Enquêter sur le religieux : questions de méthode
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- 1 En particulier sa thèse de sociologie, « Sécularisation, genre, sexualité. Des catholiques et musul (...)
- 2 Voir N. Bajos, J. Ancian, J. Tricou, A. Valendru, « Sociologie des violences sexuelles au sein de l (...)
1Durant l’année 2022-2023, ce sont notamment les questions de méthodes qui ont été explorées durant le séminaire. Nous avons ainsi pu entendre des collègues tels Marion Maudet (université Lyon 2) présenter ses travaux sur la sexualité chez les jeunes musulmans et catholiques1 ou encore Josselin Tricou (UNIL) qui a participé à l’enquête de la CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église)2. D’autres travaux ont été étudiés à partir d’articles ou chapitres d’ouvrages.
- 3 Voir Annuaire EPHE-SR 130 (2023), p. 603-612.
2On voudrait alors dans cette contribution revenir sur les conditions de l’enquête présentée l’an dernier, auprès d’adhérents des Associations familiales protestantes (AFP)3 et les questions méthodologiques qu’elle pose.
L’enquête
- 4 Pour une synthèse de cette enquête, constituée donc d’un volet quantitatif et d’un volet qualitatif (...)
3En janvier 2021, j’ai été approchée par l’AFP qui désirait alors réaliser une enquête sur les familles adhérentes et proches de l’association afin d’établir une forme de recensement de ces familles et voir si l’on pouvait en dresser une typologie. À entendre certains représentants de l’association, le projet était également de montrer la diversité présumée de ces familles et ne pas les réduire à un modèle conjugal hétéronormé et stable. L’enquête a été menée alors que la révision de la loi de bioéthique était en passe d’être adoptée (elle le sera en août 2021). Précisons ainsi que cette enquête répond au départ à une sollicitation des Associations familiales protestantes (AFP) et que sa mise en place a fait l’objet de nombreuses interrogations, discussions et négociations4. J’ai quelque peu hésité avant de me lancer dans cette enquête, précisément en raison de ce contexte. Le protocole a permis d’établir une situation d’enquête acceptée par les deux parties, l’association et moi-même.
- 5 B. Pulman, « Pour une histoire de la notion de terrain », Gradhiva 5 (1988), p. 21-30, p. 28.
- 6 Réfléchissant ainsi à la proposition de M. Avanza, pour laquelle il convient de « cesser de considé (...)
4Différents rendez-vous en visioconférence ont ainsi permis de mettre en place un protocole de recherche. Dans un premier temps, par la voie de la présidente de l’association, j’ai été invitée à écrire un ouvrage qu’il diffuserait, ce que j’ai refusé. J’ai demandé et obtenu qu’un rapport soit rendu mais que je resterais propriétaire des verbatim recueillis que je pourrais utiliser dans le cadre de publications scientifiques, ce qui a fait l’objet d’une convention. Comme l’a souligné Bertrand Pulman5, le mot « terrain » renvoie à un espace où se déroulent des affrontements. Ces derniers, dans le cadre de cette enquête, ont permis d’élaborer un protocole satisfaisant les deux parties, m’obligeant également à repenser la notion d’empathie sur le terrain6. J’ai également répondu à leurs questions sur ma foi, disant que je n’étais pas évangélique ni n’appartenais d’ailleurs à aucune confession. J’ai pu à cet égard mesurer la dimension prosélyte de ce mouvement notamment par le fait de m’inviter à plusieurs reprises à lire la Bible.
- 7 S. Fancello, « Travailler sans affinité : l’ethnologue chez les “convertis” », Journal des anthropo (...)
