1Au cours de l’année, le séminaire a porté sur les disputes religieuses de la première modernité (xvi^e-xvii^e siècles) et plus précisément sur la diversité et l’évolution des formes qu’elles peuvent revêtir. Le sujet a fait l’objet de très nombreuses études au cours des dernières décennies de la part d’historiens des conflits confessionnels, de théologiens ou d’historiens de la théologie, d’historiens du livre ou de spécialistes de la rhétorique. Les sources, notamment imprimées, ont également fait l’objet de recensements systématiques, comme ceux de Louis Desgraves, d’Émile Kappler ou de Véronique Castagnet pour la France.

2Il a donc semblé possible de partir de ces acquis et de ces corpus importants pour aborder un aspect particulier des disputes, conférences, controverses et autres colloques de religion, souvent négligé ou tenu pour négligeable, alors même que les sources pour l’aborder existent et qu’elles permettent de saisir quelques-unes des mutations qui affectent les confrontations intellectuelles dans le champ religieux. Il s’agit de la question des formes de la dispute, y compris dans ses aspects les plus concrets. Y a-t-il confrontation physique des adversaires, débat public dans lequel les orateurs s’affrontent ? Les échanges sont-ils pris en note et par qui ? Font-ils l’objet d’un procès-verbal et celui-ci sert-il ensuite de base pour d’éventuelles publications ? Dans quelle langue et avec quelles règles les adversaires débattent-ils ? Peuvent-ils s’interrompre, se menacer, faire intervenir le public, citer des textes et notamment celui de la Bible ? Dans quelle version et à quelle condition ? Comment les orateurs sont-ils disposés ? Assis à la même table ? Debout ? Face au magistrat, au Grand ou au Prince qui organise la conférence ?

3Le séminaire a montré que ces questions sont tout sauf indifférentes aux protagonistes et que nombre de disputes sont marquées par d’âpres discussions sur les règles de la dispute. C’est le cas de la conférence d’Annonay au début du xvii^e siècle, qui ne commence qu’une fois que ses protagonistes s’accordent sur la manière dont ils doivent s’affronter.

5Mais au-delà de la mise en page, la controverse des xvi^e-xvii^e siècles et la place importante qu’y prend la transcription des disputes publiques impriment rapidement un certain nombre de changements dans les écrits, sur lesquels le séminaire s’est penché. Nous nous sommes ainsi penchés sur la question des notes et des références infra-paginales ou marginales, mais aussi sur celle, qui lui est évidemment liée, de la forme et de la précision des citations. Les adversaires se citent-ils et surtout se citent-ils correctement ? Ont-ils tendance à falsifier les propos de leurs opposants, à les caricaturer ou à les falsifier, pour les rendre plus facilement réfutables, opérant par là dans une forme de stratégie de l’épouvantail ? C’est l’un des ressorts de la critique calvinienne de sa condamnation par la Faculté de théologie de l’Université de Paris : les docteurs parisiens lui attribuent des propos et des écrits qui ne sont pas les siens ; ils témoignent de leur paresse et de leur incompétence ; ils ne sont pas capables de discuter sérieusement de textes qu’au fond ils ne comprennent pas ; ils s’arrogent pourtant le monopole de l’interprétation de la Bible. Une attention particulière a été accordée aux traités du jésuite François Veron, qui assurait avoir inventé une méthode infaillible pour réfuter les hérétiques : ils constituent un bon exemple des pratiques de l’érudition critique mises au service de la controverse.

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7L’un des points que l’enquête a révélés concerne la place importante prise dans cette controverse savante et religieuse par des médecins, comme Philippe Hecquet ou Jean Astruc. Ceux-ci sont en fait engagés dans une querelle spécifique, sur la nature de la digestion et le rôle de l’estomac. La digestion est-elle une « trituration » ou une « coction » ? Mais pour fonder leurs positions respectives, ils ne peuvent éviter de se demander si l’homme a bien les organes pour digérer sans difficulté la viande. Ils vont donc chercher des preuves de leurs assertions dans le régime d’Adam et Ève. Le travail sur les textes (et sur l’abondante bibliographie consacrée à la querelle savante) a montré que tout en poursuivant des objectifs religieux – ou en disant le faire – ces médecins, chirurgiens, naturalistes, apportent dans la controverse de nouveaux arguments et de nouvelles manières de construire ce qui fait autorité : la référence, bien sûr, mais aussi désormais l’expérience, la preuve expérimentale, l’observation.

8Entamé comme une querelle confessionnelle et exégétique, le débat se coule donc rapidement dans les formes nouvelles de la controverse savante ouverte, dans laquelle les journaux et les Académies jouent un rôle important.