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Résumés des conférences

Guerre des deux France et sécularisation au xixe siècle.
Une perspective transnationale

Sarah Scholl
p. 549-552

Résumé

La mise en œuvre d’un programme laïque est reconnue comme l’une des spécificités de la France du xixe siècle, passant par une lutte contre le pouvoir de l’Église et du clergé. Pourtant, ces débats, parfois violents, se retrouvent dans tous les pays occidentaux durant la seconde moitié du xixe siècle, notamment sous le nom de Kulturkampf ou guerre pour la civilisation. Partout, État et Église (protestante ou catholique) sont en conflit autour de la définition de leurs prérogatives et de leur place dans la société. Ce séminaire s’est concentré sur une comparaison des cas de la France, de l’Italie, de la Suisse et de l’Allemagne pour montrer les circulations d’idées autour des questions de laïcisation de l’État, de gestion de la diversité religieuse et de transformation du christianisme.

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Texte intégral

  • 1 Ch. Clark, W. Kaiser (éd.), Culture Wars. Secular-Catholic Conflict in Nineteenth-Century Europe, C (...)
  • 2 T. Verhoeven, Transatlantic Anti-Catholicism : France and the United States in the Nineteenth Centu (...)

1La Séparation de l’Église et de l’État de 1905 en France et la laïcité qui en découle sont souvent perçues et racontées comme partie prenante d’une « exception » française. Ce modèle de séparation, en effet unique dans le paysage européen, est toutefois le résultat de luttes pour les idées laïques qui ont lieu au xixe siècle dans de nombreux pays, selon des modalités très similaires. Il est en effet possible de considérer que la « Guerre des deux France » participe du même phénomène que le Kulturkampf, allemand ou suisse, et que cette lutte entre tenants des idées laïques ou séculières et autorités catholiques se déroule – à plus ou moins grande échelle – dans toute l’Europe. Pour décrire le phénomène, Christopher Clark et Wolfram Kaiser utilisent l’expression de Culture wars, ou guerres de culture(s), dans leur ouvrage de 2003 dressant un panorama européen de la question1. Les publications sur l’anticatholicisme, qui abondent depuis quelques années, considèrent aussi que l’anticléricalisme français est une des expressions d’un mouvement européen d’opposition à l’Église catholique et à ses principes religieux, philosophiques et culturels2. La question déborde donc les frontières nationales, et touche toutes les sphères de la société. En outre, les régions de protestantisme majoritaire connaissent aussi ce type de problématique. Partout, État et Église sont en conflit autour de la définition de leurs prérogatives et de la place de la religion dans la société.

2De plus, comme le laisse voir l’étude de la presse et des discours politiques, les oppositions entre État démocratique moderne (en constitution) et Église catholique se construisent par ricochet, d’une situation nationale à l’autre. Allemands, Suisses et Français examinent la situation italienne, où unité nationale et lutte contre la papauté ne font souvent qu’une jusqu’en 1870 et la prise de Rome. Cette situation nourrit les oppositions allemandes et suisses à la hiérarchie catholique, qui, la même année, suivent la promulgation du dogme de l’Infaillibilité pontificale. À leur tour, ces conflits alimentent l’anticléricalisme français et contribuent à construire l’agenda du « moment laïque ».

3Le séminaire s’est concentré sur ces quatre pays, la France, l’Italie, la Suisse et l’Allemagne, dans le but de montrer, par une comparaison plus soucieuse d’analyser les ressemblances que de pointer les dissemblances, les circulations d’idées et de personnes autour des questions de laïcisation de l’État et de pluralisation de la sphère religieuse. Ici laïcisation et sécularisation ne sont pas a priori différenciées, pour permettre une application du concept aux diverses ères linguistiques. Les deux expressions désignent le processus qui conduit une société à adopter des structures neutres du point de vue religieux, ouvrant la porte à la concurrence entre religions ou confessions, ainsi qu’à la possibilité, pour l’individu, de transformer et de métisser ses appartenances religieuses ou d’y renoncer. Mon approche est donc particulièrement attentive à la gestion de la diversité religieuse dans les sociétés européennes, en considérant ces crises du xixe siècle comme des crises de pluralisation, c’est-à-dire des étapes dans l’apprentissage du pluralisme croissant sur un même territoire.

