Valentin Favrie, Charles Mercier et Christian Sorrel (dir.), Cent ans de gouvernement de l’Église catholique en France. De l’Assemblée des cardinaux et archevêques à la Conférence des évêques (1919-2019)
Valentin Favrie, Charles Mercier et Christian Sorrel (dir.), Cent ans de gouvernement de l’Église catholique en France. De l’Assemblée des cardinaux et archevêques à la Conférence des évêques (1919-2019), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2022, 296 p.
Texte intégral
1Cet ouvrage, conclusion des actes du colloque organisé à Paris en mars 2019 pour le centenaire de la création de l’Assemblée des cardinaux et archevêques (ACA), étudie l’organisation collégiale de l’épiscopat français au xxe siècle. Il prolonge d’une certaine manière le volume sur Les évêques français de la Séparation au pontificat de Jean-Paul II (Éditions du Cerf, 2013), qui y consacrait une première contribution et qui était coordonné, entre autres, par Christian Sorrel, l’un des trois directeurs de cet ouvrage avec Charles Mercier et Valentin Favrie, responsable du Centre national des archives de l’Église de France (CNAEF). Les auteurs de ce livre sont historiens, politistes, théologien, ce qui assure pluridisciplinarité et complémentarité des points de vue. Les treize contributions ne reviennent pas sur l’histoire de l’épiscopat français, déjà largement traitée, mais s’attachent aux structures collectives nationales de coordination, de concertation, voire d’« intermédiation » que celui-ci a mis en place. Ces réunions d’évêques sont une nouveauté dans la mesure où le Concordat et les Articles organiques les interdisaient par crainte d’une fronde ou d’une opposition épiscopale vis-à-vis du pouvoir politique. Deux assemblées se sont tenues en 1906 et 1907, à la suite de la séparation, pour étudier ses modalités d’application, mais, critiquées par Pie X, elles n’ont pas eu de suites immédiates. Soutenue par le Saint-Siège, la création de l’ACA en 1919 marque donc un tournant, avant l’émergence d’assemblées plénières à partir de 1951, puis l’institution d’une commission permanente et d’un secrétariat, et enfin la fondation en 1964, en lien avec le concile Vatican II, de la Conférence des évêques (puis épiscopale) de France (CEF).
2Au regard de ces évolutions, trois parties rythment l’ouvrage. La première, « Lignes de force », surtout chronologique et institutionnelle, présente l’histoire de ces organisations souvent mentionnées, mais finalement peu connues, et délaissées par une historiographie religieuse longtemps tournée vers l’étude des pratiques. Un vaste panorama rappelle d’abord l’évolution de l’ACA, avec l’année 1928 pour césure, marquée par une première stabilisation (Christian Sorrel). La CEF fait l’objet d’une autre contribution (Jacques Palard). L’un des grands intérêts de cette partie est de croiser les archives de diocèses et du CNAEF avec celles du Vatican – au moins pour les pontificats de Benoît XV (1914-1922) et Pie XI (1922-1939), les fonds de celui de Pie XII n’étant pas encore ouverts au moment du colloque –, ainsi qu’avec des témoignages oraux d’évêques émérites pour les dernières décennies. L’étude systématique et suivie des différentes institutions, toujours replacées dans leur contexte théologique et politique, confère une grande unité à cette partie. La deuxième, « hommes et institutions », revient sur quelques figures et structures épiscopales. La dernière partie aborde des « enjeux et événements » à travers des études de cas sur plusieurs grands dossiers traités par les évêques. Comme dans tout collectif, ces deux parties s’organisent autour de thèmes très divers, à dimension monographique, qui résultent des spécialités des auteurs sollicités. À cet égard, la période de 1945-1950 à nos jours, correspondant à la montée en puissance des structures nationales, est plus étudiée que celle de l’ACA de 1919 à 1945, même si les origines de celle-ci sont finement abordées (Christian Sorrel). Des annexes complètent utilement l’ensemble, en particulier la « note sur les archives » et les organigrammes (Valentin Favrie), auxquels s’ajoutent des photographies. Un précieux index – un outil suffisamment rare dans les collectifs pour que cela soit signalé – clôt l’ouvrage, qui, par son objet bien circonscrit et sa construction, se caractérise par sa grande cohérence.
