Archéologie monumentale et spatiale des sanctuaires grecs
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Les ruines douées d’avenir, les ruines incohérentes avant que tu n’arrives, homme comblé, vont de leurs parcelles à ton amour. Ainsi se voit promise et retirée à ton irritable maladresse la rose qui ferme le royaume.
René Char, extrait du Bulletin des Baux, dans Le Poème pulvérisé (1945-1947)
- 1 O. de Cazanove, J. Scheid (dir.), Sanctuaires et sources. Les sources documentaires et leurs limite (...)
- 2 On ne défendra donc pas ici l’essentialisation des « données brutes », parfois prônée en archéologi (...)
1Cette première année d’enseignement et de recherche à l’École pratique des hautes études fut consacrée à une réflexion déontologique liminaire, à la définition du champ scientifique de la chaire, à l’approfondissement méthodologique de l’archéologie monumentale et spatiale des sanctuaires du monde grec et à une présentation de recherches en cours appliquées à la Grèce nord-occidentale, à l’Illyrie méridionale et aux Balkans, mais aussi à Athènes, Délos, Thasos ou la Campanie. L’enjeu scientifique fut et sera d’éprouver la capacité de l’approche archéologique à compléter l’étude des sources textuelles dans le domaine de l’histoire et de l’anthropologie des cultes antiques – méthode dite « combinatoire1 » –, et à produire un discours singulier voire alternatif sur les religions anciennes. Le décodage historien des formes qu’exige l’analyse des lieux et des scénarios cultuels est propre à l’archéologie classique, et doit contribuer tout autant que la lecture des textes à la construction d’une anthropologie historique de la religion grecque. Il s’agit de convoquer les « matérialités », que l’on réduit abusivement aujourd’hui à des « données brutes2 », et d’associer à l’exploration des « régimes d’historicité » de François Hartog celle de « régimes de matérialité » qui s’inscrivent de manière plus générale dans le contexte de la stratification mémorielle de la culture grecque qui fait une place importante aux sanctuaires.
I. La conférence
- 3 M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-1979, Paris 2004, p. 22 (...)
- 4 F. Quantin, Chimères autochtones. Le malentendu identitaire en Méditerranée, Paris 2020. Cf. les ou (...)
2S’il est concevable ou souhaitable de tenir à distance la pratique historienne sèchement érudite condamnée par Friedrich Nietzsche dans sa Seconde considération intempestive, notre rapport avec la chose antique ne doit pas être à l’autre bout du spectre une exploitation – d’incertitudes souvent – ni une recherche de modèles essentialistes – dogmatiques, toujours –, mais l’exploration de singularités et de pratiques articulées à des régimes de vérité qui révèle « un dispositif de savoir-pouvoir »3, une combinatoire originale et efficace. Dans cette veine, il paraît important de démystifier le surplomb prêté à des notions antiques comme celle d’autochtonie, dont les mésusages contemporains sont enchâssés dans la revendication d’une identité jalouse, unique et unilatérale4. La conférence et les digressions qu’elle permet furent l’occasion de réfléchir collectivement aux liens qui paraissent pouvoir être établis entre archéologie et universalisme, tant il est vrai que les notions d’humanisme – depuis les années 1970 – et d’universalisme sont aujourd’hui fragiles.
3La participation légitime de l’archéologie aux sciences humaines et sociales est une opportunité scientifique à saisir. L’archéologie, comme l’histoire, procède par l’établissement de discours marqués par les seuils franchis par la discipline mais aussi par les modes interprétatives, et ne repose pas seulement sur une sorte d’objectivité immanente de l’information : en cela nous sommes autorisés à rester positifs d’un point de vue heuristique, mais non positivistes, pas plus du moins que les autres sciences humaines. Car l’archéologue fait discourir des sources par nature muettes : leurs qualités d’image ou d’objet donnent au discours archéologique, si l’on n’y prend pas garde, une capacité illustrative d’un discours qui prend sa source ailleurs. Et l’archéologie de devenir un catalogue où puiser des « preuves » au pire, des illustrations au mieux d’un énoncé historien, anthropologique ou idéologique.
- 5 Cf. S. Georgoudi, « Gaia/Gê. Entre mythe, culte et idéologie », dans S. des Bouvrie (éd.), Myth and (...)
4L’archéologie des cultes grecs et antiques de manière plus générale n’a naturellement pas tracé sa voie indépendamment des grandes tendances de l’archéologie et des sciences humaines et sociales, a fortiori des courants de réflexion sur les polythéismes grec et romain. Parmi les impasses toujours vivaces aujourd’hui, figure en bonne place l’hypothèse ou le dogme, selon les auteurs, d’un matriarcat originel ou archaïque qui trouve son origine dans les travaux de J. J. Bachofen, Mutterrecht (1861)5. Le sanctuaire de Dodone fournirait un exemple de ce prétendu fait de structure. Une historiographie qui, depuis la prière de la pythie de Delphes dans le prologue des Euménides d’Eschyle, place à l’origine des grands sanctuaires grecs une divinité féminine primordiale, au profit de différentes reconstructions historiques, dont la plus récente est le postulat d’un matriarcat à l’origine des sociétés méditerranéennes ou européennes, noua fermement un lien entre Dionè, sa fille Aphrodite et les peleiai. En réalité, il n’est pas du tout certain que Dionè appartienne à la phase ancienne du sanctuaire de Dodone, quelle que soit son éventuelle association avec les colombes. Absente ou non mentionnée à Dodone par Homère et Hérodote, la parèdre onomastique de Zeus n’est vraisemblablement pas une divinité ancienne du sanctuaire, et il reste indémontrable qu’elle ait été précédée par une Terre, comme il est impossible de démontrer que les peleiai sont « ses » animaux, a fortiori quand on invoque à ce propos des témoignages iconographiques de l’âge du Bronze égéen. Ces retours à Dodone se renouvelleront dans les années qui viennent.
- 6 G. Pironti, « Des dieux et des déesses : le genre en question dans la représentation du divin en Gr (...)
- 7 Cf. l’ouvrage récent de A. Pierattini, The Origins of Greek Temple Architecture, Cambridge 2022, qu (...)
5Un autre fil rouge sera l’exploration des conséquences sur l’archéologie des cultes grecs de l’évolutionnisme, de l’établissement de phases historiques successives, des interprétations téléologiques ; on pensa par exemple qu’une religion grecque « ethnique » et tribale aurait précédé les cultes civiques, alors qu’une partie de la Grèce ne vit pas dans le monde des cités ; les aspects dits « magiques » sont attestés à toutes les périodes et ne peuvent être recognitifs d’une « phase » : sans doute ne passa-t-on pas purement et simplement du muthos au logos. Les débats actuels sur le « chamanisme » ou sur la modification des états de conscience appartiennent je crois à cette catégorie, car ils posent implicitement une hiérarchie ou une stratification historique entre des formes d’expériences religieuses, et se fondent aussi sur une sorte de permanence des formes religieuses qui remontent aux travaux contestables de Mircea Eliade. Furent aussi abordés les effets de miroir entre la société divine et la société humaine, le plus souvent déformant comme l’a montré Gabriella Pironti6 : on peut par exemple se demander dans quelle mesure ces effets n’auraient pas influencé les travaux sur l’édifice de Lefkandi en Eubée. Faire de cette maison princière l’archétype du temple périptère néglige les autres formes architecturales, en particulier l’édifice à colonnade intérieure centrale, la salle de réunion privée de statue divine ou le petit naos in antis7.
- 8 Cf., parmi une riche bibliographie, les excellents textes de S. Roux, « André Leroi-Gourhan et le d (...)
6L’œuvre d’André Leroi-Gourhan est stimulante à plusieurs égards8. Le savant considérait que la « bonne » préhistoire est une forme de l’ethnologie et qu’elle ne doit pas se contenter d’être « typologique » ou « stratigraphique » et de ne chercher qu’à établir des chronologies de morphologie physique, des séries d’objets, d’outils et de chaînes d’opérations techniques. La préhistoire ethnographique qu’il défendait – l’archéologie générale somme toute – doit viser les « modes d’existence », la fonction des objets, les perspectives qu’ils offrent et les significations qu’ils charrient, en ne dissociant pas l’analyse des faits culturels et sociaux de celle des faits matériels. André Leroi-Gourhan, dans Le geste et la parole, pensait en résumé que la préhistoire, qui ne peut être qu’archéologique, n’est pas une forme de l’anthropologie sociale, qui consiste selon le préhistorien à « déverser du social dans le matériel » : « toute la vie matérielle baigne dans le fait social ». André Leroi-Gourhan privilégiait donc « le courant à double sens dont l’impulsion profonde est celle du matériel ». À l’échelle de l’histoire de l’humanité, le préhistorien repéra une dynamique, un processus qui pour lui était fondamental : l’« extériorisation ».
