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Comptes rendus

Jacques Dalarun, Modèle monastique. Un laboratoire de la modernité

Paris, CNRS Éditions, 2019, 319 p.
Daniel-Odon Hurel
p. 232-233
Référence(s) :

Jacques Dalarun, Modèle monastique. Un laboratoire de la modernité. Paris, CNRS Éditions, 2019, 319 p.

Texte intégral

1Un recueil d’articles offre rarement une véritable cohérence autour d’une problématique scientifique réellement exposée. C’est le cas de ce livre, constitué d’une dizaine de contributions déjà publiées dans les années 2001-2018 mais qui concentrent l’attention du lecteur sur la spécificité et l’originalité du projet monastique, au-delà du développement des expériences monastiques tout au long du Moyen Âge chrétien. Les articles ont été revus, rééquilibrés parfois pour apporter plus de cohérence encore au volume. La démarche pourrait sans aucun doute être menée sur une plus longue durée, ce qui a pu être récemment fait dans d’autres lieux. Jacques Dalarun tente ici d’approcher la fonction globale de la vie régulière dans l’équilibre d’une société, un équilibre englobant l’être monastique, l’économique, le politique comme le social. Il existe un habitus monastique dont les traits perdurent tout au long de l’histoire du christianisme. Cette permanence est rendue d’autant plus réelle que nous nous situons essentiellement dans la tradition de la Règle de saint Benoît. Si l’auteur s’en tient au Moyen Âge, il n’en demeure pas moins que cette problématique garde tout son sens pour les périodes suivantes, moderne et contemporaine en particulier, renforcée en cela par la multiplication et la diffusion des relectures de la Règle et des auteurs monastiques, facilitées par l’imprimerie. C’est aussi en cela que le modèle monastique devient « laboratoire de modernité » : une vie modelée par une Règle, le monastère comme préfiguration de l’au-delà et un modèle d’organisation pour nombre d’institutions modernes (écoles, hôpitaux, prisons, entreprises). À l’origine de ce « laboratoire », il y a en particulier un texte, la Règle de Benoit de Nursie, fruit de lectures et de réception de traditions orientales et occidentales et de l’expérience personnelle et collective de l’érémitisme et de la vie cénobitique. Les liens entre la Règle bénédictine et la Règle du Maître sont à ce titre extrêmement révélateurs, ce que montre l’auteur à plusieurs reprises, rejoignant les travaux et les intuitions d’Adalbert de Vogüé et illustrant ses propos par des rapprochements avec différents auteurs, tels Weber, Foucault ou Agamben.

2La définition d’un modèle s’appuyant assez largement sur les textes normatifs, il n’est guère étonnant de constater la place importante faite aux sources normatives du monachisme (chapitres II, VI, VII, VIII et IX), avec une attention très particulière à la matérialité même des sources. Plusieurs chapitres font en effet le point sur les textes normatifs, en particulier sur les statuts de Fontevraud, sur la constitution d’un corpus spirituel et normatif propre au Paraclet à partir de la correspondance entre Abélard et Héloïse, en démontrant le lien et les interactions, dans la lettre VIII d’Abélard, puis, au xiiie siècle, entre le Paraclet et Fontevraud. La comparaison entre la réglementation d’Abélard et les statuts de Fontevraud est, à ce titre, extrêmement précieuse (p. 152-155).

3Il n’y a pas non plus de vie cénobitique sans supérieur. L’ouvrage consacre un chapitre aux élections régulières, de tradition bénédictine ou franciscaine, en insistant sur le « moment » de la Règle de Benoit qui consacre l’élection par la communauté là où la Règle du Maître, pour faire bref, évoquait la cooptation et la concurrence. Mais cet avènement de l’élection ne se fait que progressivement et il n’est pas inutile de rappeler, comme le fait l’auteur, qu’à Cluny, il faut attendre le xie siècle pour constater une élection abbatiale. Toute l’histoire des mouvements réguliers du Moyen Âge montre un attachement au libre choix par la communauté ou la congrégation des supérieurs, selon un mouvement d’affirmation progressive d’une forme de « démocratie » vécue, mouvement qui est rompu brutalement par l’apparition de la commende pour les monastères de tradition bénédictine.

4L’auteur montre combien l’écriture de l’histoire du monachisme est partie constituante de l’identité monastique elle-même, ce que le long terme monastique ne peut contredire, bien au contraire. Cette écriture de l’histoire renvoie à la fois au cadre normatif, à la transmission d’un regard sur le corps du moine qui doit être constamment discipliné individuellement pour permettre un équilibre cénobitique. C’est tout le sens des relectures de la Règle, un texte éminemment pragmatique qui vise à créer et maintenir cet équilibre à travers un cheminement de retour à Dieu fondé sur la conversion individuelle. L’écriture de l’histoire et l’hagiographie contribuent à transmettre et rappeler aux moines et moniales ce principe dans une perspective anti-mondaine, même si le religieux est appelé à l’épiscopat (Bérard de Marses). Il n’y a pas non plus de moine sans diable, à l’image même du récit de Grégoire le Grand, comme l’auteur le rappelle en évoquant Raoul Glaber et ses Histoires. Enfin, on ne sera pas surpris qu’un des apports essentiels de ce volume, comme de l’ensemble des travaux de Jacques Dalarun, soit l’intérêt renouvelé porté au monachisme au féminin. La spécificité de ce dernier ne fait pas de doute, elle renvoie bien entendu à la situation même de la femme dans l’Église et donc dans la dépendance masculine (pratiques sacramentelles mais aussi gros travaux domestiques et artisanaux). En conséquence, l’économie monastique féminine est plus fragile, elle vise plutôt la conservation des biens que leur accroissement, et maintient plus de dépendance à l’égard de la famille. La clôture renforce plus encore cette dépendance et réduit l’espace de liberté, ces femmes étant en quelque sorte soustraites à la « reproduction » au profit d’une parenté spirituelle.

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Pour citer cet article

Référence papier

Daniel-Odon Hurel, « Jacques Dalarun, Modèle monastique. Un laboratoire de la modernité », Archives de sciences sociales des religions, 196 | 2021, 232-233.

Référence électronique

Daniel-Odon Hurel, « Jacques Dalarun, Modèle monastique. Un laboratoire de la modernité », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 196 | octobre-décembre 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 24 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/64339 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.64339

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Auteur

Daniel-Odon Hurel

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