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Résumés des conférences

Historiographie médiévale et moderne en Europe occidentale

Isabelle Guyot-Bachy
p. 294-296

Résumé

Programme de l’année 2023-2024 : I. Dire et penser l’histoire du monde : les chroniques universelles. — II. Un exemple d’écriture urbaine de l’histoire : Metz (XVe-XVIIe siècle). — III. Questions d’historiographie médiévale et moderne.

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Texte intégral

1La conférence 2023-2024 a traité successivement de deux dossiers.

2Le premier avait pour thème « la mémoire longue des catastrophes naturelles ». Lorsqu’à partir de la fin des années 60 du xxe siècle, les historiens se sont intéressés à l’histoire du climat et de l’environnement, ils ont eu recours aux sources narratives pour y repérer les témoignages contemporains des épisodes critiques. Adoptant un point de vue radicalement différent, la démarche adoptée pour l’enquête menée dans le cadre de la conférence a voulu explorer la mémoire longue des catastrophes naturelles, pour vérifier en premier lieu son existence, pour examiner les modalités de sa construction, pour en décrypter les enjeux. Elle a choisi pour ce faire de privilégier un genre d’écriture historiographique, celui de la chronique universelle.

3Ce genre littéraire naît au ive siècle dans le monde tardo-antique chrétien, avec les tableaux chronologiques d’Eusèbe de Césarée. Il est conforté par la traduction et la continuation que Jérôme donne à ces tableaux chronologiques et il devient un genre majeur de l’écriture de l’histoire entre le xiie et le xive siècle, grâce à l’influence des Chronica composées par le Lotharingien Sigebert de Gembloux († 1112). La chronique universelle a pour ambition de relire l’histoire de l’humanité en marche vers le Salut, depuis la Création ou l’Incarnation jusqu’aux tempora moderna. Sa mise en œuvre repose sur la compilation, c’est-à-dire, pour reprendre les termes mêmes des auteurs médiévaux, l’opération de tisser un nouveau récit à partir de textes antérieurs, en général qualifiés par leur degré d’autorité. Cette pratique s’exerce entre liberté et contrainte. Contrainte du corpus des sources à disposition de l’auteur, complétées quelques fois par des déplacements ; sur ce plan, les chroniqueurs médiévaux qui s’engagent dans un projet de chronique universelle sont loin de jouer tous sur un pied d’égalité. Mais liberté quand même car, quel que soit le corpus, les auteurs choisissent de reprendre ou non, entièrement ou en partie les textes qu’ils ont sous les yeux, ou encore de les associer à des extraits puisés dans d’autres œuvres, en se livrant quelques fois à des configurations textuelles complexes, mais toujours personnelles.

4La quarantaine de casus (ou catastrophes naturelles) repérée dans les tableaux chronologiques d’Eusèbe de Césarée puis de Jérôme livre une première série mémorielle qu’ouvre le Déluge et où dominent les tremblements de terre (2/3), suivis de loin par les famines, la foudre, les inondations.

5De l’examen des chroniques et histoires universelles produites entre la fin du ive siècle et le xie siècle, il ressort que deux stratégies d’écriture antinomiques se sont rapidement mises en place face à cette première série mémorielle. Un premier courant d’auteurs a considéré, indépendamment de l’intérêt que l’on pouvait avoir par ailleurs pour ces phénomènes naturels, qu’ils n’avaient pas leur place dans des récits historiques, dont la matière et la structure devaient rester concentrées sur les successions impériales, pontificales, royales et les res gestae des grands personnages. Par l’intermédiaire d’Orose (ve siècle) puis de Fréculf de Lisieux (ixe siècle), un second courant se manifeste qui, lui, reprend systématiquement et intégralement la première chaîne des occurrences et l’enrichit d’épisodes survenus plus récemment, voire ceux dont l’auteur a pu être témoin ou avoir une relation indirecte. À l’aube du xiie siècle, la chronique de Sigebert de Gembloux s’inscrit dans ce second courant, mais son aire d’enregistrement des catastrophes naturelles se resserre d’abord sur l’Occident puis sur la Lotharingie, c’est-à-dire sur l’environnement le plus familier à l’auteur.

