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Autour de Comte et Saint-Simon. Reconfigurations socio-religieuses post-révolutionnaires

Saint-simoniens et fouriéristes devant l’Index romain (1835-1837)

Saint-Simonians and Fourierists before the Roman Index (1835-1837)
Sansimonianos y furieristas frente al Index romano (1835-1837)
Sansimoniani e forieristi davanti all'Indice romano (1835-1837)
Philippe Boutry
p. 65-85

Resúmenes

De enero de 1835 a febrero de 1837, la congregación romana del Index censura Le nouveau monde industriel et sociétaire (1829) de Charles Fourier, así como las siete obras de los discípulos de Saint-Simón y de Fourier. La apertura de los archivos del Index permite saber por qué y cómo el Papado examinó y condenó al primer socialismo francés. Si el sansimonismo es objeto de una reprobación inmediata, el pensamiento de Fourier y sus alumnos sumerge a los censores romanos en la estupefacción e indignación. Estos son alterados por su cosmogonía, su modelo de organización social, su rehabilitación de las pasiones y su proyecto de sociedad perfecta en esta tierra. Ellos reprueban, asimismo, la inversión de sentido en la interpretación de la Escritura y asimilan el falansterio con "un monasterio al revés". Roma toma, así, por primera vez, conocimiento del profundo "deseo de renovación" (cose nuove, rerum novarum) que se expande a través de la nueva sociedad industrial del siglo xix.

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  • 1  William Roscoe, The Life and Pontificate of Leo the Tenth, Liverpool, Cadell and Davies, 1805, qui (...)
  • 2 Nouveau christianisme [1825], Saint-Simon, 2012 : IV, 3193.

1Saint-Simon était-il disposé par sa forma mentis à entendre les catégories à travers lesquelles son œuvre serait lue, analysée et condamnée à Rome par les censeurs de la congrégation de l’Index ? Si aucune allusion à l’Index romain dans les œuvres de Saint-Simon n’a été relevée à ce jour, l’auteur du Nouveau christianisme est toutefois sensible à la césure, ou plutôt à la « période critique » qui s’ouvre en Europe au tournant des xve et xvie siècles avec la Renaissance et la Réforme et qui voit la naissance du dispositif de censure pontificale. Il discerne même très exactement, sans doute en écho à la récente biographie de l’historien britannique William Roscoe1, dans le pontificat de Léon X Médicis (1513-1521), c’est-à-dire du pape du concile Latran V et des placards de Luther sur les indulgences, le tournant à partir duquel le pape, affirme-t-il, « est devenu hérétique, parce qu’il n’a plus cultivé que la théologie, et qu’il s’est laissé surpasser par les laïques dans les beaux-arts, dans les sciences exactes et sous le rapport de la capacité industrielle »2.

Naissance et développements de l’Index

2Toujours est-il que Saint-Simon ne se trompe pas sur la conjoncture historique de l’apparition de la censure pontificale. La genèse de l’Index romain – qu’il s’agisse du dispositif de contrôle, du catalogue des livres prohibés ou de l’institution qui est en charge de sa rédaction – obéit à une double logique réactive : à la diffusion de l’imprimé, d’une part ; à la propagation de la Réforme protestante, de l’autre. C’est le cinquième concile du Latran (1512-1517) qui, par la bulle Inter sollicitudines promulguée par le pape Léon X le 4 juin 1515, met en place la censure préventive des livres et la confie à l’autorité des évêques. C’est le pape Paul IV Carafa qui, face à l’expansion rapide des publications réformées, promulgue en 1559 le premier Index librorum prohibitorum. C’est enfin le pape Pie V Ghislieri, ancien commissaire du Saint-Office et Grand Inquisiteur sous les pontificats de Paul IV et Pie IV, qui institue par les constitutions In apostolicae (4 avril 1571) et Ut pestiferarum opinionum (13 septembre 1572), la nouvelle congrégation de l’Index, qui prolonge la commission créée par le concile de Trente dans sa xviiie session (26 février 1562), afin de procéder à la révision périodique de l’Index des livres prohibés. Enfin, c’est le pape Sixte Quint (Felice Peretti) qui consolide, pour plus de trois siècles, l’existence et le fonctionnement de la nouvelle congrégation cardinalice pro Indice librorum prohibitorum, et la place au septième rang parmi les quinze congrégations établies par la bulle Immensa aeterni Dei (22 janvier 1588).

3Au milieu des années 1830, quand apparaissent les censures des premiers socialistes français, l’organisation et la pratique de la congrégation romaine de l’Index ont été codifiées par la constitution Sollicita ac Provida (7 juillet 1753) du pape Benoît XIV Lambertini, qui demeure en vigueur jusqu’aux aménagements introduits par le pape Léon XIII dans sa constitution Officiorum ac Munerum du 25 janvier 1897. Au xixe siècle, la congrégation de l’Index, présidée par un cardinal-préfet, comprend des cardinaux, un secrétaire (toujours choisi dans l’ordre de saint Dominique), le maître du Sacré Palais (en charge de la censure des livres à Rome) et un ensemble de consulteurs séculiers ou réguliers ; réactivée à l’aube des années 1820 à l’initiative du cardinal Castiglioni (le futur Pie VIII), elle publie des décrets de condamnation, regroupés à intervalles réguliers dans des éditions réactualisées de l’Index. De la publication de l’Index romain de Clément VIII en 1596 jusqu’à la parution du dernier Index, en 1948, sous l’ordre de Pie XII, ce sont ainsi, estime Jesus Martinez De Bujanda, environ 3 000 auteurs et plus de 5 000 ouvrages qui ont subi, en trois siècles et demi, les « foudres de l’Index » (De Bujanda, 2002 : 34-41). Le xixe siècle occupe une place non négligeable dans cet ensemble, avec environ 1 300 volumes condamnés : ce sont les deux pontificats de Grégoire XVI (1831-1846) et surtout de Pie IX (1846-1878) qui concentrent la plus grande part (plus des trois quarts sans doute) des censures, dont le nombre et le champ d’application sont notablement restreints au tournant des années 1870. Quant à la répartition géographique des condamnations, elle privilégie principalement l’Italie et la France (plus des deux tiers de l’ensemble des auteurs), puis, en second lieu, l’Allemagne, la Péninsule ibérique, l’Amérique latine et le Royaume-Uni.