Toute l’évolution humaine concourt à placer en dehors de l’homme ce qui, dans le reste du monde animal, répond à l’adaptation spécifique. Le fait matériel le plus frappant est certainement la « libération » de l’outil, mais en réalité le fait fondamental est la libération du verbe et cette propriété unique que l’homme possède de placer sa mémoire en dehors de lui-même, dans l’organisme social.
- 9 Jean Rudhardt estimait que les objets analysés par l’archéologue ou l’historien d’art ont aussi un (...)
7La rupture fondamentale se produit lors du passage à l’écriture car la mémoire collective devient indépendante des individus, contrôlée en particulier par ceux qui régulent la production, l’usage et la circulation des textes. Cette nouvelle situation aboutit au xixe siècle au système des fiches, qui organise la masse de données en une sorte de « cortex cérébral extériorisé », qui réside aujourd’hui et à l’avenir, pour l’essentiel, dans le « numérique ». Le sanctuaire est une forme d’extériorisation religieuse, d’équipement symbolique et technique destiné à favoriser la communication au sens large avec les dieux, à les présentifier, tout en conservant la mémoire des illustres individus, de l’onomastique divine et des règles rituelles. Dans la logique d’André Leroi-Gourhan, il n’est pas une adaptation spécifique, un prolongement du geste, mais un fait de parole, un événement discursif aurait dit Michel Foucault. Il est donc d’une certaine manière lisible9.
- 10 Préface de Heather Dundas, traduit de l’anglais par Gaëtan Thomas, Paris 2021.
- 11 Le séjour avait en réalité pour objectif de participer à une consommation nocturne de LSD dans la v (...)
8La lecture d’André Leroi-Gourhan conduit ainsi à s’interroger sur L’archéologie du savoir de Michel Foucault, livre au titre mystérieux, même après les Foucault de Gilles Deleuze et de Paul Veyne, mais puissamment séduisant pour l’archéologue. Les œuvres de ces deux contemporains dialoguent. Un ouvrage récent de Simeon Wade, Foucault en Californie. Un récit inédit10, explicite le sens foucaldien du mot « archéologie ». Il s’agit d’une traduction de Foucault in California: A True Story. Wherein the Great French Philosopher Drops Acid in the Valley of Death, Berkeley 2019. Le cœur de l’ouvrage est le compte rendu d’une visite de Michel Foucault, alors qu’il était professeur invité à Berkeley en 1975, à l’École d’études supérieures de Claremont où il donna une conférence11. Aux pages 113-115 de l’édition française de 2021, on trouve une réflexion sur l’usage foucaldien du mot « archéologie » :
J’utilise le mot « archéologie » pour deux ou trois raisons principales. La première, c’est qu’on peut jouer avec le mot « archéologie ». En grec, arkhè signifie « commencement ». On emploie aussi le mot « archive » en français. Le terme français se réfère à la façon dont les événements discursifs ont été enregistrés et dont ils peuvent être extraits de l’archive. L’« archéologie » se rapporte donc au genre de recherche qui essaie de mettre au jour des événements discursifs comme s’ils étaient enregistrés dans une archive. La deuxième raison pour laquelle j’utilise ce terme renvoie à l’un de mes objectifs. J’aimerais reconstituer un domaine historique dans sa totalité, avec des relations politiques, économiques, sexuelles et ainsi de suite. Mon problème est de découvrir ce qui doit être analysé, ce qui a été le fait même du discours. Ainsi, je ne cherche pas à être un historien, mais à savoir pourquoi et de quelles manières les relations entre les événements discursifs adviennent. Je fais cela parce que je voudrais savoir ce que nous sommes maintenant, aujourd’hui. J’aimerais me concentrer sur ce qui nous arrive aujourd’hui, ce que nous sommes, ce qu’est notre société. Je pense que notre société et ce que nous sommes ont une dimension historique profonde, et, dans cet espace historique, les événements discursifs qui ont eu lieu il y a des siècles ou des années sont très importants. Ces événements discursifs et nous sommes entremêlés. D’une certaine manière, nous ne sommes rien d’autre que ce qui a été dit il y a des siècles, des mois et des semaines, etc.
9Pour définir son « archéologie », Michel Foucault met clairement à distance l’histoire ou la pratique historienne – tout en restaurant la légitimité d’une « dimension historique profonde » – et cherche à « savoir pourquoi et de quelles manières les relations entre les événements discursifs adviennent », ce qu’André Leroi-Gourhan appelle des « extériorisations ». Cette démarche « archéologique » paraît pouvoir concerner aussi la matérialité : là encore l’enjeu est de dépasser l’effort typo-chronologique et de tenter d’analyser les faits archéologiques comme les fragments d’un discours ou plutôt comme un discours par nature fragmenté, tant il est vrai que la reconstitution d’« un domaine historique dans sa totalité » est souvent hors d’atteinte.
- 12 J.-P. Demoule, « Archaeology of Cult and Religion: A Comment, or How to Study Irrationality Rationa (...)
10L’archéologie classique, formulation sans doute surannée mais aussi provocatrice au regard de la modernité, capable de favoriser le dialogue entre les ouvrages et les usages, figure parmi les excellentes boussoles méthodologiques. Son rapport à la technique, ce que l’on appelle souvent l’« archéométrie », est aujourd’hui en crise. On assiste par exemple en archéologie de l’architecture, expression défendue avec raison par nos collègues italiens, à une excessive simplification des protocoles de recherche : la chaîne opératoire qui conduit de l’acquisition numérique ou traditionnelle des données de terrain à la publication scientifique ne fait plus d’évidence une place suffisante à l’analyse architecturale, qui, associée à la recherche érudite des modèles, est seule fondée à établir solidement des hypothèses de restitution de l’état ancien des ensembles que nous étudions, et à ancrer un discours scientifique interprétatif plus ample. Comme l’ensemble de la recherche scientifique, les études sur l’architecture antique ont été depuis une trentaine d’années renouvelées par l’émergence et la diffusion des outils numériques. Une profusion de maquettes numériques de reconstitution imposent des images parfois séduisantes, mais ne rendent pas toujours compte de la réalité du monument ni des étapes de la recherche et du degré d’incertitude scientifique de la proposition de restitution. C’est ce que l’on pourrait appeler un « spectacle archéologique », qui menace singulièrement l’architecture cultuelle. Parallèlement, grâce à son caractère spectaculaire, la surinterprétation sert aussi des intérêts promotionnels, et bénéficie du goût moderne pour la version New Age du merveilleux12.
- 13 Cf. J. Scheid, « Pour une archéologie du rite », Annales HSS 55-3 (2000), p. 622 : « Autrement dit, (...)
11Il est opportun aujourd’hui de renouer le dialogue entre l’archéologie classique et l’anthropologie religieuse13 : en France, l’archéologie classique s’est construite sur un socle disciplinaire combinant l’analyse des textes et l’étude des formes dans une perspective somme toute historienne tenant à distance la Nouvelle archéologie nord-américaine qui a très tôt associé anthropologie et archéologie dans l’étude des cultures indiennes. La distinction que l’on posait naguère entre l’archéologie préhistorique et la fouille classique s’efface aujourd’hui grâce au transfert de procédures de recherche et l’emploi de nouvelles technologies de relevé et d’analyse. Le livre récent de William Van Andringa, Archéologie du geste, le montre parfaitement. Par ailleurs, l’étude des religions antiques, grecque en particulier, bénéficie actuellement de tels renouvellements, d’approfondissements, de mises en discours éclairées par des réflexions notionnelles et une relecture des sources comme Hérodote et Pausanias, qu’il est important scientifiquement de développer une archéologie des cultes grecs capable de débattre, c’est-à-dire non pas répondre à des questions mais contribuer à allonger le questionnaire comme le formulait Paul Veyne. Dans le domaine francophone, les travaux de François de Polignac et la revue Kernos ont joué un rôle majeur et précurseur.
