Marie Lezowski et Yann Lignereux (dir.), Matière à discorde, Les objets chrétiens dans les conflits modernes
Marie Lezowski et Yann Lignereux (dir.), Matière à discorde, Les objets chrétiens dans les conflits modernes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2021, 293 p.
Texte intégral
1Dans cet ouvrage collectif, Marie Lezowski et Yann Lignereux recueillent seize contributions explorant l’histoire de conflits, de remplacements, de distorsions, ou de contestations qui ont pu affecter une vaste gamme d’objets chrétiens au cours de l’époque moderne. Que ce soient les croix de calvaire, les agnus dei, les images religieuses, le chapelet, et d’autres objets plus ou moins associés à la piété chrétienne, leur emploi et signification furent au cœur d’intenses débats, négociations et controverses. Pour aller au-delà des cas bien connus d’iconoclasme – la destruction d’objets religieux – l’ouvrage explore une variété de tensions tel que le recyclage, la mise à distance ou le partage, qui ont pu entourer quasiment tous types d’objets chrétiens de l’époque moderne. Si les cas d’étude se situent principalement en Europe, des échappées vers le Mexique, l’Inde et le Levant, sont précieuses pour montrer l’universalité du problème abordé par l’ouvrage.
2En effet, ce qui est en jeu ici est bien l’interpellation et le dérangement suscités par les objets religieux. Ces derniers ne sont jamais un donné neutre, une simple évidence de la sociabilité religieuse. Les objets suscitent des réactions très variées, ils interpellent et peuvent échapper à la place qui leur est assignée. Comme Marie Lezowski le souligne dans sa conclusion (p. 258), la trajectoire des objets religieux n’est pas forcément la patrimonialisation ou la destruction. Leur rôle et leur signification excèdent toute classification, ils restent une question. Hier comme aujourd’hui, ils se dérobent à nos emprises et à nos discours, et même à ceux de la sécularisation.
3Si l’ouvrage se veut d’abord un recueil d’enquêtes historiques dont on salue la variété, la richesse et la rigueur, il invite à une réflexion plus fondamentale sur la nature et la fonction des objets dans la sociabilité religieuse. D’un point de vue anthropologique, comment ne pas en effet penser aux travaux de Marcel Mauss sur le don et les objets donnés ? Un présent est plus que l’objet présent – il génère une chaîne d’obligations par-delà l’objet présent et le temps présent. Ainsi, au vu des controverses que les objets religieux suscitent, il serait opportun de se questionner sur les réactions et le supplément d’âme que leur présence rend étrangement et problématiquement possible. Qu’ils fascinent ou dérangent, les objets chrétiens font quelque chose. Si l’ouvrage garde ses distances vis-à-vis du material turn des sciences religieuses et de leur supposé anthropocentrisme (p. 188), l’histoire détaillée des discordances entourant les objets chrétiens oblige à questionner l’agentivité qui se déploie autour d’eux. Si les croix, images, statues, ou chapelets sont au centre de nos discordes, c’est précisément à cause de l’ambiguïté de ce qu’ils rendent présent. Tout comme l’image représente la chose sans simplement l’être ou ne pas l’être, tout objet déploie une équivoque ontologique qui n’agit peut-être pas en elle-même mais qui nourrit nos réactions. Il ne s’agit pas de dire que les objets agissent par magie mais de bien reconnaître qu’ils font réagir. Leur ambiguïté est une question. Ainsi, comme je le montre dans mes propres travaux sur les objets religieux en Chine, l’instabilité ontologique des objets – religieux ou autres – nous invite à repenser les sociabilités dans lesquelles nous les appréhendons et les comprenons. Leur agentivité se construit dans les relations hétérogènes – entre humains et non-humains – dans lesquels on les trouve. Il n’y a jamais le simple sujet pensant et l’objet inerte. « La charge ou la décharge spirituelle potentielle de tout objet » (p. 257) invitent à repenser le grouillement ontologique qui se cache derrière ces objets et le type de vérité qu’ils rendent collectivement possible.
Pour citer cet article
Référence papier
Michel Chambon, « Marie Lezowski et Yann Lignereux (dir.), Matière à discorde, Les objets chrétiens dans les conflits modernes », Archives de sciences sociales des religions, 200 | 2022, 261.
Référence électronique
Michel Chambon, « Marie Lezowski et Yann Lignereux (dir.), Matière à discorde, Les objets chrétiens dans les conflits modernes », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 200 | octobre-décembre 2022, mis en ligne le 31 décembre 2022, consulté le 26 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/assr/68764 ; DOI : https://doi.org/10.4000/assr.68764
Haut de page