Archives orales et histoire des organisations
Résumé
Programme de l’année 2023-2024 : Histoire orale, mémoire collective, mémoire institutionnelle.
Plan
Haut de pageTexte intégral
1Le séminaire est divisé en deux parties, un premier semestre historiographique et méthodologique dédié à la fabrication et au traitement des sources orales, un second semestre consacré à l’histoire orale du ministère de l’Économie et des finances, avec le lancement d’un nouveau projet sur l’histoire des administratrices entre 1945 et 2001.
I. Des archives de la Parole au patrimoine immatériel
2La première partie du séminaire vise à initier les étudiants et les auditeurs à l’histoire orale et à ses pratiques dans les SHS.
3Les liens entre oralité, histoire, mémoire et patrimoine ont fait en France dès le début du xxe siècle l’objet de questionnements précoces de la part des sciences humaines et sociales ; ils ont donné lieu à l’invention de pratiques de collecte et d’enquête, appuyées sur des innovations technologiques en matière d’enregistrement sonore et de captation d’images. Le premier axe d’étude consiste donc à établir la généalogie et l’histoire de ces pratiques, depuis les premières fixations scientifiques de la parole du début du xxe siècle jusqu’aux actuelles enquêtes de mémoire orale filmées. Une attention particulière est portée à la terminologie utilisée, de façon à la contextualiser et à l’historiciser : archives de la parole, traditions orales, archives sonores, enquêtes orales, histoire orale, archives orales, témoignages oraux, corpus oraux, mémoire orale, histoire visuelle, etc. Enfin, nous commenterons l’acclimatation du témoignage dans la discipline historique comme un des marqueurs de l’émergence en France de l’histoire contemporaine et plus particulièrement de l’histoire du temps présent.
4Le deuxième axe consiste à étudier comment ces pratiques d’enquête se sont doublées – ou non – de pratiques de patrimonialisation. Depuis les archives de la Parole créées en 1911 au sein de la Sorbonne jusqu’à la notion de « patrimoine culturel immatériel », élaborée par l’Unesco en 2003, le séminaire s’interroge sur la manière dont la parole enregistrée se trouve prise dans la « fabrique » du patrimoine. Peut-on parler de patrimoine oral ? De patrimoine mémoriel ? Les témoignages oraux peuvent-ils être partie prenante du patrimoine culturel immatériel ? Et si oui, à quelles conditions ?
5Le troisième axe est résolument méthodologique et pratique. Il s’inscrit dans une démarche d’ingénierie historique et souhaite offrir aux auditeurs, étudiants, chercheurs et professionnels des archives ou de la documentation les outils nécessaires pour mener des campagnes de recueil de témoignages oraux et constituer des corpus de données réutilisables par la recherche en SHS (problématisation, définition du corpus des témoins et des méthodes d’entretien, mise en série, contextualisation, documentation, citabilité, accessibilité). La question du filmage des entretiens est systématiquement discutée.
- 1 Florence Descamps, « La parole et le droit. De l’insouciance à la vigilance » et « La parole et le (...)
6Enfin, prolongeant la réflexion amorcée par l’ouvrage de Véronique Ginouvès et Isabelle Gras en 20181 et prolongée par le dernier numéro de Sonorités. Bulletin de l’AFAS, dirigé par Véronique Ginouvès et Véronique Traverso (« Le droit et l’éthique : qu’est-ce qui change dans les pratiques de terrain ? », Sonorités, no 48, 2023, publié en ligne, https://journals.openedition.org/afas/7314), le séminaire documente la progression de la préoccupation éthique et juridique et réfléchit à sa transcription dans les enquêtes de terrain des SHS (protection des données personnelles et sensibles, RGPD, etc.). Cette préoccupation croise, en tension, le droit à la connaissance et plus particulièrement les droits de l’histoire, cf. les travaux de Nathalie Mallet-Poujol sur Les franchises de l’histoire. Essai sur la liberté d’expression en matière historique, Paris, Mare & Martin, 2020.
II. Histoire orale : les administratrices au ministère de l’Économie et des finances 1981-2001
- 2 Florence Descamps, « L’histoire des femmes cadres aux Finances entre 1939-1981 : un plafond de plom (...)
7Le second semestre est consacré à des études de cas en histoire orale et à l’exploitation des corpus de témoignages oraux. En janvier 2024, un programme d’histoire orale a été lancé sur les administratrices du ministère de l’Économie et des finances, en longue durée 1945-20012.
8En effet, les métiers d’argent ont historiquement opposé une forte résistance à la féminisation des postes d’encadrement supérieur et de direction. Le programme de recherche Finances publiques, finance privée, carrières au féminin, en partenariat avec Laure Quennouëlle-Corre directrice de recherches au CNRS, se propose d’étudier dans une perspective comparée les carrières des femmes cadres dans le secteur des finances publiques et dans la finance privée, au cours de la période 1981-2000. Il s’agit d’étudier les trajectoires et les métiers de ces femmes cadres, les obstacles qu’elles ont rencontrés, mais aussi les stratégies qu’elles ont mises en œuvre pour contourner ces obstacles, ainsi que les lieux et les temporalités de leur progression vers de plus grandes responsabilités.
- 3 Pour un début de bibliographie sur les hauts fonctionnaires femmes, Alex Alber, « Un plafond de ver (...)
