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Comptes rendus

Jérôme Grosclaude, Réinventer l’Église sous Victoria

Préface de S. Croft, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 199 p.
Jacques Palard
p. 227-229
Référence(s) :

Jérôme Grosclaude, Samuel Wilberforce (1805-1873). Réinventer l’Église sous Victoria, préface de S. Croft, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2023, 199 p.

Texte intégral

1Le parcours que propose Jérôme Grosclaude sur la vie de Samuel Wilberforce (1805-1873), évêque d’Oxford de 1845 à 1869 puis de Winchester au cours des quatre années suivantes, offre un tableau raisonné des controverses et des enjeux qui se développent au sein de l’Église d’Angleterre du second xixe siècle. L’année qui précède son ordination sacerdotale, en 1829, connaît de profonds changements au plan du jeu démocratique national. À l’instigation du gouvernement tory du duc de Wellington, mais grâce aux voix whigs, le Parlement avait aboli les lois interdisant l’accession aux fonctions publiques, notamment électives, aux non-conformistes, c’est-à-dire aux protestants qui refusaient de se « conformer » au Livre des prières publiques, rituel de l’Église d’Angleterre depuis le rétablissement en 1662 de l’anglicanisme comme religion d’État. L’année suivante, des dispositions similaires sont prises en faveur de l’émancipation des catholiques romains. Wilberforce se montre inquiet à l’idée d’une accentuation de cette évolution avec le retour attendu au pouvoir du Parti whig, désormais devenu Parti libéral, qui sera de fait dès 1830. Il estime qu’« il ne pourra pas y avoir de gouvernance sûre, sage ou vigoureuse tant que celle-ci ne s’avérera pas reposer sur ce que j’appelle de purs principes torys. […] Je pense que l’Église s’écroulera complètement dans les cinquante ans qui viennent, et que l’État n’y survivra pas très longtemps » (cité p. 34). Devenu évêque d’Oxford, il entretient des relations d’une plus grande confiance avec son ami libéral Gladstone, fervent anglican, qu’avec le pragmatique conservateur Disraeli. À l’instar des anglicans High Church, mouvement né de la Restauration anglaise de la seconde moitié du xviie siècle, il défend la religion établie contre les tendances favorables à la poursuite de la Réforme. Opposé en cela au courant évangélique anglican, il adopte certaines des orientations de l’anglocatholicisme – forme de catholicisme sans pape –, dont la conception de la liturgie et du dogme était proche de celle de l’Église catholique. Grosclaude tient pour paradoxale la double position défendue par l’ambitieux évêque d’Oxford, passé en seulement une quinzaine d’années de la situation de prêtre de paroisse à celle de membre de l’épiscopat et pair du royaume : un soutien absolu au maintien du statut officiel de l’Église d’Angleterre et un refus non moins déterminé de lier le destin de celle-ci au Parti conservateur/tory, pourtant défenseur traditionnel de l’anglicanisme. Avant de prendre ses fonctions épiscopales à Oxford, il est nommé, sur proposition du Premier ministre conservateur Robert Peel, au poste prestigieux de doyen de l’abbaye de Westminster.

