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Résumés des conférences

Nécropoles et société dans l’Athènes archaïque : les découvertes de la nécropole du Phalère

Stella Chryssoulaki
p. 203-208

Full text

La nécropole du Phalère : une Athènes inconnue

1Les fouilles menées sur le site de Phalère (2012-2022), au sud de la plaine d’Athènes et à proximité de la mer, ont révélé une nécropole bien stratifiée datée par la céramique du Géométrique Récent à la fin de la période classique (viiie-ive siècles av. J.-C.), mais regroupant un nombre particulièrement élevé de sépultures de l’époque archaïque. Deux petites parties de cette nécropole avaient été explorées en 1911 (Kourouniotis) et 1915 (Pelekidis). Mais ce sont maintenant 1961 sépultures de différents types qui ont été mises au jour dans les deux secteurs fouillés, situés aux deux extrémités de la nécropole ; dans le seul secteur sud-est, un peu plus de 700 tombes sont datables du viie siècle. La quantité d’informations apportée par cette nécropole est donc de nature à modifier sensiblement nos connaissances sur les pratiques funéraires athéniennes, établies jusqu’ici à partir de cimetières certes représentatifs, mais plus restreints : par comparaison, la célèbre nécropole du Céramique a livré 304 sépultures en tout. On ne peut donc plus considérer que l’époque archaïque, et en particulier le viie siècle, livrent moins de sépultures identifiables que les époques antérieures ou postérieures en raison d’un changement dans les rites funéraires. Les sépultures sont distribuées sur une vaste aire sablonneuse allongée du sud-est (où se trouvent les tombes les plus anciennes) au nord-ouest, fouillée sur une étendue de dix hectares représentant peut-être un cinquième de la superficie totale de la nécropole. Établie sur la zone côtière au sud d’Athènes, la nécropole de Phalère a évolué au fil des siècles sous l’action conjointe de l’alluvionnement et les variations du niveau de la mer.

2Le tracé de la ligne du rivage tel qu’il apparaît sur les cartes du xixe siècle, les études des variations de cette ligne par les géologues et l’existence d’une importante zone marécageuse au sud-est du site, aident à restituer le cadre géomorphologique pour une période historique révélatrice de l’évolution de la cité.

3La distribution des tombes montre des regroupements en noyaux d’importance variable, mais cette organisation spatiale, assez claire au viie siècle, tend à disparaître ensuite. La première question qui se pose est celle du positionnement de cette aire funéraire par rapport aux secteurs d’habitat, question d’autant plus importante que la démarcation entre l’espace de vivants et les demeures des morts constitue un dossier clef de la genèse de la cité. On ne connaît pas d’habitat important et stable à proximité immédiate de la nécropole. Mais étant donné que le Phalère jusqu’aux guerres médiques a servi de zone portuaire de grande importance pour Athènes, les axes de circulation et de défense de la cité aboutissaient à la route menant au port. Ce chemin constituait un tracé pouvant avoir des répercussions sur le mode d’organisation de l’espace : les nécropoles antiques se développent souvent à proximité d’un lieu de passage d’autant plus que ce dernier parcourt une distance de 4 kilomètres en parallèle avec l’enceinte défensive dite de Phalère.

Pratiques funéraires et société à l’époque archaïque : de nouvelles perspectives

4L’analyse des données de la fouille est en cours, mais la nécropole de Phalère apporte dès à présent des éléments nouveaux sur plusieurs aspects des pratiques funéraires, en particulier pour l’époque archaïque. La typologie des sépultures comporte quatre groupes principaux : on a dénombré 1037 tombes à fosse, 680 dépositions en jarre, 140 bûchers funéraires et 61 tombes à ciste. Certaines pratiques singulières méritent d’être relevées. La nécropole a ainsi livré 17 tombes de chevaux qui, contrairement à bien d’autres cas, n’étaient apparemment pas là pour accompagner un défunt : il s’agit de jeunes mâles vigoureux (3-5 ans), qui ne semblent pas avoir été montés.

5La typologie des tombes permet une analyse poussée des pratiques funéraires en fonction des classes d’âge. Le type le plus commun de sépulture d’adulte est représenté par les tombes à simple fosse, où l’on ne trouve généralement que très peu d’offrandes (un ou deux vases), voire pas du tout, mais parfois des traces de linceul ou de vêtement. Les postures des corps sont très variables. Il est important de rappeler que souvent, dans les fouilles de nécropoles, les tombes à fosse sans offrande ne sont pas publiées, ce qui fausse les statistiques.

