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Catholicisme

« Les manœuvres de division n’ont pas marché »

L’influence du contexte sociopolitique de la lutte antisectes sur la publicisation des abus au sein du catholicisme français (du milieu des années 1990 au début des années 2010)
“Divisive Manoeuvres Did Not Work”: Influence of the Socio-Political Context of the Anti-Cult Movement on the Publicization of Abuses within French Catholicism (from the mid-1990s to the early 2010s)
“Las maniobras de división no han funcionado”: la influencia del contexto sociopolítico del movimiento antisectas en la difusión de los abusos en el seno del catolicismo francés (desde mediados de los años 90 hasta principios de los años 2010)
Samuel Dolbeau
p. 133-155

Abstracts

This article focuses on the specificity of the chronology of publicization of sexual abuse scandals within contemporary French Catholicism. Using the intra-ecclesial reception of the book Les Naufragés de l’Esprit, published in 1996, I study the influence of the socio-political context of the anticult movement on the framing of revelations of abuses committed within Catholic Charismatic communities. The defensive rhetoric mobilised at the time within the Catholic Church, based in part on a rejection of the analytical categories used (mind control, etc.), contributed to the reproduction of silence around cases of sexual abuse.

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Full text

Introduction

  • 1 Le Renouveau charismatique est un courant du catholicisme apparu aux États-Unis à la fin des année (...)
  • 2 Fondées en 1973 respectivement à Lyon et Montpellier.
  • 3 Source : https://www.la-croix.com/Archives/1996-05-24/Renouveau-charismatique-_NP_-1996-05-24-3756 (...)

1En mai 1996, un ouvrage collectif au titre évocateur est publié aux Éditions du Seuil : Les Naufragés de l’Esprit. Des sectes dans l’Église catholique (Baffoy, Delestre, Sauzet, 1996) (désormais NdE). Les auteurs y dénoncent un ensemble de « dérives sectaires significatives » (ibid., p. 21) ayant eu cours, ou ayant toujours cours, au sein de communautés charismatiques catholiques françaises1. Pour nombre de catholiques, cette parution est un choc (Landron, 2004 : 421-424). En effet, le Renouveau charismatique est, à cette période, un courant déjà largement diffusé auprès des fidèles. De plus, parmi les communautés mises en cause, certaines, comme le Chemin Neuf ou les Béatitudes2, connaissent un dynamisme certain et sont implantées dans de nombreux diocèses de l’Hexagone. Cependant, si l’ouvrage fait scandale, c’est aussi et surtout pour son sous-titre : Des sectes dans l’Église catholique. Initialement ponctuée d’un point d’interrogation (que l’éditeur a préféré retirer3), cette formule renvoie alors à une peur profondément diffusée au sein de la société française : celle des dérives sectaires.

  • 4 L’OTS connaît trois vagues de suicides collectifs en France, en Suisse et au Québec : la première, (...)
  • 5 Il convient de préciser qu’une première « mission d’information » au sein de la commission des loi (...)
  • 6 Centre national des Archives de l’Église de France, 57-CE-182, dossiers thématiques sur le Renouve (...)

2L’opinion publique est encore marquée par la série de suicides collectifs perpétrée par les membres de l’Ordre du temple solaire4. La commission d’enquête parlementaire sur les sectes, présidée par le député Alain Gest, vient tout juste de rendre son premier rapport en décembre 1995. Si un premier travail est effectué dès 19835, sous l’égide du député Alain Vivien (Luca, 2011 : 97-98), le rapport de 1995 va plus loin en dressant une liste de 173 groupements considérés comme sectaires. Dans la foulée, un observatoire interministériel sur les sectes est également fondé. Comme le note l’anthropologue Nathalie Luca « ce rapport a un retentissement important en Europe » et, à partir de sa publication, « jaillissent des critiques ouvertes quant à l’action française » (ibid. : 100). Précisons que le débat public entourant la lutte contre les sectes ne laisse que très progressivement la place aux analyses produites par les sciences sociales (Champion, Cohen, 1999 ; Hervieu-Léger, 2001 ; Luca, 1998, 2002, 2008, 2011). En bref, qualifier de sectes des communautés catholiques, reconnues canoniquement par des évêques ou le Vatican, est lourd de sens. La hiérarchie épiscopale réagit immédiatement et déclare que si « la souffrance exprimée mérite le respect », les témoignages rapportés « ne font guère la part de ce que ces expériences ont comporté de positif » et de ce fait « ressemblent trop à un réquisitoire6 ».

  • 7 Il reconnaît 57 cas d’agressions sexuelles sur mineurs entre les années 1970 et 2000, et est conda (...)
  • 8 Nous désignons ici des groupements fondés après la clôture du concile Vatican II en 1965.
  • 9 Bernard Preynat est un prêtre accusé d’avoir commis des dizaines d’abus sexuels sur des mineurs, m (...)

3À partir de février 2008, à la faveur de la mise en examen pour agressions sexuelles sur mineurs de Pierre-Étienne Albert7, membre des Béatitudes, une série d’abus est massivement publicisée. On reproche notamment à la hiérarchie communautaire d’avoir permis, voire causé, des situations d’abus spirituel et sexuel. Le cas de Pierre-Étienne Albert, finalement jugé en décembre 2011, précède de peu une autre affaire de révélations d’abus commis au sein d’un autre groupement majeur du paysage catholique français : la Famille Saint-Jean. Amorcées en avril 2013, ces révélations sont d’autant plus déstabilisantes qu’elles visent directement Marie-Dominique Philippe (1912-2006), le fondateur du mouvement. Un véritable système d’abus, reproduit sur plusieurs générations, est alors mis à jour. La vague des révélations déborde ensuite du seul cadre des communautés postconciliaires8, jusqu’à atteindre son paroxysme en octobre 2015, lorsqu’éclate l’affaire Preynat9. Si cette dernière, par son ampleur médiatique, semble aujourd’hui incarner un moment de « libération de la parole » concernant les abus sexuels commis au sein de l’Église catholique dans son ensemble (Béraud, 2019, 2021), les affaires des Béatitudes et de la Famille Saint-Jean ont eu sans aucun doute un effet déclencheur au sein des communautés postconciliaires.

  • 10 Pierre Pican (1935-2018) est évêque de Bayeux et Lisieux entre 1988 et 2010. En 2001, dans le cadr (...)
  • 11 Source : https://luttercontrelapedophilie.catholique.fr/declaration-des-eveques-de-france-lourdes-n (...)

4Reste un décalage d’une décennie entre les deux séquences que nous venons de résumer. Une décennie durant laquelle, hormis la retentissante affaire Pican10 qui commence en 1998 et la déclaration des évêques français contre la pédocriminalité11, notamment cléricale, de novembre 2000, rien ne semble bouger. L’historien Claude Langlois, dans son enquête de 2020 sur les abus sexuels sur mineurs dans l’Église catholique, note d’ailleurs :

La surprise est grande de voir, après 2001/2002 et l’alerte Pican, l’Église de France entrer dans une sorte de léthargie, comme si les mesures prises aussitôt avaient jugulé l’épidémie qui couvait, avant de découvrir, treize ans plus tard, qu’il n’en était rien et que celle-ci avait repris de plus belle, à partir d’un autre foyer, celui-ci lyonnais (Langlois, 2020 : 160).

  • 12 Si des scandales sexuels sont publicisés au cours des années 1980 et 1990 aux États-Unis, l’affair (...)

5Pourquoi, en effet, la France a-t-elle vécu la publicisation massive des scandales sexuels au sein de l’Église catholique à partir de 2015, soit 13 ans après d’autres pays comme les États-Unis12 ou l’Irlande ? La réception intra-ecclésiale des NdE constitue, selon nous, un observatoire permettant d’éclairer ce décalage. Bien entendu, il ne s’agit pas ici de confondre la thématique des dérives sectaires avec celle des abus sexuels, ni d’hypertrophier le rôle que cet ouvrage a tenu jusqu’à en faire une cause de ce décalage. Notre hypothèse principale est qu’au sein du catholicisme français, le contexte sociopolitique de lutte contre les sectes a renforcé une rhétorique défensive, tant au sein de la hiérarchie ecclésiale que des communautés mises en cause, qui a contribué à reproduire un silence autour de la question des abus sexuels. Cette rhétorique s’est notamment appuyée sur le rejet des catégories analytiques utilisées à l’époque (la « manipulation mentale », « l’emprise », etc.). Elle a non seulement contribué à limiter le recours à la notion même d’abus, mais a également renforcé une dissociation entre les phénomènes d’abus spirituels et sexuels. Une décennie plus tard, la publicisation massive des scandales des Béatitudes incarne un moment de bascule du cadrage (Entman, 1993) de l’abus, passant progressivement de la lutte contre les dérives sectaires à la lutte contre les abus sexuels.

