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Comptes rendus

Étienne Fouilloux, Brève histoire de la Paroisse universitaire (1910-1963)

Lyon, LARHRA, coll. « Chrétiens et sociétés », 2024, 106 p.
Frédéric Gugelot
p. 216-218
Référence(s) :

Étienne Fouilloux, Brève histoire de la Paroisse universitaire (1910-1963), Lyon, LARHRA, coll. « Chrétiens et sociétés », 2024, 106 p.

Texte intégral

1Dans une incontournable synthèse, l’auteur nous livre l’histoire d’un mouvement catholique du xxe siècle inédit, la Paroisse universitaire (PU), dressant un état des connaissances actuelles et des pistes pour mieux le cerner. La PU a toujours revendiqué d’être née de l’activisme d’un professeur de l’école publique de foi catholique, le converti Joseph Lotte. Pourtant pris entre deux volontés, celle d’une école publique se construisant contre le catholicisme et celle d’une Église condamnant encore en 1929 « l’école neutre ou laïque d’où est exclue la religion » (l’encyclique Divini Illius Magistri, citée p. 55), le mouvement s’impose progressivement comme le lieu de la conciliation des enseignants croyants avec leur milieu professionnel hostile. Lotte propose de dépasser accommodement et dissociation entre leur métier et leur adhésion de foi, en démontrant l’existence possible de « cathos de la laïque » (p. 18). Telle une bouteille à la mer, il envoie à 500 établissements secondaires en France une lettre programmatique proposant d’adhérer au « Groupe des Professeurs Catholiques de l’Université » : « Nous nous groupons d’abord afin de créer entre nous, dont beaucoup s’ignorent les uns les autres, un lien d’amitié, une aide mutuelle de foi et de prière » (p. 13). Il s’agit de donner « à notre foi un rayonnement plus vif et [qui] fasse mieux fructifier chez nos élèves l’influence de notre caractère et de notre dévouement » (p. 13). Un Bulletin des Professeurs catholiques de l’Université est créé en 1911 pour rompre la solitude de collègues croyants isolés en milieu laïc en instaurant un lien entre ces membres. Revenu à la foi de son enfance, inspiré par Péguy et la lecture de Bergson, Lotte parvient ainsi avant de mourir à impulser non seulement la production de cette publication, mais aussi un mouvement qui affirme clairement le possible accommodement entre foi vivante et engagements professionnels au sein de l’école laïque. Le Bulletin fournit au départ essentiellement un important soutien spirituel et participe de la renaissance catholique des lettres françaises. Un de ses auteurs, Émile Baumann l’évoque comme « une œuvre de pensée catholique » (lettre à Lotte du 30 novembre 1913, p. 21) : l’ambition littéraire doit démontrer que la foi catholique n’est pas associée à l’illettrisme et l’inculture.

2L’initiative de Lotte fleurit en même temps que d’autres tentatives similaires au sein de l’école primaire, le Bulletin amical des institutrices publiques et les Davidées. Associant retraites, réunions et échanges, ces groupes permettent de combattre l’isolement de ces enseignantes croyantes et de soutenir leur quête spirituelle en proposant une « amitié spirituelle ». Ils ont en commun de promouvoir une « mystique » (p. 38) de la fonction enseignante, vécue comme un engagement humble, droit, fondé sur une conscience forte du devoir quotidien. Leurs adhérent·es sont quelques milliers parmi les bataillons massifs de l’enseignement national. Des figures inspiratrices, tels les normaliens catholiques Jean Guitton pour les Davidées ou Marcel Légaut, servent de relais à des mouvements majoritairement féminins. Les deux axes de la PU se mettent en place : un espace de formation continue et un soutien spirituel grâce à des méditations sur un passage de l’Évangile, des fiches de culture générale et des réflexions philosophiques, historiques et littéraires. Ces mouvements n’ont aucune difficulté à trouver des relais cléricaux : Pierre Paris, les jésuites Léon Aurel et René d’Ouince pour le groupe Légaut. Néanmoins la question de l’autonomie par rapport à l’autorité religieuse, plus grande chez Légaut, moins forte chez les Davidées, se pose. Le rôle des aumôniers de lycées, trop peu connu, est-il un relais, un appui ou un obstacle ? Le plan de l’ouvrage illustre ce paradoxe d’un mouvement laïc, autonome, mais dont les phases historiques s’identifient à une figure cléricale d’accompagnement, pour devenir « la paroisse du Père Paris » puis celle du Père Dabosville, de 1945 à 1963.