6Les bûchers funéraires, parfois utilisés à plusieurs reprises, sont des incinérations primaires, pratiquées dans une tranchée sableuse parfois renforcée par des parois de dalles d’argile séchées au soleil, de briques ou enduites d’argile. On n’a trouvé que trois incinérations secondaires, mais dans un cas les cendres ont été recueillies dans un chaudron en bronze. Pour l’époque archaïque, il n’y a pas de trace de « tranchées à offrandes » analogues à celles du cimetière du Céramique. Les tombes à ciste, dont les dalles furent découpées dans le calcaire local, sont également des sépultures d’adulte, le plus souvent sans offrandes.

7Elles paraissent avoir été ouvertes plusieurs fois, ce qui fait penser qu’elles ont été réutilisées sur de longues périodes, soit dans un cadre organisé (familial ?), soit de manière incontrôlée.

8Cependant, une des caractéristiques les plus remarquables de la nécropole du Phalère est la forte proportion des enfants à l’époque archaïque : ils représentent même la majorité des sépultures au viie siècle. C’est en grande partie de cette époque que datent les centaines d’ensevelissements en jarre où l’on trouve des nourrissons, de très jeunes enfants, voire des enfants morts nés. Ces sépultures dévoilent de façon précise toute la gestualité entourant ces décès. Les jarres sont généralement des vases utilitaires qui ont auparavant servi dans la vie quotidienne.

9Elles ont généralement été ouvertes au niveau de la panse pour y déposer le cadavre, puis l’orifice était fermé (par une pierre, un autre vase ou morceau de vase, etc.), comme par ailleurs l’embouchure du vase, ce qui évoque immanquablement une matrice reconstituée. Les jarres ont parfois été réutilisées une deuxième fois sur place, en les vidant de leur premier contenu. Les enfants sont accompagnés de petits objets – biberons, vases à boire, etc. –, d’amulettes, de galets, de figurines que l’on trouve aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du vase. Le dépôt des offrandes près des jarres se fait après la déposition des jarres, marquant ainsi la fin de l’ensevelissement. On note aussi la présence de restes d’aliments (olives, lentilles, etc.) qui semblent liés au rituel. On a également trouvé quelques inhumations simples d’enfants, peut-être un peu plus âgés, mais avec peu d’offrandes – à l’exception d’un cas où un enfant était accompagné d’un modèle de silo en terre cuite et de plusieurs petits vases. Dans le courant du viie siècle, un enfant de 6-10 ans a été inhumé dans une barque en bois de sapin blanc. Les nourrissons et jeunes enfants faisaient donc bien l’objet d’un véritable rite funéraire à l’époque archaïque. À l’époque classique, ce sont les adolescents qui apparaissent comme une classe d’âge spécifique, distingués par exemple par des objets qui les accompagnent (des osselets contenus dans un petit sac dans chaque main, des strigiles, etc.)

10Les différents types de tombe ne se répartissent pas de la même manière dans l’espace funéraire. Les tombes à fosse n’ont aucune orientation particulière ; isolées les unes des autres, elles ne forment pas de groupes reconnaissables, à la différence des tombes à ciste qui sont toujours orientées de la même façon et paraissent regroupées à certains endroits précis. Mais à l’époque archaïque, les tombes à fosse semblent toujours entourées par des ensevelissements en jarre, et on trouve aussi quelques inhumations d’enfants auprès d’inhumations d’adultes.

11L’étude anthropologique des restes osseux apporte de nombreuses données sur l’état de santé et le mode de vie des défunts. Chez les adultes, on reconnaît les individus soumis à des tâches pénibles, à des charges lourdes, ou ayant subi lésions et traumatismes. De leur côté, tous les enfants paraissent très affaiblis et présentent des traces de maladie, de malnutrition, d’anémie, ce qui explique la précocité de leur décès. Malgré cela, la nécropole du Phalère ne peut pas être considérée comme réservée aux classes les plus humbles de la société : la présence de quelques tombes plus riches et d’individus en parfaite santé montre la diversité sociale des défunts.

12Les différences de types de sépultures et de rites funéraires qui coexistent tout au long de la longue utilisation de la nécropole relèvent donc de plusieurs facteurs : des facteurs économiques et sociaux, du fait de l’appartenance des défunts à des couches différentes dans la société ; la classe d´âge du défunt, en fonction peut-être des rites de passage de la communauté. Mais la diversité des pratiques identifiées dans la nécropole illustre aussi des différences dictées par des traditions ou des croyances des familles des défunts, rarement attestées jusqu’ici. Il faut aussi prendre en compte la particularité des fosses pour les animaux.