6La question des abus, en dehors de son intérêt propre, permet d’aborder la thématique plus générale des transformations contemporaines des modalités d’exercice de l’autorité au sein de l’Église catholique (Jouanneau, Raison du Cleuziou, 2012 ; Lagroye, 2009). En effet, l’émergence des communautés postconciliaires repose, depuis plus de cinq décennies, la question de l’articulation entre une « autorité traditionnelle » détenue par l’institution ecclésiale et une « autorité charismatique » promue par ces groupements (Weber, 2003). Cette articulation a été principalement étudiée au prisme des rapports attestataires/contestataires entretenus entre ces deux types d’autorité (Cohen, 1986, 1995, 1998 ; Cohen, Joncheray, Luizard, 2004 ; Séguy, 1992, 1999). Or, la séquence de publicisation des abus permet de reprendre cette question par un versant renouvelé, en interrogeant, tant du côté de la hiérarchie ecclésiale que des communautés, le processus même d’élaboration et de mise en pratique des règles censées cadrer et légitimer l’autorité. Pour reprendre un concept du sociologue Jean-Daniel Reynaud, les scandales d’abus sexuels posent la question des processus de « régulation » (Reynaud, 1989) à l’œuvre au sein du catholicisme contemporain.

7Nous reviendrons tout d’abord sur les accusations de dérives dont les groupements catholiques charismatiques ont fait l’objet depuis les années 1970. Ce rappel nous permettra d’aborder ensuite la construction des NdE autour de la focale des manipulations mentales. Dans une troisième partie, nous étudierons la question de sa réception intra-ecclésiale et de la mobilisation en retour d’une rhétorique défensive. Enfin, nous traiterons de la manière dont, une décennie plus tard, la publicisation des scandales d’abus commis au sein des Béatitudes contribue au craquellement de cette rhétorique défensive sur les dérives sectaires.

  • 13 Nous tenons ici à remercier les archivistes Florence Garel et Gerrit Vanden Bosch ainsi qu’Allison (...)
  • 14 Florence Nicol, Jean-François Ballanger, 2009, Dans l’enfer des « Béatitudes », 3e Œil productions (...)

8On s’appuiera pour cela sur un travail de dépouillement d’archives conduit au Centre national des Archives de l’Église de France, spécialement dans les fonds du Secrétariat Général de l’Épiscopat, ainsi qu’aux Archives de l’Archidiocèse de Malines-Bruxelles et à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine13. Les sources recueillies sont principalement composées de comptes rendus de réunions (entre évêques ou responsables de communautés/groupes de prière) portant sur la régulation du courant charismatique, de correspondances entre des membres de la hiérarchie ecclésiale et des membres ou anciens membres de groupements charismatiques catholiques. Deux dossiers plus spécifiques, portant sur la réception médiatique et la fabrication des NdE au sein des Éditions du Seuil, permettent de compléter cette approche. Enfin, nous nous basons également sur l’analyse d’ouvrages internes, d’articles parus dans la presse catholique (La Croix, La Vie etc.) et grand public (Le Monde, Le Parisien etc.), ainsi que de plusieurs films documentaires télévisuels traitant de ces questions14.

L’affaire Storey et la question des dérives du renouveau charismatique depuis les années 1970

  • 15 Le baptême dans l’Esprit est un moment de rencontre personnelle avec l’Esprit Saint.
  • 16 Les charismes sont des dons de l’Esprit Saint, aux expressions protéiformes.

9Lors de la parution des NdE, la dénonciation d’un certain nombre de dérives au sein de communautés charismatiques est loin d’être un phénomène inconnu à l’intérieur de l’Église catholique. L’héritage pentecôtiste de ces groupements provoque, dès leur émergence à la fin des années 1960, plusieurs controverses que nous pouvons regrouper en deux catégories. La première porte sur la pratique du baptême dans l’Esprit15 et l’expression de charismes16. Ces deux phénomènes impliquent non seulement un ensemble de questionnements théologiques quant à leur compatibilité avec la doctrine catholique (Laurentin, 1974), mais sont également sources de débats portant sur leurs modalités d’expression. La seconde salve d’objections porte sur les contours de l’autorité exercée par les responsables de ces groupements, tant vis-à-vis de leurs membres que de la hiérarchie ecclésiale (Massyngberde, 1976 ; Ciciliot, 2021b : 160-163).

10Concernant ces deux séries de critiques, le cas le plus emblématique en terrain francophone est la publication en mai 1976 du Renouveau charismatique interpellé par le dominicain Jean-René Bouchet (1936-1987) et le père Henri Caffarel (1903-1996) (Bouchet, Caffarel, 1976). L’ouvrage est divisé en trois parties : une réflexion théologique rédigée par Bouchet, une seconde partie plus pastorale par Caffarel, ainsi qu’une longue annexe (plus d’un tiers du livre) composée de deux documents. Si les textes des deux auteurs appellent à un discernement resserré vis-à-vis de pratiques charismatiques qu’ils jugent non conformes à la doctrine catholique, le premier texte de l’annexe fait état de dérives autoritaires qui « ont engendré de très sérieux abus et qui […] rendent […] probable l’apparition d’autres abus du même genre » (ibid. : 100). Il s’agit de la traduction française d’un entretien accordé en mai 1975 par William Storey (1923-2014) au magazine étasunien A.D. Correspondance. Liturgiste et historien à l’Université de Notre-Dame en Indiana, il est l’un des « initiateurs » en 1967 du Renouveau charismatique, dont il s’est ensuite rapidement écarté. Cet entretien s’inscrit dans le sillage d’une affaire plus large sur laquelle il convient de revenir, car elle présente des similitudes avec la réception intra-ecclésiale des NdE.

11En avril 1975, Storey publie un dossier compilant cinq témoignages de victimes d’abus spirituels ; il s’agit d’anciens membres d’une communauté charismatique étasunienne récemment dissoute, la True House Community. Le dossier met notamment l’accent sur la pratique de breakthrough ministries, que l’on peut traduire imparfaitement par « ministères de délivrance ». Dans l’un des témoignages, un ancien membre, alors étudiant à l’Université de Notre-Dame, décrit avec précision la teneur de ces breakthrough ministries et les dérives qu’ils occasionnent :

1) The household head would submit the name of a community member under their charge who was having “problems”;

2) my task was to consult with the household superior in order to gather useful data on the individual’s history, his family’s history, and certain weaknesses in the person’s psychological make-up;

3) without forewarning, and in the middle of the night, the individual was roused out of bed and taken to the coordinator’s house. In a darkened room, the individual would be subjected to an intense questioning until he admitted failure. After this admission, he would be required to make a general confession of his sins (from childhood onward) to the coordinator. He was then prayed over for that was termed a “healing of memories”;

4) the coordinator would then employ the Roman rite of exorcism, calling “demons” out of the person. In some instances, the individual’s personal belongings were burned in the fireplace during the course of the exorcism (e.g. clothing and books);

5) finally, the individual was forced to make certain promises. These promises covered a wide spectrum of the person’s life. The most standard practice was to elicit an oath not to confess the ministry to a priest […]

  • 17 Archief van het Aartsbisdom Mechelen-Brussel, Archivum Leo Jozef Suenens, 3.2.6, critiques au suje (...)

The leader who was responsible for conducting these break-through ministries had made over sexual gestures towards several male members of the community. Because he was also a national leader in the movement, the general leadership of the renewal was forced to act. I urged that the problem was one of how authority in the community allowed the situation to go unchecked for so long. However, my suggestions were disregarded, and the leader was forced to leave the community for reasons of scandal and homosexuality. There can be little doubt that other communities have a similar political structure with an identical understanding of authority17.

  • 18 L’affaire est reprise largement dans plusieurs médias au cours des mois suivants. Le National Cath (...)
  • 19 Cette déclaration est d’abord transmise à des responsables de communautés, puis publiée partiellem (...)

12À l’instar de l’auteur du témoignage, Storey voit dans les abus perpétrés au sein de cette communauté un cas typique, représentatif de phénomènes plus profonds à l’œuvre au sein du courant charismatique, renvoyant à la question de l’exercice de l’autorité. Le dossier est envoyé à plusieurs évêques étasuniens en contact avec la mouvance, à des responsables de communautés, au Vatican et à Léon-Joseph Suenens (1904-1996), cardinal belge « protecteur » du Renouveau (Ciciliot, 2019 : 263-267). Face à la publicisation du dossier provoquée par l’interview de Storey18, Suenens est le premier destinataire à publier une déclaration19, le 1er mai 1975.

