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Comptes rendus

Anne Bonzon, La paix au village. Clergé paroissial et règlement des conflits dans la France d’Ancien Régime

Ceyzérieu, Champ Vallon, 2022, 342 p.
Mickaël Wilmart
p. 191-193
Référence(s) :

Anne Bonzon, La paix au village. Clergé paroissial et règlement des conflits dans la France d’Ancien Régime, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2022, 342 p.

Texte intégral

1« Tout est paisible » (p. 146) reste l’une des phrases que l’on rencontre le plus couramment dans les rapports rendus à leur hiérarchie par les curés de village des xviie et xviiie siècles. Mais plus que le signalement d’une nouvelle rassurante, on découvre à la lecture du livre d’Anne Bonzon combien ces mots relèvent de l’accomplissement d’une mission, celle d’une « utopie pacificatrice » (p. 121) dont s’est saisi le clergé catholique sous le règne de Louis XIV.

2Le rôle de médiateur et de pacificateur joué par les religieux est un phénomène de longue durée, rencontré aussi bien par les historiens que par les anthropologues. L’autrice rappelle d’ailleurs à juste titre l’héritage médiéval de la dimension religieuse d’une recherche de la paix entre coreligionnaires, entre membres d’une même communauté dont le desservant a la charge. Mais cette constance apparente s’appuie sur des changements tangibles et progressifs tant dans les pratiques que dans le discours qui les justifient et l’ouvrage montre combien la période entre le milieu du xviie siècle et celui du xviiie constitue un moment charnière. Celui-ci s’inscrit dans un contexte marqué à la fois par la sortie des guerres de religion, la mise en place d’une réforme catholique et la construction d’un État monarchique fort.

3Si le rôle dévolu à ces prêtres était attendu, son étude était loin d’être évidente pour l’historien. Les efforts de médiation, d’arbitrage ou d’accommodement ont en réalité laissé peu de traces écrites – ou alors de façon dispersée. Concrètement, il n’existe pas de fonds réunissant tous les actes qui ont pu être rédigés à l’issue de l’intervention des curés dans les affaires de leurs paroissiens. Cette lacune archivistique explique pourquoi peu d’historiens s’étaient jusque-là attachés à ce sujet pourtant central dans le fonctionnement des communautés. L’enquête menée par Anne Bonzon l’a ainsi conduite à mobiliser une grande diversité de documents (archives judiciaires et notariales, journaux de curés, visites pastorales, littérature religieuse, etc.) dont la lecture a permis de multiplier les angles d’approche pour aboutir à une compréhension fine construite au fil des chapitres au plus près de cette documentation. L’enquête sérielle étant impossible, l’historienne s’est concentrée principalement sur quatre diocèses aux profils différents : Beauvais (déjà terrain de sa thèse, L’esprit de clocher. Prêtres et paroisses dans le diocèse de Beauvais [1535-1650], Paris, Le Cerf, 1999), Châlons, Auxerre et Montpellier.

4Grâce à un carton d’archives exceptionnel, ayant préservé plusieurs dizaines d’accommodements passés sous la houlette des desservants d’une paroisse picarde, le premier chapitre nous livre une histoire « au ras du sol » de la pacification au sein du village. On y voit un prêtre aussi bien « juge et entremetteur » (p. 43) que notaire puisqu’il enregistre parfois lui-même les accords (ici conservés parmi d’autres papiers de la cure). D’entrée, on observe la diversité des différends qu’il doit régler (famille, dettes, injures, questions agricoles), une typologie que l’historienne constate ailleurs. Dans un Ancien Régime qu’on qualifie facilement de chicanier, le moindre conflit peut se retrouver devant un tribunal ou un médiateur, y compris une morsure de chien (dont l’acte a été édité dans les riches annexes du livre). S’adresser à l’un n’exclut pas l’autre. Souvent les procédures se font en parallèle, la conciliation pouvant interrompre le coûteux processus judiciaire.

5Le recours au prêtre comme pacificateur n’est pas uniquement lié à sa fonction : un des déclencheurs majeurs reste la durée de son ministère. Plus un curé séjourne dans une paroisse, plus les villageois font appel à lui, non seulement parce qu’il est une référence morale, mais surtout parce qu’au fil des ans, il est devenu un familier à qui l’on se confesse, à qui l’on demande conseil, qui connaît et visite chaque foyer. La pacification est le révélateur du rôle pivot du desservant au sein de la communauté villageoise. Il est à noter que si lui-même peut être en conflit avec ses paroissiens, cela n’entache généralement pas la reconnaissance de cette faculté à régler les différends.

