1Historien reconnu du catholicisme français contemporain, Claude Langlois est mort le 26 mai 2024 du cancer contre lequel il luttait depuis des années.
2Il naît le 18 juin 1937 à Puteaux, fils unique d’un couple modeste : son père était menuisier. La guerre ne tarde pas à perturber son enfance. Commune de la ceinture industrielle de Paris alors très populaire, Puteaux est menacée par les bombardements alliés. Les parents de Claude décident de le mettre à l’abri, en 1943-1944, chez de lointains cousins bretons de sa mère à Plouasne, commune des Côtes-du-Nord (aujourd’hui Côtes-d’Armor) limitrophe de l’Ille-et-Vilaine. Revenu chez ses parents après la Libération, qui a vu les communistes prendre de façon éphémère la mairie de Puteaux, il fréquente l’école communale et passe avec succès, en 1948, le redoutable examen d’entrée en sixième. Bien que la logique eût voulu qu’il intègre le lycée le plus proche, celui de Saint-Cloud en l’occurrence, la fréquentation par ses parents du Mouvement populaire des familles (MPF), prolongation de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) pour les adultes, en décide autrement. L’une des activités du MPF consistait à envoyer en vacances à la campagne, dans des familles catholiques, les enfants des villes et des banlieues ouvrières. Le jeune Langlois en bénéficie, séjournant après la guerre dans le sud du département de la Manche, où il se fait des amis qui rejoignaient en sixième l’Institution Notre-Dame d’Avranches. Par une décision lourde de conséquences, ses parents décident de l’y inscrire aussi. Claude entame ainsi une carrière d’interne qui ne prendra fin qu’avec sa sortie de la Compagnie de Jésus… en 1961. Son enfance et son adolescence se sont donc déroulées loin de ses parents, sauf pendant les vacances scolaires. Il gardait un très bon souvenir d’Avranches, où il brilla non seulement dans les études, mais aussi sur le terrain de basket-ball auquel le prédestinait sa grande taille (Langlois, 2022).
3Bachelier en 1955, mention philosophie, il entre en octobre au noviciat de la province jésuite de Paris, à Laval. Une telle bifurcation est étonnante et l’historien peinait, après coup, à en retrouver les raisons. L’Institution Notre-Dame d’Avranches est un collège diocésain tenu par des prêtres séculiers. Le jeune Langlois ne croise aucun jésuite dans sa scolarité, si ce n’est le père Jean Daniélou, venu faire une conférence sur les grands courants intellectuels du moment au cours de l’année scolaire 1954-1955. L’enthousiasme communicatif du théologien aurait-il convaincu le lycéen ? Pure hypothèse. L’historien n’était guère disert sur son long passage chez les jésuites. Quand des pressions amicales l’incitaient à se remémorer l’épisode, il avançait, sans grande conviction, le prestige d’études dans cette sorte d’École normale supérieure du clergé qu’était alors la Compagnie. Mais rien qui s’apparente à une véritable vocation. Il y a cependant vécu plus de cinq ans : deux années de noviciat (1955-1957), deux années de juvénat (1957-1959), toujours à Laval, durant lesquelles il obtient propédeutique, un certificat de licence de latin et un certificat d’histoire ancienne. Il a en effet été l’un des premiers, avec son ami Louis de Vaucelles, demeuré jésuite, à s’inscrire à l’université en histoire et non en lettres ou en philosophie, comme c’était la règle auparavant pour les juvénistes. Et enfin, un an et demi de philosophie (1959-1961) à Vals-près-le-Puy où, après une année de latence, il passe, à Montpellier, un second certificat d’histoire. Son départ de la Compagnie, en février 1961, semble s’être fait d’un commun accord et n’a pas eu de répercussion sur ses convictions religieuses. Claude Langlois a d’ailleurs fourni ensuite deux contributions sur les jésuites français aux xviiie et xixe siècles et une sur le père de Clorivière, l’un des artisans de leur renaissance après la Révolution.