  • 20 AAMB, ALJS, 3.2.6., critiques au sujet du Renouveau, critiques de W. Storey, déclaration de Suenens (...)

La lecture de ces différents documents, basés avant tout sur ce qui s’est passé, il y a quelques années, […] est pénible et douloureuse. Cela crée inévitablement une impression de « ab uno disce omnes », qui est profondément injuste et ce d’autant plus que cette communauté a cessé d’exister. Le fait de révéler à un large public la faiblesse de certains de ses membres […] me fait l’effet d’un grave manquement à la justice et à la charité […]. Cette machination ne porte pas le sceau du Saint-Esprit et la critique, conçue de cette manière, n’est pas constructive, mais destructive20.

  • 21 Cette défense s’inscrit dans un contexte plus général : Suenens, qui se trouve encore (relativemen (...)

13La réponse claire du primat de Belgique illustre un positionnement défensif21, classique au sein du catholicisme contemporain, face aux accusations de dérives. Le lien entre les abus spirituels (ritualisés lors de ces breakthrough ministries) et sexuels (commis par le responsable James E. Byrne) est nié, et la publicisation du dossier est perçue comme une machination visant l’Église tout entière. Tout en publiant l’intégralité de l’entretien de Storey en annexe, Bouchet et Caffarel notent avec précaution qu’il est « difficile, à distance, d’apprécier exactement le bien-fondé des jugements formulés » (Bouchet, Caffarel, 1976 : 88).

  • 22 Cette opinion est alors répandue dans les milieux charismatiques catholiques français (Catta, Peyr (...)

14En France, si la parution de l’ouvrage entame en partie la respectabilité du courant, spécialement auprès d’un corps épiscopal déjà rétif (Landron, 2004 : 319-320), aucun groupement n’est explicitement nommé. De plus, elle survient dans les premières années de l’histoire du Renouveau charismatique hexagonal, alors que la plupart des communautés sont encore peu structurées. Nombre d’entre elles entament un travail d’euphémisation des éléments les plus pentecôtistes de leurs pratiques (Cohen, 1997). Enfin, les situations d’abus dénoncées ne concernent que des communautés étasuniennes, a priori plus influencées par le pentecôtisme et considérées comme moins « ancrées » ecclésialement22.

15Vingt ans plus tard, la filiation avec le travail de Bouchet et Caffarel est explicitement revendiquée par les auteurs des NdE dans leur introduction. « D’aucuns pourraient sans rire qualifier leur ouvrage de prophétique, tant il est vrai que rien de leurs réserves, craintes et avertissements ne peut être démenti » (Baffoy, Delestre, Sauzet, 1996 : 18). Il est intéressant de noter que l’entretien de Storey est, lui, jugé « très sévère » (ibid.). Le commentaire qui en est fait relève bien une « forme de dérive fondamentaliste et sectaire » (ibid.), sans pour autant reprendre le terme « d’abus ». Ce parti pris irrigue d’ailleurs toute la construction de l’ouvrage, sur laquelle il convient désormais de revenir.

L’abus au prisme de la manipulation mentale

  • 23 D’autres coordinateurs ont préféré ne pas apparaître sur la couverture (Landron, 2004 : 422).

16Les naufragés de l’Église est un ouvrage collectif, coordonné par Thierry Baffoy, Antoine Delestre et Jean-Paul Sauzet23. Le premier, décédé en 2012, est un sociologue et anthropologue proche pendant une période du Chemin Neuf, sans en être membre. Il s’engage dès la fin des années 1970 dans la lutte contre les sectes. Antoine Delestre (1945-2015) est un sociologue, ancien membre de la Famille de Nazareth, fondée en 1961. Jean-Paul Sauzet, enfin, philosophe et psychanalyste, est un ancien membre de la Théophanie, fondée en 1972 et dissoute en 1996.

17L’ouvrage est composé de trois parties, répondant à une logique globale de montée en généralité. La première consiste en une série d’entretiens conduits par Sauzet auprès d’anciens membres du Chemin Neuf, du Pain de Vie (fondée en 1976, dissoute en 2015), des Béatitudes et de la Sainte Croix (fondée en 1972, dissoute en 1984). Les engagements sont courts, et le niveau de responsabilité interne est généralement assez bas. Ils décrivent une vie quotidienne éreintante, une pression communautaire forte – cristallisée autour de l’interdiction de verbaliser la critique – entraînant un climat de suspicion, ainsi qu’une dépossession de leurs biens et de leurs libertés. Dans un second temps, sept récits autobiographiques sont déroulés. Ils portent sur des engagements plus longs, et des niveaux de responsabilité plus élevés. Les communautés évoquées sont ici la Sainte-Croix, la Famille Nazareth, le Chemin Neuf, la Théophanie et, enfin, les Fondations du Monde Nouveau, fondées en 1974. La question des dérives autoritaires des fondateurs est ici centrale. La dernière partie est composée de cinq textes de longueurs inégales, consacrés à des considérations sociopsychologiques sur les causes des dérives sectaires. Les objets analysés sont extrêmement divers (critique de méthodes d’évangélisation, analyse psychanalytique de la figure du fondateur, note sur l’enfermement psychologique, etc.). Une conclusion s’interroge sur les relations entre ces communautés et l’institution ecclésiale.

18En dehors de l’extrême hétérogénéité des types de textes rassemblés, la première chose qui frappe le lecteur est la quasi-absence du terme d’abus. Alors que « la problématique du pouvoir, de l’exercice de l’autorité dans les communautés et des phénomènes de soumission traverse l’ensemble de l’ouvrage » (ibid. : 16), le mot « abus » n’apparaît qu’à cinq reprises sur plus de 300 pages. Les auteurs lui préfèrent les termes de « troubles » (ibid. : 14), « dérives » (ibid.), « perversions » (ibid.), « excès » (ibid. : 31), « problèmes » (ibid. : 41), « dérapage » (ibid. : 81), « emprise » (ibid. : 82), « séduction manipulation » (ibid.) ou « viol des consciences » (ibid. : 183). Ces choix sémantiques illustrent à quel point le cadre analytique des auteurs est marqué par le contexte français de lutte contre les sectes, particulièrement vivace dans cette seconde moitié des années 1990. En effet, comme le note Nathalie Luca, un « mot-clé de la lutte contre les sectes en France, qui mobilise particulièrement les Français au nom de la défense spécifique de la liberté de l’esprit, est celui de ‟manipulation mentale” » (Luca, 2002 : 123). Cette catégorie (ainsi que des notions connexes comme celle de « lavage de cerveau »), utilisée dans les années 1970 aux États-Unis (Zablocki, Robbins, 2001 : 71-98 ; 159-214), est importée en France à la fin des années 1970 « par le biais des associations antisectes » (Ollion, 2017 : 73). Elle se diffuse progressivement dans la société, jusqu’à participer d’un cadrage du travail législatif entamé au début des années 1980. Ce phénomène induit donc le développement de concepts et de méthodes tournés vers l’étude de preuves psychosociologiques de la manipulation.

19Or, à l’intérieur même des NdE, ce tropisme tend à induire une focalisation sur des cas de « manipulation mentale », éclipsant par-là certains phénomènes d’abus sexuels. À ce titre, le récit sur les Fondations du Monde Nouveau est exemplaire. Il s’agit de l’un des textes les plus détaillés de l’ouvrage. L’auteur, l’un des premiers membres de la communauté, décrit avec précision le cheminement de l’un des fondateurs. Ce dernier fait rapidement preuve d’un autoritarisme grandissant qui, malgré les inquiétudes de quelques membres de la hiérarchie ecclésiale (Baffoy, Delestre, Sauzet, 1996 : 191, 224), n’est pas réfréné. L’auteur évoque le tournant de la crise de 1991, qui entraîne l’éviction de ce fondateur, sans mentionner les accusations d’abus sexuels sur une dizaine de femmes du mouvement (Landron, 2004 : 416). Ce cadre interne étant posé, nous pouvons à présent aborder la question de la réception de l’ouvrage au sein du catholicisme français.

La reproduction du silence : mise en place d’une rhétorique défensive face aux accusations de dérives sectaires

20Le 14 mai 1996, veille de la parution des NdE, la rubrique « Société » du Monde titre : « l’Église catholique est accusée d’abriter des sectes ». Henri Tincq (1945-2020), spécialiste des questions religieuses au quotidien, délivre une première recension de l’ouvrage qui donne le ton de la réception à venir.