4Les six séances du séminaire ont permis une comparaison des chronologies législatives française, suisse, allemande et italienne, mettant en évidence la tendance générale à une laïcisation des instances étatiques. La thématique permettait de marier étude de cas et analyse des mouvements transnationaux. La première séance a servi à définir le phénomène, en faisant l’histoire des terminologies de Guerre des deux Frances et de Kulturkampf et en s’interrogeant sur leurs usages dans l’historiographie. La deuxième séance a entrepris de décrire les groupes en présence en analysant les « doctrines de haines » et les représentations de l’autre des catholiques, des protestants et des anticléricaux. La troisième séance a exploré la question de la construction de l’État au xixe siècle, dans son autonomisation de la sphère religieuse. En reprenant la clé de lecture d’une « querelle des investitures », issue du Moyen Age et de l’époque moderne, il s’agissait de montrer comment les luttes du xixe siècle permettent une nouvelle répartition des prérogatives entre Églises et institutions étatiques, en particulier en ce qui concerne l’état civil et l’école. L’état civil laïc est mis en place dans les quatre pays examinés entre 1792 (France) et 1876. La possibilité ou non du divorce, avec des fluctuations législatives pour la France, est aussi un indicateur précieux d’un certain détachement de la matrice catholique.

5En poursuivant ce questionnement sur la redéfinition des valeurs morales, l’examen des arguments anticléricaux et de leur circulation transnationale montre une certaine focalisation sur le rejet de la vie conventuelle, comme contraire au modèle bourgeois en train de s’imposer. C’est pourquoi la quatrième séance a été consacrée à la question des ordres religieux. Ils sont l’objet de combats très durs, incluant leur interdiction ponctuelle dans tous les territoires considérés dans ce séminaire. La cinquième séance a permis d’examiner plus en détail l’impact des guerres de culture sur la religion et ses contenus, en montrant comment les christianismes se transforment durant le xixe siècle, à travers des schismes, des expérimentations cultuelles et théologiques, intégrant par exemple certains droits individuels – ainsi que le font les protestants libéraux et les vieux-catholiques par exemple – ou en renforçant l’intransigeance doctrinale et en centralisant le pouvoir, comme le font le pape Pie IX et le concile de Vatican I. Enfin, avec la sixième et dernière séance, s’est posée la question des « gagnants » de ces guerres de culture. L’analyse croisée des violences commises durant la période, de la transformation des cadres législatifs nationaux, culminant avec la séparation française de 1905, et d’une vitalité religieuse notable ne permet pas de conclure à la victoire de l’un ou l’autre camp. En France, en Italie, en Allemagne et en Suisse, les Églises et les communautés religieuses sont loin d’avoir été écartées du champ social par ces luttes laïques, mais elles n’y occupent plus la place qu’elles avaient au début du xixe siècle. Leur espace est plus circonscrit, dans le concert de la diversité.

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Notes

1 Ch. Clark, W. Kaiser (éd.), Culture Wars. Secular-Catholic Conflict in Nineteenth-Century Europe, Cambridge 2003.

2 T. Verhoeven, Transatlantic Anti-Catholicism : France and the United States in the Nineteenth Century, New York 2010 ; M. Borutta, Antikatholizismus. Deutschland und Italien im Zeitalter der europäischen Kulturkämpfe, Göttingen 2010 ; Y. Werner, J. Harvard (éd.), European Anti-Catholicism in Comparative and Transnational Perspective. The Role of a Unifying Other: An Introduction, n° thématique European Studies. A Journal of European Culture 31 (2013), p. 13-22 ; J. Wolffe (éd.), Protestant-Catholic Conflict from the Reformation to the 21st Century : the Dynamics of Religious Difference, Londres 2013 ; L. Dittrich, Antiklerikalismus in Europa. Öffentlichkeit und Säkularisierung in Frankreich, Spanien und Deutschland (1848-1914), Göttingen 2014 ; T. Verhoeven (éd.), Transnational approaches to the history of anti-Catholicism in the modern era, n° spécial Journal of Religious History 39/2 (2015), p. 175-306 ; C. Gheeraert-Graffeuille, G. Vaughan, Anti-Catholicism in Britain and Ireland, 1600-2000. Practices, Representations and Ideas, Basingstoke 2020.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sarah Scholl, « Guerre des deux France et sécularisation au xixe siècle.
Une perspective transnationale »
Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses, 129 | -1, 549-552.

Référence électronique

Sarah Scholl, « Guerre des deux France et sécularisation au xixe siècle.
Une perspective transnationale »
Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [En ligne], 129 | 2022, mis en ligne le 10 juin 2022, consulté le 05 juin 2023. URL : http://journals.openedition.org/asr/4223 ; DOI : https://doi.org/10.4000/asr.4223

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Auteur

Sarah Scholl

Mme, Chargée de conférences, École pratique des hautes études – Section des sciences religieuses

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Droits d’auteur

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