- 14 Par exemple, Vicomte de Colleville, Abécédaire d’architecture ancienne, Paris 1898.
- 15 P. Borgeaud, Aux origines de l’histoire des religions, Paris 2004.
12L’expression « archéologie religieuse »14, plus encore que celle d’« histoire religieuse », paraît bien souvent réservée dans le domaine méditerranéen aux recherches sur le christianisme, dont l’« histoire des religions » n’a pas cessé de se démarquer15. On parle alors de l’archéologie des espaces sacrés, ou d’archéologie des cultes antiques, expressions qui, sans être absolument inadéquates, peuvent être considérées comme impropres ou partielles. L’expression « archéologie des religions » est sans doute une bonne formulation, car elle désigne clairement une recherche fondée sur l’approche archéologique de la religion, dans la perspective d’une mise en commun des données alimentant la réflexion en histoire religieuse – lieu épistémologique considéré non comme un espace dogmatique, mais comme une plate-forme problématique – et plus largement encore en anthropologie religieuse.
13La réflexion sur l’archéologie des sanctuaires ou des espaces sacrés, bien qu’elle soit récente, fait l’objet d’une riche historiographie. Mais on focalise bien souvent la recherche sur les époques les plus anciennes, et l’on recherche les « origines » des sanctuaires ou de la religion, celles, justement, que les sources littéraires n’évoquent pas, que l’épigraphie ne documente pas, et que l’archéologie établit rarement, puisque les niveaux les plus lisibles sont naturellement les plus récents, sauf exception. De surcroît, les sanctuaires grecs sont régulièrement « nettoyés », les offrandes sont reléguées, et il est très rare de découvrir le matériel cultuel ou votif en position primaire.
- 16 C. Hawkes, « Archaeological Theory and Method: Some Suggestions from the Old World », American Anth (...)
- 17 C. Renfrew, The Archaeology of Cult: The Sanctuary at Phylakopi, Londres, Athènes 1985.
- 18 I. Oggiano, « Archeologia del culto: questioni metodologiche », p. 26-27.
14En 1954, Christopher Hawkes considérait que l’archéologie pouvait assez « facilement » – relatively ou fairly easy – contribuer à la restitution des techniques ou de l’économie, mais qu’en revanche elle peinait à documenter les institutions politiques et la société, comme le cadre religieux et la « vie spirituelle » (religious institutions and spiritual life), attribuant ainsi aux données archéologiques le plus bas degré de fiabilité dans l’élucidation des faits religieux16. Aujourd’hui, cette position est abandonnée au profit d’un approfondissement technique et méthodologique de la pratique archéologique et de ses liens nécessaires avec l’histoire et l’anthropologie religieuses. Depuis la distinction désormais classique entre belief/faith et cult/practice proposée par Colin Renfrew, on estime que les pratiques cultuelles sont accessibles par l’archéologie, mais que le contenu de la « croyance » reste le plus souvent hors d’atteinte17. Le point de vue peut paraître raisonnable, mais il se heurte à une caractéristique des religions antiques, dans lesquelles, bien au contraire, la « croyance » est étroitement articulée aux pratiques rituelles18, au point que le mot « croyance » est devenu rare sous la plume des spécialistes des religions antiques.
- 19 A. Leroi-Gourhan, Les religions de la préhistoire, Paris 1964, p. 31-36 (cité dans la troisième édi (...)
- 20 J. Clottes, D. Lewis-Williams, Les chamanes de la préhistoire. Transe et magie dans les grottes orn (...)
15L’archéologie préhistorique fournit de bons exemples des risques épistémologiques ou des incertitudes indépassables que la recherche rencontre quand les sources textuelles sont absentes. Un culte de l’ours fut ainsi attribué à Sapiens, voir à Néandertal, et devint ainsi pour certains savants la forme originelle de la religion, encourageant les théories considérant que les premières divinités étaient zoomorphes. André Leroi-Gourhan, qui en outre fouilla en 1946 une concentration de crânes d’ours en Saône-et-Loire, avait pourtant recommandé dès 1964 la plus grande prudence à l’heure d’analyser ce type de vestiges, et montré que les humains n’étaient en général pas responsables de la disposition et du choix des ossements19. Les recherches exploratoires de Jean Clottes et de David Lewis-Williams sont un objet de débat, à la fois parce que leurs hypothèses tendent à l’universalité – ce qui est d’ordinaire une qualité – dans deux domaines particulièrement délicats, la naissance des phénomènes religieux et l’origine de l’art, et parce qu’elles sont fondées sur l’interprétation chamanique de faits archéologiques et iconographiques, alors que l’on ignore tant des pratiques religieuses et des « récits » paléolithiques20.
- 21 C. Sourvinou-Inwood, « What is Polis Religion? », dans O. Murray, S. Price (éd.), The Greek City fr (...)
16L’étude de la religion grecque bénéficie actuellement en France et dans le monde de renouvellements profonds. Ils s’enracinent à la fois dans des enquêtes documentaires de terrain, dans des études thématiques et dans une réflexion féconde sur les notions et les modèles interprétatifs. Deux enjeux problématiques animent aujourd’hui ces recherches : l’articulation entre les cultes grecs et la cité, dans le sillage des travaux fondateurs de François de Polignac, et les notions de « religion vécue » et d’« agentivité ». Depuis un article liminaire de Christiane Sourvinou-Inwood en 1990 sur la « Polis Religion »21, un vaste mouvement historiographique met à l’épreuve ce concept et mobilise dans le domaine francophone en particulier les travaux de Louis Gernet et de Jean-Pierre Vernant. Ce courant de pensée connaît aujourd’hui une inflexion : les recherches de Jörg Rüpke à l’université d’Erfurt tendent à remplacer la notion de « religion civique », chère aux traditions françaises et italiennes, par celle de « religion urbaine » car elles détectent une forte influence de l’économie des espaces urbains sur les religions antiques. Ce déplacement de la cité vers le phénomène urbain est fondé sur une attention renouvelée aux aménagements architecturaux et urbanistiques. Selon cette approche, l’espace urbain, « city-space », serait éminemment responsable de la configuration et des évolutions des religions méditerranéennes antiques.
17Ces travaux empruntent l’une des voies, scientifiquement légitime, de la contextualisation historique et archéologique de la religion grecque. Mais cette contextualisation est sélective, car le polythéisme grec est plus ancien que la naissance de la polis, et se développe de surcroît aux époques historiques dans des régions qui ne connaissent pas ou peu la cité, qui ne constitue pas une norme institutionnelle panhellénique. Il est donc intéressant de prolonger une réflexion sur les régions de la Grèce ancienne qui échappent au modèle de la polis, mais qui connaissent bien entendu la réalité de l’État (ethnè et koina). La Grèce nord-occidentale appartient à ce vaste ensemble culturel, dans lequel la définition des territoires et des institutions politiques est singulière. Les fouilles de sanctuaires dans ces régions ont beaucoup modifié notre connaissance des paysages cultuels grecs. Les dossiers de Dodone, de Dion, de Thermos sont sous-exploités et il serait bon d’en reprendre les éléments archéologiques et topographiques du premier âge du Fer à l’époque hellénistique.
- 22 En particulier Social formation and symbolic Landscape, Londres, Sidney 1984. Les travaux actuels s (...)
- 23 Un ouvrage publié en 1994 marque le « tournant spatial » de nos études : S. Alcock et R. Osborne (é (...)
- 24 V. Genin, Avec Marcel Detienne, Genève 2021, p. 210.