6À partir du xiie siècle, les auteurs désireux de composer une histoire universelle disposent donc avec les chroniques d’Eusèbe de Césarée-Jérôme et Sigebert de Gembloux – dont la circulation fut souvent associée au sein des mêmes manuscrits, d’une chaîne mémorielle comptant environ 80 casus de catastrophes naturelles. Le sondage opéré dans huit chroniques universelles composées entre le xiie et le xive siècle et disposant de ce corpus de sources semble indiquer que les auteurs opèrent dès lors une sélection très personnelle parmi les casus à disposition, sans que l’on puisse véritablement en déterminer les critères. La mémoire des catastrophes naturelles n’est donc ni systématique ni uniforme. Elle n’est surtout jamais justifiée ni, à une exception près (chez l’Anonyme de Pontigny), présentée dans le prologue comme l’un des thèmes retenus pour le récit historique.

7Le manuscrit (Metz, BM, 855), au cœur du second dossier, a permis d’entrer par les « portes » de la matérialité et de la logique sociale dans le champ d’une historiographie urbaine envisagée dans la longue durée des xve-xviie siècles.

8Ce manuscrit est un témoin important et reconnu de la culture historiographique qui fut florissante à Metz à la fin du Moyen Âge. Bien des érudits se sont intéressés à telle ou telle des pièces textuelles qu’il contient, sans qu’aucun n’ait considéré l’ensemble et ne se soit interrogé sur son histoire antérieure au xviiie siècle. Comment aborder et comprendre ce recueil de 57 pièces, dont les cahiers de papier présentent une composition hétérogène, mêlant au moins trois filigranes d’époques différentes, et sur lesquels n’interviennent pas moins cinq mains dont la datation peut être comprise entre le xve et la première moitié du xviie siècle ?

9L’enquête a donc consisté à démonter virtuellement le volume pour comprendre sa genèse. Elle a conduit à déterminer la présence de deux corpus de textes en son sein. Le premier, assemblé dans les dernières années du xve siècle, contient des textes dévotionnels et didactiques, dont on trouve trace dans d’autres témoins messins, ainsi que des chroniques et des dossiers diplomatiques et historiographiques. Il est un bon reflet de la culture partagée que les élites de la République messine ont à cœur de transmettre à ceux de leurs héritiers qui auront à leur tour la charge du gouvernement de la ville.

10Nombre des cahiers de ce premier ensemble avaient conservé des feuillets vierges. Ils furent utilisés dans le premier quart du xviie siècle pour composer un second corpus de trente-deux documents (copies d’actes médiévaux, documents contemporains touchant aux magistratures et à la diplomatie messines, récits d’événements survenus dans la ville…). L’enquête sur ce second corpus et l’observation des interventions portées en outre par des mains tardives sur le corpus du xve siècle ont permis de mettre en évidence le rôle de Jacques Praillon. Appartenant à la seconde génération d’une famille qui connaît une belle ascension sociale dans la seconde moitié du xvie siècle et qui s’impose sur une scène politique dominée désormais par le roi de France, ce personnage fut maître-échevin de Metz à plusieurs reprises entre 1578 et 1604. À sa sortie de charge, il entreprit avec l’aide de copistes professionnels, recrutés dans son milieu domestique ou liés aux offices urbains, de remanier ce recueil parvenu en sa possession. Sans doute poursuivait-il l’objectif d’inscrire la mémoire de son action politique dans un volume qui disait l’histoire longue des institutions messines. Ce faisant, ce représentant des nouvelles élites messines, fidèle au nouveau maître de Metz, assumait ou plutôt captait à son profit l’aura de l’ancien patriciat.

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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Guyot-Bachy, « Historiographie médiévale et moderne en Europe occidentale »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 156 | 2025, 294-296.

Référence électronique

Isabelle Guyot-Bachy, « Historiographie médiévale et moderne en Europe occidentale »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 156 | 2025, mis en ligne le 02 avril 2025, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ashp/8029 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13mto

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Auteur

Isabelle Guyot-Bachy

Directrice d'études, École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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