  • 24 Source : https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/05/14/l-eglise-catholique-est-accusee-d-abri (...)

Longtemps considérées comme des moyens de faire barrage à la séduction des sectes, les communautés charismatiques sont rattrapées aujourd’hui par leur réputation. Le livre […] lève des tabous. Mais il a aussi toutes les faiblesses d’un règlement de compte, bâti à partir de récits, de témoignages et d’analyses d’anciens membres exclus et déçus […]. Toutefois, les traits communs dégagés par cet ouvrage sont suffisamment accablants pour que le discrédit atteigne l’ensemble du Renouveau charismatique. […] Tous ces griefs ne sont sans doute pas suffisants pour intenter un procès en sorcellerie et confondre les communautés charismatiques avec les « sectes » décrites dans le récent rapport de la commission d’enquête parlementaire. […] Le Renouveau a mis fin à ses péchés de jeunesse, mais, même à la faveur d’un livre contestable, doit se laisser interroger sur sa transparence et sa démocratie interne24.

  • 25 CNAEF, 57-CE-182, dossiers thématiques…, article du Monde du 14 mai 1996.

21L’article est complété par un entretien avec le père Jean Vernette (1929-2002), délégué de l’épiscopat pour les nouveaux mouvements religieux. Il précise que si la prise de parole de ces « témoins » doit être entendue, « il serait dommage que leur souffrance […] soit l’occasion de jeter le discrédit sur tout le Renouveau, car celui-ci représente une chance pour l’Église25 ». L’institution ecclésiale est, selon lui, apte à prendre en charge le type de dérives dénoncé dans l’ouvrage. De plus, la radicalité des engagements promus par des communautés religieuses, charismatiques ou non, ne doit pas être nécessairement amalgamée à une forme de manipulation mentale.

22L’épiscopat réagit le même jour par la voie d’un communiqué en quatre points (les deux premiers ont été évoqués en introduction) :

1) […] Ce sont des constats d’échec encore douloureux. Une souffrance exprimée mérite le respect et il faut sûrement entendre les questions posées.

2) Mais ces récits […] ne font guère la part de ce que ces expériences ont comporté de positif. […] Ils ressemblent trop à un réquisitoire.

3) Veut-on accréditer le fait qu’il y aurait des sectes dans l’Église catholique ? Le sous-titre semble l’indiquer et nous ne pouvons l’admettre. Les communautés catholiques issues du Renouveau, qui possèdent un statut canonique, sont clairement situées dans l’Église.

4) La vigilance pastorale des évêques […] est soupçonnée. Là encore, on peut entendre des questions, mais on ne peut accepter des jugements sans nuances, et parfois franchement désinvoltes.

  • 26 CNAEF, 57-CE-182, dossiers thématiques…, déclaration « À propos d’un livre… » du 14 mai 1996.

Les auteurs paraissent ignorer ce qui a été fait […] notamment par la rédaction de statuts qui précisent les droits et les devoirs de chaque personne à l’intérieur des communautés26.

  • 27 CNAEF, 57-CE-182, dossiers thématiques…, article du Progrès du mercredi 15 mai 1996.
  • 28 CNAEF, 132-CO-94, pastorale de santé et Renouveau charismatique, communiqué du Chemin Neuf du 20 m (...)

23Le lendemain, Jean Balland (1934-1998), alors archevêque de Lyon, prend la défense du Chemin Neuf dans Le Progrès27. Cette communauté introduit d’ailleurs, auprès du Tribunal de Grande Instance de Paris, une demande de référé visant à placer un encart dans chaque livre, précisant leurs statuts associatifs et canoniques, et dans lesquelles elles affirment « ne pas constituer un mouvement sectaire28 ». Le TGI de Paris se déclare incompétent et, très vite, la communauté publie un communiqué émanant de trois responsables. Ils dénoncent notamment des calomnies rédigées sur leur vie communautaire. En réponse à ces accusations, ils soulignent l’efficacité des « solidarités ecclésiales » (ibid.), spécialement entre les communautés charismatiques : « Nous sentions, en effet, qu’au-delà de nos propres communautés, c’était, une fois de plus, l’Église catholique qui était visée. Les manœuvres de division n’ont pas marché ! » (ibid.).

24Le 25 mai, enfin, le jésuite Henri Madelin (1936-2020), rédacteur en chef de la revue Études, rend compte de l’ouvrage pour La Croix. Tout en soulignant combien les questions posées doivent être prises en compte, il écrit :

  • 29 Source https://www.la-croix.com/Archives/1996-05-25/Le-renouveau-charismatique-a-l-epreuve-du-disc (...)

De telles affirmations péremptoires ont l’inconvénient de tout mettre dans le même sac […]. Il est difficile de soutenir que des « sectes » sont installées au cœur du dispositif catholique […]. Ceux qui tiennent la plume parlent de membres qui ont pris la décision de quitter le navire […]. Ces pratiques montrent que l’on ne vit pas, au fil du temps, dans le bétonnage total d’une entreprise sectaire. Le livre ne fait pas assez sentir que les communautés charismatiques sont diverses et ne peuvent être mises sur un même plan. Elles sont encore jeunes et manifestent une audace qui tient à leur recrutement juvénile29.

25Si ces réactions diffèrent par leur nature et leur contenu, elles sont, à des degrés divers, significatives d’une rhétorique catholique défensive face aux accusations de dérive. Cette rhétorique n’est en soi pas originale et, malgré des contextes distants, de nombreux traits sont déjà présents dans l’affaire Storey citée plus haut. Elle se trouve cependant remobilisée et renforcée à la faveur de la séquence de réception des NdE, marquée par un contexte sociopolitique de lutte contre les sectes. Nous pouvons en distinguer trois axes :

  • 30 CNAEF, 132-CO-94, pastorale de santé…, communiqué du Chemin Neuf du 20 mai 1996.

26Dénoncer une incompréhension de la radicalité chrétienne. Les réactions précitées soulignent la difficulté de regrouper sous un même qualificatif des communautés catholiques avec des groupements visés par la commission d’enquête parlementaire sur les sectes. Derrière cela affleure la question de la distinction entre une dérive sectaire et la promotion d’une radicalité chrétienne. Dans le communiqué du Chemin Neuf, l’un des rédacteurs précise par exemple que « saint Ignace fut accusé d’être un ‟Illuminé” et mis en prison […]. Aujourd’hui ces groupes n’existent plus mais la Compagnie de Jésus existe encore !30 ». Cette frontière est d’autant plus sensible que, comme le note Tincq, de nombreuses communautés charismatiques se sont très tôt érigées en première ligne dans la lutte anti-secte. Philippe Madre, diacre et médecin, dirigeant des Béatitudes entre 1985 et 1992, a par exemple publié plusieurs articles et ouvrages contre les « nouveaux mouvements religieux » (Sanchez, Madre, 1989 ; Madre, 1991). Enfin, cette radicalité, lorsqu’elle se mue en dérive, est assimilée à un excès dû à l’inexpérience, une erreur de jeunesse. Madelin évoque à ce titre, une « audace qui tient à leur recrutement juvénile » ;

27Une défense a priori de l’institution ecclésiale, et plus spécifiquement de la performativité de son droit. Les communautés charismatiques mises en cause ne peuvent être considérées comme des sectes puisqu’elles disposent, pour la plupart, de statuts de droit diocésain ou pontifical. Ces statuts accordés sont donc la preuve de leur ecclésialité. Cette ecclésialité est à comprendre au sens des « critères d’ecclésialité » développés dans l’exhortation apostolique Christifideles Laici, publiée en 1988 par le pape Jean-Paul II (Jean-Paul II, 1988). Remettre en cause cet état de fait revient à critiquer le travail de discernement des évêques qui ont accordé ces statuts. Le corps épiscopal comme instrument de régulation, tant dans l’élaboration que l’application de ces règlements, est une pierre angulaire cette défense. Dans leur déclaration, les évêques français évoquent d’ailleurs des « jugements sans nuances, et parfois franchement désinvoltes » quant à leur « vigilance pastorale » ;

  • 31 Revue fondée en 1985, à destination de « clercs ou laïcs en rupture de ban ». Source : https://www (...)

