Navigation – Plan du site

AccueilNuméros208Comptes rendusJacqueline Lalouette, L’identité ...

Comptes rendus

Jacqueline Lalouette, L’identité républicaine de la France. Une expression, une mémoire, des principes

Paris, Fayard, 2023, 352 p.
Jean Baubérot-Vincent
p. 234-236
Référence(s) :

Jacqueline Lalouette, L’identité républicaine de la France. Une expression, une mémoire, des principes, Paris, Fayard, 2023, 352 p.

Texte intégral

1Jacqueline Lalouette consacre son dernier ouvrage au décryptage d’une expression forgée par Jean-Pierre Chevènement en 1996, « l’identité républicaine de la France » (p. 12). Depuis lors, cette formulation a été reprise par diverses personnalités politiques et intellectuelles. Si elle apparaît moins fréquente que l’invocation des « valeurs de la République », elle établit une connexion entre la référence à ces « valeurs » et la mise en avant de « l’identité nationale », tout en infléchissant le sens de cette dernière expression par la disparition de toute connotation ethnique. Elle est donc politiquement située, privilégiant la France comme « République » à la France comme « nation » quand un « lien [est] établi entre l’identité et [le rejet de] l’immigration » (p. 44). Néanmoins, l’affaire est plus complexe qu’il n’y parait, car le « refus de son américanisation » figure parmi les « premiers motifs poussant à s’interroger sur l’identité de la France » (p. 41).

2Le sous-titre de son étude l’indique : après avoir relevé divers usages politiques et sociaux de cette expression, l’historienne en retrace la mémoire et les principes, grâce à des panoramiques bienvenus. L’identité républicaine se situe dans une double mémoire, élaborée dès la Révolution française, celle des Lumières et celle de la Révolution elle-même. Deux chapitres explorent donc les distorsions entre mémoire et histoire. On pense, bien sûr, à Pierre Nora indiquant que la mémoire « sacralise » et que l’histoire « laïcise ». Cette sacralisation prend différentes formes : panthéonisation, statues de « grands hommes », noms de rue…

3Ainsi, l’histoire, la « multiplicité d’héritages » (Antoine Lilti) propres aux Lumières, tend à être évincée au profit de la mémoire d’une France « patrie » des Lumières et d’une vision « monolithique » de leur héritage. Les commémorations constituent des moments clés pour revitaliser cette mémoire et lui donner sens. En 1878, année du double centenaire de la mort de Voltaire et de Rousseau, le premier fut « considéré comme l’inspirateur de 1789 et 1790 tandis que Rousseau était celui de 1792, 1793 et 1794 » (p. 100). Un siècle plus tard, on tendit à les réconcilier « en célébrant ensemble le bicentenaire de leur mort » (p. 105). L’invocation des Lumières s’atténua dans les années 1960, avant de resurgir en force lors des attentats terroristes. Quant à la Révolution, sa mémoire s’avéra, dès le départ, conflictuelle : Mirabeau et Marat furent « panthéonisés », puis « dépanthéonisés ». Elle le resta ensuite, comme le montre l’ambiguïté de la fête nationale du 14 juillet que, par irénisme politique, on prétendit (à tort) lors de son instauration, et l’on affirme maintenant, « de plus en plus souvent » (p. 132), qu’elle se rattache exclusivement à la Fête de la Fédération de 1790. Témoignent également de cette conflictualité l’érection de « monuments contre-révolutionnaires » et l’observation de Maurice Agulhon : « Napoléon “reste le demi-dieu de notre peuple” [… alors qu’il] est impossible d’honorer Robespierre » (p. 153).

4Quatre « principes » constitutionnels définissent la République française depuis 1946 : celle-ci est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ». L’autrice retient les deux premiers qui lui semblent « poser le plus de problèmes par rapport à l’identité républicaine » (p. 15). Dans des pages passionnantes, elle montre la façon dont le symbolique manipule le juridique, car les épithètes « une et indivisible » sont toujours énoncées par des personnalités politiques (de Jean-Luc Mélenchon à Jacques Chirac, en passant par… l’ancien président du Conseil Constitutionnel, Robert Badinter) pour qualifier la France républicaine, malgré la disparition de la première dans les Constitutions de la ive puis de la ve République. La loi elle-même, et un document du site de l’Élysée, « comble du comble » (p. 167), contredisent la Constitution !

