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Comptes rendus

Yves Chiron, Le père Lamy. Un itinéraire mystique et missionnaire

Paris, Perpignan, Artège, 2021, 421 p.
Sabine Rousseau
p. 206-207
Référence(s) :

Yves Chiron, Le père Lamy. Un itinéraire mystique et missionnaire, Paris, Perpignan, Artège, 2021, 421 p.

Texte intégral

1Yves Chiron a indéniablement une excellente connaissance des archives accessibles qu’il fréquente depuis longtemps, appuyant ses travaux sur de nombreux documents référencés avec soin et précision dans un appareil critique digne des écrits universitaires les plus érudits. Ses différents fonds proviennent à la fois des archives publiques (municipales, départementales, Préfecture de police, Service historique de la Défense), des archives historiques des paroisses et diocèses, des archives de congrégations (Ordre dominicain, Oblats de Saint-François de Sales, des Serviteurs de Jésus et de Marie) et du fonds Maritain de la Bibliothèque universitaire de Strasbourg. Cependant, disons-le d’emblée, le traitement de ces archives pose un réel problème à l’historien. Le choix de l’éditeur donne le ton : les éditions Artège ont pour vocation explicite « d’annoncer la “bonne nouvelle” dans un esprit de sérieux professionnel et d’évangélisation » (« Qui sommes-nous », site des Éditions Artège). Et effectivement, le livre d’Yves Chiron tient davantage de l’hagiographie que de la biographie historique. L’auteur décrit les multiples apparitions mariales que le père Lamy aurait reçues comme une « grâce particulière de la mère de Dieu » (chapitre 8, p. 233-234) sans prendre aucune distance vis-à-vis de leur réalité. Il va jusqu’à défendre l’existence d’un dialogue entre la Vierge et le diable en présence du père Lamy comme une « vérité de foi » (p. 244). La démarche de l’auteur s’apparente donc davantage à celle d’un postulateur de la cause dans un procès de béatification qu’à celle d’un historien. L’histoire sainte ne saurait se confondre avec l’histoire religieuse.

2Néanmoins, le livre présente un intérêt indéniable pour les historiens. Il retrace l’itinéraire d’un prêtre de son temps (1853-1931), né dans le monde paysan du pays de Langres, un « nid à curés » (p. 39), une terre de chrétienté où le culte des martyrs, la reconnaissance des intercessions de la Vierge et la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus ont fait le lit de la vocation du jeune Jean-Édouard Lamy. Celui-ci entre au postulat des Oblats de Saint François de Sales à Troyes en 1879 et il est ordonné prêtre en 1886. Du fait de la loi contre les congrégations, il officie comme prêtre diocésain en région parisienne pendant toute sa carrière ecclésiastique. C’est dans la banlieue rouge hostile à l’Église, à Saint-Ouen puis à La Courneuve, qu’il tente de christianiser une population ouvrière parfois marginalisée, en attirant les jeunes dans des patronages où « l’on joue et on prie », selon la ligne directrice de son apostolat pour la jeunesse depuis les années 1880 (chapitre 4). Le livre donne ainsi des éclairages concrets sur la façon dont ces paroisses de mission intérieure traversent les événements majeurs de la fin du xixe siècle et du début du xxe : l’urbanisation née de l’industrialisation, la séparation des Églises et de l’État dans un climat anticlérical, la Première Guerre mondiale vécue à l’Arrière.

3L’apport essentiel de l’ouvrage réside dans la restitution de la mariolâtrie qui s’épanouit en France des années 1870 aux années 1930. Il permet, en premier lieu, de mieux comprendre le terreau local propice à des proclamations de mariophanies. Il permet ensuite de mieux connaître tout un réseau de mariolâtres et de mariologues auquel appartient notamment Jacques Maritain : précédé de sa réputation de grand mystique, l’abbé Lamy lui a été présenté en 1921 et le philosophe s’est aussitôt entiché de celui qu’il appelait le « saint curé » (p. 303-317). On peut déplorer, cependant, l’absence d’un index des noms propres qui aurait constitué un outil efficace pour davantage cerner ces réseaux.

4Enfin, l’ouvrage suscite la réflexion sur la place de ces milieux, proches de l’Action française, dans l’Église : il décrit le lobbying effectué par le père Lamy et son entourage pour faire reconnaître un pèlerinage de dévotion mariale à Notre-Dame des Bois, dans un sanctuaire privé créé de toutes pièces par le père Lamy lui-même. Ces démarches d’influence se poursuivent ensuite pour fonder de nouvelles congrégations, d’abord les Frères et Sœurs de Saint-Jean, puis les Serviteurs de Jésus et Marie avec de jeunes recrues issues de différents séminaires et du monde scout, cooptées par le père Lamy et ses amis. Égrenées dans différents chapitres, les informations sur les manœuvres de ceux qui, autour de Lamy et Maritain, s’engouffrent dans les failles créées par les hésitations de la hiérarchie ecclésiastique qui tarde à reconnaître les « fruits spirituels » (p. 356) de ces nouvelles dévotions et fondations, figurent parmi les plus intéressantes de ce livre qui, par ailleurs, doit être lu avec beaucoup de recul historique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sabine Rousseau, « Yves Chiron, Le père Lamy. Un itinéraire mystique et missionnaire », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 206-207.

Référence électronique

Sabine Rousseau, « Yves Chiron, Le père Lamy. Un itinéraire mystique et missionnaire », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76704 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138tl

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Auteur

Sabine Rousseau

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