28Un positionnement obsidional face à la critique. Ce dernier axe, qui sous-tend les deux précédents, est sans doute le plus notable. Cette obsidionalité peut s’exprimer très directement, comme dans la déclaration des responsables du Chemin Neuf (« C’était, une fois de plus, l’Église catholique qui était visée. Les manœuvres de division n’ont pas marché »). Elle peut également être formulée de manière plus indirecte, en mettant en cause les intentions profondes des auteurs. Tincq parle ainsi « d’anciens membres exclus et déçus ». Leur positionnement intra-ecclésial peut également être relevé. En ce sens, une proximité supposée avec des milieux contestataires, comme ceux de la revue Golias31, fonctionne comme un marqueur clair et une ressource de disqualification (Landron, 2004 : 421). En bref, le « diviseur », par son profil, son parcours, ses intentions ou ses méthodes, cherche à nuire à l’Église dans son ensemble. Notons que cette crainte de la division est ancrée jusque dans le sens grec du mot « diable » (diabolos, celui qui divise). Au-delà de ce détail étymologique, on retrouve ce rejet a priori de la division, et donc de la publicisation du scandale, dans nombre de témoignages de victimes d’abus qui évoquent les difficultés à faire avancer leurs dossiers au sein de l’Église (Ducrey, 2019).

29De leur côté, les auteurs des NdE réagissent rapidement à ce rejet massif. Le 16 juin 1996, l’un d’eux rédige une lettre à l’intention des évêques, responsables de groupements et prêtres qui se sont exprimés publiquement au sujet de l’ouvrage :

  • 32 CNAEF, 57-CE-182, dossiers thématiques…, lettre de P. L.V. du 16 juin 1996.

Je suis attristé par les écrits et les réactions qui tendent à discréditer les témoins courageux qui s’expriment dans cet ouvrage, accusés ici de régler des comptes, là de vouloir déstabiliser l’Église. Alors que le livre ne se présente ni comme une condamnation, ni comme un réquisitoire. […] Je suis attristé par les prises de position qui tendent à minimiser les comportements, attitudes, systématisations énoncés. […] Comme si ces témoins étaient des cas particuliers […]. Comme s’il s’agissait de simples erreurs de jeunesse de ces mêmes communautés […]. De nombreuses réactions font une totale impasse sur les pratiques mises en cause. […] Je suis attristé encore par les comportements et attitudes des communautés issues du Renouveau charismatique. Ce livre aurait pu être l’occasion pour elles de s’amender […]. Au lieu de cela […], elles ont choisi les voies de la procédure judiciaire, de la condamnation, de l’accusation, du discrédit, de la fuite (sous couvert de reconnaissance canonique). […] Dire une parole critique (et quoiqu’elle s’appuie sur des faits), c’est être perçu par l’interlocuteur comme un opposant, un opposant personnel, un opposant à la communauté, au Renouveau, et bien sûr, à partir de la perception que ces communautés ont d’elles-mêmes, un opposant à l’Église tout entière. […] Faudra-t-il que soit fait un état de réalités plus graves, plus douloureuses pour que les problèmes soulevés soient entendus32

  • 33 CNAEF, 57-CE-182, dossiers thématiques…, note du 21 mai 1996.
  • 34 CNAEF, 51-CE-103, instance de communion du Renouveau charismatique catholique, compte rendu de la (...)
  • 35 Institut Mémoires de l’édition contemporaine, 166SEL-771-1, dossier de fabrication des Naufragés d (...)
  • 36 IMEC, 166SEL-771-1, dossier de fabrication…, fiche… du 6 mai 1996.
  • 37 IMEC, 166SEL-771-1, note manuscrite récapitulative des impressions successives entre le 6 mai et l (...)
  • 38 Source : https://www.lexpress.fr/informations/saintes-ecritures-edition-la-vague-spirituelle_61475 (...)

30Du côté de l’épiscopat, cette lettre n’engendre aucune réaction. Diffusée quelques jours plus tôt, et devant les sollicitations médiatiques, une note interne préconise aux évêques et responsables de ne plus réagir à l’affaire33. Pour ces derniers, les auteurs de l’ouvrage sont qualifiés de « malhonnêtes »34 en réunion. Ce silence massif est proportionnel à la large diffusion de l’ouvrage au sein de la société française. Tiré initialement à 5 000 exemplaires par les Éditions du Seuil auprès des imprimeries Bussière Camedan (et Jean Mussot pour la couverture35), il est réimprimé une semaine avant la sortie à 3 000 exemplaires36. Jusqu’à la fin du mois d’août 1996, les NdE connaissent six réimpressions successives pour arriver à un tirage total d’environ 18 000 exemplaires37. Ce succès éditorial doit, bien entendu, être replacé dans un contexte général de bonne performance des titres de littérature « spirituelle » en librairie38. De plus, en dehors de cette opposition au sein du monde catholique (particulièrement de sa hiérarchie et des groupements mis en cause), la réception médiatique de l’ouvrage est plus nuancée (voir l’encadré n° 1 ci-dessous).

  • 39 Nous nous basons ici sur le dossier de presse constitué par les Éditions du Seuil autour de l’ouvr (...)
Encadré no 1 – Tableau récapitulatif des types de réception de l’ouvrage Les naufragés de l’Esprit par la presse écrite en Europe francophone entre mai 1996 et décembre 199739
Très négative Plutôt négative Neutre/descriptive Plutôt positive Très positive
Le Progrès 15/05/96 Écho, CH 25/05/96 Les Dernières Nouvelles d’Alsace 26/05/96 France catholique 31/05/96 Famille Chrétienne Juin 96 Le Monde 14/05/96 La Vie 23/05/96 La Croix Ter, 25/05/96 Le messager évangélique, CH* 16/06/96 Évangile aujourd’hui Novembre 96 Sources et vie dominicaine, CH mars-avril 97 La Croix 15/05/96 Le Soir, B 20/05/96 L’Express 23/05/96 Pèlerin magazine 24/05/96 La Croix Bis, 24/05/96 Le Dauphiné libéré 31/05/96 La Savoie Hebdo 07/06/96 Le Monde diplomatique Août 96 La République du Centre 10/10/96 Le Courrier savoyard 13/12/96 Midi Libre 19/05/96 La Libre, B 06/08/96 L’Est-Éclair 15/09/96 Panorama 23/10/96 La Libre, B Bis, 24/12/96 Libération 21/05/96 L’École des parents Mai 96 Le canard enchainé 05/06/96 Père Ubu, B 27/06/96 Hommes et libertés Juin-août 96 Le Spectacle du monde Septembre 96 Psychologies magazine Octobre 97 Choisir, CH Décembre 97

31Presque un an après la parution des NdE, le jésuite Étienne Garin (1928-2021), lui-même engagé dans le courant charismatique depuis les années 1970, s’étonne dans une recension pour la Nouvelle Revue Théologique que « si toutes les réactions dans la presse récusent le terme de ‟secte”, aucune ne met en question le bien-fondé des nombreuses questions posées tout au long de l’ouvrage » (Garin, 1997 : 86). Tout en mobilisant à son tour des éléments de la rhétorique défensive précitée (ibid. : 88), l’auteur décentre le débat en posant notamment la question de la régulation effective de ces communautés par les différents échelons de la hiérarchie ecclésiale. Si « l’interventionnisme de la part des évêques » (ibid. : 90) lui semble contraire à la responsabilisation du laïcat voulue par le concile Vatican II (1962-1965), il plaide cependant pour un meilleur discernement des pratiques (notamment spirituelles) à l’œuvre dans les groupements charismatiques. En conclusion, il note que « leur ouvrage peut devenir un instrument précieux tant pour les responsables d’Église que pour les chrétiens qui osent se lancer dans un engagement communautaire » (ibid. : 97).

  • 40 La séquence de publicisation des scandales sexuels des années 2010 tend à produire, au moins en pa (...)
  • 41 Selon elle, la parution de l’enquête d’Anne Devailly (1990) a aussi joué un rôle « de catalyseur d (...)

32Pour les communautés mises en cause, le traumatisme reste vif, et leur méfiance (déjà présente) vis-à-vis de toute forme de regard réflexif s’accroît40. Dans son ouvrage sur le courant charismatique français, issu d’une thèse défendue en 1998, la politiste Christine Pina décrit cette méfiance, constitutive des « aléas » de son enquête (Pina, 2001 : 51-56). À propos de ses relations avec les Béatitudes, elle note qu’une « suspicion plus générale semblait se développer sur les raisons motivant la recherche en elle-même, son utilisation future, les relations entretenues avec la presse : le travail de terrain en préparation n’avait-il pas pour but de déstabiliser la communauté, de faire un procès au Renouveau charismatique en son entier41 ? » (ibid. : 52). À cela vient s’ajouter, dans cette seconde moitié des années 1990, un contexte de politisation du catholicisme français, fortement ancrée dans une rhétorique obsidionale. La promulgation des premières lois de bioéthique (1994) et du Pacte civil de solidarité (1999) sont en effet vécues comme des attaques directes contre les conceptions catholiques de la vie et la famille (Raison du Cleuziou, 2019).