5La transcription des entretiens achevée (près de 400 pages), je me suis lancée dans un travail de lecture attentive des propos recueillis. Force m’a été de constater que nombre des propos tenus faisaient état d’une forme d’intransigeance vis-à-vis des formes contemporaines de la famille et dans quelque cas, d’une homophobie. Il m’a alors été difficile de produire une analyse à partir de cette enquête. J’ai donc laissé de côté ce matériau pour y revenir plus tard. Il m’a fallu mettre à distance des émotions suscitées par les verbatim. Relevons que les personnes rencontrées tenaient des propos souvent conservateurs en matière de sexualité et de morale conjugale. Si j’ai été toujours très bien accueillie et souvent remerciée de ces échanges, un léger sentiment de malaise s’emparait de moi au terme de la plupart des entretiens. Se posait alors la question de l’affinité avec le terrain, analysée notamment par Sandra Fancello : « Le terrain des religions peut s’avérer particulièrement éprouvant pour l’anthropologue qui ne partage ni la foi, ni la culture religieuse des communautés dans lesquelles il a choisi de travailler »7.
6Sur ce point, on peut revenir sur la question de l’homophobie qui, lorsqu’elle apparaissait dans les entretiens, me mettait mal à l’aise. Prendre de la distance est alors difficile. Plus généralement, et au-delà de l’actualité de la question de la révision des lois de bioéthique, cette opposition à l’élargissement de l’accès à la PMA se fonde sur une réprobation de l’homosexualité, très forte chez la quasi-totalité des personnes rencontrées, à de très rares exceptions, notamment celles dont les enfants sont homosexuels. Cette réprobation se double pour certains et certaines d’entre eux, d’une homophobie dont ils se défendent pourtant, ancrant leurs discours dans l’appel à leurs normes chrétiennes qui justifient pour eux la défense de ce modèle familial hétérocentré et qui en exclut d’autres. Seules deux des personnes rencontrées étaient favorables à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels dès le départ, dont un homme dont le fils est homosexuel. Il est à noter que toutes les personnes rencontrées étaient elles-mêmes hétérosexuelles. Lorsqu’on lui demande quelle serait sa réaction si l’un de ses enfants lui annonçait son homosexualité, Hanna (47 ans, mariée, famille évangélique, sans profession) aurait beaucoup de mal à l’accepter : « Ce serait clairement quelque chose de très difficile pour nous (…). Déjà on essaierait de comprendre ce qui se passe, et malgré tout j’ai envie de dire, cet enfant-là resterait notre enfant, même si on est en désaccord. Bon là c’est un désaccord énorme (…). Bon là évidemment sur un sujet comme l’homosexualité pour nous ce serait quelque chose de tragique honnêtement ». Ce terme de « tragique » mérite d’être relevé. Cette hostilité permet de parler ici d’une homophobie. Il ne s’agit pas simplement d’une désapprobation d’un mode de vie, mais d’un rejet. Pour certains, les homosexuels ne sont pas des gens « comme les autres » et pourraient revenir à l’hétérosexualité s’ils le souhaitaient. L’homosexualité est souvent vue comme une déviance. S’ils ne sont pas favorables aux thérapies de conversion, ils plaignent souvent les homosexuels, dans une forme de dévalorisation parfois teintée d’empathie et se demandent aussi s’ils ne « changeront pas » pour revenir à une sexualité hétérosexuelle.
7Relevons néanmoins que cette enquête a donné lieu à des retours de la part de certaines des personnes rencontrées. L’entretien les avait fait réfléchir à ces familles contemporaines, notamment homoparentales, qu’ils ne pouvaient reconnaître dans un premier temps mais dont ils s’étaient rendu compte, au cours de l’échange, qu’elles étaient finalement « des familles comme les autres » pour reprendre l’expression utilisée par une des jeunes femmes rencontrées. Soulignons ici que ces réajustements n’étaient le fait que de femmes, les retours d’hommes étant plus mesurés voire critiques. Ces ajustements, même s’ils sont minoritaires, témoignent de la nécessité, lorsque l’on enquête sur le religieux, de garder en tête la pluralité interne propre aux courants religieux. Le modèle de base comporte ainsi des modulations, notamment parce que des expériences leur ont permis d’assouplir leur point de vue.
