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Comptes rendus

Jay R. Berkovitz, Law’s Dominion: Jewish Community, Religion, and Family in Early Modern Metz

Leyde, Brill, 2020, 404 p.
Jean Baumgarten
p. 173-175
Référence(s) :

Jay R. Berkovitz, Law’s Dominion: Jewish Community, Religion, and Family in Early Modern Metz, Leyde, Brill, 2020, 404 p.

Texte intégral

1L’époque moderne de l’histoire juive est longtemps restée peu explorée par les historiens. L’historiographie était surtout centrée sur le Moyen Âge et la période contemporaine. L’ouvrage de Jay R. Berkovitz redonne toute son importance sociale, religieuse et culturelle à cette période de transition. L’histoire de la communauté juive de Metz s’avère, dans cette perspective, un remarquable laboratoire social pour explorer la transformation de la vie juive traditionnelle au xviiie siècle. Metz, bien que ne faisant pas partie des plus importantes communautés du monde ashkénaze, n’en constitue pas moins un modèle social à partir duquel il est possible de connaître les principaux aspects de la société juive durant la période précédant la Révolution française.

2L’ouvrage nous rappelle combien l’histoire des institutions, des textes juridiques et des décisions légales s’avère une source essentielle pour comprendre la société juive de l’intérieur, mais aussi dans ses relations au monde environnant. Cette rigoureuse enquête témoigne de la centralité et de l’autorité de la Loi (Halakhah) dans la structuration, l’organisation de la vie sociale et pour la connaissance des normes et des valeurs culturelles. L’ouvrage se fonde sur deux sources documentaires principales, les registres (Pinkasim) du tribunal rabbinique (Beit din) et du conseil communautaire (Kahal), auxquels s’ajoutent les décisions des juridictions civiles lorsque les juifs ont recours aux tribunaux de la justice royale. L’auteur montre bien les rôles respectifs, certes imbriqués, de la culture judiciaire, qui décrit comment les tribunaux rendent la justice, et de la culture légale, qui montre la manière dont les individus et le groupe respectent les décisions de justice et interprètent la Loi. L’obéissance aux règles et décrets édictés par le pouvoir central – plus encore en ce qui concerne les juifs qui forment une minorité au sein de la société d’Ancien Régime –, s’accompagne de constantes négociations, adaptations et tractations avec les représentants des administrations royales.

3L’analyse des arrêtés des deux cours, la cour rabbinique et celle du conseil communautaire, met bien en évidence l’importance de la question de l’autonomie, de l’identité religieuse, et le rôle central de la loi juive dans la vie quotidienne et dans les relations entre les juifs et la cité. L’étude des cadres et des décisions juridiques montre la constante adaptation au contexte sociopolitique, la lente acculturation et intégration des juifs dans les structures de la société globale et les évolutions de la pratique religieuse. Contrairement à une idée reçue concernant une soi-disant insularité de la communauté, le livre témoigne combien les juges et les rabbins naviguent constamment entre le système de la loi juive et celui de la loi générale. Cette oscillation se remarque tout particulièrement lorsqu’on observe les orientations des deux instances juridiques. Les membres du conseil communautaire (Kahal) déplorent, avec une certaine anxiété collective, la lente érosion de la tradition religieuse, des coutumes et des usages traditionnels. Ils appellent à un renforcement des normes et des pratiques religieuses imposées par la Halakhah et au maintien d’une rigoureuse moralité individuelle, familiale et sociale.

4Le registre du tribunal rabbinique, quant à lui, fait apparaître deux tendances contradictoires : les juifs sont engagés dans l’économie, la culture et la vie collective de la cité, signe d’une progressive acculturation, modernisation culturelle et assimilation linguistique à l’œuvre dans toutes les couches sociales. La religion continue, toutefois, à fonctionner en tant que système symbolique unificateur et force vitale qui structure les principaux aspects de la vie individuelle et collective. Le livre analyse bien le balancement, parfois marqué par des déchirures et des conflits, entre, d’un côté, la fidélité à la tradition et, de l’autre, la flexibilité, l’adaptabilité et la créativité continuelle de la Loi. Le principe halakhique – la loi du pays est la loi (Dina d’malkhuta dina) – explicite bien ce difficile équilibre entre le respect des normes religieuses anciennes, la nécessaire adaptation au contexte général et d’indispensables innovations légales. L’ouvrage débute, grâce à l’étude approfondie, minutieuse, d’un abondant corpus de sources, par l’origine, la formation et l’histoire de la communauté juive de Metz.