5Très significatif déni de réalité ! L’historienne rappelle que la Constitution de 1791 déclara « Le Royaume […] est un et indivisible » et, l’année suivante, la Convention « républicanisa » la formule, qui s’enracine dans la pensée politique de Jean Bodin et de Bossuet. Après Félicien Lemaire, elle y voit une « vision théologique de la souveraineté » (p. 163). Associées, l’unité et l’indivisibilité ont des effets institutionnels comme le refus du bicamérisme en 1791, 1793 et 1848 (Lamartine parla de « la présence réelle de la souveraineté nationale »), l’interdiction du mandat impératif, l’unicité du peuple français, malgré le fait que plusieurs territoires possèdent des statuts particuliers, enfin le monolinguisme. Avec finesse, l’historienne note que, maintenant, l’« “indivisibilité” est largement supplantée par son contraire, le “séparatisme” » (p. 197).

6Sur la laïcité, l’autrice montre la persistance de « combats » liés au catholicisme, notamment concernant l’article 28 de la loi de Séparation qui interdit d’apposer des « emblèmes religieux […] en quelque emplacement public que ce soit ». Croix, statues de la Vierge, crèches installées dans des bâtiments officiels par des personnalités de droite et d’extrême droite sont l’occasion de recours juridiques portés par la Libre-Pensée. Mais, bien sûr, c’est à propos de l’islam que, depuis « l’affaire de Creil » en 1989, et surtout la loi de 2004, les conflits sont récurrents, avec une gauche « désormais profondément déchirée » (p. 253) et une « droite et [une] extrême droite [qui] se sont converties à la laïcité, lui faisant ainsi subir un spectaculaire mouvement dextrogyre » (p. 252).

7La formule est heureuse ; cependant, l’autrice apparaît presque embarrassée d’indiquer les atteintes à la laïcité opérées au profit du catholicisme (elle parle de « vieux combats », de « vieux slogans anticléricaux », de « guerres picrocholines »…). Cela provient d’un problème plus général dans son étude, par ailleurs fort intéressante : si l’expression « l’identité républicaine de la France » date de 1996, les enjeux politiques et culturels qu’elle implique, l’aspect panoramique des différents chapitres le prouve, datent de la Révolution. Il faut donc assumer jusqu’au bout de déconnecter la formule de la représentation des acteurs. L’identité républicaine de la France s’est largement construite en opposition avec un autre marqueur identitaire, « La France, fille aînée de l’Église [catholique] », et le maintien de jours fériés catholiques en 1905 montre que l’apaisement a nécessité, comme elle le signale elle-même (p. 243), de privilégier quelque peu le catholicisme par rapport aux « autres confessions ». Dès lors, loin d’être anecdotiques, les tentatives de recatholicisation de l’espace public présentent un aspect structurel, en cohérence avec la volonté d’invisibiliser l’islam dans cet espace. Le « mouvement dextrogyre » se relie à l’élaboration d’une identité républicaine catho-laïque qui, subrepticement, l’ethnicise partiellement.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Jean Baubérot-Vincent, « Jacqueline Lalouette, L’identité républicaine de la France. Une expression, une mémoire, des principes », Archives de sciences sociales des religions, 208 | 2024, 234-236.

Référence électronique

Jean Baubérot-Vincent, « Jacqueline Lalouette, L’identité républicaine de la France. Une expression, une mémoire, des principes », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 208 | 2024, mis en ligne le 01 février 2025, consulté le 13 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/assr/76837 ; DOI : https://doi.org/10.4000/138tz

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
  • Logo Éditions de l’EHESS
  • Logo CNRS - Institut des sciences humaines et sociales
  • OpenEdition Journals
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search