8Pour revenir à la méthode de l’enquête, son protocole agréé par les deux parties stipulait que les entretiens avaient pour objectif de cerner quelles sont les représentations de la famille que se font les personnes rencontrées. Constatant que le rapport des évangéliques à la sexualité et à la reproduction est une question encore peu étudiée en France, j’ai souhaité également recueillir leur ressenti sur des questions de morale sexuelle et familiale telles que la contraception, l’avortement, la PMA (Procréation médicalement assistée), l’homoparentalité, l’homosexualité, la révision alors en cours de la loi de bioéthique, notamment l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Une présentation de l’enquête, notamment sur sa méthodologie, a été communiquée aux membres des AFP et à quelques autres personnes par un de leur représentant, en leur proposant d’y participer. Je n’ai donc pas procédé à la constitution de l’échantillon, tout en précisant des points importants : rencontrer des personnes de tous âges, des hommes et des femmes, de régions différentes. Étant éloignée de ce milieu que j’ai découvert à l’occasion de cette enquête, il m’eût été sans doute plus difficile d’accéder moi-même aux personnes sans l’intermédiaire d’un représentant des AFP. Le choix a été fait de contacter l’ensemble des personnes qui avaient accepté le principe de l’entretien. Les familles étaient représentées par une personne ou, lorsqu’il s’agissait de couples, dans certains cas par les deux personnes.
Les personnes rencontrées
- 8 La majorité des protestants en France sont regroupés dans la Fédération protestante de France (FPF) (...)
9L’enquête qualitative que j’ai menée repose sur 32 entretiens représentant 43 personnes, 18 femmes et 25 hommes (dans l’enquête quantitative, 53 % des répondants sont des hommes et 47 % des femmes), 21 avec des personnes seules et 11 avec des couples. Les personnes sont âgées de 24 à 84 ans. Pour ce qui concerne leurs professions, elles sont issues dans leur majorité des « classes moyennes ». Certains pourtant appartiennent aux « classes supérieures » (médecin, avocat, etc.). Parmi les 43 personnes, 12 ont arrêté l’école en 3e, 8 ont le niveau bac et 23 ont fait des études supérieures, dont certains en formation continue. On a donc affaire à une population qui n’est pas totalement homogène du point de vue des caractéristiques sociodémographiques. Ce qui les rassemble est donc le fait qu’ils se définissent comme protestants évangéliques, à une exception près, un protestant qui se dit réformé, qui n’a pas rejoint un groupe évangélique8.
10Concernant leur statut matrimonial, 35 personnes sont mariées dont 3 sont remariées après un divorce, 4 sont célibataires dont une à la suite d’une séparation, 3 sont divorcées ou séparées et l’une est veuve. Ces proportions rejoignent les données de l’enquête quantitative, où 80 % des personnes sont mariées, 10 % célibataires, 7 % divorcées ou séparées. Ces chiffres diffèrent de ceux en cours dans la population française puisqu’aujourd’hui, 45 % des mariages se terminent par un divorce.
11Les 32 familles rencontrées comportent 84 enfants. Ils se répartissent entre 1 et 6 enfants selon les familles, avec 4 familles recomposées (enfants issus d’une précédente union). Ces enfants sont parfois eux-mêmes parents. Là encore, on retrouve les mêmes proportions que dans l’enquête quantitative, où 85 % des répondants ont des enfants et pour 93 % d’entre eux, ces enfants sont issus d’une seule et même union.
- 9 Voir G. Angey, Y. Fer, M. Vildard, « (Se) convertir : les ressorts de la transformation biographiqu (...)
12À propos de leur appartenance religieuse, si les personnes rencontrées sont donc toutes protestantes évangéliques, à l’exception d’une qui se définit comme protestante réformée, leur famille d’origine ne l’était pas nécessairement. C’est d’ailleurs une des caractéristiques de la population évangélique que de compter en son sein des convertis9. On utilisera ici le terme de converti en considérant qu’il faut le comprendre comme l’aboutissement d’un processus et donc dans une perspective dynamique.
- 10 Le CNEF a été fondé en 2001 et constitué en 2010 en fédération, interlocuteur de la FPF qui regroup (...)