4Comment l’instance d’orthodoxie catholique que constitue la congrégation romaine de l’Index en est-elle venue à examiner et à condamner les écrits des premiers socialistes français ? L’objet initial de l’institution est l’hérésie, protestante au premier chef ; puis son activité s’est élargie, au tournant des xviie et xviiie siècles, aux domaines de l’exégèse, de la théologie dogmatique et morale, de l’ecclésiologie et de la spiritualité, mais aussi de la philosophie et de la science ; les publications jansénistes et gallicanes, quiétistes et molinistes, celles des « novateurs » dans l’ordre du savoir subissent alors, sous des formes plus ou moins graves, les « foudres de l’Index ». À partir du second tiers du xviiie siècle, le Saint-Siège, tout en poursuivant ses objectifs traditionnels, transfère progressivement son attention vers un nouveau cercle d’adversaires dont il ne discerne que progressivement la singularité et les orientations : la philosophie des Lumières ainsi que les premières expressions de la pensée libérale. Déjà, l’Essay concerning human understanding et la Reasonableness of Christianity de John Locke avaient été condamnés par le Saint-Office, respectivement en 1734 et 1737 ; la Fable des abeilles de Bernard de Mandeville en 1744 ; et, au terme d’un long et capital débat, L’Esprit des lois de Montesquieu par un décret en date du 29 novembre 1751. À partir du pontificat zelante de Clément XIII Rezzonico (1758-1769), les condamnations portant sur les Lumières françaises et européennes s’accumulent : l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert tout d’abord, par un décret (non publié) de l’Index en date du 5 décembre 1758 puis un décret solennel du Saint-Office du 3 septembre 1759 ; Voltaire bien sûr, dont pas moins de 36 œuvres et opuscules se retrouvent à l’Index entre 1751 (l’anonyme Voix du sage et du peuple) et 1804 (les Romans et contes) ; Rousseau, dont sont successivement condamnés l’Émile en 1762, la Lettre à Christophe de Beaumont en 1763, Le Contrat social en 1766, les Lettres écrites de la montagne en 1767 ; Des délits et des peines de Beccaria en 1766 ; l’Histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain de Gibbon en 1783 ; enfin dans le dernier tiers du siècle, Hume, D’Holbach, Helvétius, La Mettrie, Morelly, Naigeon, Raynal ou Louis-Sébastien Mercier, pour son utopie, L’An deux mille quatre cent quarante. Rêve s’il n’en fût jamais.

5Avec la reprise d’activité de la congrégation de l’Index au lendemain de la restauration du Saint-Siège en 1814, un nouveau climat intellectuel et culturel se fait jour à Rome. Le magistère romain poursuit la censure de gallicans attardés (Pradt, Tabaraud, Lanjuinais, Montlosier, André-Marie Dupin, Bordas-Dumoulin et François Huet) et de jansénistes non repentis (Pietro Tamburini, Mgr Solari, Vittore Sopranzi, Henri Grégoire ou encore le libéral belge Louis de Potter, biographe de Scipione de’ Ricci). Il persévère également dans la condamnation des « secondes Lumières » : leur principal propagateur en Italie, Melchiorre Gioja (1767-1829), est alors la victime privilégiée des « foudres de l’Index », avec dix ouvrages censurés entre 1817 et 1836. Mais la congrégation opère surtout une sorte d’examen de rattrapage pour des auteurs et des ouvrages du dernier xviiie siècle et du premier xixe siècle passés à travers les mailles des filets des censeurs : Condorcet et son Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, Parny et sa Guerre des dieux, l’astronome Lalande et son caustique Voyage en Italie, Cabanis et ses Rapports du physique et du moral de l’homme, Le Citateur de l’impie Pigault-Lebrun, les « Idéologues » : Volney, Destutt de Tracy, Daunou, Guinguené ; mais aussi le Milanais Pietro Verri, l’Anglais Jeremy Bentham et son Traité de législation civile et pénale, et l’Espagnol Juan Antonio Llorente enfin, le pourfendeur libéral de l’Inquisition espagnole. La pensée libérale prend ensuite le relais avec Benjamin Constant et son traité De la religion, les œuvres de Pietro Giordani et le Stendhal de Rome, Naples et Florence.

6Surtout l’Index romain élargit considérablement son champ de compétence à des domaines nouveaux, se projetant du terrain de l’exégèse, de la théologie et de l’ecclésiologie vers la philosophie, la science, l’histoire et la littérature. Il poursuit de sa vigilance Lamennais, passé du catholicisme le plus intransigeant à la démocratie sociale : tout à tour, les Paroles d’un Croyant en 1834, les Affaires de Rome et Amschaspands et Darvands en 1837, Le Livre du peuple en 1838, les Discussions critiques et l’Esquisse d’une philosophie en 1841 et sa nouvelle traduction des Évangiles en 1846 sont censurées, ouvrant la voie à un examen plus attentif de l’ensemble de la production intellectuelle des années trente et quarante du xixe siècle, particulièrement en France et en Allemagne : après Charles Villers et sa Philosophie de Kant, la Critique de la raison pure de Kant en traduction italienne est inscrite à l’Index en 1827 ; le Nouveau système de chimie organique de François Raspail en 1834 ; la Vie de Jésus de David Friedrich Strauss en 1838 ; le Cours de l’histoire de la philosophie de Victor Cousin et le Génie des religions de Quinet en 1844 ; de même que les œuvres philosophiques de Lerminier et les écrits réformateurs du jeune Augustin Theiner ; relevons aussi, au titre des (difficiles) rapports entre catholicisme et judaïsme au xixe siècle, l’Histoire des institutions de Moïse et du peuple hébreu et Jésus-Christ et sa doctrine du Juif libéral montpelliérain Joseph Salvador en 1829 et 1839. L’histoire est également censurée et l’on retrouve à l’Index les noms de Sismondi, de Carlo Botta, de William Roscoe pour sa Vie de Léon X déjà citée, de Mignet pour son Histoire de la Révolution française ; mais également les Mémoires de Luther écrits par lui-même (c’est-à-dire un résumé des Tischreden) édités par Michelet en 1840, l’Histoire des papes de Leopold Ranke en 1841, le Port-Royal de Sainte-Beuve en 1845.

7La nouveauté la plus remarquable des censures de l’Index intéresse cependant le champ de la fiction et du roman (Amadieu, 2004, 2017, 2019). Demeuré longtemps à l’écart du tribunal romain de l’orthodoxie, celui-ci se voit désormais placé par les théologiens de l’Index au premier rang des accusés. Alors qu’on ne peut guère, durant le xviiie siècle en matière romanesque, que relever la condamnation de la Pamela de Richardson en 1744, la Papauté du xixe siècle nourrit une inquiétude croissante envers les importants tirages de la « littérature industrielle » et son impact sur les consciences. Sont ainsi tardivement inscrits à l’Index Jacques le Fataliste de Diderot en 1804 et La Nouvelle Héloïse en 1806, puis successivement A Sentimental Journey through France and Italy de Sterne en 1819, la Vie de Vittorio Alfieri en 1823, les Ultime Lettere di Jacopo Ortis d’Ugo Foscolo en 1824. Les années trente et quarante du xixe siècle voient l’entrée en masse de la prose et de la poésie françaises dans les colonnes de l’Index : non seulement quelques médiocres productions de Pigault-Lebrun, mais Notre-Dame de Paris de Hugo et les Chansons de Béranger en 1834 ; l’Ahasvérus de Quinet en 1835 ; en 1836, De l’Allemagne et De la France de Heine ainsi que Jocelyn et le Voyage en Orient de Lamartine ; De l’amour de Senancour ainsi que la sulfureuse Chute d’un Ange du même Lamartine en 1838 ; pas moins de douze œuvres de George Sand (Lélia, les Lettres d’un voyageur, Les Sept cordes de la lyre, Le Secrétaire intime, L’Uscoque, La Dernière Aldini, Simon, Les Maîtres mosaïstes, Mauprat, Jacques, Leone Leoni, Spiridion), entre 1840 et 1842 ; des œuvres mineures de Balzac (Le Vicaire des Ardennes, La Femme supérieure, La Maison Nucingen, La Torpille, Les cent Contes drolatiques), mais aussi Le Lys dans la vallée et Louis Lambert en 1841 et 1842 ; les Neue Gedichte de Heine et les Albigeois de Lenau en 1845, les romans historiques de Francesco Guerrazzi à la gloire des anciennes libertés florentines, les Operette morali de Giacomo Leopardi en 1850, les Opera omnia d’Eugène Sue, dont on sait la proximité avec Fourier et les « sociétaires », en 1852.

