Navigation – Plan du site

AccueilNuméros156Résumés des conférencesHistoire de la médecine : maladie...

Résumés des conférences

Histoire de la médecine : maladies, malades, praticiens

Joël Coste
p. 384-386

Résumé

Programme de l’année 2023-2024 : I. Définitions et causes de maladie(s) dans la médecine occidentale (suite). — II. Épistémologie de la science médicale à l’époque moderne. La médecine aux confins du naturel (XVIe-XVIIe siècles) [suite].

Haut de page

Texte intégral

1I. La première conférence (Définitions et causes de maladie[s] dans la médecine occidentale) a poursuivi les travaux présentés lors des trois dernières conférences 2020-2021, 2021-2022 et 2022-2023 (voir les rapports de celles-ci) et abordé les théorisations et les pratiques de définition et de mise en relation causale dans la pathologie des médecins occidentaux du milieu du xive siècle à la fin du xve siècle. Après un aperçu de l’historiographie de la deuxième pandémie de peste (qui touché l’Europe à partir de 1347), particulièrement riche ces deux dernières décennies, les définitions et théorisations causales de la maladie ont été étudiées dans une dizaine d’écrits de peste (« Pestschriften ») rédigés entre 1348 et 1401. Les deux consilia de Gentile da Foligno, le Compendium de epidemia de la faculté parisienne, le Tractatus de epidemia d’un praticien montpellierain anonyme, le Regiment de preservació de pestilència de Jacme d’Agramont, l’Epistola et regimen de pestilentia d’Alphonse de Cordoue, rédigés en 1348-1349, ont été analysés, ainsi que quelques écrits postérieurs de Jean Jacme (Tractatus pestilentiae, ensuite repris par Canutus), Chalin de Vinario (De peste), Valesco de Tarente (Tractatus de epidemia et peste) et Pietro da Tossignano (Consilium pro peste evitanda). En grande difficulté pour définir la peste, les auteurs de ces écrits de peste ont également eu recours à de nouvelles typologies de causes, opposant causes supérieures et inférieures, causes universelles et particulières, causes naturelles et artificielles, causes internes et externes. Les causes astrales, qui faisaient l’objet d’un intérêt croissant de la médecine universitaire depuis les années 1280, ont été très largement utilisées dans les premières décennies suivant le retour de la peste, de même que les causes divines. Les auteurs d’écrits de peste ont aussi pour la plupart reconnu la contagion interhumaine, qui était considérée comme un caractère de la maladie ou comme une cause d’entretien de l’épidémie. La pathologie de la médecine scolastique suivant la peste a été étudiée dans le seul texte de pathologie générale survivant de la période, le livre I des Sermones medicinales de Niccolò Falcucci (ca 1330-1412), qui s’est révélé fortement influencé par Avicenne (à l’exception du concept de neutre, repris par l’auteur), puis dans les commentaires à l’Ars medica de Galien et au Canon d’Avicenne et enfin dans les practicae. Les conceptions pathologiques présentes dans les commentaires à l’Ars medica de Jacopo da Forlì, Ugo Benzi et au Canon de Jacques Despars se sont également révélées très proches de celles d’Avicenne, et les débats sur le neutre ont paru plus apaisés qu’au début du xive siècle, avec des auteurs empruntant majoritairement la via Haly, Gentilis et Patavorum plus simple que la via Plusquam de Pietro Torrigiano. Quant aux practicae analysées (celles de Guillaume de Brescia, Niccolò Falcucci pour les livres II-VII des Sermones, Valesco de Tarente, Antonio Guainerio, Giovanni Arcolano, Giovanni Matteo Ferrari da Grado et Michele Savonarola), elles intégrèrent de manière limitée mais néanmoins significative les causes astrales, divines et diaboliques (pour la peste, l’incube et l’épilepsie notamment), mais aussi, et c’est particulièrement notable, des explications mécaniques et anatomiques. Si les typologies de causes employées furent plus variées que dans les practicae du début du xive siècle, l’usage de la définition par leurs auteurs fut en revanche plus inconstant et plus laxiste.