13Parmi les personnes rencontrées, 18 sont issues de familles évangéliques, 8 ont des parents qui sont devenus évangéliques dont deux à la suite d’un divorce ou d’une séparation, 14 se sont converties, pour la plupart issues de familles catholiques ou de couples mixtes catholiques-protestants. Un seul des convertis est issu d’une famille sans religion. Deux personnes enfin ont grandi dans des couples mixtes mais ont été élevées dans la religion évangélique pratiquée par leur mère. Il faut composer aussi avec la diversité du monde évangélique rassemblé au sein du Conseil national des évangéliques de France (CNEF)10.
- 11 S. Fath, Réforme 3892 (avril 2021) ; S. Fath, Du ghetto au réseau, les protestants évangéliques en (...)
14Il y aurait en France 350 000 protestants évangéliques. Ils représentent 54 % de la population protestante, et 1,6 % de la population générale, tandis que les protestants luthériens et réformés stables représentent 30 % de la population protestante. Reste 16 % de protestants en marge (0,5 % de la population)11. Celles et ceux que j’ai rencontrés ne sont donc pas représentatifs de l’ensemble des évangéliques de France, ni de l’ensemble des protestants évangéliques ni de la population française globale, plutôt d’un travail sur un « micro-terrain » mais qui permet néanmoins de saisir quelles peuvent être les représentations de la famille que se fait cette population, caractérisée par une certaine homogénéité des valeurs, tout en vivant dans des familles qui s’écartent parfois des normes avancées. Leurs discours sont portés par l’adhésion aux valeurs des AFP dont leurs représentants se font l’écho. C’est également une des précautions méthodologiques de préciser que dans ce contexte, le travail mené n’a pas valeur de représentativité. Il s’agit simplement de saisir comment des protestants évangéliques se représentent la famille.
Méthodes d’enquêtes
- 12 R. Lévy-Guillain, A. Sponton, L. Wicky, « L’intime au bout du fil. Enjeux méthodologiques de l’entr (...)
15La pandémie de Covid a renouvelé les questionnements et la pratique d’entretiens à distance, comme le souligne un article récent de la Revue française de sociologie12. Enquêter sur ce qui relève parfois de l’intime au moyen d’un outil virtuel mérite qu’on s’y arrête. Les entretiens ont été menés en visioconférence, à l’aide de rendez-vous Zoom fixés en accord avec les participantes et participants. Ils ont duré entre une heure et une heure et demie. Des problèmes de connexion ont perturbé ces entretiens mais dans l’ensemble, ils ont pu être transcrits dans leur intégralité. Trois étudiantes se sont chargées de ce travail. Ce sont ainsi plus de 500 pages d’entretiens dont l’analyse doit encore être poursuivie.
16Il est intéressant de préciser que toutes et tous semblaient familiers de cette technique de visioconférence, sans doute parce que durant le confinement, les offices religieux et les échanges entre communautés évangéliques se sont faits grâce à ce medium. La visioconférence a permis des entretiens un peu partout en France (on notera néanmoins l’absence d’habitants de Normandie et de Bretagne, sans doute due au caractère aléatoire du recensement des personnes interviewées), ce qui n’aurait pas été possible sinon, certaines personnes vivant dans des endroits isolés. Relevons que les personnes n’ont pas été gênées par des questions autour de la sexualité conjugale par exemple. On peut peut-être y voir un effet de la distanciation offerte par la visioconférence, dimension que mettent également en avant les auteures de l’article cité. L’accueil a toujours été chaleureux, des pointes d’humour ont souvent ponctué les entretiens mais aussi des moments d’émotion, d’interrogations. Les personnes rencontrées, notamment les plus jeunes, manifestent une certaine distance par rapport aux normes familiales en vigueur dans leur milieu évangélique, soulignant qu’elles ne sont pas partagées par tous et les faisant valoir comme des normes culturelles parmi d’autres, tout en les respectant et les promouvant. Ils déclarent ainsi comprendre le divorce, les familles monoparentales, les familles homoparentales et accepter l’homosexualité. Mais ce faisant, ils situent ces pratiques à l’extérieur de leur cercle de pratiquants religieux.