Les socialistes modernes à l’Index

  • 3 Charles Fourier, Le Nouveau monde industriel et sociétaire, ou Invention du procédé d'industrie at (...)
  • 4 Plusieurs publications portent ce titre : Doctrine de Saint-Simon. Première année, exposition, 182 (...)
  • 5 Just Muiron (sous le pseudonyme de « Virtomnius »), Les Nouvelles transactions sociales, religieus (...)
  • 6 Clarisse Vigoureux, Parole de Providence, Paris, Bossange, 1834, XVI-214 p. Sur Clarisse Vigoureux (...)
  • 7 Victor Considérant, Destinée sociale, Paris, au Bureau de la Phalange, 1834-1844, trois volumes. S (...)
  • 8 Isaac Pereire, Religion Saint-Simonienne. Leçons sur l’industrie et les Finances, prononcées à la (...)
  • 9 Barthelemy Prosper Enfantin, Lettre du Père à Charles Duveyrier sur la vie éternelle (juin 1830), (...)
  • 10 Barthelemy Prosper Enfantin, Paroles du Père à la Cour d’assises, 8 avril 1833, Paris, Johanneau, (...)
  • 11 Félicité Lamennais, Le Livre du peuple, Paris, Delloye et Lecou, 1838 (décret du 13 février 1838).
  • 12 Alphonse Esquiros, L’Évangile du peuple, Paris, Le Gallois, 1840 (décret du 30 mars 1841) ; Les Vi (...)
  • 13 Alphonse Louis Constant, dit « l’abbé Constant », alias Eliphas Lévy, La Bible de la liberté, Pari (...)
  • 14 Étienne Cabet, Le vrai christianisme suivant Jésus-Christ, Paris, au bureau du Populaire, 1846 (dé (...)
  • 15 Pierre-Joseph Proudhon, Opera omnia (décret du 22 janvier 1852).

8C’est dans ce contexte que les premiers courants socialistes modernes font, en l’espace de deux ans (janvier 1835-février 1837), leur apparition soudaine à l’Index – où les Opera omnia de Campanella étaient entrées trois siècles plus tôt, en 1632. Le décret du 29 janvier 1835 inscrit à l’Index le livre majeur de Charles Fourier, Le nouveau monde industriel et sociétaire3 ainsi qu’un résumé assez tardif de la pensée de Saint-Simon par ses disciples, la Doctrine de Saint-Simon4. Dès l’année suivante, par un décret en date du 22 septembre 1836, sont également censurés trois ouvrages des principaux disciples de Fourier, Les Nouvelles transactions sociales, religieuses et scientifiques de Just Muiron5, la Parole de Providence de Clarisse Vigoureux6 ainsi que le premier volume de Destinée sociale de Victor Considérant7. Un troisième et dernier décret, le 14 février 1837, achève ce premier ensemble de condamnations en proscrivant les Considérations sociales sur l’architectonique de Victor Considérant et trois ouvrages saint-simoniens, les Leçons sur l’industrie et les finances d’Isaac Péreire8 ainsi que deux opuscules du « Père » Enfantin, la Lettre du Père à Charles Duveyrier sur la vie éternelle9 et les Paroles du Père à la Cour d’assises10. Dans les années suivantes, d’autres censures romaines frapperont les productions des principaux théoriciens démocrates socialistes français comme Lamennais11, Esquiros12, l’abbé Constant13, Cabet14 ou Proudhon15.

  • 16 Sur le cas spécifique de l’Italie, voir Gentile, 1970 ; Pitocco, 1972.
  • 17 Diario di Roma du 1er juin 1836, 44. Intorno al progresso in fatto di religione, errore professato (...)
  • 18 Diario di Roma du 6 octobre 1838, 80. Quanto sia erroneo il sistema di associazione del genere uma (...)

9Dans cet intérêt porté à la pensée socialiste dans le climat culturel et religieux de la Rome pontificale du premier xixe siècle, il faut faire la part de la conjoncture des années trente et quarante qui voient l’internationalisation croissante des horizons intellectuels de la Curie, notamment par le biais de l’officieuse Accademia di Religione cattolica (Pignatelli, 1974 ; Piolanti, 1977) ; l’écho italien et européen du « scandale » saint-simonien au lendemain de la révolution de Juillet à Paris (Duveau, 1961 ; Carbonell, 2001)16 ; et, tout particulièrement, la focalisation des autorités romaines sur les courants libéraux et démocrates qui gravitent autour du journal L’Avenir et de l’évolution de la pensée de Lamennais, condamné à deux reprises à Rome par les encycliques Mirari vos (15 août 1832) et Singulari nos (25 juin 1834) (Le Guillou, 1967 ; Le Guillou et Le Guillou, 1982). Lors des séances de l’Accademia di Religione cattolica, on peut ainsi entendre, le 23 mai 1835, le cardinal Giacomo Luigi Brignole évoquer l’idée de progrès en matière de religion, « erreur professée spécialement par les saint-simoniens »17. Le 16 août 1838, le dominicain Cipolletti, consulteur de congrégation de l’Index et futur commissaire du Saint-Office, condamne les erreurs du système d’association du genre humain de Fourier18. Une perception relativement précoce des périls théologiques et philosophiques autant que sociaux et politiques portés par la nouvelle pensée socialiste française caractérise ainsi la réception romaine.

  • 19 Né à Alassio, près de Savone, vers 1775, dominicain de la province de Lombardie, bibliothécaire de (...)
  • 20 Michele Domenico Zecchinelli (1798-1856), né à Este près de Modène, entre dans la Compagnie de Jés (...)
  • 21 Pio Bighi (1780-1854), natif de Rome, est ordonné prêtre en 1803 ; docteur en théologie du Collège (...)
  • 22 Luigi Rezzi (1785-1857), originaire de Plaisance, est un ancien jésuite : entré au noviciat de Col (...)

10Aussi l’examen des ouvrages des premiers socialistes français mobilise-t-il, dans ces années 1835-1837, plusieurs censeurs de la congrégation de l’Index. Son secrétaire, le dominicain Tommaso Antonio Degola19, confie l’essentiel de la tâche à un consulteur jésuite, le P. Michele Domenico Zecchinelli20, qui est sans nul doute, de sa nomination en 1822 jusqu’à sa mort en 1856, l’un des plus actifs censeurs romains du second quart du xixe siècle : à lui seul, il rédige sept des neuf vota, sur Le Nouveau monde industriel et sociétaire de Fourier, Les Nouvelles transactions sociales, religieuses et scientifiques de Muiron, la Parole de Providence de Clarisse Vigoureux, les Considérations sociales sur l’architectonique de Considérant ainsi que sur les trois opuscules saint-simoniens les Leçons sur l’industrie et les finances de Péreire, la Lettre du Père à Charles Duveyrier sur la vie éternelle et les Paroles du Père à la Cour d’assises. Le secrétaire de l’Index lui adjoint deux prêtres séculiers qui sont également des enseignants de renom dans la Rome pontificale de Grégoire XVI, Pio Bighi21, professeur de théologie morale au Collège romain, pour l’abrégé de la Doctrine de Saint-Simon ; et l’ancien jésuite Luigi Rezzi22, professeur d’éloquence à l’université de la Sapience, pour le premier volume de Destinée sociale de Considérant.