9Ce premier semestre 2024 a permis d’établir les linéaments d’une première bibliographie3 et de dépouiller exhaustivement des Bottins administratifs entre 1981 et 2001, afin d’identifier les femmes concernées (administratrices et assimilées, chefs de bureau, sous-directrices). En parallèle, en vue d’une future étude statistique comparée des carrières hommes-femmes, le même travail a été fait pour les administrateurs dans la même période. Le corpus des futures interviewées a été augmenté de témoignages oraux d’administratrices Finances déjà réalisés dans d’autres institutions (IGPDE / CHEFF, CH du ministère de la Culture). La lettre d’appel à témoignage et le canevas d’entretien ont été établis, ainsi qu’un partenariat avec l’IGPDE pour le recueil et la future conservation des archives orales ainsi constituées. Ce dernier organisme a en effet constitué une importante collection de témoignages oraux sur le ministère des Finances (400 témoins, 4 000 heures d’enregistrement) destinés à la recherche en SHS, mais l’essentiel des interviewés était des administrateurs, le programme de recherche sur les administratrices permettra donc de féminiser cette collection.
10La méthode choisie est celle du récit de carrière, croisant histoire de soi, histoire de l’administration et plus particulièrement celle de l’administration centrale des Finances (de Rivoli à Bercy), histoire économique ou financière et histoire du genre. Une dizaine d’interview ont d’ores et déjà été réalisées, qui ont permis de tester les questionnements et de recueillir une première matière historique. Ces carrières de femmes au ministère de l’Économie et des finances seront comparées à celles menées dans la banque (banques commerciales, banques d’affaires, institutions financières publiques), cf. les travaux de Laure Quennouëlle-Corre et Sabine Effosse sur Les femmes qui comptent4.
Notes
1 Florence Descamps, « La parole et le droit. De l’insouciance à la vigilance » et « La parole et le droit. Recommandations pour la collecte, le traitement et l’exploitation des témoignages oraux », avec Raphaëlle Branche, Frédéric Saffroy et Maurice Vaïsse, dans Véronique Ginouves, Isabelle Gras (dir.), La diffusion numérique des données en SHS. Guide des bonnes pratiques éthiques et juridiques, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2018, p. 89-101 et p. 102-127.
2 Florence Descamps, « L’histoire des femmes cadres aux Finances entre 1939-1981 : un plafond de plomb », Revue française d’administration publique, no 145 (2013), p. 39-63.
3 Pour un début de bibliographie sur les hauts fonctionnaires femmes, Alex Alber, « Un plafond de verre plus bas dans la fonction publique ? », Travail, genre et sociétés, no 30 (2013), p. 131-154 ; Laure Bereni, La bataille de la parité. Mobilisations pour la féminisation du pouvoir, Paris, Economica, 2015 ; Soline Blanchard, Isabel Boni-Le Goff, Marion Rabier, « Une cause de riches ? L’accès des femmes au pouvoir économique », Sociétés contemporaines, no 89 (2013), p. 101-130 ; Anne-Marie Colmou, L’encadrement supérieur de la fonction publique : vers l’égalité entre les hommes et les femmes. Rapport au ministre de la Fonction publique, Paris, La Documentation française, 1999 ; Frédéric Edel, « Les instruments juridiques de l’égal accès des femmes et des hommes aux emplois publics : depuis le droit à l’égalité jusqu’aux politiques d’égalité », Revue française d’administration publique, no 145 (2013), p. 109-135 ; Jean-Michel Eymeri, La fabrique des énarques, Paris, Economica, 2001 ; Elsa Favier, « Pourquoi une présence au bureau de quinze heures par jour ? Rapports au temps et genre dans la haute fonction publique », Revue française d’administration publique, no 153 (2015), p. 75-90 ; Cécile Guillaume, Sophie Pochic, « What would you Sacrifice? Access to Top Management and the Work/Life Balance », Gender, Work and Organization, 16, no 1 (2009), p. 14-36 ; Cécile Guillaume, Sophie Pochic, « Breaking through the Union Glass Ceiling in France: between Organisational Opportunities and Individual Resources », dans Sue Ledwith, Lise Lotte Hansen (dir.), Gendering and Diversifying Trade Union Leadership, Londres, Routledge, 2012, p. 245-263 ; Alban Jacquemart, « “J’ai une femme exceptionnelle”. Carrières des hommes hauts fonctionnaires et arrangements conjugaux », Connaissance de l’emploi, no 114, mis en ligne en novembre 2014 ; Alban Jacquemart, Fanny Le Mancq, Sophie Pochic, « Femmes hautes fonctionnaires en France. L’avènement d’une égalité élitiste », Travail, genre et société, no 35 (2016), p. 27-45 ; Jacqueline Laufer, L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, Paris, La Découverte, 2014 ; Catherine Marry, Laure Bereni, Alban Jacquemart, Fanny Le Mancq, Sophie Pochic, Anne Revillard, « Le genre des administrations. La fabrique des inégalités de carrière dans la haute fonction publique », Revue française d’administration publique, no 153 (2015), p. 46-68 ; Catherine Marry, Laure Bereni, Alban Jacquemart, Fanny Le Mancq, Sophie Pochic, Anne Revillard, Le plafond de verre et l’État. La construction des inégalités de genre, Paris, Armand Colin, 2017 ; Pierre Mathiot, Frédéric Sawicki, « Les membres des cabinets ministériels socialistes en France (1981-1993) : recrutement et reconversion », Revue française de sciences politiques, no 1 (1999), p. 3-30 ; Luc Rouban, « Les énarques en cabinets 1984-1996 », Cahiers du CEVIPOF, no 17 (1997) ; Luc Rouban, « L’accès des femmes aux postes dirigeants de l’État », Revue française d’administration publique, no 145 (2013), p. 89-108.
4 http://grheco.ehess.fr/les-femmes-qui-comptent/.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Florence Descamps, « Archives orales et histoire des organisations », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 156 | 2025, 356-358.
Référence électronique
Florence Descamps, « Archives orales et histoire des organisations », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 156 | 2025, mis en ligne le 02 avril 2025, consulté le 14 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ashp/8094 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13mu2
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page