- 13 Voir le rapport déjà cité : http://enqueteafp.fr/wp-content/uploads/2022/05/DossierRestitutionEnque (...)
17À propos de méthodes d’enquête, le fait que mon enquête qualitative soit doublée d’une enquête quantitative13 a permis également d’exposer la complémentarité et les différences entre ces deux méthodes.
Mobiliser les résultats d’une enquête quantitative
18Cette enquête quantitative a été réalisée par des personnes des AFP, sous la houlette d’un sociologue, Frédéric de Coninck, connu de l’association, à laquelle ont répondu 636 personnes, un échantillon qui représente une partie de la population protestante, proche du noyau de base des églises. Les profils des personnes rencontrées dans les entretiens se rapprochent de ceux de l’enquête quantitative. Ce que montre l’enquête quantitative, c’est l’importance de la famille pour les personnes sollicitées. Dans l’ensemble, les répondants sont massivement défavorables aux évolutions sociétales telles que la contraception, l’avortement, la PMA (Procréation médicalement assistée), l’homoparentalité, l’homosexualité, la révision alors en cours de la loi de bioéthique, notamment l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Les femmes sont légèrement plus favorables à ces évolutions que les hommes.
19L’échantillon de l’enquête quantitative n’est ainsi lui non plus pas représentatif de l’ensemble des protestants évangéliques. Selon l’enquête, les 636 répondants sont plus représentatifs des protestants évangéliques des AFP que des protestants évangéliques en général.
- 14 Relevons ici que le domaine de la bioéthique est infiniment plus large que les seules questions rel (...)
- 15 Enquête auprès des protestants effectuée en septembre-octobre 2017 par Ipsos pour Réforme et la FPF (...)
- 16 Quel monde voulons-nous pour demain ? : 10 fiches de bioéthique pour comprendre les techniques poss (...)
- 17 Voir les documents rassemblés dans Éthique & Protestantisme, Lyon 2021.
20L’opinion des répondants sur les questions relatives à la morale sexuelle et familiale est massivement défavorable aux évolutions en cours (pourcentages entre 85 et 95 points). Relevons que le questionnaire quantitatif réduit les questions de bioéthique à certains points de droits reproductifs, restreignant ainsi ce champ. Si, sur deux items relevant selon l’enquête quantitative de bioéthique14 (ouverture de la PMA et GPA), l’on compare les taux d’opinion défavorables des protestants évangéliques de l’enquête FNAFP 2021 aux taux d’opinion défavorables des « chrétiens évangéliques » de l’enquête IPSOS 201715, il apparaît que ceux-ci sont significativement plus nombreux chez les évangéliques FNAFP que chez les évangéliques IPSOS. Les personnes rencontrées ont ainsi des opinions plus fermes que celles exprimées par d’autres évangéliques. 86 % (FNAFP 2021) ne sont pas favorables à l’accès à la PMA pour toutes les femmes contre 67 % (IPSOS 2017), confirmant ainsi leur positionnement « conservateur » sur cette question des droits reproductifs. Elles font écho aux réflexions et recommandations de la « Contribution du CNEF sur la bioéthique » publié en 2019 sous le titre : Quel monde voulons-nous pour demain ? À propos de l’extension de la PMA, ce document affirme : « nous sommes opposés à la fabrication d’enfants médicalement assistée et socialement instituée pour satisfaire le besoin d’adultes qui ont fait un choix de vie personnelle d’une sexualité naturellement inféconde »16. Jean-Paul Willaime souligne en revanche que l’opinion des enquêtés tranche avec les réflexions beaucoup plus nuancées émises par la Commission éthique et société de la FPF17. Si l’on suit l’enquête IFOP sur les jeunes 15-29 ans, ces derniers se sont révélés nettement favorables à la loi Taubira sur le droit au mariage et à l’adoption pour les couples de même sexe (61 %), les jeunes protestants étant un peu plus partagés (54 %). À noter que la moitié de ceux qui se sont déclarés opposés à la loi Taubira et qui ont participé à des manifestations au cours des débats (4 % des jeunes Français dans leur ensemble, et 8 % des jeunes protestants) ont vécu à cette occasion leur première grande mobilisation.