18Les options scientifiques contemporaines sont fondées sur deux virages méthodologiques pris depuis la fin du xxe siècle : le « tournant spatial », né dans les sciences géographiques à la suite des travaux de Denis Cosgrove sur la Nouvelle géographie culturelle22, qui établit la notion de paysage comme processus spatial et social23 ; le « tournant matériel » de nos études, qui sonne pour l’archéologue comme une invitation à participer résolument au banquet des savoirs en sciences humaines. Dans Faire, ouvrage dont le sous-titre est Anthropologie, archéologie, art et architecture, Tim Ingold insiste sur l’« humanité » de la main, sur le fait que « les humains seuls peuvent être “manuels” au point de configurer le monde ». Cette réflexion rejoint bien entendu celle d’André Leroi-Gourhan, archéologue et ethnologue, qui dans Le geste et la parole avait de même montré l’articulation entre le geste et le langage, articulation qui accompagne le remplacement de l’espèce par la société. Il faut retenir de ces travaux qu’ils montrent toutes les potentialités d’une archéologie fine et pragmatique dans le cadre non seulement d’une reconstitution des rituels mais aussi d’une exploration approfondie des pratiques polythéistes, et qu’ils intéressent donc l’anthropologie historique en travaillant sur la capacité de la pratique, du maniement des hiera, à configurer la praxis cultuelle. Nous sommes ici au cœur de ce que Nicole Belayche appelle une « théologie pragmatique », ou des « dieux appareillés dans la théologie formulée en rituels et en récits », comme l’écrivait Marcel Detienne dans une lettre à Georges Dumézil en 198224. L’extraordinaire est que la formulation « en rituels » des dieux est d’une grande diversité, tout en revendiquant dans chacune de ses performances une conformité à des usages. À cette approche d’un phénomène formellement diversifié mais unifié par le sens, l’archéologie, rompue à la résolution des apparentes contradictions entre la leçon immédiate de l’artefact contextualisé et la vaste mise en série documentaire et comparatiste, peut jouer un rôle scientifique important.
- 25 Par exemple J. N. Bremmer, « “Religion”, “Ritual” and the Opposition “Sacred vs. Profane”. Notes to (...)
- 26 Paris 2020, p. 54-57.
19L’intitulé de la direction d’études invite à revendiquer une progression scientifique associant une archéologie des sanctuaires et des cultes dans le monde grec et une approche historienne des cadres institutionnels de la religion et des contextes politiques et sociaux, afin de pouvoir dialoguer de manière efficace avec les historiens, les anthropologues et les sociologues des religions. Une continuité épistémologique est donc établie de l’archéologie à l’histoire, des sanctuaires et des cultes à la « religion », terme dont l’emploi est on le sait problématique mais demeure fondé, de l’archéologie cultuelle à l’histoire et à l’anthropologie religieuses grecques. On utilisera donc le terme « religion », malgré les critiques historiennes qui furent adressées à son usage pour décrire l’Antiquité25, aux conditions défendues récemment par Vinciane Pirenne-Delforge dans Le polythéisme grec à l’épreuve d’Hérodote26. La question pourrait ainsi être formulée : comment les sources archéologiques, les données matérielles, autorisent-elles aussi la restitution de l’« événement discursif » polythéiste ?
20Une des caractéristiques de ce programme scientifique est de ne pas envisager les récits mythiques comme fondements. Il s’agit en réalité d’une question de centre de gravité, car on ne saurait ignorer les mythes, les récits de fondation, les épigrammes poétiques ou les commentaires d’Hérodote, de Plutarque ou de Pausanias. L’intitulé suggère aussi de ne pas fonder principalement l’étude sur les divinités, comme le font plusieurs collègues, à l’instar de l’équipe du programme ERC MAP dirigée par Corinne Bonnet à Toulouse27, la chaire de Vinciane Pirenne-Delforge au Collège de France, et la direction d’études de Gabriella Pironti à l’EPHE-PSL. Une approche authentiquement archéologique de la religion grecque ne peut se contenter d’illustrer les données issues des textes, d’abord parce qu’elle a développé depuis longtemps ses propres procédures de recherche, mais aussi parce qu’elle se doit de rendre fertile le débat interdisciplinaire.
- 28 A. Picon, La matérialité de l’architecture, Marseille 2018, p. 36-37.
- 29 Cf. G. Zuchtriegel, The Making of the Doric Temple. Architecture, Religion, and Social Change in Ar (...)
- 30 S. Georgoudi, R. Koch Piettre, F. Schmidt (éd.), La cuisine et l’autel. Les sacrifices en question (...)
21Dans un ouvrage général comme celui de Daniel Ogden, A Companion to Greek Religion, publié en 2010, aucune place n’est faite à l’architecture, à l’économie spatiale des sanctuaires, à la rhétorique de la disposition relative des réalités immobilières et mobilières. Il paraît être nécessaire aujourd’hui de réhabiliter l’étude de l’équipement architectural et mobilier des sanctuaires grecs. Joseph Rykwert a montré en 1996 dans un magnifique livre intitulé The Dancing Column, que la disqualification du temple grec, et à vrai dire de tout aménagement monumental dans le sanctuaire, remonte à une conférence de Martin Heidegger prononcée en 1935 dans laquelle le philosophe affirme qu’un temple grec est simplement là et qu’il ne dit rien. On peut penser au contraire que le temple est un monument-message qui participe à la formulation phénoménale du polythéisme, qu’il fait partie du « lexique » de la religion des Grecs. Pour Antoine Picon par exemple, l’architecture, « sous sa forme la plus haute, [paraît] être constamment sur le point de parler28 ». De la même manière, l’usage de l’architecture dorique signe l’harmonisation et une sorte de standardisation historique de la syntaxe polythéiste29 : elle fait en quelque sorte partie des nomima, d’une tradition recognitive qui participe au dialogue entre le général et le particulier. Il paraît aussi nécessaire de renouveler l’étude des autels, de leurs formes, leurs orientations qui déterminent la scénographie sacrificielle et les actions dont ils sont le pôle topographique et cultuel30.
- 31 Mythes et pensée chez les Grecs, Paris 1965 (19852), p. 347.
22Dans un autre registre, l’idée d’une « présentification » des dieux par la plastique proposée par Jean-Pierre Vernant fait de la statuaire divine anthropomorphe, qui rend visibles les theoi par convocation de leur présence dans le réel, un élément fondamental du temple comme « maison réservée au dieu et espace pleinement socialisé31 ». L’architecture des sanctuaires est souvent abordée par un discours sur l’histoire de l’art architectural et considérée comme un cadre formel mais en quelque sorte extérieur à l’activité cultuelle, une scénographie qui est de l’ordre de la parure. Or l’apparente uniformité de l’architecture des temples grecs masque des diversités planimétriques et volumétriques dont il faut rendre compte en les associant dans la réflexion aux rites et aux caractéristiques des puissances divines. La formulation exploratoire de la phrase polythéiste doit expliciter les formules onomastiques divines, l’adresse aux dieux, mais aussi en convoquer le lexique et la syntaxe plastiques qui parcourent les formes architecturales géométriques ou figurées, les dispositifs topographiques, les rapports de voisinage, les articulations ou les spécificités des « systèmes votifs ».
- 32 B. D. Wescoat, R. G. Ousterhout (éd.), Architecture of the Sacred. Space, Ritual, and Experience fr (...)
- 33 P. Gros, « La sémantique des ordres à la fin de l’époque hellénistique et au début de l’Empire », (...)
- 34 Origins of Classical Architecture: Temples, Orders and Gifts to the Gods in Ancient Greece, Yale 20 (...)
23« Lire » l’architecture et les autres dispositifs matériels des sanctuaires grecs n’est pas néanmoins un acte qui est équivalent à la lecture d’un texte32. Pierre Gros estime néanmoins « qu’une analyse approfondie de la sémantique des ordres permettra dans un avenir prochain non seulement de préciser la signification, voire la fonction de bien des édifices, mais contribuera à établir sur des bases plus assurées les hypothèses de restitution imposées par l’état lacunaire de nombreux vestiges monumentaux »33. Mark Wilson Jones part de l’idée que le temple grec fut dès l’origine considéré comme un don fait à la divinité qui ne se distinguait pas fondamentalement des autres offrandes34. Les architectes, qui étaient aussi souvent, à l’époque archaïque, des sculpteurs sur marbre ou des bronziers, se seraient inspirés des « arts mineurs », glyptique, céramique, et aussi de ceux qui avaient pour support des matériaux périssables comme le bois ou les tissus pour l’élaboration des profils et des motifs architecturaux. Ces nouvelles recherches sur les ordres établissent quoi qu’il en soit que ces derniers ne sont pas des répertoires « décoratifs » – la notion même de décor est une sorte de disqualification scientifique – dans lesquels les concepteurs antiques puiseraient de manière fantaisiste.