Condamnation du saint-simonisme

  • 23 Procès en la Cour d’assises de la Seine les 27 et 28 août 1832, 1832, Paris, Librairie saint-simon (...)
  • 24 Archivio della Congregazione per la Dottrina della fede (ACDF), SC Indice, Protocolli, Degola, 183 (...)
  • 25 Incipit [1] [582r.].
  • 26 Id.
  • 27 Pour une appréciation globale de la dimension religieuse du saint-simonisme, voir Desroche, 1968 ( (...)
  • 28 Michele Domenico Zecchinelli S.J., Osservazioni sull’Opuscolo intitolato Religion S. Simonienne. L (...)
  • 29 Michele Domenico Zecchinelli S.J., Osservazioni sull’Opuscolo intitolato Lettre du Père à Charles (...)
  • 30 Michele Domenico Zecchinelli S.J., Riflessioni sull’Opuscolo intitolato Parole du Père à la Cour d (...)

11La condamnation romaine du saint-simonisme est la plus succincte. Elle intervient en quelque sorte après la bataille. Le débat s’est en effet déchaîné puis conclu contre la « secte », dans la France du roi Louis-Philippe et l’Europe du prince de Metternich, dès 1831-1832, avec, pour point d’orgue, la comparution en Cour d’assises, les 27 et 28 septembre 1832, sous l’inculpation d’association illégale et d’attentat à la morale, d’Enfantin, Duveyrier et Chevalier, et leur condamnation à un an d’emprisonnement23. C’est à l’abbé Bighi que revient, en janvier 1835, la tâche d’établir un « avis » (votum ou parere) sur l’ouvrage intitulé Doctrine de Saint-Simon24. Ce dernier se lamente tout d’abord sur le caractère fragmentaire de l’ouvrage soumis à son jugement ainsi que sur le caractère tardif de l’examen demandé25 ; aussi le censeur avertit-il qu’il s’est contenté d’un traitement assez superficiel de sa tâche : une suite non commentée d’extraits de l’œuvre (Introduction et Lettres I à IV), qui suffisent, estime-t-il, à démontrer « le caractère erroné et monstrueux des principes et des maximes de cette nouvelle secte26 ». Le décret de la congrégation de l’Index en date du 29 janvier 1835 n’en conclura pas moins à une très ferme condamnation27. Quant aux trois autres opuscules saint-simoniens déférés devant la congrégation de l’Index et confiés au jésuite Zechinelli, ils suscitent également des commentaires très brefs, rarement plus d’un feuillet, comme si la cause était désormais entendue. Des Leçons sur l’industrie et les Finances, prononcées à la salle de l’Athénée d’Isaac Pereire, le jésuite romain conclut de manière très générique sur une condamnation globale du saint-simonisme (allègrement confondu au demeurant avec le courant « sociétaire » issu de Fourier), dont « le système […] est complètement opposé à la doctrine de Jésus-Christ et donc digne d’être proscrit28 ». Plus expéditives encore sont les sentences relatives aux opuscules du « Père » Enfantin, qu’il s’agisse de la Lettre du Père à Charles Duveyrier sur la vie éternelle (juin 1830), qui contient, relève Zecchinelli, « de nombreuses et dangereuses propositions propres à insinuer une idée fausse de la vie éternelle »29 ; ou de la Parole du Père à la Cour d’assises (8 avril 1833), qui constitue, aux yeux du même censeur, « une devinette, ou une énigme, ou une allégorie ironique, ou toute autre appellation dont on voudra la qualifier, laquelle manifeste une idée de mépris à l’encontre de la religion chrétienne, de ses ministres et de ses propagateurs, ou une apologie de l’association saint-simonienne »30.

Fourier et ses disciples

  • 31 Cette confusion conduit Fourier lui-même à une mise au point : Charles Fourier, Pièges et charlata (...)
  • 32 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.332.
  • 33 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.191r.
  • 34 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.191v.

12La censure de Fourier et de ses disciples occupe une place beaucoup plus considérable dans l’attention de la congrégation de l’Index. Certes, il convient d’emblée de noter qu’elle procède d’une évidente confusion entre saint-simoniens et sociétaires : la distinction entre les pensées et les systèmes n’est pas faite ; à la décharge des censeurs romains, il faut convenir qu’elle n’est guère plus explicite encore en France même à l’aube des années trente du xixe siècle31. En traitant des Considérations sur l’Architectonique de Victor Considérant, le P. Zecchinelli précise ainsi que « cet opuscule, non moins que l’autre intitulé Religion saint-simonienne, est empreint en son entier du même esprit et tend au même but, à savoir de former cette association universelle saint-simonienne […] et de réunir en un seul corps tous les artisans et les ouvriers32 » ; l’abbé Rezzi écrit de son côté, à propos de la Destinée sociale du même Considérant, que « l’œuvre qui porte ce titre en frontispice et qui est aujourd’hui soumise au jugement de la Sacrée Congrégation de l’Index, est écrite par un saint-simonien dans le but de justifier, confirmer et démontrer la capacité de mettre en pratique les principes de cette secte, à savoir de réduire les hommes à vivre en commun et de répartir entre eux les produits et les richesses réunis en une seule masse, à proportion des capitaux, du travail et de l’industrie que chacun est en mesure d’apporter à la mise en commun33 ». Le P. Zecchinelli, en s’attachant à la censure des Nouvelles transactions de Just Muiron, alias Virtomnius, inclut même dans un ensemble unique toutes les productions qui lui sont soumises, en notant : « Il est vrai que plusieurs autres auteurs l’ont précédé dans cette étude, avec de semblables idées et des essais de réforme du même type. Ainsi Saint-Simon, Robert Owen, Wright, la secte dite du Producteur et les autres auteurs des systèmes diversement organisés de coopératisme, d’industrialisme et de collectivisme34. »

  • 35 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.543r.
  • 36 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.207r.

13L’impression initiale, dominante, est celle de la stupeur devant un mode de pensée et des propositions qui suscitent plus que de l’incompréhension : de l’effarement. Devant les premières pages du Nouveau monde industriel et sociétaire, le P. Zecchinelli ne peut dissimuler sa surprise face à « la bizarrerie et l’extravagance des idées, des projets, des méthodes » d’un auteur qui « dépasse toutes les attentes »35 ; quant aux Nouvelles transactions de Just Muiron, le projet lui apparaît « d’autant plus ridicule et chimérique qu’il est plus étrange et plus gigantesque puisqu’il ne tend à rien de moins qu’à la réforme de la société tout entière que l’auteur s’imagine pouvoir réorganiser à la manière d’un ordre religieux en établissant une harmonie, sous forme de subordination et de coopération, entre toutes les parties afin de réaliser leur accord dans un seul but qui serait, selon l’auteur, le destin général de la société humaine elle-même »36.

  • 37 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.543r.
  • 38 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.543v.
  • 39 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.544v.
  • 40 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.209r.