21Les entretiens menés ont révélé sinon des changements, du moins des évolutions en matière de positionnement sur les questions familiales et partant, les formes contemporaines du faire famille. Ainsi, si certaines personnes rencontrées s’étaient mobilisées activement contre le mariage pour tous, en 2012-2013, elles sont moins promptes à rejoindre les manifestations contre l’élargissement de la PMA aux couples lesbiens et aux femmes seules. Se mobiliser et se positionner sont bien deux choses distinctes. C’est un des apports des méthodes qualitatives que de pouvoir affiner les analyses et partant, de faire place aux représentations des personnes sur les sujets abordés.
Conclusion
- 18 M. Joël, J. Tricou (dir.), Sexualité et religion aux risques de l’enquête de terrain, Louvain-la-Ne (...)
22Le séminaire a essayé de contribuer aux réflexions initiées par Myriam Joël et Josselin Tricou dans un numéro de la revue Émulations18 dont des contributions qui expliquent notamment que si la question de la sexualité est abordée par la sociologie des religions, les questions de méthodologie en sont généralement absentes. On a ainsi cette année réfléchi aux questions d’ordre pratique et éthiques qui se posent en la matière. Ont été associées à cette réflexion les mastérantes, mastérants et doctorantes qui suivent le séminaire, en particulier Claire Viennet qui réalise une thèse sur l’accueil des personnes LGBTQI+ dans des paroisses parisiennes, et Louise Chabanel dont la thèse porte sur la pureté sexuelle chez les évangéliques, toutes deux sous ma direction.
- 19 C. Béraud, « Quand sexualité et religieux se croisent sur le terrain. Ouverture d’un chantier métho (...)
23Comme le souligne Céline Béraud dans le numéro d’Émulations cité, « la prise en compte de la sexualité et du genre produit un effet de levier, certainement accru par son croisement avec le religieux, pour penser les situations d’enquête »19. S’intéresser à la famille, aux droits reproductifs, aux normes religieuses et aux questions de morale sexuelle fait intervenir, au-delà des positionnements personnels des chercheurs, la dimension des émotions, dont l’analyse fait partie intégrante des questions de méthodologie.
Notes
1 En particulier sa thèse de sociologie, « Sécularisation, genre, sexualité. Des catholiques et musulman.e.s en quête de sens (France, années 1970 – années 2010) », EHESS, Paris 2019.
2 Voir N. Bajos, J. Ancian, J. Tricou, A. Valendru, « Sociologie des violences sexuelles au sein de l’Église catholique en France (1950-2020) », INSERM, IRIS, EHESS, Paris 2021. URL : https://presse.inserm.fr/wp-content/uploads/2021/10/Rapport-INSERM-CIASE_2021.pdf.
3 Voir Annuaire EPHE-SR 130 (2023), p. 603-612.
4 Pour une synthèse de cette enquête, constituée donc d’un volet quantitatif et d’un volet qualitatif, voir le rapport rendu aux AFP : http://enqueteafp.fr/wp-content/uploads/2022/05/DossierRestitutionEnqueteAFP.pdf.
5 B. Pulman, « Pour une histoire de la notion de terrain », Gradhiva 5 (1988), p. 21-30, p. 28.
6 Réfléchissant ainsi à la proposition de M. Avanza, pour laquelle il convient de « cesser de considérer l’empathie comme une condition nécessaire pour mener une enquête ou comme un implicite de la relation ethnographique » : M. Avanza, « Comment faire de l’ethnographie quand on n’aime pas “ses indigènes” ? Une enquête au sein d’un mouvement xénophobe », dans A. Bensa (dir.), Les politiques de l’enquête, Paris 2008, p. 41-58.