24En réalité les rapports entre architecture et langage animent la réflexion en sciences humaines depuis longtemps ; Bruno Zevi a retracé l’histoire de ce débat dans Le langage moderne de l’architecture publié en 1973. L’ornementation des édifices, des autels et des circulations dans les sanctuaires, ce que l’on appelle souvent le « décor » – dont il est bien difficile de tracer la limite car il confine avec le bâti, et qui n’est pas plus décoratif que le mot d’une phrase poétique, de Pindare à Séféris – fut l’objet d’une dévalorisation esthétique, depuis l’essai au début du xxe siècle de l’architecte viennois Adolf Loos intitulé Ornement et crime, et scientifique car cette discipline archéologique et historienne de l’art est aujourd’hui déconsidérée, au moins dans le domaine francophone. Au sujet de l’iconographie des offrandes, il s’agit d’interroger les catégories interprétatives que nous utilisons, les archétypes iconographiques, en particulier quand ces catégories sont liées à ce que l’on appelle de manière désuète la « sphère fécondité-maternité » qui masque bien souvent une fonction de souveraineté. Il me paraît être nécessaire aujourd’hui de comprendre comment la « société des statues », quand elle ne renvoie pas à l’exposition de la mémoire civique ou agonistique sur les agoras et dans les sanctuaires, est organisée selon une hiérarchisation spatiale, des circulations, des vicinités électives et des axialités signifiantes, des logiques d’intervisibilité, une conduite pieuse du regard.
- 35 F. Quantin, « La notion de “divinité poliade” à l’épreuve d’une étude cas. Artémis et Apollon à Apo (...)
25Les séances 2022-2023 ont mobilisé ces réflexions et ont porté sur les paysages et les espaces cultuels grecs dans la longue durée. Un cycle sur le paysage cultuel d’Apollonia d’Illyrie a été présenté, de l’époque archaïque à la période impériale. L’objectif était d’éprouver la notion de « divinité poliade35 », mais aussi de ce que nous appelons un panthéon, mot qui donne un semblant de stabilité et de pérennité à de complexes, mouvantes et souvent incertaines relations entre les divinités d’une communauté civique. Le dossier documentaire de l’Asclépieion urbain, non encore situé, fit l’objet d’une présentation. L’étude des cultes d’Apollonia a permis aussi de s’interroger sur les systèmes cultuels des colonies corinthiennes comme Épidamne, Corcyre, Ambracie ou Syracuse, pour interroger la notion de transfert et d’essaimage cultuel à travers les réseaux coloniaux de l’époque archaïque. L’enjeu scientifique est la prise en compte de la « matérialité » des dispositifs cultuels par la réflexion sur les institutions religieuses, politiques et sociales, sans considérer a priori que la reproduction des assemblages divins métropolitains dans les colonies est une évidence nécessaire.
- 36 Chronique des activités archéologiques de l’EFR, Apollonia d’Illyrie (Albanie), Campagne de fouille (...)
- 37 Cf. MEFRA 121-1 (2009), p. 240-241.
- 38 H. Von Hesberg, W. Eck, « Die Transformation des politischen Raumes. Das Bouleuterion in Apollonia (...)
- 39 M.-H. Barrière, Apollonia d’Illyrie 2. La céramique romaine. Les ensembles du secteur G (2009-2016)(...)
26Une étude inédite sur l’architecture édilitaire d’Apollonia à l’époque impériale fut présentée de manière détaillée, car elle associe sources épigraphiques et archéologiques et renseigne sur le culte impérial. À l’époque antonine la partie méridionale de la ville haute d’Apollonia, d’abord occupée par un quartier d’habitation remontant à l’époque archaïque, auquel succèdent des monuments publics, un vraisemblable édifice d’assemblée puis un grand portique à l’époque hellénistique36, paraît être marginalisée à l’époque romaine37 : les constructions publiques se concentrent alors sur la terrasse intermédiaire au sud-ouest de la « colline aux oliviers », mais elles n’y sont pas nouvelles puisque sont réinvestis ou intégrés au nouveau dispositif architectural d’imposants portiques hellénistiques à renfoncements semi-circulaires dans le mur de fond (fig. 1). Ce programme architectural se situe vraisemblablement tout entier sous les Antonins38 et il est en partie dû, si ce n’est au pouvoir impérial, du moins à l’adhésion de notables prospères à Rome39. À Apollonia, la réécriture hadrianique et antonine de la ville est perceptible dans les modifications apportées à l’espace public architecturé en façade des monuments qui constituent la première phase édilitaire impériale trajanienne ou antérieure. Si l’on retient le scénario proposé (fig. 2), la première phase de construction au ier s. apr. J.-C. concerne le sud de la voie est-ouest, secteur sans doute occupé précédemment par un habitat, et dont la limite nord fait face à un espace ancien qui remonte au moins au iiie s. av. J.-C. et n’est pas encore sous Trajan affecté par une restructuration. Sous le règne d’Hadrien et sans doute d’Antonin le Pieux, le secteur situé au nord de la voie est redéfini topographiquement par la construction d’un passage monumental, est équipé de nouveaux monuments parmi lesquels figure principalement un odéon. Au fond, ce schéma topo-chronologique aboutit à une requalification urbaine du secteur à l’époque d’Hadrien qui s’insère dans la continuité des aménagements hellénistiques et pré-hadrianiques, parmi lesquels il faut sans doute compter une ou plusieurs colonnes coniques d’Apollon. Évolutions et ajustements de ces développements urbanistiques sont, toutes proportions gardées, apparentées à la création d’une Athènes hadrianique.
Fig. 1 : Le « centre monumental » d’époque impériale d’Apollonia d’Illyrie. Les édifices dans leur contexte topographique (Philippe Lenhardt et François Quantin, IRAA, Mission albano-française d’Apollonia, Albanie). À paraître dans le BCH 146 (2022) [2024].
![Fig. 1 : Le « centre monumental » d’époque impériale d’Apollonia d’Illyrie. Les édifices dans leur contexte topographique (Philippe Lenhardt et François Quantin, IRAA, Mission albano-française d’Apollonia, Albanie). À paraître dans le BCH 146 (2022) [2024].](docannexe/image/5090/img-1-small480.jpg)
Fig. 2 : Phasage hypothétique du « centre monumental » d’époque impériale d’Apollonia d’Illyrie (Philippe Lenhardt et François Quantin, IRAA, Mission albano-française d’Apollonia, Albanie). À paraître dans le BCH 146 (2022) [2024].
![Fig. 2 : Phasage hypothétique du « centre monumental » d’époque impériale d’Apollonia d’Illyrie (Philippe Lenhardt et François Quantin, IRAA, Mission albano-française d’Apollonia, Albanie). À paraître dans le BCH 146 (2022) [2024].](docannexe/image/5090/img-2-small480.jpg)
- 40 Voir E. La Rocca, « Il Traianeo di Italica e la Biblioteca di Adriano ad Atene: costruzioni e fortu (...)
- 41 P. Gros, « Les nouveaux espaces civiques du début de l’Empire en Asie Mineure : les exemples d’Éphè (...)
27Les libéralités d’Hadrien en faveur des concours sont bien attestées, mais les exemples de financements par l’empereur de constructions d’édifices de spectacles concernent peu l’Orient, mais l’Occident. Quoi qu’il en soit, ce penchant occidental est le fin mot d’un scénario urbanistique et édilitaire qui se joua en Orient dès l’époque augustéenne : la fermeture partielle de l’espace et la présence de l’arc, privilégiant la perception optique du programme monumental depuis l’intérieur du dispositif, illustre une dynamique formelle qui traverse l’ensemble de l’histoire de l’architecture de l’époque archaïque au Bas-Empire40. Pierre Gros a en effet montré que les espaces civiques micrasiatiques d’Éphèse, de Iasos et d’Aphrodisias offrent précocement des exemples de l’intégration de l’odéon ou du bouleutérion aux dispositifs architecturaux de l’idéologie dynastique dès l’époque augustéenne, voire tardo-républicaine à Rome41. À Apollonia, l’articulation entre les monuments est organique et fonctionnelle : elle n’obéit pas à une implantation régulière et relève d’une disposition paratactique, désignant une sorte d’orchestra au centre.
- 42 Sur l’exploitation par le culte impérial de dispositifs topographiques et architecturaux anciens, s (...)
