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Comptes rendus

Valérie Aubourg, Réveil catholique. Emprunts évangéliques au sein du catholicisme

Genève, Labor et Fides, coll. « Enquêtes », 2020, 354 p.
Yvon Tranvouez
p. 162-163
Référence(s) :

Valérie Aubourg, Réveil catholique. Emprunts évangéliques au sein du catholicisme. Genève, Labor et Fides, coll. « Enquêtes », 2020, 354 p.

Texte intégral

1La longue et précieuse introduction de ce livre passionnant rappelle les grandes étapes de l’évolution du Renouveau charismatique dans le catholicisme français. Importé des États-Unis au début des années 1970, il connaît des débuts effervescents et controversés jusqu’en 1982. Progressivement apprivoisé et intégré au dispositif ecclésial dans les deux décennies qui suivent, il le paie d’une « routinisation » de ses pratiques et d’un vieillissement de ses adeptes. Mais au tournant des années 1990 et 2000 s’ouvre une troisième phase marquée par une « recharge néo-charismatique » qui « emprunte » (jusqu’à quel point, c’est tout le débat) ses méthodes et ses orientations aux innovations apparues précédemment, outre-Manche et outre-Atlantique, dans les milieux évangéliques du protestantisme ou de l’anglicanisme. C’est sur ce nouveau « réveil » que Valérie Aubourg a mené au cours des années 2010 une enquête ethnographique « au plus près du religieux vécu » (p. 20). Même si l’observation s’élargit à l’occasion, dans un souci comparatiste, le terrain privilégié est celui de l’agglomération lyonnaise, d’autant plus pertinent qu’il s’agit d’un creuset de fermentation apostolique mais aussi d’un vieux foyer d’œcuménisme.

2Traitant d’un phénomène plural qui, sous une étiquette générique, répond de plus en plus à des attentes religieuses qu’on pourrait dire catégorielles ou individuelles, l’ouvrage s’organise en trois parties d’ampleur inégale. La première analyse en détail la relance de la dimension thaumaturgique du Renouveau, qui se donne à voir ici dans un dispositif à plusieurs dimensions : « chambres de guérison » accueillant des personnes en souffrance lors de permanences ad hoc deux fois par mois ; soirées mensuelles « Miracles et Guérisons » rassemblant chaque fois quelque 300 personnes ; organisation ponctuelle à Lyon, en 2014, d’une grande Conférence de l’Association internationale des ministères de guérison (AIMG), attirant plusieurs milliers de personnes venues de toute la France et de l’étranger entendre des orateurs vedettes, évangéliques et catholiques. La deuxième partie, plus brève, porte sur les groupes de « Prière des mères » : des petits groupes (pas plus d’une dizaine de membres) de femmes, mères ou grand-mères, qui se réunissent une fois par semaine chez l’une ou l’autre afin de prier, de manière très ritualisée, pour leur famille et pour la société. La dernière partie, la plus développée, est consacrée à l’investissement récent des adeptes du Renouveau dans les structures paroissiales qu’ils s’emploient à redynamiser en s’inspirant du modèle des megachurches américaines. L’exemple local, spectaculaire, est celui de la paroisse Lyon-Centre, autour de l’église Sainte-Blandine, qui a multiplié par six la participation aux offices dominicaux entre 2010 et 2017. Une « com’ haut de gamme » (selon le mot d’un responsable, p. 210) y draine un public qui vient parfois de loin, attiré par le charisme du curé, le père David Gréa, et la réputation d’un groupe de louange pop rock, Glorious. Cette partie, la plus fouillée, s’enrichit de développements bien venus sur d’autres paroisses catholiques en conversion « missionnaire », sur les « Maisons des familles » (offrant des services aux couples), ou encore sur les parcours de formation « Alpha » (pour les laïcs) et « Des pasteurs selon mon cœur » (à destination d’un clergé à remobiliser).

3Le Renouveau charismatique est profondément moderne quand il s’occupe de guérison dans une société obsédée par la santé, qu’il réassure des mères au foyer dévalorisées par les modèles féminins dominants, ou qu’il introduit le marketing dans la gestion des paroisses. À l’aune d’un horizon de salut intramondain, il est performant. Du point de vue social, il n’a ni la diversité de ses débuts, ni la cohérence des milieux traditionalistes. La thaumaturgie a surtout les faveurs d’un public populaire, souvent d’origine immigrée. Les mères qui prient dans les salons sont majoritairement issues de la bonne bourgeoisie et cultivent un « entre-soi religieux » (p. 157). Les foules qui se pressent à Sainte-Blandine sont plus mélangées, mais les influenceurs de ce « catholicisme 2.0 » (p. 303) sont des intellectuels des classes moyennes supérieures.

