Religion, éthique, biotechnologies et parenté
Texte intégral
1Ce séminaire s’intéresse aux liens entre religion, éthique, biotechnologies et parenté. Outre l’Assistance médicale à la procréation (AMP), les biotechnologies incluent notamment la possibilité de recherches sur l’embryon, le diagnostic préimplantatoire (DPI) ou le diagnostic prénatal (DPN) : ce faisant, elles sont venues bouleverser les systèmes symboliques et les ordonnancements du monde que sont les religions. Les questions liées à l’éthique sont au cœur de l’interrelation entre religion et société. L’analyse des interactions entre religions et biotechnologies représente un fil conducteur fructueux pour comprendre la réorganisation des systèmes de croyances en régime de sécularisation avancée, contribuant ainsi à la sociologie des religions dans le monde contemporain.
- 1 C. Taylor, L’âge séculier, Paris 2011.
2Il s’agit de saisir comment le religieux perçoit les biotechnologies et en retour, comment ces dernières travaillent les univers religieux de l’intérieur : les autorités religieuses comme les fidèles. Constatant que la pluralisation religieuse va de pair avec la sécularisation1, ce séminaire ne se limite pas à l’étude d’une tradition religieuse particulière afin de saisir de façon globale, dans un contexte de diversité religieuse caractéristique du monde occidental contemporain, les enjeux liés à ces questions.
- 2 Voir D. Hervieu-Léger, Catholicisme. La fin d’un monde, Paris 2003 ; D. Pelletier, « Les évêques de (...)
3Cependant, pour cette année 2017-2018, ce séminaire a débuté en insistant sur la façon dont le catholicisme, en France, est central sur ces questions d’éthique et comment notamment, l’Église catholique s’est prononcée sur des questions de morale sexuelle et partant, d’éthique2.
- 3 Citons pourtant S. Fainzang, Médicaments et société. Le patient, le médecin et l’ordonnance, Paris (...)
- 4 Citons par exemple, en France, le département d’éthique médicale de l’Université catholique de Lill (...)
4En France, la sociologie et l’anthropologie de la médecine n’étudient guère la variable religieuse et les travaux des sociologues des religions ne s’intéressent que trop rarement à cette question de la santé et du soin3. Ce sont généralement les départements de théologie et d’éthique qui se saisissent des questions d’éthique4.
- 5 Il définit la morale comme « un ensemble de jugements que les hommes, individuellement ou collectiv (...)
- 6 F.-A. Isambert, De la religion à l’éthique, Paris 1992, et F.-A. Isambert, P. Ladrière, J.-P. Terre (...)
5Ce séminaire s’inscrit dans une sociologie de l’éthique pratique, dont l’intérêt fut déjà souligné par les pères fondateurs de la sociologie, en particulier dans les textes sur la morale de Durkheim5, puis formalisé, dans ses rapports avec la religion, par François-André Isambert qui propose la définition suivante de l’éthique : « On parlera d’éthique proprement dite lorsque l’éthos (interchangeable selon les auteurs avec le terme de mœurs) se déploie en discours, que celui-ci soit une science des mœurs, une morale de l’obligation ou une théorie des valeurs, ou encore, comme la plupart des éthiques du sens commun, qu’il circule entre ces divers types d’explicitations »6.
6En 2017-2018, la première partie du séminaire s’est arrêtée sur l’apport de l’histoire contemporaine à l’étude des rapports entre religion et éthique, qui permet de penser aujourd’hui les liens entre religion, éthique. On pourra par la suite s’attacher à élaborer une sociologie de l’éthique au travers du prisme des liens entre biotechnologies, notamment de la reproduction et religion. On a ensuite étudié les débats parlementaires à propos de la contraception et de l’avortement en s’arrêtant en particulier sur la façon dont s’était exprimées les religions sur cette question.
- 7 D. Memmi, Les gardiens du corps, Paris 1997.
7Une deuxième partie a été consacrée aux lois de bioéthique française de 1994. On s’est tout d’abord arrêté sur le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), son histoire, son action, au travers notamment des travaux de Dominique Memmi7. On s’est ensuite intéressé aux débats à l’occasion des états généraux de la bioéthique de 2009.
- 8 Voir « Sacred conceptions: religion and the global practices of IVF », Culture, Medicine and Psychi (...)
- 9 Voir S. Bateman, « Moraliser l’artifice : religion et procréation assistée. Le cas du modèle CECOS (...)
8Une troisième partie a présenté les travaux qui, d’abord aux États-Unis, s’intéressent aux liens entre Assistance médicale à la procréation et religion8. On a pu ensuite voir comment le modèle bioéthique français empruntait à des normes religieuses, notamment à travers l’étude de la constitution des CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme) fondé à l’initiative de Georges David, médecin catholique9.