14La cosmogonie de Fourier et de ses disciples est un nouveau sujet d’ahurissement (Nathan, 1981). Le P. Zecchinelli consacre plusieurs paragraphes de sa censure du Nouveau monde de Fourier à un examen détaillé ; et ne se lasse pas de dénoncer non seulement « l’extravagance » du propos, mais la prétention de son auteur à se substituer à Dieu lui-même dans l’explicitation de ses desseins sur les mondes créés et sur le destin de l’humanité. « Il prétend déjà », s’indigne-t-il, « avoir trouvé la détermination véritable du plan de Dieu sur l’ensemble des destinées37. » L’hypothèse de Fourier selon laquelle la création de l’homme avant le Déluge fut une « création d’essai » (una creazione di prova) lui arrache un véritable cri d’horreur : « Quel blasphème ! Ou plutôt, quelle folie38 ! » Il ressent la même stupéfaction devant la chronologie des âges de l’humanité passés, présents et futurs que décline Fourier dans son livre, de même que face à l’idée d’une création continue : « On ne peut pousser plus loin l’extravagance et la manie des généralisations [qui] ne s’appuient sur aucune preuve et méritent ainsi l’indignation et le mépris bien plus qu’une réfutation39. » Le P. Zecchinelli montre plus de sévérité encore à l’égard des assertions de Just Muiron sur la création en raison de ses prétentions exégétiques : « Il semble », écrit-il, « que l’auteur veuille signifier que les âmes humaines poussent sur la terre comme des champignons. Et le pire est qu’il prétend déduire ce système impie et panthéiste de création du premier chapitre de la Genèse, expliqué à sa manière40. »

15Quant au projet de réforme sociale proprement dit porté par les sociétaires, il suscite un effarement du même ordre chez les censeurs romains. Il donne toutefois lieu, de la part du scrupuleux P. Zecchinelli, à un examen attentif des propositions contenues dans le Nouveau monde industriel : paradoxale initiation – dans l’ensemble assez fidèle – des membres de la Sacrée Congrégation de l’Index à l’organisation du futur phalanstère

  • 41 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.545r.

L’auteur propose un plan de société effectivement nouveau, selon lequel il faudrait modifier de fond en comble le système actuel de la civilisation. […] Le grand ressort du système social de l’auteur est l’attraction passionnée, produite ou créée selon un processus imaginé et dénommé par l’auteur de séries passionnées ou passions. Il en présente un modèle dans une phalange idéale de 1 800 personnes concentrée sur une lieue carrée ; et il prétend, par le moyen de ce seul modèle, opérer la métamorphose du monde entier, qu’il soit sauvage, barbare ou civilisé, et libérer et secourir tout le genre humain, qui devra s’enrôler dans le projet d’industrie attrayante proposé par l’auteur, aussitôt qu’il reconnaîtra les prodiges de richesse, de plaisir, de vertu qui s’y réunissent sur un angle de la terre. Tout le secret réside ainsi dans l’attraction par le biais des passions ; si celle-ci est correctement appréciée et dirigée, selon le vœu de l’auteur, en fonction des séries qui en maintiennent la prépondérance en équilibre et en tempèrent l’essor par les contrastes, elle conduira sans artifices à la découverte de la mécanique sociale ramenée à ses trois conditions primordiales et indispensables : l’industrie attractive, la répartition proportionnelle et l’équilibre de la population41.

  • 42 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.545v-546r. Voir Brémand, 2007.
  • 43 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.546r. Voir Brix, 2001 ; Colombo, 2002 [2004] ; (...)
  • 44 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.546r.

16La condamnation d’un tel système est sans appel. Le P. Zecchinelli s’indigne en particulier du mode d’éducation réservé aux enfants au sein du phalanstère : « On voudrait ôter entièrement aux pères et aux maîtres l’éducation des enfants » et les abandonner à leur « tendance naturelle à la saleté, à l’orgueil, à l’impudence et à la désobéissance »42 ; il dénonce également l’idée de Fourier de réunir les jeunes filles en un ordre particulier : « L’organisation d’une troupe de demoiselles (corpo delle donzelle) sous le nom de corps des Vestales est plus extravagante encore et entièrement contraire au bon ordre de la société43. » Non seulement le système de Fourier est irréalisable en pratique et « partira en fumée » (anderà in fumo) au premier accident et à la plus infime difficulté, mais il constitue « un système immoral, entièrement fondé sur les sens, qui réduit l’homme à ne s’intéresser qu’à cette vie, sans prendre le moindre souci de l’autre »44.

  • 45 La dimension de révélation religieuse de l’œuvre de Fourier a été à plusieurs reprises soulignée, (...)
  • 46 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.546r.
  • 47 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.546r.

17Car c’est bien, en dernière instance, le caractère religieux du processus de refondation sociale et de régénération de l’humanité que ne saurait accepter l’autorité spirituelle de la catholicité en ce second tiers du xixe siècle45. Le P. Zecchinelli exprime, vis-à-vis de l’œuvre de Fourier, cette inquiétude et ce refus en une formule forte et, à certains égards, définitive : vorrebbe l’Autore far un Monastero di tutto il mondo, ma tutto al rovescio, « cet auteur voudrait faire de l’univers entier un monastère, mais tout à l’envers »46. Le phalanstère constitue en effet, à ses yeux, une sorte de détournement, d’inversion et de perversion de l’institution monacale : la règle de vie collective a été déconnectée de l’idée de sacrifice personnel et de la perspective de salut éternel ; elle a perdu de vue la vie future au profit de la félicité terrestre ; elle a oublié le Dieu de Jésus-Christ tout en se réclamant d’un « dessein divin » absolument étranger à la révélation chrétienne. « Là où les monastères sont un agrégat d’hommes qui ont renoncé à toute chose par amour de Jésus-Christ pour ne vivre que de sa vie divine en maîtrisant leurs passions et en renonçant à eux-mêmes », s’indigne le censeur jésuite, « chacune de ces phalanges imaginées par l’auteur ne serait qu’un agrégat de simples laïques (gente del mondo) qui vont y rechercher l’assouvissement de toutes leurs passions, le profit, les plaisirs, les honneurs et la volupté47. »

  • 48 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.216r.
  • 49 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.216r.
  • 50 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.216v.

18À la Parole de Providence, toute d’immanence, énoncée par Clarisse Vigoureux, il oppose vigoureusement la promesse christique du Royaume de Dieu : « Selon l’auteur, la fin de l’homme doit être recherchée et accomplie ici-bas (qui sulla terra), durant cette vie mortelle, et dans le cadre de cette société humaine. S’il en est ainsi, que faudra-t-il penser du bonheur d’une autre vie prêché par Jésus-Christ ? Tout se réduit selon l’auteur au libre développement de toutes les passions et de tous les instincts de chacun dans une loi d’harmonie, d’ordre et d’attraction universelle48. » Et de poursuivre, non sans lucidité, sa critique à l’encontre du projet sociétaire : « On s’aperçoit bien comment ici l’auteur confond le vrai et parfait bonheur de l’autre vie dans lequel se rassasieront tous les désirs du cœur humain avec le bonheur mesquin, imparfait, incertain et inconstant qu’on peut obtenir sur cette terre ; il prétendrait qu’en laissant libre cours à toutes les passions et à tous les instincts, on pourrait y accéder sur cette terre49. » Et le P. Zecchinelli de conclure, contre l’opuscule de la belle-mère de Considérant, en des termes particulièrement violents : « Système absurde, impie, charnel, diabolique, qui se limite entièrement à la vie présente et fait perdre aux hommes l’espoir du bien futur auquel ils sont destinés dans le ciel afin qu’ils s’abandonnent sans plus de retenue au feu de toutes leurs passions50. »

  • 51 « Moralisti dell’antica scuola, che credono l’uomo nato per soffrire, e per imporsi per virtù, le (...)
  • 52 Clarisse Vigoureux, Parole de Providence, Paris, Bossange, 1834, p.148, p.150, cité par le P. Zecc (...)
  • 53 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.217r.