28Quintus Villius Crispinus Furius Proculus, le dédicant du bouleutérion (fig. 1, no 7), est à la fois archiereus, grand-prêtre des empereurs, et donc organisateur entre autres de combats de gladiateurs qui se déroulaient assurément au théâtre, et exerçait la prytanie, plus haute charge civique et magistrature éponyme. Dans cette cité résolument hellénophone, l’étroite articulation entre les institutions civiques et le culte des divi est acquise dès le début du iie s. L’empereur en personne et le culte impérial prennent alors place dans un espace ancien42, requalifié par la construction d’un petit complexe monumental disposé autour d’un auditorium qui fait pendant au bouleutérion, édifices parmi lesquels on relève un monument dont la construction est une initiative d’Hadrien – vraisemblablement l’odéon qui aurait alors été construit entre 132 et la mort du princeps, en vertu de l’attribution à cet édifice d’une inscription qui mentionne Hadrien au nominatif –, l’accueil d’un cycle statuaire dans le portique aux dix-sept niches, et une remarquable densité dans ce secteur des inscriptions impériales. La reconstruction hypothétique proposée ici attribue au passage monumental une fonction de miroir topographique et culturel déformant, d’arc spéculaire et spectaculaire opposant un édifice de délibération civique, mis à distance, à un monument de spectacle et de concours consacré à l’otium et à la paideia, aux performances musicales, oratoires et au culte des Sebastoi. Un quartier impérial en somme, objet de la libéralité d’Hadrien envers les Apolloniates sur le golfe Ionien, jadis hôtes du fondateur du Principat.
29Au sujet des paysages religieux, une conférence nous a permis d’aborder le riche dossier des entrées grecques des Enfers et une séance fut consacrée à l’exploration de la région du Nymphaion près de Selenicë en Albanie (programme ANR PIX en cours), où se côtoyaient des gisements de bitume et un sanctuaire oraculaire des Nymphes signalé par une flamme aux confins du territoire de la cité.
II. Mort de Pierre Cabanes
30La fin de l’année universitaire fut endeuillée par le décès de l’historien Pierre Cabanes. Né le 23 décembre 1930 au Puy-en-Velay en Haute-Loire, le maître et l’ami de tant de collègues français, italiens, grecs, albanais et plus largement balkaniques est mort entouré de ses enfants le 13 juin 2023 à Clermont-Ferrand. Pierre Cabanes fit par deux fois l’expérience de la guerre, enfant puis jeune homme. Son père, deux de ses grands frères aînés et ses deux tantes maternelles s’engagèrent dans la Résistance dans le Velay et à Paris, et son oncle maternel, Henri Rendu mourut au combat à 29 ans en novembre 1944 et fut Compagnon de la Libération à titre posthume en août 1945. Lui-même fut mobilisé comme officier en Algérie dans le massif du Djurdjura dans l’Atlas pendant un an (1956-1957). Son goût pour l’histoire se développa tôt, forgé par le souvenir de la cruauté de la guerre et animé par une fraternité aiguisée par les épreuves. Le dernier livre qu’il lut fut celui de Daniel Cordier, Jean Moulin, la République des catacombes.
31À l’école de grands maîtres avec qui il noua des rapports d’amitié, comme Édouard Will, Pierre Vidal-Naquet et Louis Robert (1904-1985), il s’engagea sous la direction de Pierre Lévêque dans une thèse d’État sur l’Épire de la mort de Pyrrhos à la conquête romaine. Après avoir enseigné à Nantes, il succéda à Claude Mossé en 1969 à l’université de Clermont-Ferrand, institution qu’il présida de 1977 à 1982, et termina sa carrière professorale à Paris X Nanterre. Il présida le jury de l’agrégation d’histoire et rédigea nombre de manuels et d’ouvrages synthétiques qui proposaient à la fois une vision claire de périodes complexes et des mises au point dépoussiérées et souvent engagées sur des sujets qui ressortaient à l’Antiquité comme à la période contemporaine, à l’instar du livre qu’il rédigea avec son fils Bruno Cabanes, historien de la Grande Guerre (Passions albanaises. De Berisha au Kosovo, Paris 1999), ou de la table des matières très interdisciplinaire des mélanges en son honneur qu’édita Danièle Berranger-Auserve (Épire, Illyrie, Macédoine… Mélanges offerts au professeur Pierre Cabanes, Clermont-Ferrand 2007).
32Son œuvre scientifique est une contribution majeure à la connaissance de la « terza Grecia », donc aussi de l’hellénisme, tant il est vrai que le monde des ethnè participe éminemment au monde grec. À l’époque de ses premiers travaux qui confluent dans sa thèse d’État publiée en 1976 dans les « Annales littéraires de l’université de Besançon » (no 186), la Grèce nord-occidentale était une véritable terra incognita, considérée comme « un canton perdu, isolé, en bordure du monde grec » (p. 2). Dès les premiers textes, les travaux de Pierre Cabanes sont ainsi une authentique exploration pionnière d’une région considérée comme marginale dans la géographie culturelle grecque – marginalité qui repose sur des a priori contemporains, essentiellement athénocentristes, mais aussi antiques, comme on peut le lire chez Thucydide –, de surcroît arriérée, et dont, au fond, on pouvait douter de l’hellénisme, malgré la manifeste antiquité du site de Dodone, qui, parallèlement aux premiers travaux de Pierre Cabanes était fouillé par son collègue et ami Sôtiris I. Dakaris. La Macédoine, sur l’autre versant du Pinde, a connu le même type de trajectoire historiographique pilotée par Miltiade B. Hatzopoulos qui accompagna les travaux de Pierre Cabanes et qui fut un de ses amis proches. Cette exploration fut d’emblée un vaste programme scientifique collaboratif constitué d’enquêtes épigraphiques qui aboutirent à la publication de corpus épigraphiques par l’École française d’Athènes, de reconnaissances géographiques et topographiques qui établirent une géographie historique de l’Épire et de l’Illyrie méridionale – travaux aujourd’hui perpétués par Marie-Pierre Dausse, Georgia Pliakou ou Saimir Shpuza –, de mises en ordre chronologique des documents littéraires, épigraphiques et archéologiques qui composèrent une histoire institutionnelle et sociale de ces régions à la fois singulière et universelle. Cet investissement scientifique, qui fut tout autant une aventure humaine exemplaire éclairée par un grand intérêt pour l’histoire des sociétés contemporaines, a pris une autre ampleur encore avec l’ouverture de l’Albanie aux équipes étrangères et la fondation par Pierre Cabanes de la Mission épigraphique et archéologique française en 1992. Première mission étrangère en Albanie, sa création reposa exclusivement sur les liens de confiance et de respect scientifiques que Pierre Cabanes a entretenus avec ses collègues albanais, sans compromission avec le régime politique d’alors et dans l’admiration intellectuelle et fraternelle pour l’œuvre de savants comme Selim Islami, Skënder Anamali, Fano Prendi, Faïk Drini et Neritan Ceka qui créa avec lui cette équipe albano-française. Cette mission donna lieu à la publication de cinq corpus épigraphiques par l’École française d’Athènes, et à la reprise des fouilles d’Apollonia d’Illyrie en 1993 dans la continuité des travaux de Léon Rey pendant l’entre-deux-guerres. Devant cette nouvelle perspective pour lui, l’archéologie de terrain, Pierre Cabanes sut s’entourer d’archéologues comme Jean-Claude Poursat, et comprendre dès le début qu’un tel site ne pouvait se passer des compétences et de l’approche propres à un architecte, rôle attribué à Philippe Lenhardt qui pilota les travaux de l’atlas du site. Ces opérations de terrain, dirigées après le départ en retraite de Pierre Cabanes par Bashkim Vrekaj, Shpresa Gjongecaj et Jean-Luc Lamboley, continuent aujourd’hui sous la direction de Belisa Muka et de Stéphane Verger, sous la tutelle du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, en partenariat avec les Écoles d’Athènes et de Rome. Un atlas historique et archéologique d’Apollonia d’Illyrie fut publié par l’École française de Rome en 2007, et une étude de la céramique romaine vient de sortir à l’École française d’Athènes. Mentionnons aussi la direction par Pierre Cabanes de la Carte archéologique de l’Albanie, présentée par Muzafer Korkuti, Apollon Baçe et Neritan Ceka (Unesco, Tirana 2008). L’Albanie et la France ont reconnu le caractère exceptionnel de l’engagement de Pierre Cabanes en l’admettant dans l’ordre de Gjergj Kastrioti Skënderbeu, en lui remettant la médaille Naïm Frashëri et la Légion d’honneur.