  • 42 CNAEF, 75-CE-17, Secrétariat P. Quris, assemblées générales Renouveau charismatique catholique, co (...)
  • 43 Cette intervention servira d’ailleurs à la rédaction d’un document sur la bonne pratique de l’acco (...)
  • 44 Cité dans : « Des gourous dans les couvents », https://www.lavie.fr/archives/2001/2894/34580, cons (...)
  • 45 L’Avref est une association d’aide aux victimes d’abus commis dans des communautés catholiques. Il (...)
  • 46 Source : https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/05/15/l-eglise-se-dote-d-un-service-pour-lut (...)

33Il serait cependant inexact d’affirmer que la publication des NdE n’a produit aucun effet ad intra. En novembre 1996, l’un des contributeurs intervient par exemple dans une assemblée générale des instances de régulation française du charismatisme afin d’exposer les problèmes que pose, selon lui, la gestion de l’autorité au sein du courant42, notamment dans la pratique de l’accompagnement spirituel43. En 1999, le groupe Gamaliel est créé sous l’égide du père Vernette, en lien avec la hiérarchie épiscopale, dans le but d’enquêter sur de possibles dérives sectaires à l’œuvre au sein de communautés postconciliaires (Louis, 2011 : 198). Dans une lettre d’information hebdomadaire du Service national de l’opinion publique du 15 janvier 2001, ce dernier déclare que les risques de dérive sectaire sont réels, et préconise une écoute plus systématique des victimes. Ces ex-membres « souhaitent être entendus et accueillis par la “grande Église”. C’est souvent parce qu’ils n’ont pu exprimer leur souffrance qu’ils vont malheureusement la “crier” ailleurs, et que plusieurs sont tentés de saisir les médias44 ». La même année, le groupe se structure en véritable « service » intégré à la hiérarchie épiscopale. Dans ce cadre, et suite à leur audition par la CEF, les responsables de l’association Vie religieuse et familles45, fondée deux ans plus tôt, en décembre 1998, déclarent espérer « que la commission ne sera pas seulement une structure d’écoute, mais d’abord une structure de décision »46. Cependant, après cette déclaration et le décès de Vernette en 2002, la commission semble n’avoir mené que peu d’actions à visée prescriptive. Il faut attendre la fin des années 2000, et surtout le début des années 2010, pour que les « réalités plus graves » et « plus douloureuses » mentionnées plus haut soient largement publicisées.

Le craquellement du silence : les affaires des Béatitudes

  • 47 Source : https://www.leparisien.fr/faits-divers/enquete-sur-une-serie-de-suicides-dans-une-communa (...)

34Aucun parcours exposé dans les NdE ne fait référence à des cas d’abus sexuels. Il peut donc paraître erroné d’établir un lien, comme nous l’avons fait en introduction, entre la situation d’une communauté comme les Béatitudes au début des années 1990 et la mise en examen de Pierre-Étienne Albert en 2008. Après tout, le témoignage de Janine et Félix (Baffoy, Delestre, Sauzet, 1996 : 47-54), engagés pendant un an et demi au sein du mouvement, ne dénonce « que » des phénomènes de sous-nutrition, de surcharge de travail, d’autoritarisme, de suspicion collective et de manque d’organisation pratique. Cependant, le couple mentionne le lieu de leur incorporation dans le mouvement : l’abbaye de Notre-Dame d’Autrey (Vosges). En 1988, la communauté y ouvre une formation proche de la formule d’un petit séminaire (vie de prière, insistance sur le discernement vocationnel, etc.) destinée à des garçons en classe de troisième et jusqu’à la terminale. En 2008, à la faveur de l’affaire Pierre-Étienne Albert, une autre enquête est ouverte après huit cas de suicide d’anciens élèves47. Certains d’entre eux accusent un dirigeant de la structure d’avoir perpétré, pendant plusieurs années, des abus sexuels avec la complicité d’autres responsables. De plus, des pratiques similaires aux breakthrough ministries, dénoncées par Storey en 1975, sont rapportées. Sans amalgamer ces abus avec l’expérience de Janine et Félix, il est clair que ces deux cas participent d’un même système d’abus dénoncé depuis 1996. Les mêmes traits, rapportés par le couple, sont relatés par l’un des anciens élèves (ibid.).

  • 48 Sur son blog, l’historien français Anthony Favier publie en janvier 2021 un article complet, récap (...)
  • 49 Ephraïm est le fondateur de la communauté, ordonné diacre en 1978. Même s’il en quitte officiellem (...)
  • 50 CNAEF, 88-CE-17, Secrétariat du P. Quris, instance du Renouveau charismatique 2004-2005, CR du 1er(...)
  • 51 CNAEF, 88-CE-17, Secrétariat du P. Quris…, CR du 14 septembre 2004.
  • 52 Ce statut de droit pontifical accorde une certaine liberté de structuration et de gouvernance à de (...)
  • 53 Source : https://www.la-croix.com/Archives/2003-01-25/Dossier-_NP_-2003-01-25-174742, consulté le (...)
  • 54 Source : https://www.ladepeche.fr/article/2008/05/02/451655-castres-beatitudes-de-saint-luc-l-affa (...)
  • 55 Source : https://www.ladepeche.fr/article/2009/01/20/526890-beatitudes-de-nouvelles-actions-judici (...)

35En réalité, entre 1996 et 2008, de multiples plaintes jalonnent le parcours des Béatitudes. Le cas de Pierre-Étienne Albert, connu par sa hiérarchie communautaire depuis 1989, est par exemple judiciarisé une première fois en 2001. Il ne s’agit pas ici de revenir de manière exhaustive sur la chronologie de ces plaintes48. Précisons simplement qu’à partir de 2004, elles deviennent incontournables pour la hiérarchie ecclésiale. Le 1er décembre, à l’occasion d’une réunion du comité épiscopal chargé de l’accompagnement du courant charismatique, il est question « des accusations contre certains bergers (Philippe Madre, Ephraïm49…) ». Le rédacteur du compte rendu note : « vers des procès canoniques… au moins !50 ». Parmi les évêques, certaines voix s’élèvent alors pour questionner l’efficacité de la régulation entreprise vis-à-vis de ces communautés. Un évêque de l’Ouest déclare par exemple lors d’une réunion de septembre de la même année : « Quel est le pouvoir réel d’un évêque ? Une bénédiction initiale et ensuite… Que sait-il ? Que peut-il ? Quel contrôle ?51 ». Pourtant, d’un point de vue externe et vis-à-vis du Vatican, la situation de la communauté semble tout à fait encourageante. En effet, en décembre 2002, après quatre ans de négociations, elle obtient le statut canonique d’association privée de fidèles52. En janvier 2003, Fernand Sanchez, dirigeant de 1992 à 2000, déclare dans La Croix que « dans un contexte de chasse aux sectes, il est important de pouvoir affirmer que ce que l’on vit a été vérifié et validé par l’Église universelle53 ». Comme il est d’usage, ces statuts sont promulgués ad experimentum pour une durée de cinq ans, avant d’être (en principe) définitivement appliqués. Cependant, l’accélération du rythme des accusations, ainsi que plusieurs dissensions internes (Donneaud, 2015 : 107-108), viennent progressivement enrayer ce processus. En avril 2005, Myriam et Pascal Michelea, membres de la communauté du château Saint-Luc de Cuq-les-Vielmur (Tarn) de 1998 à 2002, déposent une plainte pour escroquerie et abus de faiblesse. Début 2007, le couple publie chez Golias un ouvrage dénonçant les pratiques « psychospirituelles » dont ils ont été victimes au sein des Béatitudes (Michelena, Michelena, 2007). Au printemps 2008, quelques semaines après la mise en examen de Pierre-Étienne Albert, le tribunal de Castres classe leur affaire sans suite. La chronique qui est faite de cette décision dans La Dépêche du Midi précise que « dans son ordonnance de renvoi […] la juge d’instruction estime en effet qu’il n’y a pas eu abus de faiblesse mais plutôt un ressenti de “manipulation mentale”, une notion qui n’entre pas dans le droit tel quel. Par ailleurs, elle ne s’exprime pas sur l’escroquerie, estimant que les faits dénoncés par Myriam et Pascal Michelena étaient prescrits de toute façon54 ». De leur côté, les Béatitudes poursuivent leur positionnement défensif, en attaquant en justice plusieurs médias pour diffamation55.