19La question des passions et, plus largement, du désir humain devient ainsi le cœur d’un débat à la fois moral et religieux. Le P. Zecchinelli reproche ainsi à Clarisse Vigoureux d’avoir qualifié de « moralistes de vieille école » ceux « qui croient l’homme né pour souffrir et pour s’imposer par vertu la privation des plaisirs afin d’acquérir les mérites et les droits au bonheur futur »51. Il s’indigne surtout de ses propos à l’encontre du clergé : « Le prêtre », a-t-elle écrit, « au nom de Dieu, a lancé l’anathème contre les passions, qui sont les décrets de Dieu, et contre les Attractions. [...] Moralistes, vous avez menti. Législateurs, vous avez menti. Prêtres, vous avez menti. Pasteurs des peuples, vous avez égaré les troupeaux52. » Et de poursuivre, en théologien : « On en conclut que l’auteur n’établit aucune distinction entre les inclinations vicieuses de la nature corrompue par l’instinct primitif et la tendance droite de la nature pure et droite qui fut créée au commencement avant le péché originel. Aussi arrive-t-il à dire que ces inclinations, passions et tendances de l’homme, tels qu’elles sont aujourd’hui, déréglées et viciées par le désordre de la concupiscence et l’incitation du péché, sont néanmoins la révélation éternelle, permanente et faite à tous des volontés du vrai Dieu53. »

  • 54 Quelques exemples dans Riasanovsky, 1965.

20Aussi le P. Zecchinelli s’emploie-t-il, à la manière des théologiens de l’âge moderne, à conclure ses censures par des listes de propositions erronées, scandaleuses ou hérétiques : quatorze sur le plan moral et quatorze sur le plan religieux dans son long votum sur Le Nouveau monde industriel et sociétaire de Fourier ; onze encore en ce qui concerne Les Nouvelles transactions sociales, religieuses et scientifiques de Just Muiron. Que retenir de ces listes ? Une inquiétude d’ordre éthique, tout d’abord, vis-à-vis de la réhabilitation des passions et ses conséquences sur la famille, l’éducation, la mixité et l’ordre social. Un trouble d’ordre religieux ensuite, quant à la nature de Dieu et au statut des trois personnes de la Trinité, au récit de la Création, au dogme du péché originel, aux notions de mérite et de rédemption, aux conceptions de la vie terrestre et de la vie future, aux références à l’évolution créatrice et à la métempsychose et aux détournements de sens des citations de la Bible et des Évangiles54. L’ensemble se conclut sur l’accusation plus globale d’un renversement du christianisme jusque dans ses fondements doctrinaux et scripturaires. Le P. Zecchinelli s’en prend ainsi avec vigueur, à propos des Paroles de Providence de Clarisse Vigoureux, à cet « écrivain téméraire » (temerario scrittore) ainsi qu’à tous ces « novateurs diaboliques » (diabolici novatori) qui prétendent interpréter en termes de transformation sociale le verset du Psaume 104, « Tu renouvelles la face de la terre », repris dans la liturgie de la Pentecôte ; il récuse avec horreur l’assimilation de la Providence divine à la loi de l’attraction passionnée et rejette l’identification de Fourier à un « nouveau Messie » (novello Messia), qu’il renvoie devant les juifs par un glissement de sens qui témoigne d’un troublant et persistant antijudaïsme :

  • 55 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, 219r.

Vive donc le nouveau Messie et qu’il aille se faire circoncire par les Juifs pour se faire reconnaître de ces misérables, s’il leur plaît, car nous autres catholiques sommes contents, et plus que contents du nôtre qui nous a libérés de tous les pseudo-Christs et nous a donné un Chef de la religion et de son Église, son Vicaire sur la terre grâce auquel, si nous le suivons et nous l’écoutons, nous ne craignons pas de nous tromper55.

Réformer la société, régénérer l’humanité ?

  • 56 Félicité Lamennais, 1841, Discussions critiques et pensées diverses sur la religion et la philosop (...)
  • 57 « Malgré la pente qui l’entraînait vers un sensualisme effréné, le gnosticisme n’en était pas moin (...)

21Plus encore que le phalanstère considéré en lui-même et dans sa logique d’agrégation sociale inédite et novatrice, c’est en définitive l’imputation d’un détournement de la parole divine au service d’un plan de réforme sociale inséparable d’un projet de régénération de l’humanité qui interpelle, inquiète, irrite et indigne au plus profond de leurs croyances et de leurs convictions les censeurs romains. Bien que passé lui-même dans les rangs de la démocratie sociale, Lamennais, lorsqu’il aborde le saint-simonisme dans les Discussions critiques56, demeure sur cette ligne critique fondamentale. S’il discerne dans la doctrine de Saint-Simon un « gnosticisme », c’est sur un fond de « sensualisme » aggravé57 ; mais il lui reproche fondamentalement ses formules :

  • 58 Ibid., § XLIX*, p. 169-170. La citation n’avait pas échappé à Henri de Lubac dans La Postérité spi (...)

Comme l’insecte qui dépose ses œufs dans le fruit dont il a percé l’écorce, le ver saint-simonien, essayant de pénétrer au-dedans du christianisme, en a, sous l’une de ses transformations, hypocritement pris le nom et en apparence adopté le dogme, qu’il enveloppe dans les commentaires d’une philosophie pleine d’équivoques et d’obscures réticences. Il s’est dit catholique, parce qu’il trouvait dans le catholicisme une hiérarchie à l’aide de laquelle il espérait réaliser le rêve insensé et funeste de sa doctrine économique, l’abolition de la propriété et conséquemment de la liberté individuelle, établissant une société passivement soumise, au spirituel et au temporel, à un corps sacerdotal investi d’une puissance absolue en vertu de laquelle il décide souverainement de toutes choses, détermine les croyances, ordonne et dirige les travaux et en distribue les produits d’après la règle abstraite d’un égalité absolue58.

  • 59 Voir aussi Droulers, 1961 et 1964.
  • 60 Charles Bois, Du Socialisme envisagé comme conséquence nécessaire de la négation de la chute, Univ (...)
  • 61 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.217v. Cose nuove, en latin rerum novarum : c’es (...)

22Alors même que l’Église catholique prend peu à peu conscience que la montée en puissance du capitalisme industriel et financier vient modifier en profondeur les rapports humains (Duroselle, 1951) et que (pour reprendre la forte expression de Paul Droulers) « l’économie libérale de ce temps était objectivement en état de péché » (Droulers, 1963 : 361)59, c’est un antagonisme de type doctrinal et spirituel qui domine, au sein du christianisme, l’examen des premières théories socialistes : en 1849 encore, le pasteur Charles Bois intitule sa thèse de théologie protestante, soutenue à l’université de Strasbourg, Du Socialisme envisagé comme conséquence nécessaire de la négation de la chute60. L’appréhension des censeurs romains au milieu des années trente du xixe siècle va dans le même sens : l’invention du social, qui est la marque du premier xixe siècle, nourrit un conflit frontal, proportionnel à l’ambition de la nouvelle « science de l’homme » à renouveler le sens de la vie ; elle n’en désigne pas moins, comme l’écrit Michele Domenico Zecchinelli à propos de la Parole de Providence de Clarisse Vigoureux, un desiderio di cose nuove, « un désir de renouvellement »61, appelé, un demi-siècle plus tard, à transformer le discours des Églises chrétiennes elles-mêmes en termes de doctrine sociale.

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Notas

1  William Roscoe, The Life and Pontificate of Leo the Tenth, Liverpool, Cadell and Davies, 1805, qui a deux éditions françaises (1808 et 1813) et une italienne (1816-1817) ; les éditions anglaise et italienne sont inscrites à l’Index romain par un décret en date du 26 mars 1825.