2Dans son activité pastorale, Wilberforce s’attache à considérer l’Église d’Angleterre non comme un simple héritage du césaropapisme d’Henri VIII, mais dans son lien intrinsèque avec la succession apostolique, position qui le porte à insister sur la solennité et la valeur des rites sacramentels, non seulement le baptême et l’eucharistie, pleinement reconnus, mais également la confirmation et l’ordination. C’est dans le cadre de sa communauté, placée sous l’autorité d’un clergé qui pouvait faire remonter son origine à la période des apôtres, que le croyant pouvait chercher et trouver Dieu : « Le croyant ne pouvait pas imaginer compter sur sa seule conscience ni être son propre guide, dans ce chemin de foi au risque de tomber dans ce que Wilberforce appelle en 1831 l’auto-idolâtrie (“self-idolizing”) » (p. 59). Sa nomination en 1845 au siège épiscopal d’Oxford contraint Wilberforce à tenir compte du débat houleux qui avait été animé au cours des années précédentes par le « mouvement d’Oxford ». Ce mouvement, auquel il avait naguère été associé, est dit également, comme on le verra, « tractarianisme », en référence à la publication, de 1833 à 1841, des Tracts for the Times. Parmi ses principaux animateurs et inspirateurs, on comptait le poète et théologien John Keble, le prêtre et professeur d’hébreu Edward Bouverie Pusey, Henry Edward Manning, futur archevêque de Westminster et cardinal, et, surtout, John Henry Newman, créé cardinal en 1879 par Léon XIII. L’apogée du mouvement avait eu lieu en 1841, au moment de la publication par John Henry Newman du tract no 90, destiné à montrer que les trente-neuf articles, fondateurs de l’Église anglicane au xvisiècle, n’étaient nullement le fruit d’un anticatholicisme. Le tollé provoqué par ce document au sein de l’université d’Oxford et, plus largement, dans la société anglicane victorienne conduira au retrait de Newman, reçu dans l’Église catholique romaine le 8 octobre 1845, « cinq jours avant que Samuel Wilberforce n’apprenne sa nomination comme évêque » (p. 78). En raison du prestige intellectuel et spirituel de Newman et de son influence sur la jeunesse, cette date a constitué un événement capital pour le catholicisme anglais et ses relations avec l’Église anglicane.

3À l’occasion de l’élection du successeur de Keble à la chaire de poésie de l’université d’Oxford en 1841, Wilberforce s’attache, pour s’opposer à un candidat quasi naturel également d’obédience « tractarienne », à condamner le mouvement de façon radicale, en particulier la conception de la justification de Newman et son désir d’une unité autour d’un centre visible, Rome en l’occurrence. Dans la correspondance qu’il entretient avec Pusey au cours des semaines qui ont suivi sa nomination au siège d’Oxford, il s’attache à réaffirmer la primauté des Écritures sur tout autre approche de la révélation chrétienne, en particulier la tradition ou les Pères de l’Église. Le Mouvement d’Oxford s’éteint ensuite, du fait de la conversion au catholicisme de la plupart de ses penseurs. Il fait place au Mouvement ritualiste, qui tente d’appliquer à la liturgie les conceptions des tractariens dans l’esprit du Book of Common Prayer. Ce mouvement sera lui-même à la source de confrontations qui contribueront à nourrir la crise identitaire de l’Église anglicane.

4L’engagement de Wilberforce dans l’animation religieuse, en forme de « théologie relationnelle », de son « Église locale » se manifeste par une nette croissance du nombre de cures (dont le pouvoir de nomination appartenait à l’évêque et non à des laïcs), une intense activité épistolaire, une forte écoute du clergé et la construction d’écoles. Tout cela fera reconnaître le rôle moteur de Wilberforce au sein de l’épiscopat ; il aide en particulier à réactiver l’institution des « convocations », parlements de chacune des deux provinces de Cantorbéry et d’York, dont il renforce le rôle d’outil d’autorégulation et d’indépendance à l’égard du droit politique.

5L’ouvrage souligne les résonances que peuvent trouver aujourd’hui l’activité et la pensée de Samuel Wilberforce, en particulier dans les domaines de l’éducation et de la relation foi/science, alors discutée dans un contexte marqué en particulier par les débats sur les théories de Charles Darwin, dans lesquels il s’est personnellement engagé. Soucieux de s’éloigner de l’image aristocratique de l’épiscopat dans l’Angleterre victorienne, l’évêque d’Oxford s’est toutefois opposé à la rupture du cordon ombilical unissant l’Église d’Angleterre et les institutions étatiques britanniques.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jacques Palard, « Jérôme Grosclaude, Réinventer l’Église sous Victoria », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 227-229.

Référence électronique

Jacques Palard, « Jérôme Grosclaude, Réinventer l’Église sous Victoria », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 15 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76812 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138tw

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Auteur

Jacques Palard

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