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Comptes rendus

Émilie Grisez, À l’école primaire catholique. Une éducation bien ordonnée

Paris, Presses universitaires de France, 2023, 269 p.
Margot Legal
p. 225-227
Référence(s) :

Émilie Grisez, À l’école primaire catholique. Une éducation bien ordonnée, Paris, Presses universitaires de France, 2023, 269 p.

Texte intégral

1Fruit d’un mémoire de master d’une envergure remarquable, ce travail propose une incursion ethnographique au cœur de l’enseignement catholique sous contrat en France, à la croisée de la sociologie de l’école, de l’enfance et des classes sociales. Il vise à documenter une question paradoxalement peu enquêtée, par les sciences sociales de l’éducation comme par celles du religieux : « quel type de personne l’école catholique et les parents visent-ils à former, par quels moyens, et y parviennent-ils ? » (p. 11). Émilie Grisez y constate le faible nombre d’études ethnographiques consacrées à l’enseignement privé en France, dont 96 % des établissements sont catholiques. Dans cet ouvrage, elle propose d’examiner le dispositif socialisateur que constitue l’école catholique, à travers le cas d’un établissement primaire parisien privilégié fréquenté essentiellement par des familles des classes supérieures. Elle a suivi pour cela plusieurs classes au cours d’une année scolaire dans l’ensemble de leurs activités : cours, catéchèse, récréations, cantine… L’autrice a également effectué plusieurs dizaines d’entretiens auprès des parents, du personnel de l’école et des élèves qui sont au centre de sa démarche ethnographique. Dans la première partie de l’ouvrage, Grisez décrit le projet d’éducation qui caractérise l’école catholique, et comment ses agents socialisateurs se coordonnent pour en assurer la réussite. Dans un second moment, elle s’attache à étudier la manière dont les élèves reçoivent et s’approprient ce qui leur est transmis, posant ainsi la question de l’efficacité du dispositif de socialisation et de ses limites.

2L’autrice entreprend dans le premier chapitre de dresser un portrait de la population scolaire et de ses espaces de socialisation. Si la grande majorité des familles partage une appartenance commune aux classes supérieures, leurs attentes à l’égard de la scolarisation de leurs enfants dans un établissement catholique sont pour partie contrastées. Alors que les familles de la bourgeoisie traditionnelle demeurent attachées à une pratique régulière du catholicisme, qui se traduit par une attention portée à la dimension confessionnelle de l’enseignement, le rapport à la religion est plus distancié au sein des familles dites « de managers » et « d’intellectuels », pour qui le catholicisme constitue avant tout un socle de valeurs morales et un vecteur de capital culturel. Cette étude comparée des styles de vie et des projets éducatifs des familles met en lumière une diversité interne des attentes parentales à l’égard de l’école qui, dans le cas de l’enseignement catholique, revendique une cohérence avec l’éducation reçue à la maison.

3Le projet éducatif de l’école catholique nécessite dès lors un travail continu de mise en cohérence des différents acteurs engagés dans l’établissement (chapitre 2), qu’il s’agisse des parents, du personnel enseignant ou encore du prêtre diocésain qui assure l’aumônerie. Une implication soutenue dans la vie de l’établissement est exigée à la fois de la part des parents et des enseignants, performant une éthique de l’engagement que les acteurs de l’enseignement privé vivent comme une marque distinctive à l’égard de l’école publique. Elle agit également comme un puissant levier de coordination autour d’un projet éducatif partagé. Chaque acteur a son rôle à jouer, tout en reconnaissant la pleine légitimité des autres, ce qui suppose de fermer les yeux sur certaines divergences. À titre d’exemple, l’enseignement catéchétique est suivi par la quasi-totalité des élèves de l’école bien que les animateurs ne se méprennent pas sur la « faible religiosité » de la plupart des familles, qui acceptent en retour la « norme locale » d’inscription au catéchisme alors même qu’elle n’est pas formellement obligatoire.

4Une telle coordination des instances de socialisation dessine un dispositif particulièrement efficace en vue de former des élèves conformément aux attentes de l’école et des familles (chapitre 3). Celui-ci est renforcé par la forte sélectivité de l’école qui, en tant qu’établissement privé, a la possibilité de choisir ses élèves. La conformation aux règles de l’institution se double d’un encadrement des sociabilités et des activités sur le temps extrascolaire. Le dispositif socialisateur se veut ainsi englobant en ce qu’il ne se limite pas à l’éducation scolaire, mais vise à prendre en charge l’élévation humaine et spirituelle des enfants. L’autrice résume ce projet d’éducation qui répond à un triple objectif : « fabriquer un bon élève, un bon professionnel et un bon chrétien » (p. 145). Par-delà la réussite scolaire, il s’agit d’inculquer aux élèves des compétences sociales distinctives sur le plan du savoir-être et des qualités morales. Ce faisant, « l’identité de l’école résulte […] d’un processus d’adaptation réciproque avec son public » (p. 146), à savoir les classes supérieures. La transmission du religieux insiste par exemple sur l’inculcation de valeurs telles que la charité et le sens du devoir, notamment envers les plus démunis. « En habituant les enfants à prendre des responsabilités vis-à-vis d’autres en position subordonnée », il s’agit donc de « leur apprendre à se placer dans une position de supériorité » (p. 158) qui participe pleinement de la légitimation des classes supérieures.