4Deux questions centrales traversent ce livre. La première est de savoir si, dans cette troisième phase du Renouveau charismatique catholique, l’influence évangélique est plus forte ou plus faible que précédemment. Elle demeure importante dans les pratiques liées à la guérison. Mais alors même que le genre se prête à des actions œcuméniques, l’expérience révèle des frictions récurrentes, les catholiques supportant mal les attitudes démonstratives et bruyantes des évangéliques, tandis que ces derniers s’agacent de ce que leurs partenaires invoquent la Vierge ou les saints. Sur le terrain paroissial, l’imitation des megachurches américaines consiste surtout dans la reprise de recettes managériales qui ne remettent pas fondamentalement en cause l’organisation du système catholique. Quant aux groupes de Prière des mères, on peut difficilement induire de leur autonomie par rapport au clergé ou de leur usage non dirigé de la Bible qu’elles seraient influencées par des mœurs proprement évangéliques. Dans les trois cas, la différence culturelle est trop forte pour que l’interpénétration des deux milieux confessionnels aille très loin.

5L’autre question, complémentaire, est celle du degré d’intégration de ces nouvelles formes du zèle charismatique dans l’institution catholique. Tout porte à penser que, sans atteindre le niveau d’amortissement des grandes communautés désormais historiques, comme l’Emmanuel ou le Chemin Neuf, il est plus fort que ne l’était celui de ces mêmes communautés quand elles étaient « nouvelles » ou celui des premiers groupes de prières du début des années 1970. L’émotion est désormais plus canalisée, mais le Renouveau charismatique gagne sans doute en infusion ce qu’il perd en distinction : il ne parle plus beaucoup en langues mais il n’en est que mieux compris et reconnu dans une institution qui a besoin de son dynamisme – comme d’ailleurs de celui, bien différent, des traditionalistes – pour essayer d’enrayer la spirale du déclin de la pratique (à cet égard, je ne résiste pas au plaisir de relever cette citation extraordinaire, p. 197, d’une phrase tirée d’un livret de propositions pour l’évangélisation dans la Drôme : « Quand on voit un jeune au cours d’une messe, prévoir de mettre une musique ou un chant adapté [ex. : Glorious] » – italiques ajoutés).

6On peut s’interroger sur la spécificité charismatique de l’expérience de rénovation paroissiale de Lyon-Centre, qui s’appuie autant sur les techniques commerciales que sur les ressorts émotionnels. Quelques années plus tôt, sur une tout autre ligne ecclésiale, mais avec le même sens de l’organisation et la même forte personnalité que David Gréa, Michel-Marie Zanotti-Sorkine a, lui aussi, multiplié les chiffres d’assistance à la messe dans sa paroisse Saint-Vincent-de-Paul à Marseille. Plus que d’une orientation religieuse particulière, c’est sans doute du star system que procèdent les succès de l’un et de l’autre, tout comme, voici cinquante ans, l’attraction de l’abbaye de Boquen a tenu largement à la fascination exercée par son prieur, Bernard Besret. Le catholicisme contemporain a connu ainsi bien des effervescences spirituelles éphémères, soulevant des foules et retombant comme des soufflés après la défection, la disparition ou la marginalisation de celui qui les incarnait. La différence des temps tient notamment à ce que les acrobaties de ces virtuoses de la religion s’effectuaient autrefois au-dessus d’un matelas résiduel de chrétienté, ce qui en relativisait les enjeux et en limitait les risques. Dans l’état du catholicisme français d’aujourd’hui, elles se font sans filet, ce qui augmente l’espoir qu’on peut placer en elles et les expose du même coup à susciter de plus fortes déceptions. L’enquête de Valérie Aubourg s’est malheureusement achevée trop tôt pour que l’on sache si la fortune de la paroisse de Lyon-Centre survivra longtemps au mariage et au départ, en 2017, du père David Gréa, qui s’est recyclé (on n’ose dire reconverti) en coach et consultant d’organisations.

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Pour citer cet article

Référence papier

Yvon Tranvouez, « Valérie Aubourg, Réveil catholique. Emprunts évangéliques au sein du catholicisme », Archives de sciences sociales des religions, 196 | 2021, 162-163.

Référence électronique

Yvon Tranvouez, « Valérie Aubourg, Réveil catholique. Emprunts évangéliques au sein du catholicisme », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 196 | octobre-décembre 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 26 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/63904 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.63904

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Auteur

Yvon Tranvouez

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