3Dans un esprit très « bleu horizon » associant foi patriotique et foi catholique, la reprise de la publication du Bulletin de Lotte par Pierre Heinrich dès 1917 permet la pérennisation du mouvement (1300 abonnés dès 1919). Le Bulletin défend l’impossible conciliation entre foi et mission laïque d’enseignement, et apparaît surtout comme un outil pour protéger des maîtres et maîtresses inquiétés pour leur foi. La proximité du responsable avec l’Action française malgré la condamnation par l’Église en 1926 et son rejet de la neutralité scolaire conduisent à un recentrement en 1929 sur une orientation pédagogique et spirituelle sans engagement politique. La ligne de défense religieuse apparaît progressivement peu compatible avec la vision des croyants enseignants dans le public, d’autant que derrière un sort commun, de grandes diversités politico-religieuses existent.

4La création de « Journées universitaires » solidifie d’autant plus le mouvement, ces rencontres annuelles accueillant un nombre croissant d’adhérents au fil du temps (300 en 1923, 700 en 1926). En 1929, fort de son Bulletin, de ses journées, de statuts renouvelés et du soutien de passeurs cléricaux, la PU se développe. Le 4 avril de la même année, Pierre Paris prophétise : « La ville et la cité vous attendent, comme Rome jadis guettait les néophytes au sortir du Latran […] je vous bénis d’être déjà ces témoins du Christ » (p. 58). Le Père Paris devient l’apôtre de sa nouvelle paroisse ; il visite, stimule et accompagne spirituellement les groupes locaux, aidé par de jeunes universitaires « talas » des années 1920 (dont Étienne Borne, Joseph Hours, André Latreille, Jacques Madaule, Louis Massignon, Emmanuel Mounier, Roger Pons…), parfois proches de Jacques Chevalier. Le mouvement aspire à nourrir culturellement et spirituellement ses membres, dans une optique d’ouverture vers une société sécularisée, mais moins hostile. Si son nom même est un programme – « universitaire » pour définir le monde concerné (les membres de l’enseignement public formé à l’université), « paroisse » pour s’inclure dans l’Église –, la PU n’est pas un mouvement d’action catholique. Sa fidélité laïque lui interdit tout prosélytisme, d’où une autonomie importante.

5La PU n’échappe cependant pas aux clivages internes : la Guerre d’Espagne avec la nomination de Chevalier comme secrétaire d’État à l’Instruction publique de Vichy, marque un premier conflit entre les membres. La Seconde Guerre mondiale, ensuite, redéfinit le visage du mouvement : si elle empêche la tenue des Journées, elle le prive aussi d’une partie de ses hommes, amenant ainsi à une forte féminisation de ses effectifs. Ce nouveau dynamisme entraine néanmoins d’autres initiatives qui semblent porteuses d’avenir. Au sein de la PU parisienne, Madeleine Leroy fonde le Centre Universitaire Catholique en 1941 qui mobilise des théologiens pour nourrir la foi des membres. Ces cours obtiennent un réel succès et sont diffusés sous forme dactylographiée. Au-delà de la crise moderniste et malgré les condamnations romaines, la solidité du soubassement intellectuel fourni par la PU, inspiré par Péguy, Blondel, Laberthonnière et Bergson, nourrit l’engagement professionnel et spirituel. À l’exemple du thème des Journées de Clermont-Ferrand en 1933, « Les devoirs du maître chrétien face au monde moderne », thèmes et conférences illustrent cette mystique du métier fondée sur un engagement total inspiré des valeurs évangéliques, d’une présence sans volonté d’apostolat à l’exemple de « L’action de l’éducateur en dehors de l’éducation » (1930) ou le rapport d’Antoine Martel en 1931, « Vertus professionnelles et esprit de charité ». Cette formule répond à une attente : il y a alors 1500 abonnés au Bulletin, 850 participants aux Journées de Clermont-Ferrand en 1933, 1100 à Paris en 1937 et 1500 à Grenoble en 1939.

