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Comptes rendus

Hans Krabbendam, Saving the Overlooked Continent. American Protestant Missions in Western Europe, 1940-1975

Louvain, Leuven University Press, 2020, 247 p.
Pascale Gruson
p. 324-325
Référence(s) :

Hans Krabbendam, Saving the Overlooked Continent. American Protestant Missions in Western Europe, 1940-1975. Louvain, Leuven University Press, 2020, 247 p.

Texte intégral

1L’Europe, terre de missions ? C’est de fait une sorte de croisade que certains protestants évangéliques américains, appartenant aux courants conservateurs de dénominations baptistes et méthodistes, ont voulu engager sur le « vieux continent » dans la seconde moitié du xxe siècle. L’Europe que leurs parents avaient quittée au xixe siècle avait été à l’origine de deux guerres mondiales. La sécularisation l’avait aveuglée et la rendait vulnérable aux dangers totalitaires. Il fallait la « réveiller », à tout le moins proposer aux protestants une prédication vraiment fidèle à l’Évangile en lieu et place d’une théologie trop libérale en usage dans leurs paroisses, la raison à leurs yeux (mais en soi fort imprécise) de leur moindre fréquentation.

2Au xixe siècle déjà, des missions méthodistes anglaises et américaines étaient venues, notamment en France. Mais c’était surtout pour soutenir le « réveil » protestant dans ses œuvres sociales et plus particulièrement les efforts de celui-ci pour lutter contre l’alcoolisme et la prostitution générés par la pauvreté frappant les quartiers urbains ouvriers. Leur aide, y compris financière, avait été souvent remarquable : elle avait permis de réfléchir concrètement à la condition ouvrière ; elle avait provoqué, dans les milieux protestants plus libéraux, ceux des Églises consistoriales, une attention plus affirmée à un christianisme social.

3Mais après la Seconde Guerre mondiale, l’aide s’est placée, cette fois-ci sur un terrain plus politique que social. Elle se comprenait, pour ses initiateurs, comme l’accompagnement « naturel », le complément nécessaire de l’aide apportée par les États-Unis à l’Europe occidentale, d’abord le Plan Marshall (1947), puis l’OTAN (1949), sans oublier leur engagement dans la constitution d’organismes internationaux, tel que l’ONU (1946), celui-ci sans conteste plus indépendant et potentiellement rebelle.

4La « croisade » s’est constituée dès le début des années 1940 selon une logistique qui prenait en partie appui sur les structures qui avaient aidé les missions du xixe siècle – des mouvements de jeunesse comme la Youth of Christ ou le Campus Crusade for Christ ; des instituts de formation à la prédication évangélique, tel le Moody Bible Institute – tous bénéficiant de financements abondants ; tous rivalisant, au début du xxe siècle avec les mouvements étudiants missionnaires fédérés au sein de la Fédération universelle des Associations chrétiennes d’Étudiants (FUACE) fondée en 1897 dans une mouvance méthodiste plus ouverte par John Mott (1865-1955).

5Les avant-postes se sont déployés pour l’essentiel en pays de traditions évangéliques et réformées – le Royaume-Uni, les Pays-Bas, les zones d’occupation anglo-saxonne en Allemagne – mais aussi dans l’Espagne franquiste ou le Portugal de Salazar, plutôt accueillants, bien que résolument catholiques, à des projets de ce genre.

6Là, des volontaires recrutés aux États-Unis sont formés à la mission. Billy Graham (1918-2018) en est l’un des principaux organisateurs et un responsable particulièrement enthousiaste et déterminé. Mettant les ressources médiatiques les plus modernes au service de la mission d’évangélisation, il organise, loin des paroisses traditionnelles, de vastes rassemblements au cours desquels il prêche la conversion à une vie nouvelle avec le Christ, source de paix intérieure et de bonheur, terreau d’une résilience (pour reprendre un terme contemporain) conforme aux valeurs universelles et justes dont il est le messager. La prédication évite tout accompagnement liturgique qui pourrait ennuyer l’assemblée, remplacé alors par beaucoup de musique entraînante. Elle privilégie les affirmations morales plus que des questions ouvertes.

7Dans un premier temps, la mission peine à séduire le public qu’elle voudrait conquérir. Il faut dire que son enthousiasme plus ou moins naïf rencontre de sérieux obstacles, y compris dans le pays « d’envoi ». En effet, aux États-Unis, les Églises épiscopaliennes et presbytériennes leur accordent d’autant moins de caution qu’elles sont membres fondateurs du Conseil Œcuménique des Églises, constitué provisoirement en 1938 au moment de la montée des périls, puis institué en 1948, sur de tout autres fondements théologiques et pastoraux. Ceux qui ont contribué activement à la naissance du COE avaient été des étudiants très engagés dans la FUACE.

8Jusqu’au début des années 1960, l’adversaire, pour la mission et pour Billy Graham, c’est le COE : les travaux de celui-ci, ses réflexions sur la présence des Églises dans le monde contemporain, ses actions (auprès des personnes déplacées, auprès aux jeunes Églises indépendantes nées des dynamiques de décolonisation) se situent sur un registre très différent. Le COE est beaucoup plus au fait de ce qui vient de se passer en Europe. Sa vocation œcuménique l’ouvre à des questions éthiques plus qu’à la recherche d’un enthousiasme unanime.

9Jusqu’au début des années 1960, la mission de Billy Graham reste en fait sans visibilité. Lorsqu’elle gagne en rayonnement, le contexte a passablement évolué : si la guerre froide reste offensive, la croissance économique a eu des effets redistributifs importants. La sécularisation s’accentue. Le pluralisme religieux y est plus naturel et les évangéliques y trouvent une place parmi d’autres : ils financent des rassemblements festifs, ainsi que des instituts de théologie qui se démarquent des enseignements universitaires existants. Et la rivalité avec le COE évolue vers plus de sérénité réciproque.

10Depuis, la diversité des dénominations n’a cessé de s’amplifier, La croisade a vécu… Une sorte de marché du religieux s’y substitue.

11Nul doute que l’auteur sait mettre en valeur cet épisode missionnaire qui n’est pas vraiment connu (sauf en la personne de Billy Graham). Il faut regretter cependant que ce qui se rapporte à la « bataille » qu’il cherchait à engager avec le COE – bataille qui a été à la fois une dimension de la Guerre froide et un débat sur ce que recouvrent les espérances associées à l’œcuménisme – soit présenté de manière essentiellement formelle et terne.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pascale Gruson, « Hans Krabbendam, Saving the Overlooked Continent. American Protestant Missions in Western Europe, 1940-1975 », Archives de sciences sociales des religions, 196 | 2021, 324-325.

Référence électronique

Pascale Gruson, « Hans Krabbendam, Saving the Overlooked Continent. American Protestant Missions in Western Europe, 1940-1975 », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 196 | octobre-décembre 2021, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/assr/64944 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.64944

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Auteur

Pascale Gruson

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