1L’étude de la logique au Moyen Âge proposée dans le séminaire est partie de la volonté de considérer cette dernière non pas comme une simple discipline, mais comme une modalité générale des savoirs et des discours, une pratique raisonnée et normative de la raison. On s’est intéressé à la logique dans sa signification intellectuelle, sociale et anthropologique, dans le cadre d’une enquête qui va au-delà de l’examen des textes et des doctrines logiques. Cette perspective a permis d’ouvrir les études logiques à des approches interdisciplinaires, afin de mettre en lumière quelques aspects nouveaux du concept de logique et de sa vie sociale dans les cercles intellectuels médiévaux. Elle a aussi permis de montrer qu’il existe une histoire propre de la logique, distincte de celle de la philosophie, dont la construction disciplinaire est plus tardive, plus complexe, et bien plus précocement confrontée à la notion d’hérésie académique et aux condamnations universitaires. L’approche a également offert l’opportunité de revisiter la notion de « scolastique », dont la vitalité historiographique ne cesse de démentir les annonces récurrentes de sa fin opérationnelle dans l’histoire du Moyen Âge, et au-delà.

2En raison des mutations scolaires, intellectuelles et culturelles qui s’y jouent pour la logique, avec la naissance des universités et des studia mendiants, le séminaire s’est concentré sur le xiii^e siècle, sans négliger des sondages dans les périodes antérieures et postérieures.

3Sur la base d’une approche renouvelée de l’histoire de la logique, le séminaire a pris comme point de départ la question des rapports entre l’histoire de la logique et celle des sciences sociales prises à leur naissance, où la question d’une logique (ou d’une non-logique) « primitive » a été centrale. On a proposé de replacer cette question, abordée jusqu’ici le plus souvent de manière spéculative, dans une perspective historienne, où la notion même de logique, ainsi que ses usages sociaux, sont historicisés.

4Le Moyen Âge apparaît alors comme la période clé de cette histoire, puisque c’est le moment où la logique devient à la fois une capacité naturelle placée au cœur de la nature humaine, une méthode universelle des savoirs et une discipline de base dans l’éducation de la presque totalité des élites intellectuelle, avec la naissance des universités (dotées d’une faculté des arts ou d’un curriculum en arts) au début du xiii^e siècle, et des studia mendiants de logique, quelques décennies plus tard -– une norme des sociétés savantes qui se répand même en dehors des écoles.

5Nous avons identifié quatre champs d’investigation : la philosophie de la logique dévelopée par les maîtres du xiii^e siècle ; l’examen des pratiques logiciennes dans toutes les disciplines ; l’histoire de l’éducation logique et des usages sociaux de la logique, avec une approche dynamique et spatialisée, qui suit l’expansion scolaire, disciplinaire, géographique et institutionnelle de l’enseignement de la logique, en particulier sa « méridionalisation » à partir de son noyau « parisien » (nord-européen) ; enfin, l’émergence de théories qui insistent sur la dimension anthropologique de la logique. Ce dernier point montre comment la discipline logique, considérée comme une artificialisation de notre « logique naturelle » et comme une technique de perfectionnement de l’intellect, a pu être pensée comme un marqueur anthropologique et un facteur d’humanité. Cette anthropologie intellectualiste et élitaire a entraîné la stigmatisation de vastes groupes sociaux, les « handicapés logiques », dépourvus de « logique naturelle » ou d’éducation logique.

6Le séminaire a alterné la lecture de textes théoriques, logiques ou non logiques, où la philosophie de la logique développée par les acteurs de l’époque peut être reconstituée, et l’examen d’une variété d’autres documents, liés à l’histoire de l’éducation, des universités, des studia mendiants et des pratiques intellectuelles.

7La première séance a été consacrée à une présentation générale du séminaire selon les lignes énoncées plus haut.

8Les séances 2 à 4 sont parties du point d’arrivée de l’histoire retracée dans le séminaire, à savoir la place importante dévolue à la question logique, en particulier la logicité de la mentalité primitive et le caractère social de la normativité de la logique. Nous avons abordé quelques questions méthodologiques au sujet de notre manière de concevoir l’histoire sociale de la logique au regard de tentatives déjà existantes en histoire sociale de la logique moderne et médiévale : celle proposée par John Marenbon (avec qui nous avons codirigé le projet « Social history of logic »), le projet de Christian Thiel « Social History of Formal Logic », 1985-1990, mais aussi, en sociologie de la logique (David Bloor, Claude Rosental). De longs extraits de textes de Lévy-Bruhl, d’Evans-Pritchard et de Durkheim ont été ensuite lus. Des connexions avec l’histoire, la philosophie et l’anthropologie de la logique au Moyen Âge ont été proposées au fil de ces lectures.

9Les séances 5 et 6 ont été consacrées à la question de la logique comme méthode ainsi qu’à quelques réflexions sur la notion de « méthode scolastique » et à la transparence de la norme logique. Nous avons aussi abordé la place de la logique dans les savoirs universitaires et leur enseignement. Le séminaire s’est intéressé à ce que nous proposons d’appeler les pratiques « logiciennes » des savoirs en se penchant sur la formalisation des pratiques intellectuelles, la « méthodologisation » des savoirs, la « syllogisation » de la lectio et de la disputatio. L’histoire et la forme de la question disputée ont été détaillées.

10Les séances 7 à 9 ont proposé une esquisse générale de la philosophie de la logique de l’époque, en insistant sur les notions d’utilité et de nécessité de la logique, abordée dans leur versant doctrinal et dans leurs réalités sociales et pastorales.

11Les séances 10 à 12 ont été consacrées à l’héritage ancien et médiéval, dans les domaines grec, arabe et latin, à savoir aux réflexions développées dans le domaine de la philosophie de la logique avant le xiii^e siècle (notamment Aristote, les commentateurs anciens, Augustin, Alfarabi, Avicenne, Averroès), ainsi qu’à leur réception chez deux auteurs importants pour cette histoire : Albert le Grand et Robert Kilwardby. Ces deux théologiens sont porteurs d’éloges hyperboliques de la logique au xiii^e siècle, mais selon des modalités sensiblement différentes.

12Nous avons également évoqué deux auteurs qui marquent les premiers signes d’attaque du prestige de la discipline logique : Gilles de Rome et Raoul le Breton.Cette première approche des questions de philosophie et d’anthropologie de la logique est l’objet de la suite du séminaire, en 2022-2023.