36Le cadrage des révélations progressives, qui courent de 2004 à la clôture du procès de Pierre-Étienne Albert en 2011, fait alternativement référence à la lutte contre les dérives sectaires ou la lutte contre les abus sexuels. Par exemple, à partir de 2009, plusieurs ex-membres victimes d’abus prennent la parole notamment dans des films documentaires. À l’automne 2011, deux d’entre eux sont diffusés à quelques semaines d’intervalle à la télévision française. Le premier, « Pédophilie : les silences de l’Église », est réalisé par Olivier d’Angély pour le magazine Pièce à conviction et diffusé le 19 octobre 2011 sur France 3. Le documentaire s’ouvre sur une courte séquence durant laquelle Pierre-Étienne Albert refuse de donner le nombre exact de ses victimes, considérant cela « trop intime ». La suite est centrée sur des témoignages de victimes du frère et sur le système qui a permis d’étouffer ses abus pendant des décennies. Le 14 novembre 2011, un documentaire intitulé « Béatitudes : une secte aux portes du Vatican », réalisé par Sophie Bonnet dans le cadre du magazine Spécial Investigation, est diffusé sur Canal+. Si une partie du film est effectivement consacrée au dossier Pierre-Étienne Albert, elle est insérée dans une réflexion plus large sur les dérives sectaires et la manipulation mentale. Le député Georges Fenech, alors président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, détaille par exemple les risques que comportent selon lui les sessions « psychospirituelles » de guérison de la communauté.

  • 56 https://www.la-croix.com/Archives/2013-05-15/ENTRETIEN-Frere-Thomas-Joachim-prieur-general-de-la-c (...)

37Ces différences de cadrage d’un même dossier illustrent combien les affaires des Béatitudes constituent un moment charnière dans l’histoire de la publicisation des scandales d’abus au sein du catholicisme français. En effet, lorsqu’en avril 2013, le frère Thomas Joachim révèle des abus commis par Marie-Dominique Philippe, la « mue » vers un cadrage autour des abus sexuels est effectuée56.

Conclusion

38L’étude de la réception des NdE au sein du catholicisme français permet de saisir les contours d’une rhétorique défensive plus large, remobilisée ici à la faveur d’un contexte sociopolitique marqué par la lutte contre les sectes. Dans cette seconde moitié des années 1990, la peur pour des communautés charismatiques catholiques d’être assimilées à des sectes a favorisé un positionnement obsidional, également porté ad extra par la hiérarchie ecclésiale, qui a contribué à ralentir la publicisation massive de scandales d’abus sexuels. Cependant, comme nous l’avons précisé en introduction, l’explication de la chronologie française de cette publicisation ne saurait être réduite à la seule influence du contexte sociopolitique de lutte contre les sectes, dont la réception des NdE n’est qu’un révélateur. Ce phénomène doit bien entendu être mis en perspective avec d’autres mouvements plus globaux (Faggioli, 2019). À l’intérieur de l’Église, l’élection de Benoît XVI, en 2005, suivie par la publicisation progressive des scandales des Légionnaires du Christ sont aussi des facteurs à prendre en compte. À l’extérieur, les phénomènes #MeToo et #Balancetonporc en 2017 ont également eu une influence certaine (Tricou, 2019).

  • 57 En 2001 et 2002, une équipe de journalistes du Boston Globe met en évidence un réseau de couvertur (...)

39Cette articulation semble néanmoins revêtir une certaine pertinence lorsqu’on l’applique à une configuration nationale catholique comparable. Les États-Unis ont, par exemple, été confrontés à la dangerosité de certaines sectes dès les années 1970. De fait, lorsqu’au début des années 2000, l’affaire du Boston Globe57 enclenche la publicisation massive des affaires d’abus sexuels dans l’Église, la rhétorique anti-secte est déjà éculée depuis plusieurs années. Reste que, sur ce point du comparatisme, des études de cette articulation en d’autres contextes culturels et linguistiques sont encore à mener pour franchir le stade de l’hypothèse.

40Enfin, la publicisation massive des scandales d’abus sexuels n’est pas synonyme d’un abandon de la question des dérives sectaires au sein du catholicisme français. Au contraire, plusieurs publications récentes attestent de l’actualité de cette préoccupation (Dinechin, Léger, 2019 ; Hanssens, Christians, 2017 ; Ronzoni, 2019 ; Joulain, Demasure, Nadeau, 2021 ; Hoyeau, 2021). Dans son rapport final d’octobre 2021, la Commission indépendante sur les abus dans l’Église souligne ce lien autour de la catégorie « d’abus prophétique » (CIASE, 2021 : 171-174). Cependant, la séquence de dissociation des deux phénomènes (dérives sectaires et abus sexuels) a permis de désenclaver ces questions du seul cadre des communautés postconciliaires, pour les amener au cœur du catholicisme français ordinaire.

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Notes

1 Le Renouveau charismatique est un courant du catholicisme apparu aux États-Unis à la fin des années 1960 et en France au début des années 1970. Il emprunte au protestantisme pentecôtiste étasunien un certain nombre d’éléments (Aubourg, 2020 ; Ciciliot, 2019, 2020, 2021a, 2021b ; Cohen, 1986 ; Csordas, 2002 ; Pina, 2001).

2 Fondées en 1973 respectivement à Lyon et Montpellier.

3 Source : https://www.la-croix.com/Archives/1996-05-24/Renouveau-charismatique-_NP_-1996-05-24-375632, consulté le 25 mai 2022.

4 L’OTS connaît trois vagues de suicides collectifs en France, en Suisse et au Québec : la première, entre septembre et octobre 1994 fait 51 morts ; la seconde, en décembre 1995, fait 16 morts ; la troisième enfin, en mars 1997, fait cinq morts.

5 Il convient de préciser qu’une première « mission d’information » au sein de la commission des lois est créée fin 1978, sous l’égide du député socialiste Philippe Marchand. Ses travaux sont cependant interrompus par la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 1981 (Côté, Gunn, 2006 : 295).

6 Centre national des Archives de l’Église de France, 57-CE-182, dossiers thématiques sur le Renouveau charismatique catholique, déclaration « À propos d’un livre sur les communautés catholiques issues du Renouveau » du 14 mai 1996.

7 Il reconnaît 57 cas d’agressions sexuelles sur mineurs entre les années 1970 et 2000, et est condamné à cinq ans de prison pour 38 d’entre eux.

8 Nous désignons ici des groupements fondés après la clôture du concile Vatican II en 1965.

9 Bernard Preynat est un prêtre accusé d’avoir commis des dizaines d’abus sexuels sur des mineurs, membres d’une troupe scoute de la banlieue lyonnaise entre 1972 et 1991. La popularité de l’affaire tient largement dans la dénonciation par les victimes de l’inaction de la hiérarchie ecclésiale.

10 Pierre Pican (1935-2018) est évêque de Bayeux et Lisieux entre 1988 et 2010. En 2001, dans le cadre de l’affaire René Bissey, il est condamné à trois mois de prison avec sursis pour non-dénonciation de crime pédophile.

11 Source : https://luttercontrelapedophilie.catholique.fr/declaration-des-eveques-de-france-lourdes-novembre-2000/, consulté le 25 mai 2022.

12 Si des scandales sexuels sont publicisés au cours des années 1980 et 1990 aux États-Unis, l’affaire du Boston Globe en 2002, suivie deux ans plus tard par la publication du John Jay Report sur les abus sexuels commis par des clercs catholiques, marquent un tournant (Denney, Kerley, Gross, 2018 : 2).

13 Nous tenons ici à remercier les archivistes Florence Garel et Gerrit Vanden Bosch ainsi qu’Allison Demailly pour leur aide dans cette recherche.

14 Florence Nicol, Jean-François Ballanger, 2009, Dans l’enfer des « Béatitudes », 3e Œil productions, 52 minutes ; Olivier d’Angély, 2011, Pédophilie : les silences de l’Église, Ligne de mire production, 70 minutes ; Sophie Bonnet, Béatitudes : une secte aux portes du Vatican, 2011, Agence CAPA, 52 minutes.

15 Le baptême dans l’Esprit est un moment de rencontre personnelle avec l’Esprit Saint.

16 Les charismes sont des dons de l’Esprit Saint, aux expressions protéiformes.

17 Archief van het Aartsbisdom Mechelen-Brussel, Archivum Leo Jozef Suenens, 3.2.6, critiques au sujet du Renouveau, critiques de W. Storey, témoignage de F. H. de mars 1975.

18 L’affaire est reprise largement dans plusieurs médias au cours des mois suivants. Le National Catholic Reporter, journal adoptant alors des positions dites « progressistes », notamment en faveur de l’avortement, titre dans son édition du 15 août 1975 : Will church investigate covenanted communities? et consacre une série d’articles sur ce thème jusqu’en septembre.