4De retour chez ses parents, il s’inscrit en histoire à la Sorbonne et s’associe immédiatement aux activités du Centre Richelieu. C’est au Centre qu’il rencontre sa future femme, étudiante en lettres classiques, et c’est l’abbé Lustiger, directeur du Centre, qui lui trouve une chambre en ville, plus commode que l’appartement de Puteaux. Il passe alors, en juin 1961, son dernier certificat d’histoire et prépare l’année suivante 1961-1962 un Diplôme d’études supérieures tout en peinant sur le certificat de géographie de la licence d’histoire et géographie, clé des concours de recrutement de l’enseignement secondaire. Il est reçu du premier coup, en 1963, à l’agrégation d’histoire, après l’avoir préparée dans un groupe de travail du Centre Richelieu qui comportait le futur médiéviste Hervé Martin, le futur archéologue Jean-Louis Huot et le futur spécialiste de Napoléon André Palluel-Guillard. Il effectue ensuite une année de service militaire comme professeur à l’École d’application de l’artillerie de Châlons-sur-Marne. Le service étant alors de dix-huit mois, il le complète et le prolonge en coopération, avec sa femme, dans le Mali de Modibo Keita (1964-1966). Rentrés en France, tous deux sont nommés en lycée au Havre (1966-1968).
5En octobre 1968, Claude Langlois obtient un poste d’attaché de recherches au CNRS où il mène à bien une thèse de 3e cycle sur le diocèse de Vannes au xixe siècle. Le sujet lui en a été suggéré, dès le Diplôme d’études supérieures, par le professeur de la Sorbonne Louis Girard. Après avoir failli faire de l’histoire ancienne, il se tourne donc vers l’histoire religieuse contemporaine, en continuité avec son parcours antérieur. Après un court engagement au Centre catholique des intellectuels français en 1968-1970, Claude Langlois adopte la posture qui sera la sienne jusqu’à sa mort : faire de l’histoire religieuse, certes, mais avec un agnosticisme méthodologique la dégageant de toute emprise confessionnelle, d’où son silence sur sa formation jésuite et son peu de goût pour l’ego-histoire. Le texte qu’il a publié sur Notre-Dame d’Avranches est la seule exception à cette ligne de conduite. Le portrait sensible qu’il fait de Michel Lagrée, dans l’« Introduction » au recueil de textes de l’historien rennais prématurément disparu, ressemble fort à un autoportrait, sous l’angle de cet agnosticisme méthodologique.
6Au début des années 1970, la monographie diocésaine est l’un des fronts pionniers de l’histoire du catholicisme moderne et contemporain. La thèse de Claude Langlois, soutenue à la Sorbonne en 1971, participe de cette « départementalisation » de l’histoire religieuse sans s’y réduire, comme le suggèrent les limites chronologiques adoptées : 1800-1830. Autant qu’une monographie diocésaine de type classique, il s’agit de la reconstruction religieuse d’un diocèse de chrétienté après la coupure révolutionnaire, que Langlois ne quittera guère des yeux au long de son parcours, car il y voit, à juste titre, la matrice de deux siècles de catholicisme intransigeant. Publiée en 1974 sous le titre, en partie fallacieux, Le diocèse de Vannes au xixe siècle 1800-1830, elle lui permet d’être recruté, en 1972, comme assistant puis maître-assistant dans le département d’histoire de la jeune université Paris XII-Créteil (aujourd’hui Paris-Est Créteil Val-de-Marne). Aux côtés de Jean-Marie Mayeur, il y joue un rôle notable, en lien notamment avec les médecins du Centre hospitalier universitaire Henri-Mondor. Il est surtout l’un des animateurs de toutes les initiatives où se construit une histoire religieuse à visée scientifique, c’est-à-dire coupée de sa matrice ecclésiale, laïque en quelque sorte : Groupe d’histoire religieuse dit de La Bussière (sur Ouche, en Bourgogne), séminaire de Jean-Marie Mayeur à Créteil, Association française d’histoire religieuse contemporaine. Après avoir envisagé de travailler sur les plébiscites du Consulat et de l’Empire, il opte définitivement pour l’histoire du catholicisme en préparant, sous la direction de René Rémond, une thèse de doctorat d’État sur les congrégations religieuses féminines à supérieure générale au xixe siècle. Un tel choix est bien dans la manière de Claude Langlois : débusquer un angle mort de la recherche et en montrer toutes les possibilités insoupçonnées. Pourtant fortes d’un essor spectaculaire, ces « pauvres bonnes sœurs » n’avaient guère retenu l’attention des historiens. Soutenue en 1983 et publiée l’année suivante sous le titre Le catholicisme au féminin, elle fait date et vaut à Claude Langlois une réputation méritée, dans le traitement des données chiffrées notamment. Bien qu’il ne s’agisse pas encore d’histoire du genre, cette thèse montre comment les vœux de religion ont pu conduire des femmes à d’importantes responsabilités dans un monde clérical et dans une société pourtant très masculins. Elle permet à Claude Langlois d’être élu, en 1985, sur un poste de professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Rouen fléché Révolution et Empire, ce qui ne le gêne guère : il publie alors un beau livre sur La caricature contre-révolutionnaire (1988) et co-dirige, à partir de 1987, l’Atlas de la Révolution française, collection des Éditions de l’EHESS. C’est aussi l’époque où il est amené à jouer un rôle d’évaluation et de conseil pour l’histoire, comme adjoint du moderniste lyonnais Maurice Garden, à la Direction des Sciences humaines et sociales du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Cela lui vaut, entre autres tâches, de sauver de la faillite le Groupe de recherches coordonnées du CNRS pour l’histoire religieuse moderne et contemporaine, bien mal en point.
