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Comptes rendus

Estelle Martinazzo, Toulouse au Grand Siècle. Le rayonnement de la Réforme catholique (1590-1710)

Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 399 p.
Jean-Pascal Gay
p. 335-336
Référence(s) :

Estelle Martinazzo, Toulouse au Grand Siècle. Le rayonnement de la Réforme catholique (1590-1710), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 399 p.

Texte intégral

1Cet ouvrage – issu d’une thèse de doctorat – explore en détail et dans toutes ses dimensions le déploiement de la réforme catholique dans la capitale languedocienne et dans son espace proche. L’étude couvre la période qui va des journées ligueuses qui agitent la ville après l’assassinat des Guise jusqu’au début du xviiie siècle, moment de fragilisation décisif de la minorité protestante. Elle se concentre – et cela la rend particulièrement intéressante – sur l’espace diocésain qui inclut à la fois la ville capitale de la province du Languedoc et les communautés urbaines ou rurales qui l’entourent.

2L’étude, dans la continuité des travaux produits au moment des hautes eaux de l’historiographie française du fait religieux à l’époque moderne, préserve une ambition d’exhaustivité devenue rare dans la recherche contemporaine, et ceci particulièrement dans les recherches conduites dans le cadre d’une thèse.

3L’auteure étudie ainsi tout d’abord le diocèse et son gouvernement. Sur la base d’un tissu de paroisses stable, l’action diocésaine est marquée par le rôle éminent d’un archevêque disposant de moyens considérables et dont l’action est relayée par une chancellerie épiscopale bien insérée dans l’espace des sociabilités locales, même si les logiques des nominations, l’adversité de certaines institutions (l’Université sous l’épiscopat de Charles de Montchal) et surtout les décisions parlementaires limitent ses marges d’actions. Le diocèse haut-languedocien apparaît pionnier dans la mise en œuvre de la réforme catholique : synodes, conférences ecclésiastiques dès la seconde moitié du xviie siècle, initiatives de formation du clergé comme celle portée par Gabriel de Ciron, mais aussi action de la bureaucratie épiscopale dans le cadre des visites pastorales. À Toulouse et dans le diocèse, la réforme est éminemment cléricale. L’étude du système bénéficial (qui aurait gagné à discuter d’autres cas comme celui du diocèse de Bayeux analysé par Ludovic Balavoine) et des ordinations permet d’insister sur le rôle des « clercs de l’ombre sans bénéfice » qui animent la vie paroissiale.

4Une seconde partie sur le clergé et les paroisses permet de se faire une idée plus précise de la manière dont s’articulent les rôles des différents acteurs, donnant au choix de l’échelle diocésaine toute sa force. Le clergé de mieux en mieux formé est engagé dans une logique de professionnalisation, et développe une culture propre. La réforme des communautés de prêtres obituaires (mais aussi l’apparition de nouvelles formes de communautés cléricales) accompagne cette évolution. La bureaucratie épiscopale est un agent actif de la difficile disciplinarisation du clergé diocésain. L’effort de contrôle ne concerne d’ailleurs pas que le clergé mais aussi le fonctionnement des paroisses (et notamment l’organisation de leur financement) pour lesquelles l’auteure offre une étude précieuse, au raz des réalités locales, qui montre la manière dont le clergé s’installe au cœur du fonctionnement paroissial. Elle atteste incidemment la présence de marguillières dans les structures paroissiales toulousaines. Dans la paroisse, l’effort de réforme se manifeste notamment dans les transformations de l’espace sacré : l’église paroissiale s’impose au détriment des chapelles ; elle-même est réaménagée en fonction des normes nouvelles du temps, et ces réaménagements permettent de retracer l’affirmation du culte eucharistique, du culte marial ainsi que la transformation de la pratique des sacrements.