9Ce premier séminaire permettra de préparer celui de 2018-2019 autour de l’organisation des États généraux de la bioéthique de 2018 et de la place qu’y occupe, ou pas, les différentes religions.
Notes
1 C. Taylor, L’âge séculier, Paris 2011.
2 Voir D. Hervieu-Léger, Catholicisme. La fin d’un monde, Paris 2003 ; D. Pelletier, « Les évêques de France et la République de l’intime – 1968-2005 », dans C. Béraud, F. Gugelot, I. Saint-Martin (dir.), Catholicisme en tensions, Paris 2012, p. 179-190 ; C. Langlois, Le crime d’Onan : le discours catholique sur la limitation des naissances 1816-1930, Paris 2005.
3 Citons pourtant S. Fainzang, Médicaments et société. Le patient, le médecin et l’ordonnance, Paris 2001 et « Les patients face à l’autorité médicale et religieuse », dans R. Massé et J. Benoist, Convocations thérapeutiques du sacré, Paris 2002, p. 125-142. Voir aussi, en sociologie, J. Baubérot, R. Liogier, Sacrée médecine. Histoire et devenir d’un sanctuaire de la raison, Paris 2011 ; A.-C. Bégot, « La gestion du fait religieux au sein de l’institution médicale est-elle un facteur d’exclusion ? Perspective historique et étude de cas », dans G. Jobin (éd.), Sida, rites, hospitalité. Aux croisements de la spiritualité et de la santé, Laval 2011, p. 53-72 ; Médecines parallèles et cancer. Une étude sociologique, Paris 2010 ; « La religion dans l’expérience du VIH/Sida », Santé de l’Homme (revue de l’INPES), dossier « Religieux et santé », 406 (2010), p. 20-21, et C. Caudullo, A. Mathiot, A. Sarrandon-Eck, « De la difficulté à faire exister une unité de soins spirituels dans un hôpital universitaire français », Sciences sociales et santé 34-1 (2016), p. 5-30.
4 Citons par exemple, en France, le département d’éthique médicale de l’Université catholique de Lille auquel sont rattachés essentiellement des théologiens et, au Canada, le théologien Guy Jobin, auteur notamment Des religions à la spiritualité. Une appropriation biomédicale du religieux dans l’hôpital, Bruxelles 2012.
5 Il définit la morale comme « un ensemble de jugements que les hommes, individuellement ou collectivement, portent sur leurs propres actes comme sur ceux de leurs semblables, en vue de leur attribuer une valeur très spéciale, qu’ils estiment incomparable aux autres valeurs humaines » et se propose d’essayer de comprendre « en quoi consiste cette valeur, qu’est-ce qui la caractérise […] », dans E. Durkheim, « Introduction à la morale », Revue Philosophique 89 (1920), p. 79-97, extraits reproduits dans Textes, textes présentés par V. Karady, t. II, Religion, morale, anomie, Paris 1975, p. 313-331 (p. 313 et p. 314).
6 F.-A. Isambert, De la religion à l’éthique, Paris 1992, et F.-A. Isambert, P. Ladrière, J.-P. Terrenoire, « Pour une sociologie de l’éthique », Revue française de sociologie 19-3 (1978), p. 323-339 (p. 327).
7 D. Memmi, Les gardiens du corps, Paris 1997.
8 Voir « Sacred conceptions: religion and the global practices of IVF », Culture, Medicine and Psychiatry 30-4 (décembre 2006) ; S. Kahn, Reproducing the Jews: A Cultural Account of assisted Conception in Israel, Durham (NC) 2000 ; E. Blyth, R. Landau (éd.), Faith and fertility. Attitudes towards Reproductive Practices in different Religions from Ancient to Modern Times, Londres 2009.
9 Voir S. Bateman, « Moraliser l’artifice : religion et procréation assistée. Le cas du modèle CECOS », dans J. Maître, G. Michelat (dir.), Religion et sexualité, Paris 2002, p. 79-94 ; S. Mathieu, L’enfant des possibles. AMP, éthique, religion et filiation, Paris 2013 ; I. Théry, « Les ambiguïtés du modèle bioéthique français », dans Des humains comme les autres. Bioéthique, anonymat et genre du don, Paris 2010, p. 67-103.
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Référence papier
Séverine Mathieu, « Religion, éthique, biotechnologies et parenté », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses, 126 | 2019, 481-483.
Référence électronique
Séverine Mathieu, « Religion, éthique, biotechnologies et parenté », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [En ligne], 126 | 2019, mis en ligne le 24 septembre 2019, consulté le 06 octobre 2024. URL : http://journals.openedition.org/asr/3081 ; DOI : https://doi.org/10.4000/asr.3081
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