2 Nouveau christianisme [1825], Saint-Simon, 2012 : IV, 3193.

3 Charles Fourier, Le Nouveau monde industriel et sociétaire, ou Invention du procédé d'industrie attrayante et naturelle, distribuée en séries passionnées. Livret d'annonces, avec huit pages de prospectus, Paris et Londres, Bossange et Mongie, 1829, XVI-664 p. Sur Fourier, voir Bourgin, 1905 ; Zilberfarb, 1964 ; Bruckner, 1975 et surtout Beecher, 1986 [2012]. Sur sa pensée, Desroche, 1975 ; Debout, 1979 [1998] ; Monetti, 1979; Colombo, 1988 ; Sarti, 1989 ; Morilhat, 1991 ; Tundo, 1991 ; Riviale, 1996 ; Ucciani, 2000 ; Tacussel, 2000 et 2007. Sur le destin critique de l’œuvre, voir Bozon, 2005.

4 Plusieurs publications portent ce titre : Doctrine de Saint-Simon. Première année, exposition, 1829, Paris, au bureau de l’Organisateur, 1830, XL-327 p. Seconde édition : Émile Barrault, Doctrine de Saint-Simon. Exposition, première année, 1829. Religion saint-simonienne. Lettre à M. le président de la chambre des députés, Bazard-Enfantin, chefs de la religion saint-simonienne, Paris, au bureau de l’Organisateur et chez A. Mesnier, 1830, 431 p. Sans oublier l’abrégé d’Hippolyte Carnot, Doctrine de Saint-Simon. Exposition. Première année, Paris, Bureau central de la Revue encyclopédique, 1830, 45 p.

5 Just Muiron (sous le pseudonyme de « Virtomnius »), Les Nouvelles transactions sociales, religieuses et scientifiques, Paris, Bossange, 1832, IV-208 p. Sur Just Muiron, voir Brémand, 2009.

6 Clarisse Vigoureux, Parole de Providence, Paris, Bossange, 1834, XVI-214 p. Sur Clarisse Vigoureux (1789-1865), on renverra à la réédition de Parole de Providence, précédée d’une importante introduction historique et biographique de Jean-Claude Dubos (Vigoureux, 1993 [1834]) ; voir également Fairchild, 2003.

7 Victor Considérant, Destinée sociale, Paris, au Bureau de la Phalange, 1834-1844, trois volumes. Sur Victor Considérant comme principal héritier, propagateur et interprète de la pensée de Fourier, voir Bourgin, 1909 ; Dommanget, 1929 ; Davidson, 1988 ; Vernus, 1993 et 2009 ; Beecher, 2001 [2012].

8 Isaac Pereire, Religion Saint-Simonienne. Leçons sur l’industrie et les Finances, prononcées à la salle de l’Athénée, suivies d’un projet de banque, Paris, Le Globe, 1832.

9 Barthelemy Prosper Enfantin, Lettre du Père à Charles Duveyrier sur la vie éternelle (juin 1830), Paris, Johanneau, 1834.

10 Barthelemy Prosper Enfantin, Paroles du Père à la Cour d’assises, 8 avril 1833, Paris, Johanneau, 1833. Relevons qu’un dernier ouvrage d’inspiration saint-simonienne sera tardivement inscrit à l’Index romain par un décret en date du 11 avril 1859 : Claude Henri de Saint-Simon, Barthelemy Prosper Enfantin Science de l’homme. Physiologie religieuse. Mémoire sur la science de l’homme. Travail sur la gravitation universelle, Paris, Victor Masson, 1858.

11 Félicité Lamennais, Le Livre du peuple, Paris, Delloye et Lecou, 1838 (décret du 13 février 1838).

12 Alphonse Esquiros, L’Évangile du peuple, Paris, Le Gallois, 1840 (décret du 30 mars 1841) ; Les Vierges folles (Paris, Le Gallois, 1840), Les Vierges martyres (Paris, Delavigne, 1842) et Les Vierges sages (Paris, Delavigne, 1842) (décret du 20 juin 1844).

13 Alphonse Louis Constant, dit « l’abbé Constant », alias Eliphas Lévy, La Bible de la liberté, Paris, Le Gallois, 1841 (décret du 30 mars 1841).

14 Étienne Cabet, Le vrai christianisme suivant Jésus-Christ, Paris, au bureau du Populaire, 1846 (décret du 18 septembre 1848).

15 Pierre-Joseph Proudhon, Opera omnia (décret du 22 janvier 1852).

16 Sur le cas spécifique de l’Italie, voir Gentile, 1970 ; Pitocco, 1972.

17 Diario di Roma du 1er juin 1836, 44. Intorno al progresso in fatto di religione, errore professato in modo speciale dai Sansimoniani.

18 Diario di Roma du 6 octobre 1838, 80. Quanto sia erroneo il sistema di associazione del genere umano in ordine al suo vero destino, secondo le idee del signor Fourier, e di altri suoi cooperatori.

19 Né à Alassio, près de Savone, vers 1775, dominicain de la province de Lombardie, bibliothécaire de la Casanatense depuis 1826, Antonio Degola est secrétaire de la congrégation de l’Index de 1832 à 1849. Démissionnaire le 15 août 1849, il est nommé au lendemain de la restauration de Pie IX théologue de la Casanatense (1851) et meurt à Rome en 1856 à l’âge de 80 ans (Boutry, 2002 : 542 ; Schwedt, 2005 : I, 446-449).

20 Michele Domenico Zecchinelli (1798-1856), né à Este près de Modène, entre dans la Compagnie de Jésus en septembre 1815 ; professeur d’Écriture Sainte, il est consulteur de la congrégation de l’Index de 1822 jusqu’à son décès ; il est également consulteur des congrégations des Rites (1820), et des Indulgences (1839) ainsi que théologue de la Pénitencerie apostolique (1829) (Boutry, 2002 : 769 ; Schwedt, 2005 : II, 1581-1588).

21 Pio Bighi (1780-1854), natif de Rome, est ordonné prêtre en 1803 ; docteur en théologie du Collège Romain (1805) et chanoine de S. Maria in Via Lata, il est successivement professeur de théologie morale au Collège romain, puis recteur du séminaire romain de S. Apollinare (jusqu’en 1840). Ce prêtre séculier entre au service de la Curie en qualité de théologue de la Daterie apostolique et consulteur des congrégations de l’Index (1822) et des Affaires ecclésiastiques extraordinaires (1824) ; il est également pro-secrétaire (1824), puis secrétaire (1829-1839) de l’Union sacerdotale de S. Paolo Apostolo, principale association de piété du clergé romain. Membre du Collège théologique de l’Arciginnasio de la Sapience (1828), examinateur du clergé romain (1830), il est élevé par Pie IX aux dignités d’évêque in partibus de Lystra, vicaire apostolique de Subiaco, prélat domestique et de protonotaire apostolique (1847), puis promu vicaire de la basilique Saint-Pierre du Vatican et archevêque in partibus de Philippes (1853) (Boutry, 2002 : 669 ; Schwedt, 2005 : I, 170-175).