7 S. Fancello, « Travailler sans affinité : l’ethnologue chez les “convertis” », Journal des anthropologues 114-115 (2008), p. 65 (mis en ligne le 1er décembre 2009, DOI : https://doi.org/10.4000/jda.304). Sur les enquêtes en milieu difficile, voir M. Bouzama, A. Campana, « Enquêter en milieu “difficile”. Introduction », Revue française de science politique 57-1 (2007), p. 5-25.
8 La majorité des protestants en France sont regroupés dans la Fédération protestante de France (FPF) qui compte en son sein différentes Églises et unions d’Églises, protestantes réformées, luthériennes, évangéliques, pentecôtistes ou baptistes, pour n’en citer que quelques-unes.
9 Voir G. Angey, Y. Fer, M. Vildard, « (Se) convertir : les ressorts de la transformation biographique », Genèses 124-3 (2021), p. 3-8 ; S. Fath, J.-P. Willaime (dir.), La nouvelle France protestante, essor et recomposition au XXIe siècle, Genève 2011 ; Y. Fer, « Le travail “invisible” de l’institution pentecôtiste. “Relation personnelle avec Dieu” et mécanismes de la transformation biographique », Genèses 124-3 (2021), p. 31-53 ; L. Le Pape, Une autre foi. Itinéraires de conversions en France : juifs, chrétiens, musulmans, Aix-en-Provence 2015 ; C. Pons (dir.), Jésus, moi et les autres. La construction collective d’une relation personnelle à Jésus dans les Églises évangéliques : Europe, Océanie, Maghreb, Paris 2013.
10 Le CNEF a été fondé en 2001 et constitué en 2010 en fédération, interlocuteur de la FPF qui regroupe 33 dénominations chrétiennes évangéliques de France, qui estime représenter 70 % des évangéliques de France dont certains font aussi partie de la FPF et aujourd’hui présidé par Erwan Cloarec, baptiste.
11 S. Fath, Réforme 3892 (avril 2021) ; S. Fath, Du ghetto au réseau, les protestants évangéliques en France de 1800 à 2005, Genève 2005 ; S. Fath, J.-P. Willaime (dir.), La nouvelle France protestante.
12 R. Lévy-Guillain, A. Sponton, L. Wicky, « L’intime au bout du fil. Enjeux méthodologiques de l’entretien biographique à distance », Revue française de sociologie 63-2 (2022), p. 311-332.
13 Voir le rapport déjà cité : http://enqueteafp.fr/wp-content/uploads/2022/05/DossierRestitutionEnqueteAFP.pdf.
14 Relevons ici que le domaine de la bioéthique est infiniment plus large que les seules questions relatives à la morale sexuelle et familiale. La loi dite de bioéthique couvre d’autres sujets que la PMA mais exclut des sujets de bioéthique comme la fin de vie ou les droits des patients.
15 Enquête auprès des protestants effectuée en septembre-octobre 2017 par Ipsos pour Réforme et la FPF sur un échantillon de 500 personnes de 15 ans et plus se déclarant protestante ou évangélique.
16 Quel monde voulons-nous pour demain ? : 10 fiches de bioéthique pour comprendre les techniques possibles et leurs enjeux humains, Confédération nationale des associations familiales catholiques (France), septembre 2018, p. 6.
17 Voir les documents rassemblés dans Éthique & Protestantisme, Lyon 2021.
18 M. Joël, J. Tricou (dir.), Sexualité et religion aux risques de l’enquête de terrain, Louvain-la-Neuve 2017.
19 C. Béraud, « Quand sexualité et religieux se croisent sur le terrain. Ouverture d’un chantier méthodologique », dans M. Joël, J. Tricou (dir.), Sexualité et religion aux risques de l’enquête de terrain, Louvain-la-Neuve 2017, p. 113-117.
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Référence papier
Séverine Mathieu, « Enquêter sur le religieux : questions de méthode », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses, 131 | 2024, 685-693.
Référence électronique
Séverine Mathieu, « Enquêter sur le religieux : questions de méthode », Annuaire de l'École pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences religieuses [En ligne], 131 | 2024, mis en ligne le 17 juillet 2024, consulté le 16 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/asr/5330 ; DOI : https://doi.org/10.4000/122y4
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