5Parallèlement est abordée la question de l’autonomie, de la gouvernance, de l’autorité et des institutions qui participent, entre d’autres choses, à réglementer les procédures administratives, organiser les élections des fonctionnaires communautaires et établir le système de redistribution des richesses, de la charité et de la bienfaisance. La dynamique interne de la culture légale trouve son expression la plus concrète dans l’étude de la famille, que ce soit dans sa dimension économique, notamment concernant le rôle des femmes dans le commerce, l’héritage, la question de la tutelle, des tuteurs, des conseils de famille, ou dans sa dimension religieuse, notamment à propos du mariage, des obligations des époux et du divorce. À partir de 1791, le modèle de la société juive traditionnelle, après déjà de multiples transformations, connaît une période de profonde mutation et de rupture de l’ordre ancien. De nouvelles questions, concernant notamment l’identité, la pratique religieuse, les relations avec la société globale, se posent aux juifs, dont on perçoit encore aujourd’hui certains échos dans la société contemporaine. Si l’émancipation marque la fin des législations séparées, de l’autonomie partielle de la communauté et de l’autorité des juges rabbiniques, dans quelle mesure la Loi juive garde-t-elle sa validité et les coutumes anciennes restent-elles compatibles avec l’égalité entre les citoyens et la prédominance de la loi civile ? L’étude des deux registres de la communauté messine permet d’évaluer l’ampleur du processus de sécularisation amorcé au xviiie siècle.

6Contrairement à une idée reçue, les archives montrent que ni un traditionalisme étroit, ni une modernisation rapide ne semblent prédominer. On observe la constante recherche d’un équilibre entre le respect scrupuleux des lois fondatrices et les évolutions sociales. La Loi juive résiste aux changements, continue à être une force structurante, tout en s’adaptant aux situations nouvelles. Le respect de la loi générale chez les représentants de la communauté s’accorde avec la volonté de conserver des prérogatives dans la conduite des affaires intérieures, d’assurer la paix sociale et de répondre aux obligations collectives, dont la collecte des taxes et impôts. Les analyses des partisans des Lumières juives, les Maskilim, s’en trouvent invalidées : loin de constater le déclin du poids de la Halakhah dans la vie communautaire et l’intégration ou l’assimilation des juifs à la société globale, la Loi juive reste prépondérante : c’est l’axe central autour duquel se rassemble toute la communauté. Le cas messin montre bien la coopération constante des juifs avec le système légal majoritaire, sans pour autant que disparaisse l’attachement indéfectible à la Loi ancestrale. Les juifs messins se sont ainsi accommodés à deux systèmes parallèles de lois, évitant aussi bien l’écueil d’une orthodoxie rigoriste que la lente dissolution de l’identité.

7Redonnant toute son importance historique à l’étude des sources légales, le livre de Jay R. Berkovitz, fruit d’un vaste dépouillement d’archives, d’une grande érudition, rigueur et ampleur de vue, renouvelle en profondeur notre connaissance du judaïsme en France à la veille de la Révolution française. Faisant suite à deux importants ouvrages du même auteur (Rites and Passages. The Beginnings of Modern Jewish Culture in France, 1650‑1860, University of Pennsylvania Press, 2004 ; Protocols of Justice: The Pinkas of the Metz Rabbinic Court, 1771-1789, Brill, 2014) centrés sur des problématiques similaires, cette remarquable étude dévoile un modèle social et religieux essentiel pour comprendre les relations entre la minorité juive et la société globale.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean Baumgarten, « Jay R. Berkovitz, Law’s Dominion: Jewish Community, Religion, and Family in Early Modern Metz », Archives de sciences sociales des religions, 200 | 2022, 173-175.

Référence électronique

Jean Baumgarten, « Jay R. Berkovitz, Law’s Dominion: Jewish Community, Religion, and Family in Early Modern Metz », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 200 | octobre-décembre 2022, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/assr/68306 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.68306

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