22 Luigi Rezzi (1785-1857), originaire de Plaisance, est un ancien jésuite : entré au noviciat de Colorno (duché de Parme) dès 1803, il rejoint la Compagnie à Naples en 1804 puis à Palerme en 1805. Bibliothécaire (1814) puis professeur d’écriture sainte (1819-1820) au Gesù lors du rétablissement de la Compagnie, il entre au service de la Curie en qualité de consulteur des congrégations de l’Index (1814) et des Rites (1816). À la suite de conflits internes, il quitte définitivement la Compagnie à l’automne 1820 : il est nommé professeur d’éloquence latine et d’histoire romaine (1821), puis de langue latine et italienne (1826) à l’Arciginnasio de Rome ; il est également conservateur de la bibliothèque Barberini (1821) puis de la bibliothèque Corsini (1836). Favorable au mouvement de réformes dans l’État pontifical, il est élu orateur du peuple romain (juin 1848) ; il ne se rallie toutefois pas à la République, se retire à Florence et adresse à Pie IX une lettre de soumission (avril 1849). Suspendu d’enseignement à la Sapience (février 1850), il conserve ses fonctions de consulteur. Il laisse une œuvre importante sur le plan éditorial et érudit et réédite à Florence en 1850 le traité de l’abbé « jacobin » Vincenzo Bolgeni, Dei limiti delle due potestà ecclesiastica e secolare, qui sera inscrit à l’Index avec la mention donec corrigatur le 19 décembre 1850… (Boutry, 2002 : 740-741 ; Schwedt, 2005 : II, 1254-1260).

23 Procès en la Cour d’assises de la Seine les 27 et 28 août 1832, 1832, Paris, Librairie saint-simonienne. Sur saint-simonisme et saint-simoniens, voir : Charléty, 1896 ; Allemagne, 1930 ; Pétré-Grenouilleau, 2001 ; Picon, 2002 ; Régnier (éd.), 2002 ; Prochasson, 2004 ; Pilmbeam, 2014 ; ainsi que la synthèse documentaire sur Le Siècle des saint-simoniens : Coilly et Régnier, 2006.

24 Archivio della Congregazione per la Dottrina della fede (ACDF), SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, décret du 29 janvier 1835, ff.582r.-585v.

25 Incipit [1] [582r.].

26 Id.

27 Pour une appréciation globale de la dimension religieuse du saint-simonisme, voir Desroche, 1968 (repris in Desroche, 1969) et Desroche, 1972b.

28 Michele Domenico Zecchinelli S.J., Osservazioni sull’Opuscolo intitolato Religion S. Simonienne. Leçons sur l’industrie et les Finances, prononcées à la salle de l’Athénée, par J. Pereire, suivies d’un projet de banque, Paris, 1832, ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.322r.-324r. Sur les frères Émile (1800-1875) et Isaac (1806-1880) Pereire, voir Autin, 1983.

29 Michele Domenico Zecchinelli S.J., Osservazioni sull’Opuscolo intitolato Lettre du Père à Charles Duveyrier sur la vie éternelle, de juin 1830, 1832, Paris, ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.328r.-329v. « Molte proposizioni pericolose, ed atte ad insinuar un falso concetto della Vita eterna » [329 v.].

30 Michele Domenico Zecchinelli S.J., Riflessioni sull’Opuscolo intitolato Parole du Père à la Cour d’assises, 8 avril 1833, Paris, ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.330r.-331r. Sur Barthelemy Prosper Enfantin (1796-1864), voir Allemagne, 1935 ; Allem, 1963.

31 Cette confusion conduit Fourier lui-même à une mise au point : Charles Fourier, Pièges et charlatanisme des deux sectes Saint-Simon et Owen qui promettent l’association et le progrès. Moyen d’organiser en deux mois le progrès réel, la vraie association ou combinaison des travaux agricoles donnant quadruple produit et élevant à 25 milliards le revenu de la France aujourd’hui borné à six milliards un tiers, 1831, Paris, Bossange.

32 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.332.

33 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.191r.

34 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.191v.

35 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.543r.

36 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.207r.

37 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.543r.

38 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.543v.

39 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.544v.

40 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1836-1838, ff.209r.

41 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.545r.

42 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.545v-546r. Voir Brémand, 2007.

43 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.546r. Voir Brix, 2001 ; Colombo, 2002 [2004] ; Ucciani, 2003.

44 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.546r.

45 La dimension de révélation religieuse de l’œuvre de Fourier a été à plusieurs reprises soulignée, notamment par Henri Desroche (1962, 1972a). Voir également Morilhat, 1994 et, plus généralement, sur la « science sociale » comme introduction à une « religion de l’humanité » jusqu’en 1848, Alexandrian, 1979 ; et surtout la thèse de doctorat magistrale de Loïc Rignol (Rignol, 2003), enfin et récemment éditée (Rignol, 2014).

46 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.546r.

47 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.546r.

48 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.216r.

49 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.216r.

50 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.216v.

51 « Moralisti dell’antica scuola, che credono l’uomo nato per soffrire, e per imporsi per virtù, le privazioni dei piaceri, affine d’acquistar del merito e dei diritti alla felicità futura », ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.216v.

52 Clarisse Vigoureux, Parole de Providence, Paris, Bossange, 1834, p.148, p.150, cité par le P. Zecchinelli dans sa censure, ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.216v.-217r.

53 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.217r.

54 Quelques exemples dans Riasanovsky, 1965.

55 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, 219r.

56 Félicité Lamennais, 1841, Discussions critiques et pensées diverses sur la religion et la philosophie, Paris, Pagnerre, repris dans les Œuvres posthumes de F. Lamennais. 1 – Correspondance. 2 – Mélanges philosophiques et politiques, publiées selon le vœu de l’auteur par E. D. Forgues, Paris, Paulin et Lechevalier, 1856-1859. Le propos se situe dans la seule édition de 1856, § XLVIII* et § XLIX*.

57 « Malgré la pente qui l’entraînait vers un sensualisme effréné, le gnosticisme n’en était pas moins, dans son principe originel, une religion de l’esprit. Réduit à sa valeur réelle, le saint-simonisme est, au contraire, quoi qu’on fasse pour le déguiser, une religion des sens, une religion du ventre, pour parler comme saint Paul, quorum Deus venter est. Le fouriérisme lui ressemble en cela », Félicité de Lamennais, Œuvres posthumes. 2 – Mélanges philosophiques et politiques, loc. cit., § XLVIII*, p. 169, d’après l’épître de saint Paul aux Philippiens, 3, 19.

58 Ibid., § XLIX*, p. 169-170. La citation n’avait pas échappé à Henri de Lubac dans La Postérité spirituelle de Joachim de Flore (Lubac, 1979-1987 : tome II, 29).

59 Voir aussi Droulers, 1961 et 1964.

60 Charles Bois, Du Socialisme envisagé comme conséquence nécessaire de la négation de la chute, Université de France, Faculté de théologie protestante de Strasbourg, thèse pour obtenir le grade de bachelier en théologie, Strasbourg, Berger-Levrault, 1849, 54 p.

61 ACDF, SC Indice, Protocolli, Degola, 1830-1835, ff.217v. Cose nuove, en latin rerum novarum : c’est en ces termes, on le sait, que le pape Léon XIII évoquera dans l’encyclique qui porte même nom (15 mai 1891), le temps des « révolutions ». On se permet de renvoyer sur ce point à Boutry, 1997.

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Para citar este artículo

Referencia en papel

Philippe Boutry, « Saint-simoniens et fouriéristes devant l’Index romain (1835-1837) », Archives de sciences sociales des religions, 190 | 2020, 65-85.

Referencia electrónica

Philippe Boutry, « Saint-simoniens et fouriéristes devant l’Index romain (1835-1837) », Archives de sciences sociales des religions [En línea], 190 | avril-juin, Publicado el 03 enero 2023, consultado el 29 marzo 2024. URL : http://journals.openedition.org/assr/50672 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.50672

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Autor

Philippe Boutry

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – EHESS – IUF – phboutry@wanadoo.fr

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