19 Cette déclaration est d’abord transmise à des responsables de communautés, puis publiée partiellement dans le NCR, et reprise dans la presse grand public, notamment le New York Times.

20 AAMB, ALJS, 3.2.6., critiques au sujet du Renouveau, critiques de W. Storey, déclaration de Suenens du 1er mai 1975.

21 Cette défense s’inscrit dans un contexte plus général : Suenens, qui se trouve encore (relativement) marginalisé auprès de la Curie, tente d’y légitimer le courant charismatique. L’affaire Storey risque donc de balayer plusieurs années de travail de médiation.

22 Cette opinion est alors répandue dans les milieux charismatiques catholiques français (Catta, Peyrous, 2006 : 92-94).

23 D’autres coordinateurs ont préféré ne pas apparaître sur la couverture (Landron, 2004 : 422).

24 Source : https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/05/14/l-eglise-catholique-est-accusee-d-abriter-des-sectes_3733219_1819218.html, consulté le 25 mai 2022.

25 CNAEF, 57-CE-182, dossiers thématiques…, article du Monde du 14 mai 1996.

26 CNAEF, 57-CE-182, dossiers thématiques…, déclaration « À propos d’un livre… » du 14 mai 1996.

27 CNAEF, 57-CE-182, dossiers thématiques…, article du Progrès du mercredi 15 mai 1996.

28 CNAEF, 132-CO-94, pastorale de santé et Renouveau charismatique, communiqué du Chemin Neuf du 20 mai 1996.

29 Source https://www.la-croix.com/Archives/1996-05-25/Le-renouveau-charismatique-a-l-epreuve-du-discernement-_NP_-1996-05-25-375721, consulté le 25 mai 2022.

30 CNAEF, 132-CO-94, pastorale de santé…, communiqué du Chemin Neuf du 20 mai 1996.

31 Revue fondée en 1985, à destination de « clercs ou laïcs en rupture de ban ». Source : https://www.golias-editions.fr/a-propos-de-golias/, consulté le 13 octobre 2020.

32 CNAEF, 57-CE-182, dossiers thématiques…, lettre de P. L.V. du 16 juin 1996.

33 CNAEF, 57-CE-182, dossiers thématiques…, note du 21 mai 1996.

34 CNAEF, 51-CE-103, instance de communion du Renouveau charismatique catholique, compte rendu de la réunion du 4 juin 1996.

35 Institut Mémoires de l’édition contemporaine, 166SEL-771-1, dossier de fabrication des Naufragés de l’Esprit, fiche technique d’impression et brochage du 15 avril 1996.

36 IMEC, 166SEL-771-1, dossier de fabrication…, fiche… du 6 mai 1996.

37 IMEC, 166SEL-771-1, note manuscrite récapitulative des impressions successives entre le 6 mai et le 29 août 1996, circa. août-septembre 1996.

38 Source : https://www.lexpress.fr/informations/saintes-ecritures-edition-la-vague-spirituelle_614757.html, consulté le 14 octobre 2020.

39 Nous nous basons ici sur le dossier de presse constitué par les Éditions du Seuil autour de l’ouvrage : IMEC, 166SEL-5316-12, dossier de presse des Naufragés de l’Esprit. Les périodiques belges et suisses sont respectivement notés B et CH. Les titres en gras renvoient à une presse explicitement confessionnelle, très majoritairement catholique (le seul périodique protestant est signalé d’un astérisque). Il convient également de préciser que plusieurs recensions dans des titres non-confessionnels, sont rédigées par des acteurs catholiques qui prennent position dans le débat. Henri Madelin, déjà évoqué plus haut pour son article dans La Croix, recense également l’ouvrage pour Le Monde diplomatique. Enfin, les « bis » et « ter » signalent, chronologiquement, des articles portant sur les NdE dans plusieurs numéros d’un même périodique.

40 La séquence de publicisation des scandales sexuels des années 2010 tend à produire, au moins en partie, un phénomène inverse. Voir : https://www.lavie.fr/christianisme/fraternites-monastiques-de-jerusalem-nous-devons-faire-la-verite-sur-la-part-sombre-de-notre-histoire-3483.php, consulté le 25 mai 2022.

41 Selon elle, la parution de l’enquête d’Anne Devailly (1990) a aussi joué un rôle « de catalyseur des peurs » (Pina, 2001 : 71).

42 CNAEF, 75-CE-17, Secrétariat P. Quris, assemblées générales Renouveau charismatique catholique, compte rendu du 18 et 19 novembre 1996.

43 Cette intervention servira d’ailleurs à la rédaction d’un document sur la bonne pratique de l’accompagnement spirituel au sein du Renouveau charismatique.

44 Cité dans : « Des gourous dans les couvents », https://www.lavie.fr/archives/2001/2894/34580, consulté le 25 mai 2022.

45 L’Avref est une association d’aide aux victimes d’abus commis dans des communautés catholiques. Il convient de noter ici que cette association lie, dès les années 2000, la thématique des dérives sectaires avec celle des abus. Source : https://www.avref.fr/qui-sommes-nous.html, consulté le 25 mai 2022.

46 Source : https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/05/15/l-eglise-se-dote-d-un-service-pour-lutter-contre-les-derives-sectaires_183181_1819218.html, consulté le 25 mai 2022.

47 Source : https://www.leparisien.fr/faits-divers/enquete-sur-une-serie-de-suicides-dans-une-communaute-religieuse-20-06-2008-3298578078.php, consulté le 25 mai 2022.

48 Sur son blog, l’historien français Anthony Favier publie en janvier 2021 un article complet, récapitulant l’ensemble des affaires jalonnant le parcours des Béatitudes dans les années 2000. Nous nous permettons d’y renvoyer le lecteur : http://anthony.favier.over-blog.com/2021/01/la-communaute-des-beatitudes.html, consulté le 25 mai 2022.

49 Ephraïm est le fondateur de la communauté, ordonné diacre en 1978. Même s’il en quitte officiellement la direction en 1985, son influence sur la gouvernance reste majeure. En 2007, il fuit au Rwanda pendant dix mois, accusé d’avoir couvert et commis de multiples abus sexuels sur des femmes de la communauté. De retour en France, il est interpellé par la police et mis en examen pour non-dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs dans le cadre de l’affaire Pierre-Étienne Albert. Il est finalement exclu du mouvement et réduit à l’état laïc. Philippe Madre, son beau-frère et successeur, est accusé de faits similaires, commis dans le cadre de l’accompagnement spirituel. Il est également réduit à l’état laïc en 2011.

50 CNAEF, 88-CE-17, Secrétariat du P. Quris, instance du Renouveau charismatique 2004-2005, CR du 1er décembre 2004.

51 CNAEF, 88-CE-17, Secrétariat du P. Quris…, CR du 14 septembre 2004.

52 Ce statut de droit pontifical accorde une certaine liberté de structuration et de gouvernance à des mouvements dirigés par des laïcs.

53 Source : https://www.la-croix.com/Archives/2003-01-25/Dossier-_NP_-2003-01-25-174742, consulté le 25 mai 2022.

54 Source : https://www.ladepeche.fr/article/2008/05/02/451655-castres-beatitudes-de-saint-luc-l-affaire-classee-sans-suite.html, consulté le 25 mai 2022.

55 Source : https://www.ladepeche.fr/article/2009/01/20/526890-beatitudes-de-nouvelles-actions-judiciaires.html, consulté le 25 mai 2022.

56 https://www.la-croix.com/Archives/2013-05-15/ENTRETIEN-Frere-Thomas-Joachim-prieur-general-de-la-communaute-Saint-Jean.-Sur-le-P.-Marie-Dominique-Philippe-il-faut-regarder-le-reel-en-face-.-Une-communaute-a-l-epreuve-de-la-maturite.-2013-05-15-960544, consulté le 25 mai 2022.

57 En 2001 et 2002, une équipe de journalistes du Boston Globe met en évidence un réseau de couverture d’abus sexuels sur mineurs ayant cours depuis les années 1970.

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References

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Samuel Dolbeau, « « Les manœuvres de division n’ont pas marché » », Archives de sciences sociales des religions, 198 | 2022, 133-155.

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Samuel Dolbeau, « « Les manœuvres de division n’ont pas marché » », Archives de sciences sociales des religions [Online], 198 | Avril-juin 2022, Online since 01 January 2024, connection on 28 March 2024. URL : http://journals.openedition.org/assr/66845 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.66845

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