6Les journaux de curés, par leur précision sur le quotidien, viennent compléter cette histoire au ras du sol, parce qu’ils enregistrent des accords oraux qui n’ont laissé aucune autre trace écrite, et témoignent des échecs et de la position du prêtre dans le village. L’accommodement ne se présente alors plus comme un simple accord enregistré, mais comme un rapport de forces engagé par le religieux pour parvenir à la pacification, un effort de négociation intense qui n’aboutit pas toujours. Cette tâche semble assez saisonnière, la plupart des actes de pacification se déroulant au moment du temps pascal ou dans les semaines qui le suivent, période importante de confession. La connaissance intime de la conscience des paroissiens, leur besoin d’absoudre leurs péchés constituent des leviers essentiels de l’action pacificatrice. Parfois, notamment dans le cas des séparations conjugales, le prêtre peut brandir la menace de l’excommunication avec, toutefois, un succès limité.

7Cette activité des curés de village s’explique par une meilleure formation (au sein des séminaires nouvellement installés), mais elle est surtout le fruit d’une promotion inédite qui permet à l’autrice d’inscrire la pacification dans un mouvement plus large. Cette promotion trouve son origine dans l’entourage de la Compagnie du Saint-Sacrement et de la publication en 1666 du livre L’arbitre charitable. La diffusion de l’ouvrage et de son message se fait en direction de plusieurs groupes influents. Le cercle dévot est logiquement le premier relais, mais dès 1670 l’Assemblée du clergé, rassemblant les évêques du royaume, apporte un soutien très net au livre dont les prélats se font le relais dans leur diocèse. Enfin, le milieu politique est aussi mobilisé, notamment les Grands qui, réinvestissant les seigneuries, sont à la recherche d’un modèle du « bon seigneur ». Désormais, la communauté chrétienne que représente la paroisse entend être vécue comme une « société idéale » (p. 251) dont l’action pacificatrice des curés est un élément de consolidation. Ce rôle est de plus intégré au discours hagiographique élaboré sur des figures de saints prêtres.

8Au-delà de l’aspect religieux, cette promotion se développe dans un contexte politique spécifique qui voit l’État monarchique renforcer son organisation judiciaire, par un maillage plus étroit de la justice royale au détriment des justices particulières et ecclésiastiques. Un renforcement qui prend toutefois en compte la pratique extrajudiciaire de l’accommodement inscrit dans l’ordonnance criminelle de 1670. Les curés sont invités à collaborer plus étroitement avec la justice royale, par exemple en appelant aux témoignages à l’issue de la messe dominicale (monitoires). Dans le même temps, l’Église diffuse une critique du fonctionnement de la justice royale en dénonçant la vénalité des offices et la lenteur des procédures (que vient raccourcir la pacification par un médiateur). Si le discours de l’Arbitre charitable s’inscrit pleinement dans la construction d’une société chrétienne idéale, sa promotion arrive à point nommé pour consolider le poids social des prêtres au sein des communautés villageoises au moment où le pouvoir monarchique cherche à s’y renforcer.

9Le livre d’Anne Bonzon place la question de la paix au village au croisement de plusieurs historiographies : histoire religieuse et judiciaire bien sûr, mais également histoire sociale. En variant les échelles d’analyses, depuis le bas de la hiérarchie ecclésiastique jusqu’aux cercles de l’élite qui participent à la diffusion du discours pacificateur et à sa promotion, elle propose une lecture novatrice de la fonction des médiateurs dans les communautés d’Ancien Régime dont l’horizon réparateur n’est pas que judiciaire, mais se dote de tout un réseau d’intermédiaires dont les prêtres font partie. Ce rôle reste encore très réel à la veille de la Révolution, comme le montrent les études sur la justice à la fin du xviiie siècle.

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Pour citer cet article

Référence papier

Mickaël Wilmart, « Anne Bonzon, La paix au village. Clergé paroissial et règlement des conflits dans la France d’Ancien Régime », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 191-193.

Référence électronique

Mickaël Wilmart, « Anne Bonzon, La paix au village. Clergé paroissial et règlement des conflits dans la France d’Ancien Régime », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76659 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138te

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Auteur

Mickaël Wilmart

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