Les « sans-tombeau ». Normes sociales et pratiques d’exception

13La dernière spécificité majeure de cette nécropole est la différence très marquée entre les sépultures de ceux qui ont eu une mort « normale » et de ceux qui ont été mis à mort ou qui ont subi une mort violente. Des 1915, S. Pelekidis avait trouvé des fosses contenant les corps de 18 individus mis à mort en ayant été fixés sur une planche de bois dressée (le tympanon). Les fouilles récentes ont mis au jour d’autres fosses attestant différentes pratiques d’exécution collective pouvant porter sur des groupes importants, comme les 79 « enchaînés » dont l’exécution semble dater de la fin du viie siècle. Ces fosses sont peu profondes, creusées à la hâte, les corps sont dans des positions anormales (face contre terre, contorsionnés dans des postures révélant le processus de mise à mort), présentent des traces de violence et portent presque toujours les fers qui les enchaînaient. Ces indices montrent parfois que les exécutions ont eu lieu à l’endroit même de l’ensevelissement. Il est frappant de constater que ces fosses ne sont pas regroupées dans un secteur réservé de la nécropole (même si on note une concentration au sud-est, dans le secteur de la grande fosse des 79 « enchaînés »), mais réparties au milieu des tombes ordinaires, signalées cependant par des pierres. Il n’est donc pas exclu que certaines tombes individuelles appartiennent à cette catégorie de la mort violente : dans quelque cas en effet, on note des traces de violence post-mortem, telle que la mutilation des membres inférieurs ou la brisure des genoux, comme pour empêcher tout « retour » du mort.

14Ces défunts ne font l’objet d’aucun rite, ne reçoivent en général aucune offrande. La plupart de ces traces d’exécution relèvent sans aucun doute de l’application de décisions judiciaires, de condamnations en bonne et due forme (par exemple les condamnés au tympanon). Même pour les 79 « enchaînés » de la fin du viie siècle qui semblent être les premiers à connaître ce sort, il est difficile de ne pas entrevoir derrière leur exécution une instance politique capable à la fois de la mettre en œuvre d’un point de vue pratique (par exemple en fournissant tous les fers nécessaires), et de régler l’affaire sans déclencher une réaction violente et un bain de sang dans la cité. Il s’agit peut-être là d’un véritable précédent historique, la première occasion où se vérifie le fonctionnement institutionnel de la cité en tant que telle, en même que le point de départ de l’utilisation récurrente de cette nécropole pour accueillir les corps des condamnés : au total, sur 1131 tombes d’adultes, 201 (soit 17,8 %) correspondent à des morts violentes.

15La place importante de la mort violente dans cet espace funéraire donne donc à la nécropole de Phalère un caractère tout à fait singulier dans l’Athènes archaïque et pose de nombreuses questions sur l’organisation de la société et le fonctionnement des institutions. Elle confirme que cette nécropole doit être comprise non comme un espace funéraire de proximité pour un habitat proche, mais bien comme une des nécropoles de la cité d’Athènes, malgré son relatif éloignement. Elle fait partie d’un ensemble au sein duquel ses fonctions spécifiques ne peuvent être comprises qu’en la comparant aux autres nécropoles archaïques connues, à Athènes même et en Attique. Cela amène aussi à reconsidérer l’organisation et l’évolution de la partie sud de la cité et de ses relations avec le territoire proche et la côte à l’époque archaïque. La position de la nécropole à la limite de la zone côtière et à proximité de la route qui reliait Athènes au port du Phalère a sans doute contribué à lui conférer un caractère particulier, ainsi qu’une ouverture possible vers le monde maritime. Cette marginalité peut aussi expliquer les contrastes entre différents usages funéraires, où les fosses associées à des pratiques d’exécution collective avoisinent les tombes révélant les soins accordés aux très jeunes enfants ou des sépultures d’adultes de condition sociale très variée. C’est toute la question de l’articulation entre normes sociales et pratiques funéraires qui est ainsi posée avec de nouvelles données et de nouvelles interrogations, et avec elle tout un pan de la formation de la communauté civique et politique à l’époque archaïque qui reçoit un éclairage nouveau.

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References

Bibliographical reference

Stella Chryssoulaki, “Nécropoles et société dans l’Athènes archaïque : les découvertes de la nécropole du Phalère”Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses, 130 | 2023, 203-208.

Electronic reference

Stella Chryssoulaki, “Nécropoles et société dans l’Athènes archaïque : les découvertes de la nécropole du Phalère”Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [Online], 130 | 2023, Online since 31 July 2023, connection on 06 December 2023. URL: http://journals.openedition.org/asr/4406; DOI: https://doi.org/10.4000/asr.4406

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About the author

Stella Chryssoulaki

Mme, Directrice d’études invitée, École pratique des hautes études – Section des sciences religieuses-PSL, Éphorie du Pirée et des îles, Grèce

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