5La troisième et dernière partie fait mieux comprendre la manière dont la réforme se déploie et est portée par l’action du clergé et d’un laïcat militant. L’évolution des confréries, marquées par un modèle plus moderne qu’attestent les évolutions des statuts, signale la manière dont la réforme catholique affecte et engage une élite laïque militante. La vie religieuse toulousaine est caractérisée de ce point de vue par un rôle important et durable des confréries de pénitents, riches et puissantes, lesquelles incarnent aussi les difficultés du contrôle de ces élites catholiques par les autorités diocésaines. Liées aux confréries, les processions – comme d’ailleurs les pèlerinages (l’ouvrage détaille notamment l’émergence du culte de sainte Germaine de Pibrac) – sont de plus en plus canalisées. Une nébuleuse dévote (Congrégations mariales, Compagnie du Saint Sacrement, confréries attachées à des corps de métier variés) soutient les initiatives charitables et missionnaires. L’action missionnaire (dont l’auteur montre comment elle s’articule à la visite pastorale) est en partie structurée par la détermination épiscopale qui structure le personnel missionnaire. L’étude de l’effort en faveur de la prédication (avec notamment le cas d’Étienne Molinier) ouvre sur le chapitre final qui étudie la réduction du protestantisme dans l’espace diocésain. Celle-ci est marquée par un engagement direct de l’archevêque (lui et ses vicaires vont prêcher dans les zones de présence du protestantisme), par la production d’une importante littérature de controverse (surtout au début du siècle et avant la Révocation) ou encore par l’action décisive du parlement qui met les protestants sous pression, soutient l’action missionnaire et joue un rôle notable dans la « bataille de l’espace », aboutissant à la démolition des temples à Mas Grenier et l’Isle Jourdain, par exemple. La ville capitale est elle-même un centre de conversion (où se déploie l’action de l’œuvre des Nouveaux Convertis puis de la Congrégation des filles de l’Enfance de Madame de Mondonville). À Toulouse, comme ailleurs, la réduction du protestantisme est déjà consommée lorsque la pression se fait plus contraignante à la veille de la Révocation.

6Il faut savoir gré à l’auteure de cette étude ample sur un diocèse important et qui demeurait mal connu. On dispose désormais d’un ouvrage de référence et de synthèse indispensable à qui veut connaître le catholicisme toulousain au xviie siècle. Ce travail de longue haleine est d’autant plus utile qu’il mobilise très efficacement une quantité importante de sources par ailleurs disparates, associant l’étude de la documentation produite par des institutions religieuses, à celle d’actes notariés et de décisions parlementaires.

7Mais l’entreprise traduit aussi les apories, les difficultés, pour ne pas dire le caractère auto-référentiel de la tradition d’histoire religieuse dans laquelle elle s’inscrit. Le cas toulousain – dont un certain nombre de particularités sont ici mises en évidence – vient plus confirmer ce que l’on sait déjà de la réforme catholique et de son fonctionnement que révéler des choses nouvelles ou permettre de renouveler des interprétations, et ce d’autant plus qu’une bibliographie très française conduit à laisser de côté la question des paradigmes d’analyse de la réforme catholique à l’époque moderne. Pour ne prendre qu’un exemple parmi d’autres, l’étude se conclut sur la question d’un possible parallélisme entre le catholicisme toulousain et le catholicisme espagnol mais la question des transferts religieux entre Espagne et Languedoc, et plus généralement de la dimension transnationale du catholicisme, n’a jamais trouvé sa place dans l’ensemble de l’ouvrage. On peut regretter que le travail d’une telle qualité et d’une telle importance n’ait pas été orienté vers des questions historiographiques plus actuelles. Dans le cadre d’un doctorat, la responsabilité n’est bien sûr pas celle de l’auteure.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Pascal Gay, « Estelle Martinazzo, Toulouse au Grand Siècle. Le rayonnement de la Réforme catholique (1590-1710) », Archives de sciences sociales des religions, 184 | 2018, 335-336.

Référence électronique

Jean-Pascal Gay, « Estelle Martinazzo, Toulouse au Grand Siècle. Le rayonnement de la Réforme catholique (1590-1710) », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 184 | octobre-décembre 2018, mis en ligne le 01 décembre 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/assr/45071 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.45071

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Auteur

Jean-Pascal Gay

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