers une histoire de la physiognomonie savante (v. 1200-v. 1500) »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 156 | 2025, 266-269.

Référence électronique

Joseph Ziegler, « Vers une histoire de la physiognomonie savante (v. 1200-v. 1500) »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 156 | 2025, mis en ligne le 02 avril 2025, consulté le 16 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ashp/8006 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13mtl

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Auteur

Joseph Ziegler

Directeur d’études invité, École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques, University of Haïfa (Israël)

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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