5La deuxième partie de l’ouvrage s’attache à étudier la réception et les effets de ce cadre socialisateur du point de vue des enfants. En mobilisant des outils de la sociologie de l’enfance, l’autrice retrace la sociogenèse de dispositions scolaires et sociales spécifiques. Les élèves adhèrent massivement au cadre scolaire, tout en apprenant à s’en affranchir à la marge (chapitre 4). Le rapport à l’éducation religieuse est quant à lui beaucoup plus distancié. Grisez met en avant le poids décisif de la socialisation familiale quant au degré d’intérêt que les enfants expriment à l’égard de la catéchèse. Ces derniers font preuve d’une grande réflexivité à l’égard des contenus qui leur sont enseignés, et apprennent à adapter leur attitude au statut social de leurs interlocuteurs. Démontrant une grande déférence à l’égard de leurs enseignants, ils n’hésitent pas à afficher un mépris de classe envers le personnel de cantine racisé.

6Cette capacité à se situer socialement s’observe également dans les interactions entre pairs. L’autrice exploite des analyses de réseaux afin de montrer les dynamiques des groupes d’amitié et d’inimitié entre les élèves, ainsi que les valeurs qui les structurent (chapitre 5). Elle met en lumière les logiques de reproduction et de distinction qui s’y jouent entre les différentes fractions des classes supérieures. Enfin, le sentiment de grandir dans un cadre privilégié amène les enfants à développer un sense of entitlement (Lareau, 2003) et à dresser des frontières sociales au sein et en-dehors de l’école (chapitre 6). La conception qu’ils se font de l’école publique et de l’école privée est à cet égard particulièrement intéressante : en soulignant la sélectivité, l’excellence scolaire et la moindre mixité sociale de cette dernière, les élèves « semblent avoir intériorisé l’idée que les écoles ne se valent pas toutes et qu’ils sont, eux, dans la bonne école » (p. 236).

7L’ouvrage d’Émilie Grisez constitue ainsi une contribution tout à fait passionnante à l’analyse de l’enseignement privé catholique, dont le fonctionnement concret demeure largement sous-étudié en dépit du nombre d’enfants qui y sont scolarisés chaque année (autour de 20 millions d’élèves). On ne peut que saluer la richesse du matériau ethnographique recueilli, fruit d’une immersion soutenue sur le terrain et d’un travail de recherche consistant. Le résultat témoigne finement du processus d’articulation entre le projet éducatif des classes supérieures et celui porté par l’enseignement catholique tel qu’il est défini dans ses statuts (2013). Ce faisant, l’ouvrage apporte une contribution éclairante à la question de la recomposition de l’identité catholique des établissements privés sous contrat vis-à-vis de leur public, pour qui le caractère confessionnel est désormais un élément subsidiaire, selon des enquêtes statistiques récurrentes. Il montre en effet comment les familles et les acteurs scolaires ajustent leurs attentes réciproques en vue de former de futurs membres des classes supérieures, pour qui le catholicisme va constituer une ressource culturelle et symbolique profitable dans une société où il demeure largement signifiant. Si une minorité de catholiques observants continue de choisir l’enseignement catholique pour son identité confessionnelle, une majorité de familles s’en accommode d’autant plus facilement qu’elle résonne avec une logique de distinction sociale. Le caractère propre des établissements semble ainsi davantage se restructurer que s’effacer, a minima dans des espaces sociaux marqués par une forte homogénéité et une forme de familiarité à l’égard de la religion catholique.

8Si l’objectif d’une éducation globale porté par l’enseignement catholique, que certains établissements n’hésitent pas à qualifier « d’intégrale », est clairement affiché, le développement qui vise à rapprocher ces écoles d’institutions totales nous paraît moins convaincant. Le degré d’encadrement des élèves, s’il est important, demeure bien moindre que dans les monographies d’établissements telles que celles réalisées par Jean-Pierre Faguer (1991) ou François Bonvin (1979). De même, l’autrice montre les décalages parfois conséquents qui peuvent exister entre le cadre scolaire et les pratiques en vigueur au sein de certaines familles, notamment sur le rapport aux écrans. Cela illustre les marges d’autonomie non négligeables dont bénéficient les élèves et les limites de la coordination entre école et familles à l’égard d’un projet pédagogique partagé.

9Par ailleurs, il pourrait être pertinent d’intégrer au raisonnement des éléments de comparaison avec des établissements primaires d’autres confessions religieuses (Girin, 2021), en vue de préciser la spécificité du projet éducatif catholique, vis-à-vis de ce qui peut relever de logiques structurelles dans l’enseignement privé, voire dans certains établissements publics d’élite (la sélection des élèves et l’implication des parents par exemple).

10On ne peut en tout cas que se réjouir que l’autrice poursuive cette recherche dans le cadre d’une thèse de doctorat en cours de préparation, qui lui offrira la possibilité de l’enrichir par d’autres études de cas dans des contextes sociaux et géographiques contrastés (écoles rurales, mixité confessionnelle, etc.).

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Pour citer cet article

Référence papier

Margot Legal, « Émilie Grisez, À l’école primaire catholique. Une éducation bien ordonnée », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 225-227.

Référence électronique

Margot Legal, « Émilie Grisez, À l’école primaire catholique. Une éducation bien ordonnée », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 14 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76797 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138tv

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