2II. La seconde conférence (Épistémologie de la science médicale à l’époque moderne. La médecine aux confins du naturel, xvie-xviie siècles) a poursuivi l’analyse de la production de connaissances médicales sur des phénomènes situés « aux confins du naturel » et particulièrement les phénomènes de possession, d’extase, et de transformation supposée entamée en 2021-2022 et poursuivie en 2022-2023 (voir le rapport de ces conférences). Le début de la conférence a été consacré aux suites de l’affaire Marthe Brossier (1598-1599) et à l’étude des conceptions de la possession diabolique chez les médecins français de la première moitié du xviie siècle, analysées notamment dans une série de textes sur les maladies mentales (Taxil, Guibelet, Burée, Ferrand et Pardoux), dans les « Diverses leçons… » de Louis Guyon (1603 et 1613) et dans les traités de pathologie de la période (Houllier et ses commentateurs, Riolan, La Framboisière et Rivière). Un large éventail de conceptions a été relevé, du rejet complet des démons (implicite chez Riolan, La Framboisière et Rivière) jusqu’à l’endossement complet de la démonologie catholique, incluant la réalité du pacte des sorciers (chez Pardoux). Si plusieurs auteurs ont mis en exergue les cas simulés, accumulés et quelquefois présentés dans une veine comique, d’autres ont participé au développement, dans les années 1599-1610, d’une sémiologie médicale de la possession, largement empruntée aux auteurs religieux. Après avoir rappelé l’historiographie et les principaux épisodes, souvent stéréotypés, des affaires d’Aix-en-Provence (1609-1611), Nancy (1618-1625), Loudun (1632-1638), Louviers (1643-1647), Auxonne (1657-1664) et Saint-Orens (1681-1682), les pratiques et les écrits des médecins français impliqués dans ces affaires ont été analysés. Si certains médecins ont été associés à des pratiques d’exorcismes, le plus souvent déviants, la plupart d’entre eux ont été sollicités pour une expertise de nature médico-légale, qui était (en principe) obligatoire avant la réalisation des exorcismes. Lors de cette expertise toutefois, beaucoup ne se contentèrent pas d’attester ou non de l’existence de maladies mentales ou de simulation mais recherchèrent des « marques » de « surnaturel », de « possession » voire de « sorcier ». Des connaissances utilisables pour ces recherches ont même été élaborées, dans des conditions peu propices à une bonne épistémologie (peur panique du diable, conflits confessionnels, vacance des pouvoirs) et présentées dans des textes de circonstance, souvent polémiques. Les connaissances nosologiques (« la pathologie diabolique ») et sémiologiques (pour le diagnostic « positif » de « possession » ou de « sorcier » et le diagnostic différentiel avec la « folie » et la simulation) s’appuyaient principalement sur l’analyse des cas de possession (et de sorcellerie) trouvés dans les écrits bibliques ou des Pères et docteurs de l’Église (Augustin, Thomas) et de cas supposés « prouvés » rapportés par des médecins (comme celui de l’épileptique possédé rapporté en 1548 par Fernel dans le De Abditis rerum causis). Des expérimentations pour reconnaître le caractère supposé « diabolique » des manifestations (en réaction à la présence de choses sacrées notamment) ou piéger les simulateurs ont aussi été recommandées et parfois mises en œuvre, non sans réticences ou oppositions. Certains de ces textes de circonstance, en particulier le Discours de la possession des religieuses ursulines de Lodun (1634) du médecin de Saumur Marc Duncan (1581-1640), comportaient néanmoins des réflexions de qualité sur la simulation et ses raisons « morales » (l’intérêt), et sur la suggestibilité pour expliquer le caractère micro-épidémique des cas de possession observés à cette période, particulièrement dans les couvents. Dans les affaires incriminant de supposés sorciers, seul le médecin aixois Jacques Fontaine († 1621) s’est engagé dans une élaboration sur les « marques des sorciers », tragique dans ses conséquences et tout à fait aberrante en termes de doctrine médicale. Quelques éclairages européens ont montré des attitudes médicales très différentes selon les pays, dépendant du climat psychologique (peurs, conflits confessionnels, force ou faiblesse des autorités), du cadre religieux (catholique, réformé), du système judiciaire et politique et du maillage universitaire. Les médecins italiens se montrèrent probablement les plus sceptiques, pour certains dans la tradition padouane de Pomponazzi, mais aussi en ligne avec la rigueur de l’instruction des tribunaux pontificaux (après 1570). Il en fût de même des médecins néerlandais, à l’instar de Lemnius et Van Foreest, et au contraire des médecins allemands et des Pays-Bas catholiques restés très longtemps « démonophiles ». Les médecins français, espagnols et anglais peuvent être trouvés dans une position intermédiaire, les premiers rejoignant peut-être plus tôt le camp sceptique que les derniers.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Joël Coste, « Histoire de la médecine : maladies, malades, praticiens »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 156 | 2025, 384-386.

Référence électronique

Joël Coste, « Histoire de la médecine : maladies, malades, praticiens »Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques [En ligne], 156 | 2025, mis en ligne le 02 avril 2025, consulté le 14 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/ashp/8122 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13mu7

Haut de page

Auteur

Joël Coste

Directeur d'études, École pratique des hautes études-PSL — section des Sciences historiques et philologiques

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search