7La carrière de Claude Langlois prend une autre dimension avec son élection, en 1993, sur la direction d’études « Histoire et sociologie du catholicisme contemporain » de la Ve section, « Sciences religieuses », de l’École Pratique des Hautes Études, dont il devint le premier titulaire. Il ouvre alors deux chantiers au long cours qui tiennent plus de l’histoire que de la sociologie. Le premier, sur l’histoire de la théologie, et notamment de la théologie morale au xixe siècle, donne naissance, en 2005, au livre qu’on peut considérer comme le plus abouti de son œuvre scientifique : Le crime d’Onan. Le discours catholique sur la limitation des naissances (1816-1930). Claude Langlois y fait la preuve, textes en main, que l’Église catholique n’a pas toujours eu, sur le contrôle des naissances, la position rigoriste qui fut la sienne après l’encyclique Casti connubii de 1930. Un recueil récent a rassemblé d’autres essais qui démontrent de façon magistrale comment l’historien du christianisme peut et doit se saisir de la théologie sans pour autant devenir lui-même théologien (Le continent théologique. Approches historiques, 2016, avec sa bibliographie jusqu’en 2015). L’autre chantier, prolifique puisqu’il a donné lieu à une douzaine de livres, concerne Thérèse de Lisieux pour le cas de laquelle Claude Langlois s’est pris d’une véritable passion. Loin de toute hagiographie et même d’une histoire classique de la spiritualité, il a scruté avec acribie le corpus des textes de la carmélite, les débarrassant de leur gangue mièvre pour mieux montrer tout à la fois leur qualité littéraire et leur profondeur théologique. De cette abondante production, on ne retiendra, à titre d’exemple, que Thérèse à plusieurs mains (2018), histoire minutieuse de la fabrication de l’Histoire d’une âme au carmel de Lisieux. Non sans susciter des débats au sein de la communauté des historiens, car cette « histoire des textes » et par les textes interroge leurs pratiques habituelles (« Theresiana », Archives de sciences sociales des religions, avril-juin 2012), ce patient travail d’exégèse a renouvelé le regard savant porté sur la petite Thérèse.
8Claude Langlois ne s’est pas contenté d’enseigner, de chercher et de publier. Il a aussi joué un rôle institutionnel majeur, après sa collaboration à la direction des sciences humaines et sociales du MESR, comme président de la Ve section de l’École pratique des hautes études entre 1995 et 2002 et comme fondateur, avec le philosophe Régis Debray, de l’Institut européen en sciences des religions (Institut d’étude des religions et de la laïcité aujourd’hui), destiné à pallier la carence des connaissances sur le fait religieux, consécutive au déclin de la catéchisation. Retraité en 2005, Claude Langlois a continué de travailler jusqu’à la veille de sa mort, d’où des publications pionnières sur la laïque missionnaire Madeleine Delbrêl (La femme du Seigneur, 2022) ou le jeune jésuite Michel de Certeau (Michel de Certeau avant « Certeau », 2022). Peu avant sa disparition, ses disciples et amis lui ont offert un volume, Pour une histoire sociale et culturelle de la théologie (2023), qui rend hommage à cet aspect remarquable de son œuvre. Après Jean-Marie Mayeur (2013), Yves-Marie Hilaire, Marc Venard et Émile Poulat (2014) ou Gérard Cholvy (2017), c’est un des artisans majeurs du renouveau de l’histoire religieuse en France qui disparaît en la personne de Claude Langlois.