6La reprise après-guerre renoue avec le succès (1500 à 1800 en moyenne dans les années 1950, 2000 dans les années 1960) en élargissant les thèmes abordés, « le problème de la liberté » (1946) et « les chrétiens devant les valeurs du monde moderne » (1947). La PU envoie 2700 pèlerins à l’année sainte de 1951 et réunit jusque 3000 personnes aux Journées pascales annuelles dans les années 1950. La naissance du Centre catholique des intellectuels français rend inutile un échelon spécifique pour l’enseignement supérieur. Les enseignants du primaire constituent toujours les effectifs les plus importants. L’armature théologique s’appuie sur des théologiens de premier plan avec le dominicain M.D. Chenu (Denis Pelletier, « Étienne Fouilloux, Marie-Dominique Chenu (1895-1990) », Archives de sciences sociales des religions, 200, 2022 p. 214-216) et le jésuite Pierre Ganne. La politique retrouve droit de cité avec en particulier la Guerre d’Algérie et la question scolaire. Une fois de plus, le problème algérien est abordé selon des critères moraux et spirituels, à la fois pour répondre aux enjeux du débat, mais aussi pour conserver l’unité du mouvement. Trop « influencée par la pensée moderne », la hiérarchie ecclésiale exige la démission de Dabosville en 1962, première intervention dans son histoire qui surprend, choque, et marque un changement d’époque alors que le concile Vatican II débute. La PU participe de l’euphorie conciliaire, mais les ébranlements sont là, tant dans les effectifs des Journées que dans sa logique d’identité. Elle a su démontrer que l’on pouvait être un enseignant croyant et profondément laïc à la face de la République et de l’Église. La question ne se pose plus. L’ébranlement des autorités autour de la crise de 1968, l’approfondissement de la sécularisation, la critique d’une école reproductrice des inégalités affaiblissent aussi le besoin d’une paroisse universitaire.

7Ces « cathos de la laïque » témoignent d’un entre-deux. Ils doivent démontrer qu’ils ne sont pas contaminés par leur monde professionnel et, en son sein, qu’ils ne sont pas des ennemis de l’intérieur. Leur réponse est simple : devenir les meilleurs des enseignants, portés par un élitisme et une mystique professionnelle dans une « atmosphère de prière et d’approfondissement de la foi » (p. 39). « Il faut qu’on puisse dire de chacun de nous : “Il est meilleur que les autres parce qu’il est catholique” » (p. 46), affirme en 1925 la professeure d’histoire et de géographie Amélie Dazin. De tels mouvements s’appuient sur des fidèles engagés, aspirant à une foi adulte. Ces laïcs représentent les cadres moyens de l’Église et recherchent une instruction religieuse à la hauteur de celle de leur formation profane. Chenu l’exprime le mieux : « la mystique n’est donc pas réservée à une élite, tous les fidèles peuvent y avoir accès en cultivant leur vie spirituelle », comme le cite Fouilloux (p. 26). Cette reconnaissance des fidèles comme adultes modifie profondément le rapport Église enseignante et enseignée. La PU répond à la demande des fidèles qui s’efforcent de vivre en chrétiens sur un mode plus spirituel et moins institutionnel. Ces nouvelles figures de « cathos de la laïque » rejoignent « ces classes moyennes de la sainteté […] définies par un compromis, un moyen terme, entre bonheur terrestre et amour unique de Dieu » », ces « chrétiens ordinaires, les pauvres hommes aux soucis quotidiens, noyés dans les inquiétudes quotidiennes de la vie » (Joseph Malègue, Pierres noires : les classes moyennes du Salut, 1958). L’ouvrage d’Étienne Fouilloux retrace ainsi avec beaucoup de précision et de profondeur une page de l’histoire longue du « peuple » laïc dans l’Église chrétienne, qui aura connu de nombreuses autres configurations, mais dans laquelle se trouve toujours en jeu un espace social et culturel qui déborde les cadres d’une Église, celle-ci cherchant cependant toujours à le circonscrire.

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Pour citer cet article

Référence papier

Frédéric Gugelot, « Étienne Fouilloux, Brève histoire de la Paroisse universitaire (1910-1963) », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 216-218.

Référence électronique

Frédéric Gugelot, « Étienne Fouilloux, Brève histoire de la Paroisse universitaire (1910-1963) », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 14 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76757 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138tr

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Auteur

Frédéric Gugelot

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