33Pierre Cabanes fut le garant d’une tradition scientifique rigoureuse qui refuse le spectacle et les mondanités académiques au profit d’une fabrique rigoureuse du savoir et d’un partage des connaissances. Proxène de ses étudiants en terre antique, souvent alternative, il a su guider ses doctorants ou les nombreux collègues venus lui demander conseil sur des voies scientifiques innovantes. Sa maison était toujours ouverte et accueillante à ses étudiants, ses collègues français ou étrangers, grâce à son épouse Monique Cabanes décédée deux ans auparavant. L’un des aspects les plus remarquables de la démarche scientifique de Pierre Cabanes fut son accroche pragmatique et profonde au temps présent. Son travail entra en résonnance entre ses centres d’intérêt politiques, sociaux, religieux à la fois envers l’Antiquité et la modernité, voire l’actualité. Sa réflexion sur le fédéralisme antique côtoya ses idées favorables à la construction européenne, ses travaux sur les femmes épirotes répondirent aux enjeux contemporains de l’émancipation féminine, son intérêt pour les groupes sociaux antiques les plus fragiles ne fut pas dû à une opportunité documentaire – les actes d’affranchissement de Bouthrôtos – mais à un humanisme chevillé au corps depuis sa jeunesse, et sa condamnation des discours ethnocentriques antiques fut fermement articulée à son refus du nationalisme barbare dont il a étudié les mécanismes historiographiques coupables. Dans la préface de l’un des ouvrages de Pierre Cabanes sur l’Albanie, Ismaïl Kadaré écrivait en 1994 : « Dans le contexte actuel, cet ouvrage est, au vu de tous, un acte noble, digne des gestes généreux émanant de ces intellectuels européens soucieux de dissiper le brouillard qui s’obstine à occulter une terre que l’on persiste à qualifier de mystérieuse – désormais sans grand argument à l’appui ». L’œuvre de Pierre Cabanes fut en effet animée par la volonté de démystifier l’Antiquité, par un certain dépouillement théorique qui l’a conduit à éditer et commenter des milliers d’inscriptions antiques, par le refus du jargon qui nous rend inaudibles et d’un certain surplomb académique qui occulte souvent la noblesse de nos missions.
III. Participation au séminaire et interventions
34Ont participé régulièrement ou occasionnellement aux conférences (Sorbonne, bureau du président de l’EPHE-PSL) : Philippe Lenhardt (IRAA), Vinciane Pirenne-Delforge (Collège de France), Silvia Romani (Università degli Studi di Milano), Saimir Shpuza (IRAA, Institut archéologique d’Albanie) ; Farbod Aghili Ashtiani, Benjamin Descouteix, Costanza Di Lorito, Anaëlle Dufant, Sophie Fabre-Hoffmeister, Auxanne Le Beller, Armand Naudin, Dominique Meyer, Clélia Patriarchéa, Élie Piette, Alba Selita, Tommaso Serafini, Francesco Sorbello. Auditrices et auditeurs de la « troisième heure » (INHA) furent Samuel Bagnoli, Maylla Bisson, Michèle Fallut, Julie Gardes, Élyane Létang, Francine Quentin, Tommaso Serafini, Anastasia Vilas.
35Sont généreusement intervenus dans le séminaire sous la forme d’une conférence ou d’une plus courte présentation : Tommaso Serafini, « Le temple d’Arès sur l’agora d’Athènes », le 6 décembre 2022 ; Philippe Lenhardt, « L’urbanisme d’Apollonia d’Illyrie », le 13 décembre 2022 ; Alaya Palamidis, « Retour sur les “temples voyageurs”. Le temple de l’agora d’Athènes et les autres », le 3 janvier 2023 ; Éléonore Montbel, « Parèdres onomastiques divins dans le polythéisme romain : le cas des divinités provinciales », le 17 janvier 2023 ; Jean-François Bernard et Stéphane Lamouille, « L’oikos des Naxiens à Délos », le 24 janvier 2023 ; Guillaume Biard, « L’Artémision de Thasos », le 14 mars 2023 ; Loredana Lancini, « Enfers et paysage volcanique : une lecture géomythologique ? », le 21 mars 2023 ; Saimir Shpuza, « Le théâtre d’Orikos en Illyrie méridionale », le 4 avril 2023.
36Que toutes et tous soient remerciés de leur présence et de leur participation.
Notes
1 O. de Cazanove, J. Scheid (dir.), Sanctuaires et sources. Les sources documentaires et leurs limites dans la description des lieux de culte, Naples 2003 ; V. Pirenne-Delforge, « Héra, Apollon et l’Héraion de Délos à la période archaïque », dans A. Mazarakis Ainian (éd.), Les sanctuaires archaïques des Cyclades, Rennes 2017, p. 91-104 ; G. Pironti, « Antropologia religiosa e archeologia classica: un dialogo da ripensare », dans Dialoghi sull’Archeologia della Magna Grecia e del Mediterraneo, Atti del IV Convegno internazionale di Studi, Paestum 2021, p. 15-23.
2 On ne défendra donc pas ici l’essentialisation des « données brutes », parfois prônée en archéologie sous l’influence de l’exigence numérique et de l’archéométrie, données réputées « vraies », et que l’on pourrait de manière fallacieuse opposer aux interprétations, qui seraient de l’ordre de l’élucubration ou de la falsification. Cette valorisation des données brutes fut aussi préparée en sciences humaines par un scepticisme radical appliqué aux interprétations ; dans le domaine de l’Antiquité, cf. par exemple, P. Veyne, « L’interprétation et l’interprète. À propos des choses de la religion », Enquête 3 (1996), p. 241-272.
3 M. Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-1979, Paris 2004, p. 22 ; cf. P. Veyne, Foucault. Sa pensée, sa personne, Paris 2008, p. 155-166.
4 F. Quantin, Chimères autochtones. Le malentendu identitaire en Méditerranée, Paris 2020. Cf. les ouvrages récents de D. Horvilleur, Il n’y a pas de Ajar. Monologue contre l’identité, Paris 2022 ; M. Revault d’Allonnes, Le Crépuscule de la critique, Paris 2022 ; P. Audi, Troublante identité, Paris 2022. Dans son ouvrage intitulé À l’heure des nations et publié en 1988, Emmanuel Lévinas établissait l’importance dans la définition de l’humain de la capacité d’accueil et du refus du fanatisme autochtone : « Abriter l’autre homme chez soi, tolérer la présence des sans-terre et des sans-domicile sur un sol ancestral si jalousement – si méchamment – aimé, est-ce le critère de l’humain ? Sans conteste ».
5 Cf. S. Georgoudi, « Gaia/Gê. Entre mythe, culte et idéologie », dans S. des Bouvrie (éd.), Myth and Symbol I. Symbolic phenomena in ancient Greek culture, Bergen 2002, p. 113-134.
6 G. Pironti, « Des dieux et des déesses : le genre en question dans la représentation du divin en Grèce ancienne », dans S. Boehringer, V. Sebillotte Cuchet (éd.), Des femmes en action. L’individu et la fonction en Grèce antique, Paris, Athènes 2013, p. 155-167.
7 Cf. l’ouvrage récent de A. Pierattini, The Origins of Greek Temple Architecture, Cambridge 2022, qui sera commenté en séminaire.
8 Cf., parmi une riche bibliographie, les excellents textes de S. Roux, « André Leroi-Gourhan et le devenir de l’homme. Regards d’un préhistorien », Regards croisés 9 (2019), p. 16-27 ; Id., « André Leroi-Gourhan et l’ethnologie comparée », dans J.-L. Georget, P. Grosos, R. Kuba (dir.), L’ailleurs et l’avant. Comparatisme, ethnologie et préhistoire, Paris 2019, p. 159-173.
9 Jean Rudhardt estimait que les objets analysés par l’archéologue ou l’historien d’art ont aussi un contexte langagier et linguistique (J. Rudhardt, « La perception grecque du territoire sacré », MEFRA 113-1 [2001], p. 188), ce qui rappelle l’axiome de ce que l’on a appelé l’archéologie post-processuelle, material culture as text (cf. I. Oggiano, « Archeologia del culto: questioni metodologiche », dans M. Rocchi, P. Xella [éd.], Archeologia e religione, Vérone 2006, p. 32), et marque le retour à la prééminence de la notion de contexte, en particulier en matière religieuse.