3Quels que soient leur nom et leur composition, ces assemblées d’évêques rencontrent un certain nombre de difficultés, malgré leur objectif de construire l’unité du corps épiscopal. En effet, leur « statut théologique ne va pas de soi » (Jean-François Chiron), au contraire de celui des évêques à la tête de leurs diocèses respectifs et de celui du magistère suprême du pape. Aucun pouvoir réel ne leur est octroyé, l’échelon national ne correspondant pas à une structure hiérarchique ecclésiale traditionnelle. Par leur dimension collective, ces instances ne doivent pas apparaître comme une limite au pouvoir « régulateur » du pape. Elles ne sont pas non plus une mise en œuvre de la subsidiarité au sein de l’institution ecclésiale ni d’une centralisation à l’échelle nationale. D’où leur difficulté à trouver leur place entre l’autonomie des Églises locales et la dimension de l’Église universelle, à se situer à l’articulation entre les deux (Jacques Palard). D’où aussi les multiples réflexions quant à la refonte de leur organisation, à leur mission et à leur fonction de gouvernement, entre conciliation, coordination et orientation. Ces assemblées ne peuvent pas imposer leurs décisions à tous leurs membres, notamment à ceux qui s’y opposent. Cela implique pour elles de trouver, dans la prise de décision, la majorité la plus étendue, au-delà des deux tiers requis, voire la quasi-unanimité : c’est un point qui les rapproche et les différencie à la fois des assemblées politiques. En tous les cas, elles cherchent à « réguler la pluralité catholique » par leurs déclarations condamnant toute forme de politisation ou d’autonomisation dans le catholicisme français des années 1950-1960 (Paul Airiau). Une autre difficulté tient à la spécialisation des commissions qui structurent les assemblées à partir des années 1950 et qui font appel au concours de prêtres, voire de laïcs. Or les uns et les autres cherchent parfois à imposer leurs points de vue, au titre de leur expertise, aux évêques eux-mêmes, ce qui interroge sur le mode de fonctionnement de la CEF.
4Logiquement, cet ouvrage s’intéresse davantage à la structuration complexe et au fonctionnement de ces assemblées qu’à leurs engagements et à leurs orientations, notamment dans le domaine temporel. Ce n’est pas ce qu’il vise en premier lieu. Comme le remarque le P. Bernard Ardura en conclusion, il ne revient pas, par exemple, sur les positions de l’ACA au cours de la Seconde Guerre mondiale, au demeurant déjà traitées par plusieurs ouvrages, mais qui auraient pu ici être mises en perspective sur une longue durée. Certes, certaines questions sont bien étudiées, comme celles relatives à « la question laïque », qui conduisent les évêques à négocier des « compromis » (Philippe Portier), ou celles portant sur la « question sociale », qui passent d’une approche pastorale à une conception plus missionnaire (Tangi Cavalin). Les enjeux théologiques et pastoraux, qui s’inscrivent davantage dans le domaine de compétence des évêques, sont en revanche plus largement abordés : ils révèlent les priorités, mais aussi les interrogations, voire les clivages au sein de l’épiscopat. Il en va ainsi de la réforme de la liturgie, à partir de la création d’une commission spécifique en 1951, qui a mis en œuvre, non sans débats, les orientations de Vatican II (Florian Michel), ou de la catéchèse, qui a eu un « rôle moteur dans la nationalisation des fonctions épiscopales » (Bénédicte Toucheboeuf). Le cas du comité épiscopal France-Amérique latine illustre les difficultés à définir les périmètres des différentes composantes de la CEF (Olivier Chatelan). L’organisation des Journées mondiales de la Jeunesse, qui se sont tenues à Paris en 1997, a suscité des tensions entre évêques, et notamment à l’égard du cardinal Lustiger, porteur du projet, au sujet des modalités du financement (Charles Mercier).
5Au-delà des quelques contributions présentant des prélats – les cardinaux Grente et Baudrillart (Frédéric Le Moigne), dont les journaux personnels éclairent les débats et les tensions au sein de l’ACA, ou le témoignage de Mgr Defois, qui a servi dix ans au secrétariat général avant de participer à la CEF comme évêque –, les auteurs dressent au fil de leurs textes respectifs des portraits de ceux qui ont façonné et animé ces structures collectives. Ils vont des figures de premier plan, le cardinal Liénart, président de l’ACA de 1940 à 1964, Mgr Chollet, archevêque de Cambrai, et son auxiliaire, Mgr Guerry, secrétaires successifs de celle-ci (le second ayant été adjoint à partir de 1940), jusqu’à des personnalités moins connues ou moins médiatiques. Néanmoins, ce sont les noms d’archevêques et de cardinaux – et en particulier ceux de Paris – qui reviennent le plus souvent.
6Il s’agit en définitive d’un livre important qui aide à mieux comprendre les engagements et les modes collectifs de gouvernement des évêques français, mais aussi leurs divergences, ainsi que la construction progressive d’un épiscopat national. Loin de l’approche technique à laquelle pourrait renvoyer une histoire institutionnelle classique, il éclaire l’histoire contemporaine de l’Église de France sous un angle dont l’importance croissante au xxe siècle avait été un peu sous-estimée jusque-là par l’historiographie.
Pour citer cet article
Référence papier
Xavier Boniface, « Valentin Favrie, Charles Mercier et Christian Sorrel (dir.), Cent ans de gouvernement de l’Église catholique en France. De l’Assemblée des cardinaux et archevêques à la Conférence des évêques (1919-2019) », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 214-216.
Référence électronique
Xavier Boniface, « Valentin Favrie, Charles Mercier et Christian Sorrel (dir.), Cent ans de gouvernement de l’Église catholique en France. De l’Assemblée des cardinaux et archevêques à la Conférence des évêques (1919-2019) », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76747 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138tq
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