10 Préface de Heather Dundas, traduit de l’anglais par Gaëtan Thomas, Paris 2021.
11 Le séjour avait en réalité pour objectif de participer à une consommation nocturne de LSD dans la vallée de la Mort, organisée par Simeon Wade et son compagnon Michael Stoneman, musicien. Après cette expérience qui fut pour Michel Foucault un éblouissement (« la plus grande expérience de sa vie »), le philosophe répond aux questions des étudiants de Simeon Wade à Claremont Men’s College. Les échanges ont été enregistrés par un étudiant ; Toni Tosch secrétaire de Claremont en a fait une transcription, fluidifiée par Simeon Wade.
12 J.-P. Demoule, « Archaeology of Cult and Religion: A Comment, or How to Study Irrationality Rationally », dans P. F. Biehl et F. Bertemes, avec H. Meller (éd.), The Archaeology of Cult and Religion, Budapest 2001, p. 279-284.
13 Cf. J. Scheid, « Pour une archéologie du rite », Annales HSS 55-3 (2000), p. 622 : « Autrement dit, l’histoire des religions de l’Antiquité a tout à gagner si elle s’appuie sur l’archéologie contemporaine, mais celle-ci a tout à perdre si elle croit pouvoir se passer de l’anthropologie et de l’histoire des religions ».
14 Par exemple, Vicomte de Colleville, Abécédaire d’architecture ancienne, Paris 1898.
15 P. Borgeaud, Aux origines de l’histoire des religions, Paris 2004.
16 C. Hawkes, « Archaeological Theory and Method: Some Suggestions from the Old World », American Anthropologist 56-2-1 (1954), p. 155-168, p. 161-162 en particulier, et de conclure : « In general, I believe, unaided inference from material remains to spiritual life is the hardest inference of all ».
17 C. Renfrew, The Archaeology of Cult: The Sanctuary at Phylakopi, Londres, Athènes 1985.
18 I. Oggiano, « Archeologia del culto: questioni metodologiche », p. 26-27.
19 A. Leroi-Gourhan, Les religions de la préhistoire, Paris 1964, p. 31-36 (cité dans la troisième édition parue en 1990).
20 J. Clottes, D. Lewis-Williams, Les chamanes de la préhistoire. Transe et magie dans les grottes ornées. Après Les Chamanes, polémique et réponses, Paris 2001. Cf. les ouvrages de A. Testard, Art et religion de Chauvet à Lascaux, édition de V. Lécrivain, Paris 2016 et de J.-L. Le Quellec, La caverne originelle. Art, mythes et premières humanités, Paris 2022, ont été abordés au début de la conférence 2023-2024.
21 C. Sourvinou-Inwood, « What is Polis Religion? », dans O. Murray, S. Price (éd.), The Greek City from Homer to Alexander, Oxford 1990, p. 295-322. Voir J. Kindt, « Polis Religion: A Critical Appreciation », Kernos 22 (2009), p. 9-34.
22 En particulier Social formation and symbolic Landscape, Londres, Sidney 1984. Les travaux actuels sur l’imaginaire spatial de Jörge Rupkë sont apparentés à cette démarche.
23 Un ouvrage publié en 1994 marque le « tournant spatial » de nos études : S. Alcock et R. Osborne (éd.), Placing the Gods, Oxford 1994. Une autre étape fut un colloque intitulé Qu’est-ce qu’un « paysage religieux » ? publié en 2010 dans la RHR par J. Scheid et F. de Polignac.
24 V. Genin, Avec Marcel Detienne, Genève 2021, p. 210.
25 Par exemple J. N. Bremmer, « “Religion”, “Ritual” and the Opposition “Sacred vs. Profane”. Notes towards a Terminological “Genealogy” », dans F. Graf (éd.), Ansichten griechischer Rituale, Stuttgart, Leipzig 1998, en particulier p. 10-14 ; ou tout récemment, dans le domaine de la préhistoire, J.-L. Le Quellec, La caverne originelle. Art, mythes et premières humanités, p. 133-137.
26 Paris 2020, p. 54-57.
27 https://map-polytheisms.huma-num.fr/.
28 A. Picon, La matérialité de l’architecture, Marseille 2018, p. 36-37.
29 Cf. G. Zuchtriegel, The Making of the Doric Temple. Architecture, Religion, and Social Change in Archaic Greece, Cambridge 2023.
30 S. Georgoudi, R. Koch Piettre, F. Schmidt (éd.), La cuisine et l’autel. Les sacrifices en question dans les sociétés de la Méditerranée ancienne, Turnhout 2005.
31 Mythes et pensée chez les Grecs, Paris 1965 (19852), p. 347.
32 B. D. Wescoat, R. G. Ousterhout (éd.), Architecture of the Sacred. Space, Ritual, and Experience from classical Greece to Byzantion, Cambridge 2012, p. 373.
33 P. Gros, « La sémantique des ordres à la fin de l’époque hellénistique et au début de l’Empire », dans G. Cavalieri Manasse, E. Roffia (éd.), Splendida civitas nostra. Studi archeologici in onore di A. Frova, Rome 1995, p. 30.
34 Origins of Classical Architecture: Temples, Orders and Gifts to the Gods in Ancient Greece, Yale 2014.
35 F. Quantin, « La notion de “divinité poliade” à l’épreuve d’une étude cas. Artémis et Apollon à Apollonia d’Illyrie », dans S. Agustat-Boularot, S. Huber et W. Van Andringa (éd.), Quand naissent les dieux. Fondation des sanctuaires antiques. Motivations, agents, lieux, Rome 2017, p. 113-133.
36 Chronique des activités archéologiques de l’EFR, Apollonia d’Illyrie (Albanie), Campagne de fouilles 2012 (2013), § 3-40.
37 Cf. MEFRA 121-1 (2009), p. 240-241.
38 H. Von Hesberg, W. Eck, « Die Transformation des politischen Raumes. Das Bouleuterion in Apollonia (Albanien) », RM 116 (2010), p. 282.
39 M.-H. Barrière, Apollonia d’Illyrie 2. La céramique romaine. Les ensembles du secteur G (2009-2016), Athènes 2022, p. 188-190.
40 Voir E. La Rocca, « Il Traianeo di Italica e la Biblioteca di Adriano ad Atene: costruzioni e fortuna di una morfologia architettonica », dans E. Calandra, B. Adembri (éd.), Adriano e la Grecia. Villa Adriana tra classicità ed ellenismo. Studi e ricerche, Vérone 2014, p. 61-70, qui établit aussi l’influence de ce modèle sur les mosquées les plus anciennes.
41 P. Gros, « Les nouveaux espaces civiques du début de l’Empire en Asie Mineure : les exemples d’Éphèse, Iasos et Aphrodisias », dans C. Roueché, R. R. R. Smith (éd.), Aphrodisias Papers, 3. The setting and quarries, mythological and other sculptural decoration, architectural development, Portico of Tiberius, and Tetrapylon, Ann Arbor 1996, p. 111-120.
42 Sur l’exploitation par le culte impérial de dispositifs topographiques et architecturaux anciens, sans construction d’un sanctuaire des Augustes proprement dit, cf. P. Gros, « L’évolution des centres monumentaux des cités italiennes en fonction de l’implantation du culte impérial », dans M. Cébeillac-Gervasoni (éd.), Les élites municipales de l’Italie péninsulaire de la mort de César à la mort de Domitien entre continuité et rupture. Classes sociales dirigeantes et pouvoir central, Rome 2000, p. 307-326.
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Titre | Fig. 1 : Le « centre monumental » d’époque impériale d’Apollonia d’Illyrie. Les édifices dans leur contexte topographique (Philippe Lenhardt et François Quantin, IRAA, Mission albano-française d’Apollonia, Albanie). À paraître dans le BCH 146 (2022) [2024]. |
URL | http://journals.openedition.org/asr/docannexe/image/5090/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 924k |
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Titre | Fig. 2 : Phasage hypothétique du « centre monumental » d’époque impériale d’Apollonia d’Illyrie (Philippe Lenhardt et François Quantin, IRAA, Mission albano-française d’Apollonia, Albanie). À paraître dans le BCH 146 (2022) [2024]. |
URL | http://journals.openedition.org/asr/docannexe/image/5090/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 705k |
Pour citer cet article
Référence papier
François Quantin, « Archéologie monumentale et spatiale des sanctuaires grecs », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses, 131 | 2024, 249-269.
Référence électronique
François Quantin, « Archéologie monumentale et spatiale des sanctuaires grecs », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [En ligne], 131 | 2024, mis en ligne le 12 juillet 2024, consulté le 23 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/asr/5090 ; DOI : https://doi.org/10.4000/122x5
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